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Stations d'épuration: groupes faunistiques et caractérisation des boues activées

30 juillet 1998 Paru dans le N°213 à la page 42 ( mots)
Rédigé par : Catherine FAURE, Pascal ARCANGER, Franck CHAUVIN et 3 autres personnes

L'analyse écologique des boues activées est l'un des moyens de suivre le fonctionnement d'une station d'épuration. Parmi les organismes microscopiques formant la chaîne trophique, les protozoaires, facilement observables, sont considérés comme de bons indicateurs de l'état de santé des boues. L'impact des rejets vinicoles sur les groupes faunistiques de ciliés a été étudié sur station pilote en laboratoire. L'observation parallèle des espèces présentes et des performances de la station (indicateurs = DCO et teneur en nitrates en sortie) montre que des impacts non détectables par mesures physico-chimiques sont observés sur les espèces. Il semble de plus qu'une charge introduite en continu affecte moins les organismes épurateurs qu'une arrivée de rejets par à-coups.

Catherine Faure, Pascal Arcanger, Franck Chauvin, Emmanuelle Lesquel, Frédérique Jourjon et Michel Pidoux, Laboratoire du GRAPPE

L’analyse écologique des boues activées est l’un des moyens de suivre le fonctionnement d’une station d’épuration. Parmi les organismes microscopiques formant la chaîne trophique, les protozoaires, facilement observables, sont considérés comme de bons indicateurs de l’état de santé des boues. L’impact des rejets vinicoles sur les groupes faunistiques de ciliés a été étudié sur station pilote en laboratoire. L’observation parallèle des espèces présentes et des performances de la station (indicateurs = DCO et teneur en nitrates en sortie) montre que des impacts non détectables par mesures physico-chimiques sont observés sur les espèces. Il semble de plus qu’une charge introduite en continu affecte moins les organismes épurateurs qu’une arrivée de rejets par à-coups.

En région viticole, l’activité de vinification génère des eaux résiduaires chargées depuis les vendanges jusqu’à la mise en bouteilles. Les pressions réglementaires incitent les viticulteurs et les collectivités locales à trouver des solutions pour traiter ces rejets.

Une étude a été menée sur une commune viticole du Maine et Loire (49) dans laquelle la station d’épuration communale en place, de type boues activées en aération prolongée, reçoit actuellement les effluents de 7 viticulteurs. 7 autres viticulteurs présents sur la commune souhaitent également pouvoir y traiter leurs effluents. Cependant, l’éloignement des chais ne permet pas un raccordement direct au réseau. De plus, la station communale risque de ne pas pouvoir traiter cette charge supplémentaire de façon non différée. Une solution envisagée est le stockage de rejets puis injection en continu et à faible débit dans la station.

Une connaissance de la capacité de la station à épurer des effluents non frais introduits en continu est alors nécessaire.

La question est de savoir si les mesures classiques de paramètres physico-chimiques sont suffisantes pour détecter l’impact des rejets vinicoles sur le fonctionnement d’une station d’épuration.

Une étude de la dynamique des populations réparties en groupes faunistiques et de leurs variations qualitatives et quantitatives, selon la nature et la fréquence des rejets vinicoles introduits, a alors été réalisée. Parallèlement, un suivi des paramètres physico-chimiques (nitrates et DCO en sortie) a été effectué afin de contrôler le rendement épuratoire de la station.

L’étude a été menée sur station pilote rece-

[Photo : Figure 1 : Relations entre les paramètres de gestion d'une station type « boues activées » et l'écosystème épurateur]

avant des rejets de type urbain permettant le dénombrement d'une population témoin, puis recevant des rejets vinicoles frais et stockés.

La microfaune présente dans les boues activées

Intérêt de l'observation

La recherche de l'impact d'événements antérieurs, la détection d'un mauvais réglage d'oxygénation, la preuve d'un choc toxique font partie des éléments pour lesquels l'observation microscopique n'est guère remplaçable. Ainsi, l'observation microscopique des flocs, de l'eau interstitielle, des microorganismes et de la microfaune est un outil important de détection (Duchêne et Cotteux, 1993). Les organismes ayant un rendement épuratoire maximal sont avant tout les bactéries, premier maillon de la chaîne trophique. Leur comptage et leur identification sont cependant longs et fastidieux (épifluorescence, étalements...). Par contre, l'observation des protozoaires bactériophages ou prédateurs secondaires est rapide et facilement réalisable au microscope.

La figure 1 permet de visualiser les relations essentielles qui peuvent être établies entre l'écosystème épurateur et les paramètres de gestion du réacteur :

  • - la charge massique : la nature des effluents introduits et leur débit d'entrée vont directement influencer la croissance des bactéries et organismes utilisant la matière organique comme substrat nutritif. Par conséquent, l'ensemble de la chaîne trophique va être modifié.
  • - l’oxygène : suivant la quantité disponible, les organismes soit aérobies soit anaérobies seront favorisés. Les conséquences porteront directement sur l'élimination de la pollution azotée effectuée par des bactéries nitrifiantes puis dénitrifiantes. Les conséquences seront directes pour la survie de certains protozoaires, tolérant mal des temps d'anoxie prolongés, et indirectes sur leur croissance, selon la nature des bactéries se développant.
  • - l'intensité d'extraction des boues : elle va sélectionner différentes espèces de protozoaires selon leur degré de fixation aux flocs (ils seront alors extraits ou non avec les boues) et leur vitesse de multiplication (inférieure ou supérieure au taux de recirculation des boues). Ainsi, les espèces nageant entre les flocs ne subsisteront que si leur taux de croissance est supérieur au taux d'extraction des boues.

Approche par groupes faunistiques

Parmi les groupes de protozoaires présents dans les boues activées, on compte les ciliés, les flagellés et les amibes. Beaucoup d'auteurs ont noté l'influence des ciliés sur les performances de traitements et leur présence généralement corrélée à un bon état de santé des boues. Cependant, deux genres de ciliés ne vivent pas nécessairement dans les mêmes conditions.

Ainsi, outre le classement systématique classique (arbre phylogénétique de la faune des boues activées et lits bactériens), la notion de groupes faunistiques est particulièrement intéressante pour l'analyse des boues activées. Il s'agit de regroupements d'espèces pouvant provenir d'unités taxonomiques différentes, mais présentant des caractéristiques similaires :

> mêmes comportements de prédation : bactériophages ou protozoophages puisant leur nourriture dans la masse du floc ou dans l'espace inter-floc ;

> habitats ou niches écologiques identiques :

- dans la masse du floc,

- à la surface du floc,

- dans le liquide inter-floc.

Par conséquent, des variations de conditions de milieu influencées par la charge, l’oxygénation ou l'âge des boues vont avoir sensiblement les mêmes impacts sur les espèces d'un même groupe.

Ainsi, la faune des boues activées pourrait être répartie en cinq groupes écologiques :

  • - les ciliés nageurs, observés en période de forte charge, sont corrélés à une performance médiocre de la station (cela concerne en particulier l'ordre des holotriches) ;
  • - les ciliés rampants, représentatifs d'un très bon traitement des effluents et d'une bonne oxygénation en systèmes à fortes charges et plus généralement d'un âge de boues élevé ;
  • - les ciliés attachés, témoignant d'un bon fonctionnement de la station (selon Edeline, 1993 ; Vedry, 1987 ; Curds, 1969).

Ainsi, l'étude des espèces constituant la microfaune des boues activées donne des renseignements précieux sur l'état de santé des boues.

L'arbre phylogénétique représenté en figure 2 indique les classes, sous-classes et ordres de protozoaires présents dans les boues activées et les lits bactériens (Vedry, 1987). Cet arbre a été complété en indiquant les groupes faunistiques (synthèse des travaux de Vedry 1987, Curds 1969 et Berk et Gunderson 1992). Deux espèces d'un

proportionnellement aux volumes d’effluents rejetés par les 7 viticulteurs raccordés à la station (3 400 hl de vin produit).

Les rejets septiques ont ensuite été introduits en continu pour un volume correspondant aux rejets de 7 viticulteurs souhaitant être prochainement raccordés. Les caractéristiques de ces rejets sont présentées dans le tableau I.

La charge de ces rejets a été évaluée selon leur Demande Chimique en Oxygène donnant un ordre de grandeur de leur teneur en matière oxydable.

[Figure 2 : Arbre phylogénétique de la faune représentée dans les boues activées. Répartition en groupes faunistiques]

GROUPES FAUNISTIQUES OBSERVÉS

Ciliés enrichis

Ciliés nageurs

Ciliés rampants

Mastigophores

[seiches invertébrés]

Conditions expérimentales

Les expériences ont été menées pendant 15 jours sur station pilote de type boues activées, en essayant de reproduire la situation observée sur la commune étudiée à savoir : trois effluents représentatifs de l’activité de vinification ont été introduits dans le pilote, proportionnellement aux volumes d’effluents rejetés par les 7 viticulteurs raccordés à la station.

Mesure des paramètres physico-chimiques

Les mesures des paramètres physico-chimiques (DCO et teneur en nitrates) ont été effectuées quotidiennement en sortie de pilote.

La détermination de la Demande Chimique en Oxygène a été réalisée par la méthode à chaud au dichromate de potassium et à lecture colorimétrique (méthode Hach 8000).

Les nitrates ont été dosés par tests-bandelettes avec lecture au réflectomètre (Merck).

Prise d’échantillons

La prise d’échantillons a été effectuée à 5 cm de la surface du réacteur et sous aération afin d’assurer une bonne homogénéité des boues. Les comptages ont été effectués immédiatement après prélèvements.

Dénombrement des protozoaires

Le dénombrement des protozoaires a été réalisé sur cellule de Malassez avec un microscope binoculaire en lumière directe et aux grossissements ×250 et ×400 pour une identification plus précise.

Les comptages ont eu lieu quotidiennement sur trois longueurs de lame quadrillée, soit un volume de 0,3 mm³ à chaque fois pour obtenir au total un minimum de 100 individus observés.

L’enregistrement vidéo de chaque prélèvement a permis un contrôle ultérieur de l’identification en cas de doute.

Les espèces observées sont celles indiquées dans la figure 2. Seuls les résultats de comptage des groupes faunistiques de ciliés sont ici présentés.

Les répartitions en groupes faunistiques sont exprimées en nombre d’individus par ml.

Analyse de l’évolution des groupes faunistiques et des paramètres DCO et nitrates

Les dénombrements réalisés et l’évolution des paramètres physico-chimiques sont présentés ci-après.

Tableau I : Nature et charge des effluents vinicoles introduits dans le réacteur durant l’expérimentation

Nature de rejet DCO en mg O₂/l Caractéristiques Dates d’introduction (0 à 15 jours)
Bains de détartrage chimique 500 Solution alcaline chargée de tartre t3
Lavage des cuves après débourbage 7 500 Eau chargée en sucres et matières colorantes t7
Lavage des cuves après soutirage 12 300 Eau chargée en particules solides du raisin (grains, rafles, pépins, pellicules) et sucres en faible concentration t12
Effluents stockés 8 000 Mélange des différents rejets de vinification En continu de t7 à t15
Effluents urbains 900 Rejets domestiques uniquement En continu de t0 à t15
[Photo : Évolution de la dominance des groupes faunistiques suite à l’introduction de rejets vinicoles]

sont présentés sur les figures 3 et 4. La durée d’expérimentation est de 15 jours (t0 et t15 correspondent respectivement au début et au 15ᵉ jour de suivi).

Le nombre de protistes observés varie entre 100 et 74 000 individus par ml selon les groupes.

En premier lieu, l’observation des espèces pendant l’arrivée d’effluents exclusivement urbains a été réalisée (t0).

Les valeurs de DCO en sortie de pilote sont alors correctes et comprises entre 20 et 30 mg O₂/l, et les teneurs en nitrates supérieures à la valeur de 50 mg/l. Un dopage de la station en oxygène est à l’origine de cette teneur. Ce procédé est couramment utilisé pour prévenir l’introduction de rejets chargés. L’augmentation de l’aération permet alors de stimuler la croissance des bactéries aérobies et ainsi de prévenir les risques de sous-aération dus à une surcharge organique. Cette sur-aération a pour conséquence de favoriser la transformation de l’ammonium en nitrates.

Le groupe faunistique dominant durant cette période est celui des ciliés attachés avec 53 000 individus par ml, significatifs d’une bonne performance de la station. Les ciliés nageurs, avec 35 000 individus par ml, témoignent cependant d’une charge élevée en entrée. Les populations de ciliés rampants sont alors faibles avec 5 000 individus par ml.

Jusqu’au 6ᵉ jour, on n’observe pas d’évolution significative des paramètres physico-chimiques.

L’introduction au 3ᵉ jour des effluents de détartrage, avec une DCO proche de 600 mg O₂/l mais un rapport DCO/DBO₅ élevé, apporte peu de charge organique supplémentaire et ne semble pas affecter le rendement épuratoire de la station. L’observation des groupes faunistiques révèle cependant une disparition brutale de 80 % de la population initiale des ciliés attachés.

On sait que les genres Vorticella convallaria et Vorticella microstoma disparaissent normalement rapidement en conditions de carence en oxygène, mais ici une teneur en oxygène supérieure à 2 mg/l a été enregistrée.

On peut donc penser à un effet toxique des effluents introduits sur la microfaune épuratrice, non observé à partir des résultats physico-chimiques.

Les ciliés attachés, témoins d’un bon état de santé des boues, ne retrouveront plus leur niveau initial de population.

Un dysfonctionnement du rendement épuratoire de la station est ensuite observé à partir du 7ᵉ jour.

Date de l’introduction des effluents de débourbage et début de l’apport en continu d’effluents stockés. On atteint alors des valeurs de DCO supérieures à 90 mg/l en sortie.

Les ciliés nageurs sont alors amenés, après un temps de latence, à dominer l’écosystème. Les genres représentés (Chilodonella, Paramecium et Trachelophyllum) sont représentatifs d’une performance médiocre de la station due en particulier à une forte charge.

Un impact direct des rejets de débourbage sur la flore bactérienne avait déjà été observé par Martin et al. (1996). Les ciliés nageurs se nourrissent en majorité de bactéries libres et la charge appliquée explique cette prolifération.

Durant cette même période, des rejets stockés sont introduits en continu. La charge quotidienne appliquée est alors supérieure à celle induite par les rejets frais. Cependant, au 9ᵉ jour, le pilote retrouve des valeurs de DCO en sortie identiques à celles enregistrées lors d’un fonctionnement correct de la station (20 mg O₂/l). Les effluents déstockés introduits en continu dans le pilote ne semblent donc pas perturber le rendement épuratoire. Il en est de même pour les populations observées.

On constate ainsi un impact plus important.

[Photo : Variations de la DCO et de la teneur en nitrates en sortie de pilote]

sur la microfaune et sur le rendement épuratoire d'une charge introduite par à-coups, contrairement à une charge introduite en continu.

En fin d’expérimentation

L’introduction d’effluents de soutirage au 12ᵉ jour entraîne à nouveau un dysfonctionnement du traitement. La DCO en sortie de pilote atteint 90 mg/l. Avec un temps de latence, on observe une augmentation de population pour l’ensemble des groupes faunistiques de ciliés.

Il nous est alors difficile d’interpréter cette évolution, des espèces représentatives d’une charge élevée (ciliés nageurs) étant simultanément présentes avec des espèces représentatives d’un bon rendement épuratoire ou d’un âge de boues élevé (ciliés rampants).

Conclusion

L’étude a mis en évidence l’impact de rejets vinicoles sur les organismes épurateurs de boues activées et sur les groupes de ciliés en particulier. Il apparaît alors que des impacts non détectables par la seule mesure de paramètres physico-chimiques sont observés sur les populations. Bien que le rendement épuratoire de la station soit le résultat attendu et reconnu, l’impact négatif sur des populations de protozoaires ne doit pas être négligé. On peut en effet s’interroger, à plus long terme, sur l’effet d’une disparition de certains genres et donc d’une simplification de la faune par rapport au rendement épuratoire.

Il apparaît de plus que l’apport de rejets frais par intermittence semble plus perturbateur pour l’écosystème que l’arrivée de rejets stockés et introduits en continu.

Parce que les protozoaires ont une réelle influence sur la performance des traitements, il existe un besoin en outil de diagnostic pouvant être utilisé par les agents techniques afin d’identifier les espèces sans avoir recours à des connaissances précises en protozoologie.

La présente étude se veut être une étape dans la reconnaissance des micro-organismes épurateurs comme indicateurs d’impact de la pollution.

[Encart : Références bibliographiques 1. Berk S-G., Gunderson J-H. (1992) : « Wastewater organisms : a color atlas », Library of Congress Cataloging-in-Publication Data – 25 pages 2. Chauvin F., Lesquel E. (1997) : « Impact des rejets vinicoles stockés sur station d’épuration de type boues activées et détection des rejets vinicoles en entrée de station par turbidimétrie ». École Supérieure d’Agriculture d’Angers, D.A. Environnement – 80 pages 3. Curds R.C. (1969) : « An illustrated key to the British Freshwater Ciliated Protozoa commonly found in activated sludge », London : Water Pollution Research Laboratory, Ministry of Technology, Her Majesty’s Stationery Office – 90 pages 4. Duchêne Ph., Cotteux E. (1993) : « Les éléments les plus significatifs de la microfaune des boues activées », Paris, Éditions du Cemagref – 14 pages 5. Edeline F. (1993) : « L’épuration biologique des eaux », Théorie & Technologie des réacteurs, Éditions Cebedoc – 304 pages 6. Martin R., Olid R.M., Faure C. (1996) : « Étude de l’impact des rejets vinicoles sur la microflore épuratrice des boues activées de station d’épuration », École Supérieure d’Agriculture d’Angers, D.A. Environnement – 99 pages 7. Vedry B. (1987) : « L’analyse écologique des boues activées », Technique et Documentation, Éditions Lavoisier – 120 pages]
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