par Guy Casteignau et Yannick Richomme Laboratoire de Génie Chimique Appliqué au Traitement des Eaux Université de Limoges
INTRODUCTION
Les procédés de coagulation-floculation chimique des eaux résiduaires urbaines ont donné lieu depuis quelques mois à des réalisations industrielles faisant appel uniquement aux seuls réactifs chimiques (stations d’épuration de la vallée de l’Ondaine, des villes de Cannes, Cassis...) ou couplant l’épuration physico-chimique à des procédés biologiques (stations d’épuration des villes de Royan, Saint-Georges-de-Didonne, Biscarrosse, La Baule).
Le récent développement de techniques d’épuration d’eaux résiduaires basées sur la coagulation-floculation des influents a permis, en effet, dans certains cas difficiles, d’épauler, par couplage, l’épuration biologique traditionnelle.
Ce couplage des épurations physico-chimique et biologique est envisagé, en général, dans des cas particuliers :
- — variations brusques des charges hydrauliques (et/ou polluantes),
- — présence de toxiques dans les influents,
- — nécessité de protéger le milieu récepteur contre les phénomènes résultant du rejet de nutriments (eutrophisations dues à la présence de phosphates, nitrates).
Le couplage des deux procédés permet effectivement de modifier le temps de réponse de l’unité d’épuration au cours de périodes plus ou moins brèves (été ou hiver par exemple, fins de semaine), d’assurer l’optimalisation de l’élimination sélective d’éléments indésirables particuliers (pollution particulaire ou dissoute, phosphates, etc.), de prendre en compte l’évolution, dans le temps, des caractéristiques de charges polluantes induites par diverses réductions à la source (l’amélioration continue en plusieurs années du rapport de biodégradabilité d’effluents urbains à la suite d’actions incitatrices auprès des industriels raccordés).
À la lumière de résultats expérimentaux et d’exploitation sur eaux usées urbaines, il peut être intéressant de présenter les performances nouvelles que réalisent les couplages exploités et les stratégies qui peuvent être développées par les équipes de maintenance pour atteindre les objectifs de qualité.
Envisager le couplage de deux procédés aussi différents revient à développer deux stratégies :
- — l’une prévisionnelle, basée sur une définition des objectifs de qualité à atteindre et définie lors de l’élaboration des projets ; elle conduit au choix du couplage le plus judicieux ;
- — l’autre de tous les jours, sinon heure par heure, basée sur l’optimalisation du couplage réalisé ; elle garantit l’obtention des meilleures performances au meilleur rendement.
En général, le couplage des deux procédés peut être prévu selon des chaînes de traitement schématisées sur la figure n° 1.
Lors du couplage de type 1, le traitement physico-chimique intervient en amont du traitement biologi-
TRAITEMENTPRIMAIRE
TRAITEMENTBIOLOGIQUE
TRAITEMENTTERTIAIRE
Type 1 : préfloculation
Type 2 : floculation simultanée
Type 3 : postfloculation
[Figure : Fig. 1 — Types de couplages et chaînes de traitement de l’eau correspondantes.]…que, il englobe à la fois les procédés de coagulation-floculation et de décantation. Il nécessite des ouvrages spécifiques issus de la transformation plus ou moins poussée de décanteurs primaires conventionnels (figure 2).
Le couplage de type 2 implique l’adjonction de réactifs chimiques en tête de l’étape biologique non modifiée. Il peut être considéré comme traitement d’appoint ; les conséquences sur les performances de l’épuration biologique et de son dimensionnement ne sont pas négligeables.
Le couplage de type 3 peut être considéré comme un traitement d’affinage, concernant tous les polluants, y compris ceux issus des réactions biochimiques se développant dans l’étape biologique. Il nécessite l’implantation d’ouvrages distincts supplémentaires par rapport à une station biologique conventionnelle.
Ce dernier type n’est que peu développé en France ; nous ne le citons ici que pour mémoire. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les couplages réalisés dans notre pays – presque tous de type 1 – sont destinés à lutter en premier lieu contre les variations saisonnières de charges (stations balnéaires et de montagne), alors que dans d’autres pays (États-Unis, Japon, Canada) bon nombre de projets, à l’étude ou réalisés, ont pour objectif majeur l’élimination des phosphates et font donc appel aux procédés de type 2.
Nous soulignons ici cette remarque, qui rend compte indirectement des stratégies prévisionnelles développées en France, et qui justifie le choix des exemples de cet article basés essentiellement sur des schémas de type 1 et 2.
Rappelons, pour mémoire, que l’on admet habituellement comme performances spécifiques de chacune des étapes (physico-chimique – biologique) utilisées seules, les valeurs rassemblées dans le tableau 1.
Tableau 1 — Performances moyennes des épurations biologique et physico-chimique non couplées.
DBO5 éliminée (%) | DCO éliminée (%) | MES éliminées (%) | NH₄⁺ éliminé (%) | PO₄³⁻ éliminé (%) |
---|
dis-soute | part. | dis-soute | part. | élim. | élim. | élim. |
Épuration biologique 40-70 | 60-90 | 35-60 | 65-85 | 70-90 | 30-35 | 30-80 |
Épuration physico-chimique 0-10 | 70-90 | 0-10 | 75-95 | 85-95 | 5-20 | 90-99 |
COUPLAGE DES PROCÉDÉS
Il est évident que le couplage de ces deux procédés n’implique pas un cumul des performances. L’évaluation des effets produits par le couplage et les contraintes d’exploitation afférentes méritent d’être soigneusement déterminées.
Bien qu'il soit intéressant d'évaluer globalement les rendements obtenus par ces installations, l’optimisation des systèmes rend nécessaire l’examen détaillé des transferts de matières, étape par étape.
Pour ce faire, nous avons conduit des essais sur plusieurs stations d’épuration urbaines de type 1 A (Saint-Palais, Saint-Georges-de-Didonne) (figure n° 3). Les essais ont consisté en une étude fine, sur plusieurs semaines, des performances réelles obtenues tant sur le circuit eau que sur le circuit boues des stations. Au cours de ces essais, les influences des variations de la charge hydraulique et de la qualité de l’influent, de la nature des réactifs chimiques ont été examinées. Le devenir des charges azotées et phosphorées a été suivi. Enfin, la production des boues et leur qualité ont été déterminées. Les relations de cause à effet du fonctionnement de l'une et l’autre étape sur le rendement global ont été soigneusement analysées. Enfin, les interactions réciproques ont été mises en évidence.
I. — TRANSFERTS DE MASSES DANS LES SYSTÈMES COUPLÉS
Nous présentons ici quelques résultats partiels, en les comparant, pour les rendre plus explicites, à des résultats obtenus sur d'autres sites de type 1 B (La Baule) et sur pilotes expérimentaux de type 2, ceci afin de dégager des idées générales qui recevront par ailleurs un développement plus exhaustif.
1.1. Transferts de masse des charges carbonées, azotées, phosphorées.
1.1.1. Charges carbonées.
Pour des raisons de commodité d'analyse sur le site, la charge carbonée a été évaluée par sa seule fraction oxydable. Elle sera ici exprimée en DCO.
La figure n° 6 schématise les résultats moyens obtenus en période de surcharge estivale sur deux stations balnéaires dont les étapes biologiques sont différentes (boue activée et lagune aérée). La situation de la station de Saint-Georges-de-Didonne est représentative d'un fonctionnement moyen (au chlorosulfate ferrique), l'exploitant recherchant la performance maximum de l'étape physico-chimique. Le complément d’épuration est assuré par l'étape biologique (6b).
À La Baule (6a), les résultats ont été obtenus en été 1976 sur des effluents (septiques) prétraités : dans le réseau au sulfate ferreux, et sur la station au sulfate d’alumine (2).
1.1.2. Charges azotées.
La figure n° 6 schématise le transfert de masse des charges azotées. La charge ammoniacale traverse intégralement l'étape physico-chimique, l'étape biologique supporte à elle seule sa transformation et son élimination partielle (d'ailleurs très partielle en été 1976 à La Baule).
1.1.3. Charges phosphorées*.
La figure n° 7 reprend certains résultats obtenus sur pilote semi-industriel (600 l/h) par GUJER et BOLLER (3). L’élimination des charges phosphorées (dissoutes et particulaires) sur chaque étape montre l'évidence, la souplesse du couplage qui permet de développer une stratégie d'élimination de ces formes chimiques. Dans les deux situations de couplage, les rendements totaux d'élimination sont identiques qu’il s'agisse du phosphore particulaire ou dissous. Dans le cas d'une préfloculation, la majeure partie des phosphates est éliminée dans les boues primaires. Dans le cas du traitement simultané, les phosphates sont bloqués dans les boues biologiques. La solubilisation d'une partie du phosphore assure un résiduel pouvant satisfaire la demande des boues activées.
Le phosphore n'apparaît donc pas comme nutrient limitant. Nos propres essais en vraie grandeur confirment ces résultats.
Ces remarques prennent plus ou moins d'importance selon le devenir des boues (utilisation en agriculture, stabilisation aérobie, etc.).
En particulier, le fait intéressant à noter est qu'un objectif de performances vis-à-vis de l’élimination de la charge phosphorée sur une installation biologique conventionnelle peut parfois être atteint par couplage simultané sans construction d’ouvrages supplémentaires. Encore faut-il s’accommoder des contraintes d'exploitation conséquentes (augmentation de la masse de boues produites et contraintes induites par l'exploitation du clarificateur).
Encore faut-il être conscient des limites de ce couplage pour l'ensemble des transports : par exemple, s'il améliore l’élimination des phosphates, il peut faire perdre de l'efficacité au niveau de l’élimination des charges carbonées dissoutes ou particulaires.
Sans vouloir développer les stratégies liées à la floculation simultanée peu utilisée en France, ces observations nous paraissent illustrer une possibilité supplémentaire donnée au maître d’ouvrage par un couplage judicieux pour peu que soient définis exactement les transferts de masse des autres composants que l’on peut ainsi accepter.
* Phosphates, polyphosphates, composés organiques phosphorés.
TABLEAU N° 2. Résultats comparatifs de la production de boues des stations couplées et conventionnelles.
Boues primaires (conventionnelles) | Boues biologiques (2e aération) | Boues physico-chimiques |
---|---|---|
Volume (l/E.E.* d’eau traitée) : 5 | 10-320 | 4 |
Concentration en M.S. (g/l) : 50 | — | 8 |
Matières volatiles (%) : — | 7 | 7 |
Production (g/E.E. d’eau traitée) : 200 | 250 | 375 – 320 |
Production (kg M.S./E.E.) : 0,38 | 0,53 | 0,70 – 0,98 |
Masse spécifique (g/E.E.) : 400 | 500 | 2 000 – 1 500 |
Capillary Suction Time (CST) (s) : 100 à 200 | 100 à 200 | 70 à — |
* traitements conventionnels ; valeurs de la littérature
1.2. Synergie des éléments du couplage et bilans matières
1.2.1. Production de boue
La plupart des résultats disponibles sur le couplage des épurations physico-chimique et biologique ont trait à la file de traitement de l’eau. Si cela peut satisfaire ceux qui ont en charge le contrôle de la qualité des rejets, l’exploitant ne peut s’en contenter. L’impact de tels traitements sur la quantité et la qualité des boues produites est non moins primordial.
Pour notre part, nous nous sommes efforcés, au cours de nombreux essais en sites réels sur les effluents urbains, de définir le rôle respectif de chaque étape dans la production de boues résiduaires.
Le tableau n° 2 rapporte des valeurs de résultats obtenus respectivement sur les deux types de boues primaires (physico-chimique) et stabilisées (mélange physico-chimiques/biologiques) de Saint-Georges-de-Didonne et, pour comparaison, des valeurs usuelles des traitements conventionnels.
Sur les sites, les difficultés techniques rencontrées lors de l’élaboration de ces résultats sont nombreuses. Le développement d’une véritable stratégie d’exploitation des filières de boues des stations à couplage nécessitera la mise en place d’un appareillage adapté à un suivi qui puisse être rationalisé (mesure systématique de débits de boues, mise en place de tests de définition de qualité des boues, fiables, reproductibles et exploitables).
Les principales remarques générales qui apparaissent à l’examen des résultats et susceptibles de jouer dans l’optimalisation de l’exploitation des files de traitement des boues sont les suivantes :
a) pour les boues primaires
Les boues primaires physico-chimiques produites à partir d’une charge carbonique donnée ont un volume plus important (environ 5 fois) que celui correspondant pour des boues primaires conventionnelles. Leur minéralisation est, par contre, supérieure. Cependant, leur teneur en matière sèche, plus faible (siccité liée à la solvatation des hydroxydes formés), conduit à une production massique seulement deux fois plus grande environ (tableau n° 2).
D’autre part, les boues physico-chimiques se déshydratent plus facilement que les boues conventionnelles (tableau n° 3).
Selon les traitements, le gain de volume à l’épaississement varie très sensiblement selon le choix du réactif (FeCl₃, FeSO₄, chaux, etc.). La chaux, par exemple, diminue l’efficacité de l’épaississement et abaisse la déshydratabilité de la boue (augmentation de la résistance spécifique et du CST).
Pour un même réactif, le taux de traitement joue sur l’efficacité des phases coagulation-floculation ; pourtant il n’induit pas de modifications fondamentales des caractéristiques intrinsèques de la boue produite (tableau n° 3). Il en va très différemment lors d’un changement de floculant.
TABLEAU N° 3. Étude comparative au pilote de différents traitements physico-chimiques : conséquences sur la qualité des boues primaires – Saint-Georges-de-Didonne, Gironde, avril 1987.
Réactif | Concentration (g/l) | M.S. (g/l) | Matières volatiles (%) | Résistance spécifique (g/P.S.) |
---|---|---|---|---|
FeSO₄ | 25 | 9 | 19 | variable |
FeSO₄ + chaux | 45 | 9 | 37 | — |
FeSO₄ + calcaire | 47 | 9 | 31 | — |
FeSO₄ (30 g) + charbon | 78 | 20 | 34 | — |
FeCl₃ | 60 | 78 | 44 | 28 |
Al₂(SO₄)₃ | 200 | — | — | — |
(Rhône-Poulenc floculant) | variable | — | — | — |
Les valeurs détaillées sont fournies dans le rapport original.
b) pour le mélange des boues primaires et biologiques stabilisées.
La figure n° 8 rapporte les résultats obtenus en situation réelle (Saint-Georges-de-Didonne 1978) sur l'étape physico-chimique en ce qui concerne l'élimination des MES. Au bilan journalier de la filière boue effectué sur une période de trente jours et dans les conditions d'exploitation habituelles de la station, nous avons ajouté les résultats obtenus, par essais complémentaires sur pilote, avec des traitements à différents taux (donc à différents rendements d’élimination des MES). La quantité de boues produites en fonction de la charge résiduelle sur le biologique a été déterminée théoriquement*.
*La quantité de boues en excès est égale au volume habituellement utilisé dans les bilans théoriques : pour la station de Saint-Georges 1 kg de DBO₅ est traité par 0,5 l de boues en excès. Les valeurs utilisées sont les suivantes :
— MBre = 38 % ;
— MSr = 26 % ;
— MEt = 36 % ;
— boues biologiques biodégradables ;
— MB = 100 % matières repérées.
La quantité de boues produites par les apports respectifs des deux étapes en situation d'été varie au plus de 20 %. La synergie des deux étapes apparaît donc évidente quand on sait que les évaluations des productions biologiques (boue activée) ou physico-chimiques (primaire) diffèrent — d'un facteur 2 — en faveur de la production physico-chimique.
Il convient d'examiner avec attention ces valeurs. Une différence de production en boues fraîches de 20 % peut suffire à soulager ou surcharger l'installation de traitement de boues.
La conclusion qui apparaît fondamentale dans ces situations de couplage est que le problème des boues doit être examiné dans son ensemble. Les stratégies sont à définir en prenant en compte à la fois l’efficacité des éliminations des charges polluantes par les étapes du procédé et à la fois les caractéristiques et le volume des boues produites à stabiliser, à déshydrater, à évacuer.
1.2.2. Sur les bilans de nutriments.
Garantir simultanément la fiabilité de fonctionnement de la station (respect des normes de rejet eu égard aux charges carbonées, azotées et phosphorées) et la qualité de la boue (composition d'un produit éventuellement valorisable) nécessite enfin l’examen des conséquences des réglages d’exploitation sur le transfert des nutriments. Le tableau n° 4 rapporte des valeurs de transferts massiques des nutriments dans le procédé biologique par boues activées dans diverses situations de couplages (3).
Tableau n° 4 — Bilans massiques (rapport du flux massique sortant du système, effluent + boues en excès, sur le flux massique entrant, influent) des nutriments dans les procédés biologiques à boues activées dans diverses situations de couplages.
Floculation simultanée (FeCl₃) | Floculation simultanée (FeSO₄) | Préfloculation (FeCl₃) | Traitement conventionnel | |
---|---|---|---|---|
Phosphore | 0,97 | |||
Azote | 0,65 | 0,69 | 0,93 | 0,64 |
Carbone organique (CO) | 0,68 | 0,70 | 0,72 | 0,63 |
Le rapport du flux massique sortant du système (effluent + boues en excès) au flux massique entrant (influent) diffère grandement, on le sait, selon les conditions d'exploitation (débit admis, production de boues en excès, concentration des boues activées), selon la nature des réactifs. Si l'on prend comme exemple la nitrification, il est admis, par certains, que le sulfate ferreux (FeSO₄) inhibe le processus de nitrification.
Tout au contraire, le chlorure ferrique (FeCl₃), spécialement utilisé en pré-floculation (station de type 1) le favoriserait.
Le rendement relatif de nitrification des procédés couplés peut donc donner lieu à la définition d'un facteur d'inhibition. Ce facteur, établi à partir des bilans matières et de l'âge des boues, est estimé comme rapport de l'âge des boues dans les conditions de l'expérience à l'âge des boues du procédé conventionnel sans élimination spécifique des phosphates mais aboutissant à une nitrification équivalente. Ce facteur peut être pris en compte pour le choix des réactifs.
Il n'y a pas lieu de développer ici ce point qui était destiné simplement à illustrer, selon les modalités de couplage, les conséquences sur les rendements d'élimination des nutrients. Bien entendu, une exploitation optimalisée devrait, semble-t-il, se donner les moyens de suivre les lois générales et les cinétiques d'élimination des polluants — admis ou produits au sein des réacteurs — par les réactions chimiques et biologiques.
II. — LE RÔLE DES RÉACTIFS CHIMIQUES DANS LE COUPLAGE
Nous venons d'examiner sommairement l'impact que les réglages du couplage peuvent avoir sur la qualité respective des eaux et des boues. L'importance de la position d'ajout du réactif dans la file de traitement doit être soulignée à cette occasion.
Il y a lieu aussi d’évoquer la nature des réactifs, susceptible elle aussi, d’entraîner des relations de cause à effet spécifiques et déterminant les limites d'une éventuelle stratégie. Cette remarque a été évoquée dans le chapitre précédent en faisant référence au rôle d'inhibition partielle du sulfate ferreux sur la nitrification. Un exemple encore plus marquant peut être trouvé dans l’examen des résultats de déphosphatation.
Les procédés d'épuration biologique conventionnelle éliminent environ 33 % du phosphore total contenu dans l'influent (figure n° 7).
D'après des essais sur pilote (3) à des concentrations voisines de 13,5 mg Fe/l, l'élimination moyenne du phosphore sous forme de précipité chimique est de 86 % avec le sulfate ferreux et 87 % avec le chlorure ferrique. Le fer sous ses deux formes (Fe²⁺ et Fe³⁺) a donc une efficacité similaire; le choix des réactifs pouvant, sur ce seul critère, être lié à des conditions d'emploi (eaux septiques par exemple) ou à des considérations économiques (production proche du lieu d'utilisation). Cependant, l'impact secondaire doit être examiné :
- — sur l'élimination des autres nutrients dans l'eau (cf. élimination quasi-nulle des charges azotées par d'éventuelles inhibitions de ces éliminations par l'étape biologique, lorsqu'elle est en aval) ;
- — sur les caractéristiques des boues activées et en particulier leur aptitude à l’épaississement. Ainsi, les indices de Mohlmann obtenus sur une boue activée après une étape de préfloculation, sont toujours très élevés par rapport à ceux obtenus en épuration biologique conventionnelle (300 à 400 ml/g pour une concentration de boues de 2 à 2,5 g/l sur la station de Saint-Georges-de-Didonne). Bien entendu, ces valeurs doivent être prises en compte par l'exploitant, surtout en ce qui concerne le fonctionnement des clarificateurs. Elles peuvent parfois devenir une contrainte.
CONCLUSION
Au suivi des installations présentant un couplage d'unités physico-chimiques et biologiques, plusieurs faits peuvent être mis en évidence. Ils illustrent la nécessité de connaître les relations de cause à effet afin de mettre en place une stratégie réaliste d'exploitation.
Résumons-en l'essentiel.
À propos de la filière de traitement de l'eau
- — L'élimination du carbone organique, de la charge en phosphore, le processus de nitrification dans les procédés couplés, font l'objet d’interactions étroites. Les effets de la synergie sont essentiels sur le transfert de matières et sur le fonctionnement des appareils ;
- — l'injection des réactifs joue sur les concentrations des nutrients (carbone organique dissous, azote, phosphore), sur les performances des appareils en aval : clarificateur, poste de désinfection.
Un suivi expérimental sur site peut fournir des informations précises. Dans l'avenir, corrélées avec les résultats obtenus par des essais scientifiques, ces informations devraient permettre d'optimaliser le fonctionnement, voire de modifier certaines technologies.
À propos du traitement des boues
Les caractéristiques des mélanges des boues obtenues par les filières sont déterminantes des performances des appareils de déshydratation situés en aval. Elles sont fonction des réactifs utilisés et de leur modalité d'adjonction soit en traitement des eaux, soit en traitement des boues.
Vouloir, pour l'exploitant, élaborer une stratégie ou optimaliser la filière, entraîne des conséquences :
- — au plan matériel : l'installation doit lui permettre de suivre l'évolution des paramètres et d'assurer un diagnostic permanent. Ceci suppose donc la mise en place d'appareillages de mesures permettant la réalisation de bilans massiques détaillés (étape par étape) sur les paramètres représentatifs. Par exemple, l'élimination de la charge azotée et du carbone organique doit être suivie sur les deux étapes, la
Filière du traitement des boues ne peut être exclue du système.
Un bilan global, type Assistance Technique, ayant pour objet de définir le comportement des installations, n’a donc qu'une utilité limitée pour l'exploitant. En particulier, ne faisant que peu référence au circuit boue (d’ailleurs un bilan de 24 heures est incompatible avec l'inertie du système dans le cas d'une stabilisation par exemple) il permet difficilement de maîtriser la production de boues (en qualité et en quantité). Les S.A.T.E.S.E. (Service d’Assistance Technique aux Stations d'Épuration) devraient y réfléchir lors de l'élaboration de leurs visites bilans.
Négliger cela risque d'amener l'exploitant à développer, en toute bonne foi, un suivi qui ne ressemble en rien à une stratégie rationnelle.
Asservir, une fois pour toutes, les pompes doseuses à une charge journalière moyenne revient, par exemple, à obtenir en physico-chimique, des rendements variables suivant la concentration réelle des réactifs ajoutés (ajout constant, débit variable).
L'étape biologique en aval risque alors de subir des à-coups de charge, induits non seulement par le mode de vie de la population raccordée mais aussi par le rendement de l'étape physico-chimique. Les boues produites par ce fonctionnement apparemment contrôlé risquent de présenter des comportements mystérieux peu prévisibles.
La figure n° 9 illustre les conséquences d'un tel réglage sur l'élimination de la DCO et des MES. Le débit d'ajout du réactif (FeSO₄Cl) est constant. Le débit de l'influent a varié de 30 à 180 m³/h dans une même journée et de 2 100 à 2 900 m³/j sur l'ensemble de la période d'essai. Les concentrations de réactifs ont donc pu atteindre des valeurs comprises entre 20 et 50 mg/l. Aux fortes concentrations réelles de réactifs correspond un rendement d’élimination maximum tant sur les MES que sur la DCO.
— au plan des performances à atteindre : un couplage éventuel met l'exploitant devant une alternative :
- — ou bien, par une exploitation de type scientifique, il a la possibilité d’optimiser un système complexe, en utilisant les effets bénéfiques de la synergie ;
- — ou bien, travaillant empiriquement, non seulement il ne réalisera pas l'optimisation des procédés (si ce n'est par l'effet du hasard !) mais de plus, il subira les effets défavorables de la synergie en cumulant les difficultés d’exploitation liées à chacun des éléments du couplage.
Bien exploiter revient à maîtriser les bilans matières de l'installation donc à être capable de dépasser le cadre du simple diagnostic de fonctionnement.
Pour cela, nous semble-t-il, et ce sera là notre conclusion majeure, il y a lieu de mettre en place, sur ces unités, une régulation par l’aval qui part :
- — de la définition des objectifs de qualité de l'eau traitée (en particulier au niveau du carbone organique, du phosphore — dissous ou particulaire —, de l'azote),
- — de la définition des objectifs de qualité de la boue à produire soit pour son utilisation ultérieure, soit pour l’optimalisation de sa déshydratation,
- — de prises de données nécessaires à l’élaboration fréquente de bilans matières (détermination des flux à chaque étape, asservissement des réactifs à un flux de pollution pour le circuit eau, défini pour des paramètres représentatifs caractéristiques de la traitabilité de la boue),
- — des possibilités des différents appareils.
Ces données recueillies et exploitées permettent l'optimalisation du rendement des installations en fonction des objectifs fixés. Les compétences professionnelles des exploitants assurent alors ou non le développement de la stratégie choisie.
— au plan des personnels techniques : le couplage de tels systèmes (surtout lorsqu’il est temporaire) fait appel à des habitudes et à des connaissances nouvelles, évolutives, et qui nécessitent une observation journalière des relations de cause à effet.
Les scientifiques, eux-mêmes, ne maîtrisent pas toutes les lois. Les résultats statistiques des performances recueillies à ce jour sont encore trop fragmentaires, pour que l'on puisse affirmer que des progrès de l'exploitation ne sont pas prévisibles à brève échéance.
Parfois, les cahiers d'exploitation, remplis soigneusement chaque jour, ne sont pas conçus pour être dépouillés selon une méthodologie scientifique. La masse de données qu’ils contiennent est souvent inexploitable toutes les conditions matérielles de la situation n'ayant pas été relevées simultanément ou certains paramètres essentiels n’ayant pu être mesurés sur le site même.
Des compétences spécifiques doivent être présentées par ces exploitants sous peine de voir « aisément » réalisé qu’un diagnostic « imparfait » du fonctionnement « global » de la station. Le flou s’allie alors à l’empirisme.
Si besoin est, des formations professionnelles spécifiques doivent leur être proposées. Il est impensable d’imaginer que des personnels formés aux seuls dépannages électromécaniques puissent, malgré toute leur bonne volonté, contribuer à la recherche de stratégies d’exploitation de tels systèmes.
Au mieux, ils ne peuvent que participer, ce n’est pas l’essentiel. Ce sont eux, en effet, qui sont à la base de toute recherche appliquée et de développement que nécessitent encore des systèmes couplés. Les chercheurs ou les techniciens de conception ont encore beaucoup à découvrir pour établir toutes les relations. Ils ne peuvent y parvenir sans ceux qui doivent allier sûreté du diagnostic et efficacité du remède, sans ceux qui doivent développer la seule stratégie : celle de tous les jours !
Ceci étant, il est certain que le couplage bien réalisé présente deux qualités essentielles :
- — la première est de permettre d’atteindre, dans des situations difficiles, des niveaux d’épuration que chacune des étapes ne pourrait fournir seule ;
- — la deuxième est d’assurer une fiabilité maximum en cas de défectuosité temporaire de l’un des composants. Il s’agit donc d’une assurance sur la prévention des pollutions.
La qualité des réalisations industrielles doit être alors à la hauteur des objectifs que l’on espère et des espoirs que l’on place dans ces procédés.
Les technologies françaises y apparaissent souvent d’ailleurs à leur avantage aux dires mêmes des visiteurs étrangers confrontés aux mêmes difficultés.
À nous de faire en sorte que conception et exploitation soient de la même tenue, la valorisation de notre savoir-faire n’en sera que meilleure…
RÉFÉRENCES
1. M. JANODY. — « Les procédés physico-chimiques d’épuration des eaux usées – Résultats d’exploitation », 1977.
2. Sté SOCEA. — « Station d’épuration de Livery – Rapport été 1976 ».
3. W. GUJER et M. BOLLER. — « Basis for the design of alternative chemical-biological wastewater treatment process ». Prog. Wat. Techn., 1978, vol. 10, n° 5/6, p. 741-758.
Nous tenons à remercier le Syndicat Intercommunal de la Presqu’île d’Arvert, la D.D.E. de la Charente-Maritime, Agence de Bassin Adour-Garonne, la Compagnie des Eaux de Royan, les Sociétés Degrémont, Rhône-Poulenc et Socea pour les facilités qu’ils nous ont apportées lors de la réalisation des essais.
Nous remercions également la Mission pour les Études et la Recherche du Ministère de l’Environnement sans qui ces travaux n’auraient pu avoir lieu,
G. CASTEIGNAU – Y. RICHOMME.