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Sous les eaux troubles du lac Kariba

29 mars 2013 Paru dans le N°360 à la page 100 ( mots)
Rédigé par : Alain MAUDUIT

Deuxième plus grand réservoir après le lac Nasser, le lac Kariba alimente l'un des plus gros barrages hydroélectriques du monde. La retenue qui couvre une surface de 5 400 km² avec une capacité de stockage de 180 km3 permet la production de 1 320 MW d'électricité au profit du Zimbabwe et de la Zambie. Elle est aussi à l'origine de ce que beaucoup considèrent comme « le plus bel endroit du monde »?

Il semble avoir toujours été là. À la frontière du Zimbabwe et de la Zambie, le mythique lac Kariba offre des paysages grandioses, surtout à la tombée de la nuit lorsque le soleil jette ses ultimes rayons sur les masses d’eaux scintillantes, inondant d’une sombre lumière pourpre les arbres morts et les îlots qui émergent encore des eaux troubles du lac. Et pourtant, malgré l’attrait qu’il suscite aujourd’hui chez les touristes du monde entier qui en font une destination privilégiée, aucun paysage n’est plus artificiel que celui-ci. De ses rives inhabitées, de ses îlots déserts se dégage une impression de douce quiétude à peine troublée par les crocodiles mangeurs d’hommes qui semblent avoir fait leur, ce lieu nimbé d’éternité.

Une impression trompeuse car derrière ce somptueux tableau se cache une réalité différente.

Au milieu des années 1950, l’espace occupé par le lac Kariba aujourd’hui est encore constitué de vastes plaines arides qui bordent le fougueux fleuve Zambèze sur lesquelles se concentrent les acti-

Activités principales du pays : l’exploitation minière, la pêche et le tourisme.

Le tourisme surtout, grâce aux très voisines chutes Victoria, connues des populations locales sous le nom de Mosi-oa-Tunya, la « fumée qui gronde ». Découvertes en 1855 par l’explorateur David Livingstone, elles drainent depuis un nombre colossal de touristes venus du monde entier et contribuent au développement économique de la région. Mais les autorités de la Rhodésie du Nord et du Sud, qui ne deviendront le Zimbabwe et la Zambie que quelques années plus tard, voient plus loin et donnent corps à un projet gigantesque susceptible de garantir l’autonomie énergétique du pays : bâtir un barrage, le plus grand barrage hydroélectrique du monde.

Le plus grand barrage hydroélectrique du monde

Haut de 128 mètres et large de 579 mètres, il aura pour effet de créer une retenue de 200 km de long, d’une largeur de 30 à 50 km avec une capacité de 180 km³.

Problème : les rives du Zambèze sont peuplées de 57 000 Tongas qui n’ont aucune envie de quitter leur terre d’origine, même pour gagner les plateaux qu’on leur a réservés un peu plus haut dans la vallée et fût-ce pour produire de l’électricité, un luxe qu’ils ne connaissent pas.

Mais leur opposition sera de courte durée : persuadés que le dieu du fleuve ne permettrait pas la construction du barrage à cet endroit, les Tongas quittent leurs terres, pensant que le projet échouerait et qu’ils pourraient ensuite revenir. Elle n’empêchera pas les autorités de mener à bien leur projet en y intégrant un plan visant à déplacer les populations locales.

Une première alerte intervient dès le début du chantier, le jour de Noël 1955 : une élévation soudaine et brutale du niveau du fleuve Zambèze balaie le ponton flottant du chantier et noie les fondations inachevées du coffrage. La légende locale retiendra de cet événement que, désespérés, les Tongas qui occupaient la vallée du Zambèze avant l’inondation de leur territoire invoquèrent l’aide de Nyaminyami, le dieu du fleuve, qui accéda à leurs prières en s’opposant violemment au projet.

En juillet 1957, suite à une canicule éprouvante, un orage torrentiel s’abat.

[Photo : En 1955, les travaux de construction du barrage-voûte commencent sous l’autorité de l’ingénieur français André Coyne et de son équipe. Ils dureront plus de quatre années durant lesquelles plus de trois millions de mètres cube de béton seront coulés.]
[Photo : Les eaux commencent alors à monter inondant peu à peu les vallées et les affluents du Zambèze. Mais rapidement, il devient évident que des milliers d’animaux vont se trouver prisonniers sur l’un des 300 îlots qui émergent de la retenue, faute de pouvoir rejoindre ses rives.]

Le 17 mai 1960, le barrage est enfin inauguré. On pense alors que la phase d’exploitation qui démarre tout juste sera plus sereine. Il n’en sera rien.

Les eaux déchaînées du Zambèze endommagent le coffrage principal du barrage qu’il faut reprendre. En mars 1958, une gigantesque inondation comme il n’en survient qu’une seule par millénaire déverse 18 000 m³ d’eau à la seconde sur le chantier, détruisant à nouveau le coffrage ainsi que le pont suspendu au-dessus du fleuve. 86 ouvriers périront lors de cet événement.

Pourtant, malgré les catastrophes climatiques et les tragédies à répétition, les 10 000 ouvriers qui s’activent sur le chantier achèvent la voûte du barrage au mois de décembre 1958. La fermeture des vannes a lieu le 2 décembre de la même année et le remplissage commence officiellement le 22 janvier 1959, créant ainsi le plus vaste lac-réservoir au monde.

Le plus vaste lac-réservoir au monde

Les eaux commencent alors à monter, inondant peu à peu les vallées et les affluents du Zambèze. Mais rapidement, il devient évident que des milliers d’animaux vont se trouver prisonniers sur l’un des 300 îlots qui émergent de la retenue, faute de pouvoir rejoindre ses rives. On doit alors, dans l’urgence, rassembler des fonds pour acheter les bateaux et le matériel nécessaire pour les secourir. Entre mars et décembre 1959, le projet, qui prendra le nom d’opération Noé, permettra, malgré le danger représenté par les arbres immergés qui menacent d’endommager les coques des bateaux, de sauver 5 000 animaux représentant plus de 35 espèces, dont de nombreux reptiles parmi lesquels les fameux mambas noirs.

Le 17 mai 1960, le barrage est enfin inauguré. On pense alors que la phase d’exploitation qui démarre tout juste sera plus sereine. Il n’en sera rien. Dès l’achèvement du remplissage de la retenue, un regain d’activité sismique est détecté aux abords du lac. On pense d’abord à relier cette augmentation de la sismicité à l’achèvement du barrage. Au cours des années 1960, quatre séismes majeurs sur la planète, de magnitude supérieure à 6, sont, peu ou prou, associés à des barrages. Et en 1963, alors que la retenue est pleine, un séisme qui dépasse 6 sur l’échelle de Richter survient. Selon certains experts, l’importante activité sismique détectée autour du lac Kariba serait due à la pression interstitielle, environ 200 milliards de tonnes, qu’exerce l’énorme masse d’eau du lac. On se penche alors sur l’histoire sismique de la région avant la construction du barrage. On découvre qu’un tremblement de terre de magnitude 6 a été enregistré en mai 1910, ce qui démontre l’existence d’une activité sismique avant la construction du barrage.

Entre sa construction et son remplissage et la fin des années 1980, la région subira plus d’une vingtaine de tremblements de terre qui dépassent tous 5 sur l’échelle de Richter. Mais l’influence du lac sur l’activité sismique dans la région ne sera pas clairement démontrée…

Les Tongas, eux, en sont certains : le Dieu Nyaminyami ne les a pas abandonnés et continuera à frapper jusqu’à ce que le barrage soit détruit…

[Photo : Le 17 mai 1960, le barrage est enfin inauguré. On pense alors que la phase d’exploitation qui démarre tout juste sera plus sereine. Il n’en sera rien.]
[Photo : Entre sa construction et son remplissage et la fin des années 1980, la région subira plus d’une vingtaine de tremblements de terre qui dépassent tous 5 sur l’échelle de Richter. Mais l’influence du lac sur l’activité sismique dans la région ne sera pas clairement démontrée…]
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