Les exploitants de station de traitement des eaux usées ne savent plus quoi faire de leurs boues. Après avoir longtemps travaillé sur les destinations finales et la diminution de leur volume par une meilleure concentration de la matière sèche, ils se penchent aujourd'hui sur la réduction de leur fabrication. Une réduction qui passe immanquablement par une maîtrise de certaines étapes du procédé.
À ce jour, en sortie de station, la boue suit l’une des quatre destinations suivantes : incinération (ou co-incinération), compostage, mise en décharge et épandage sur des terres (agricoles ou non). La mise en décharge, qui représente en 2000 encore 17 % des destinations, va devenir à très court terme réglementairement impossible, si ce n’est en classe 1, avec les coûts et les contraintes que l’on connaît. L'incinération et la co-incinéra-
représentent, en 2000, 15 % des destinations (surtout dans les grands sites de production et dans les grosses agglomérations). Le compostage et ses 7 % de matières sèches traitées est encore aujourd’hui trop confidentiel. Quant à la filière agricole, son coût, de l’ordre de 30 à 150 euros la tonne de matières sèches (hors transport et selon la qualité des boues), la rend financièrement intéressante. D’autant que, riche en éléments fertilisants comme l’azote et le phosphore et en matières organiques, elle est une matière intéressante en pratique agricole. Cependant, cet usage est de plus en plus souvent rejeté par les populations rurales qui s’en méfient. Malgré une réglementation contraignante sur la qualité du produit, elles craignent de se voir confrontées dans les années qui viennent à un scandale du même ordre que celui du prion de la “vache folle”. Pour contrer cet usage, le bon sens paysan prétexte un manque de maîtrise des risques sanitaires, la protection de l’écosystème, et une méconnaissance des risques écotoxicologiques liés à la valorisation de déchets en agriculture. Et les tribunaux suivent, comme par exemple le tribunal administratif de Dijon qui a récemment annulé l’arrêté préfectoral du 20 décembre 2000 autorisant l’épandage des boues d’Achères sur le territoire de la commune de Bléneau (89).
Devant le coût et la fermeture de certaines filières, les exploitants se trouvent confrontés à la question : “que faire des boues de STEP ?”
Face à ces contraintes, les exploitants s’attachent à réduire leur volume de boues et à les stabiliser pour les rendre pelletables, moins volumineuses et moins odorantes. La première des approches consiste à concentrer la matière sèche.
Concentrer la matière sèche
À la sortie des bassins, les boues ne contiennent pas plus de 3 % de matières solides en suspension. Il est donc important pour l’exploitant de concentrer cette matière en retirant l’eau interstitielle.
Avant de démarrer l’étape d’épaississement ou de déshydratation, il est utile de réaliser un conditionnement de la boue pour améliorer sa traitabilité. On se sert pour cela de réactifs, minéraux (sels de fer, chaux) ou organiques (polymères cationiques), permettant d’améliorer le traitement de la boue. Ce traitement précède la phase d’épaississement où sont mises en œuvre différentes techniques comme l’épaississement gravitaire, la flotation, l’égouttage, la centrifugation, la filtration à l’aide de filtre à bandes ou à plateaux.
Actuellement des efforts sont menés sur les réactifs pour augmenter la déshydratation. Ainsi, Rhodia Eco Services développe Deshydrix, une nouvelle gamme de réactifs qui améliorent la déshydratation des boues d’épuration. Les ingénieurs ont mis à profit leur compréhension de la structure de la boue pour optimiser les mécanismes intervenant dans son conditionnement chimique. Introduits après le processus de première décantation, les réactifs restructurent la boue en organisant les particules en suspension (les flocs) pour favoriser la libération de l’eau piégée par adhésion ou capillarité. Ils leur donnent ainsi une tenue mécanique adaptée à chaque technique de déshydratation. En permettant de gagner jusqu’à cinq points de siccité supplémentaire, Deshydrix réduit de 5 à 20 % les coûts de traitement de l’ensemble de la filière boues. Une deuxième génération de réactifs est à l’étude pour pousser plus loin la siccité et atteindre 10 %.
Outre le conditionnement des boues, le choix de la technique de déshydratation est essentiel. Il dépend beaucoup de la quantité de boue à traiter, donc de la taille de la STEP. Pour les petites communes (10 000 à 40 000 équivalents habitants), un épaississement sur table d’égouttage, associé à un stockage de longue durée et une aération prolongée au niveau de la file d'eau (pour la stabilisation) permettent un traitement peu coûteux pour des boues valorisées dans l’agriculture.
Pour les STEP plus importantes (de l’ordre de 100 000 Eq Hab) une filière d’épaississement dynamique associant table d’égouttage, déshydratation sur filtres à bandes, stabilisation par compostage peut être une solution.
Pour les très grosses unités de traitement, d'une capacité de plusieurs centaines de milliers d’équivalents habitants, une phase de séchage totale à l’aide d’un sécheur de
(1) Yonne Républicaine du lundi 6 mai 2002 et samedi 18, dimanche 19 et lundi 20 mai 2002
boues permettant de traiter plusieurs centaines de kilogrammes de matières sèches à l'heure et de les sécher à plus de 90 %.
Pour pousser plus loin la réduction, l'exploitant peut agir en amont de la phase d'épaississement des boues en améliorant le traitement anaérobie qui attaque la matière organique.
Réduire la matière organique
Le procédé traditionnellement utilisé pour réduire la matière organique est un prétraitement anaérobie. Ce procédé, mené sous atmosphère confinée et contrôlée, permet non seulement de réduire la masse de la boue, mais aussi de la stabiliser et de l'hygiéniser partiellement. Comme contrainte, ces procédés demandent une excellente gestion des flux entrants pour ne pas entraîner de surcharge hydraulique. Un tel process est mis en œuvre dans la filière de traitement des boues de la ville de Marseille (13). Dans cette usine, construite voici quelques années par Ondeo Degrémont dans la proche banlieue de la ville, les boues traversent successivement quatre ouvrages. Elles sont réchauffées, puis dirigées vers des digesteurs anaérobies puis dans une bâche d'aération avant d'être conditionnées et stockées. Le conditionnement thermique casse la structure de la boue. Une telle installation capable de traiter plus de 60 tonnes de boues par jour est concevable pour les agglomérations de grande taille. Pour les autres, l'exploitant peut rechercher à limiter de façon drastique la production des boues en améliorant la maîtrise de certaines étapes du procédé comme le dosage chimique des additifs du traitement physico-chimique ou la quantité des bactéries présentes dans les filières biologiques. Aujourd'hui cette approche devient possible, les procédés arrivent.
Et si l’on limitait la production de boue ?
L'idée est d'agir sur le procédé de traitement de l'effluent pour qu'il produise moins de boue. Et c'est bien là une nouveauté. Aujourd'hui, tous les traiteurs d'eau travaillent sur la question, mais c'est Ondeo-Degrémont qui, le premier, a annoncé son procédé. Le savoir-faire de Ondeo-Degrémont en oxydation et en biologie a permis de développer un procédé de réduction des boues intégré au cœur même du système. Installé au niveau du bassin biologique, ce procédé peu encombrant agit sur la production de boues. Michel Cordier, directeur de recherche chez Ondeo-Degrémont explique : « En stressant tout juste ce qu'il faut les bactéries présentes dans l'effluent, celles-ci consomment des polluants pour se maintenir en vie et elles en oublient de se reproduire ». Ce procédé Biolysis présenté cet automne permet de réduire de 30 à 80 % la production des boues. Le stress exercé sur le milieu peut être chimique ou enzymatique. Deux actions qui rendent une partie des boues biodégradables et qui limitent la croissance des autres. En fait, Biolysis se décline en deux procédés : Biolysis O qui stresse les bactéries à l'aide d'une oxydation chimique à l'ozone et Biolysis E, développé avec le groupe japonais Shinko Pantec, qui utilise
des bactéries présentes dans le milieu naturel. Elles s'activent dans le réacteur thermophile et libèrent des enzymes capables de dégrader la boue. « La réduction s'applique aussi bien aux matières organiques qu'aux matières en suspension, précise Michel Cordier, les métaux partent dans l'eau traitée à une concentration que l’on ne sait pas mesurer ». Les deux procédés de traitement présentés en même temps ont été testés sur site pour valider la technique. Pour l’ozone c’est la STEP d’Aydoulles (88) qui a accueilli, avec le soutien de l’Agence de l’Eau Rhin Meuse, la filière. L’installation vient d’être installée à Champagne-sur-Oise (60) une station de 20 000 Eq Hab. Quant à Verberie (60), elle accueille depuis quelques mois la filière enzymatique sur sa STEP de 3 000 Eq Hab. La mise en place du procédé a permis une réduction des boues de 60 %, et précise Michel Cordier « nous espérons atteindre au moins 80 % cet été ». Côté coût, pour une STEP entre 50 000 et 400 000 Eq Hab, l’exploitant devra investir 12 à 25 €/Eq Hab pour l’installation du procédé et moins de 4 € par habitant et par an en prix de fonctionnement.
Saur, deuxième en lice dans la présentation des procédés de réduction de boues, vient de présenter début juin sa technologie à la presse. « Nous recherchions un procédé simple d’exploitation, économiquement compétitif par rapport aux filières traditionnelles et qui conduit à la réduction des déchets rémanents », annonce Gérard Michel, directeur technique du groupe Saur, lors de la présentation du procédé MycET™, une technique nouvelle qui permet de réduire jusqu’à 30 % le volume des boues issues des stations d’épuration. Pour le mettre au point, les chercheurs de Saur utilisent la compétition naturelle qui existe dans la nature entre les différentes espèces que sont les champignons et les bactéries. En isolant certains micro-organismes, des souches mycéliennes (moisissures) présentes en partie dans les boues, il s’opère une réduction naturelle du volume. La matière réduite est totalement oxydée sous forme d’éléments gazeux et d’eau. Elle ne génère aucun résidu et aucune pollution secondaire. C’est Biovitis, une filiale de Greentech implantée dans le Cantal, qui sélectionne le cocktail de traitement adapté à chaque installation. Les moisissures présentes sont sélectionnées pour la formation d'un mélange harmonique entre les différentes espèces de moisissures. « La souche est conservée et élevée dans un bioréacteur qui permet l’auto-entretien des espèces et leur bio-augmentation », explique Sophie Fleury, ingénieur de recherche au groupe Saur. Connecté en continu au bassin, le bioréacteur alimente automatiquement les cuves de traitement anaérobie. Les champignons digèrent les boues et consomment de la matière organique. De 5 à 10 jours de temps de séjour sont nécessaires pour traiter une boue dont la concentration de matières sèches varie de 5 g/l (concentration des bassins de boues activées) à 25 g/l (épaississeur). Pour mener à bien le travail des champignons, il ne faut pas d’environnement particulier. Seulement de l’air, pour apporter de l’oxygène aux champignons, mais aucun contrôle strict de la température, ni du pH.
Ils dégradent un tiers du volume des boues par consommation de la matière organique. Ils créent une oxydation totale de la matière sous forme d’éléments gazeux et d’eau. Ce traitement biologique ne génère aucune pollution. Il s’effectue dans un équipement standard. Il faut seulement rajouter une rampe d’aération en fond de bassin et un réacteur annexe de grosseur environ 1/100 du volume de la cuve de traitement. Il contient le cocktail de traitement adapté au traitement.
Développés pour les eaux résiduaires urbaines, ces procédés devraient trouver aussi des applications dans l’industrie.
Des procédés pour l’industrie
« Biolysis est également capable de traiter les eaux industrielles », explique Michel Cordier (Ondeo-Degrémont), « nous nous intéressons à tous les rejets produisant des boues autres que minérales, comme les laiteries ou les abattoirs ».
Quant à Gérard Michel (Saur) il ne cache pas lors de la présentation « le prochain développement d’applications industrielles ».
Déjà des applications de la biotechnologie tournent chez Peugeot pour traiter les effluents de peinture. Installé par le canadien Kam Biotechnology, le procédé traite les boues issues des produits chimiques contenus dans les reliquats de peintures et vernis. Celles-ci sont décomposées en matières organiques inertes par des champignons qui cassent les molécules complexes des polymères, en molécules monomères plus légères. Ces dernières sont ensuite métabolisées par les bactéries. Les boues ainsi produites sont plus sèches et moins collantes que celles fabriquées par le procédé physico-chimique précédemment. En réduction de masse de 60 %, Peugeot les évacue en cimenterie où elles sont incinérées.
Par ailleurs, Deshydrix perce dans l’industrie papetière, notamment chez Metsä Serla à Pont-Sainte-Maixence (Oise). Ce réactif ayant un effet stabilisant sur les boues biologiques, il permet à l’entreprise de passer d’un système parfois erratique à un système lissé ce qui facilite le traitement. Deshydrix fait aussi l’objet d’essais industriels encourageants sur des boues de laiteries et de l’industrie automobile.
(2) Traiter et valoriser les boues, collection OTV (1997)