Le choix, le lieu et les modalités du prélèvement de l'échantillon d'un sol pollué sont des paramètres délicats à établir. L?étape suivante, la caractérisation et l'analyse par le laboratoire, fait de plus en plus l'objet de procédures de qualité. La recherche s'intéresse aux bio-indicateurs pour surveiller l'état du sol. Enfin, avec un peu de retard sur d'autres pays, pour pouvoir interpréter avec sûreté les résultats des analyses, des banques d'échantillons de sols pollués comme de sols naturels se développent en France.
Dossier réalisé par , Technoscope
Faut-il ou non dépolluer ? L’arrêté préfectoral a-t-il été respecté ? Quelles mesures faut-il mettre en place sur le site ? La caractérisation d’un sol pollué est une étape cruciale qui tente de répondre aux questions du décideur. Elle peut avoir été demandée par les autorités administratives dans le cadre de la législation sur les installations classées. Elle peut aussi être un élément d'un audit d’acquisition pour évaluer le passif environnemental d’un site. Elle peut enfin constituer une action préventive menée par un exploitant ou un propriétaire désirant faire le point sur la situation de son site.
Concrètement, tout commence par la visite préliminaire du site pour identifier les risques immédiats (incendie, explosions, émission d'effluents liquides ou gazeux) afin de parer aux éventuels dangers. Dès ce stade, des actions peuvent être décidées pour réduire la propagation d’une pollution, et ainsi le coût final de la réhabilitation.
La phase suivante consiste à mener une étude historique et documentaire du site en allant pêcher tout renseignement utile dans les archives de l’établissement, les archives départementales ou communales, celles de la DRIRE, voire des photographies aériennes (IGN, par exemple).
Ensuite, le diagnostic initial, c’est-à-dire les premières investigations sur le site, va permettre de caractériser la pollution et d’en déterminer les impacts et les risques. Les recherches sont constituées d'une campagne de mesures : investigations géophysiques, caractérisations globales de la pollution complétées par des prélèvements d’échantillons de déchets, matériaux, sols, que l'on pense être représentatifs de la source de la pollution. Grâce à cette évaluation, on pourra déterminer, en fonction de l’usage actuel ou futur du site, les mesures de sécurité, de surveillance ou de dépollution à entreprendre.
L’approche de l'environnement (géologique et hydrogéologique) du site auprès du BRGM, des Agences de l'eau et des directions départementales des affaires sanitaires et sociales, peut s'avérer profitable. L’étude documentaire peut s'avérer suffisante pour réaliser une évaluation simplifiée des risques (ESR). Si l’évaluation se conclut par une note globale élevée, le site, considéré comme pollué, doit alors subir une évaluation détaillée des risques (EDR). Ce diagnostic s’applique :
- à la source de pollution : localisation, quantification, identification précise des polluants, détermination des paramètres de leur comportement (toxicité, mobilité, dégradabilité) ;
- aux milieux de migration (eau, air, sols) : perméabilité, teneur en eau et en matières organiques, pH, etc. ;
- aux récepteurs : calcul de l'exposition des cibles.
Les calculs de transferts et d’exposition peuvent être effectués soit par des modèles soit par des mesures expérimentales.
Cette phase du travail tient compte en premier lieu de la santé humaine puis de l’écologie.
C'est pourquoi il faudra toujours s’assurer que les résultats du diagnostic ne puissent pas être invalidés par des incertitudes pouvant apparaître à chacune des étapes de la démarche : échantillonnage mal conçu, prélèvement hâtif, mauvaises pratiques de laboratoire ou mauvaise calibration de l'appareil d'analyse.
Suivre une démarche rigoureuse
Si l'on veut que l’échantillon donne une bonne idée de la réalité du terrain, il faut suivre une démarche rigoureuse : borner et repérer la parcelle, échantillonner selon un maillage en hexagone, être précis et complet pour l’étiquetage. Une analyse fine nécessi-
Des conséquences économiques ou judiciaires importantes
tera des outils lourds et des démarches complexes, comme le recours à des piézomètres multi-niveaux pour suivre avec précision le devenir de la pollution dans le sous-sol.
Le mode de prélèvement doit être bien étudié : quel volume extraire, à quel endroit, à quelle profondeur, avec quel outil ? etc. « Ces problèmes de géostatistiques sont trop souvent esquivés, déplore Ignace Salpéteur, responsable de projet au Centre national de recherche sur les sites et sols pollués (Douai). Ils conditionnent pourtant fortement les résultats de l’analyse ».
Une fois au laboratoire, l’échantillon est analysé en fonction de ce que l'on cherche et du niveau de précision souhaité. Pour limiter les risques d’erreur, il faudra préparer l’échantillon de manière spécifique selon les analyses prévues, multiplier les analyses pour recouper et affiner les résultats, introduire dans l’échantillon des témoins chimiques ou biologiques des altérations subies.
La spéciation du polluant est souvent nécessaire
La préparation de l’échantillon est une autre étape délicate. Il faut le sécher, l’extraire ou le purifier avant analyse. Le choix des techniques est primordial. Il peut nécessiter la spéciation du polluant. En effet, l’élément chimique seul ne veut rien dire : ce sont sa forme et son espèce ionique qui sont déterminantes pour sa capacité de transfert et sa biodisponibilité pour la faune, la flore ou l’homme. Le chrome 6 est toxique, le chrome 4 ne l’est pas.
Différents laboratoires tentent d’apporter à ce sujet des réponses à des questions de plus en plus complexes, mais tout autant indispensables. L’équipe du laboratoire de chimie analytique bio-organique et environnement (LCABIE ; CNRS – Université de Pau) planche ainsi sur l’évaluation de la mobilité des polluants métalliques : dans quelle mesure sont-ils solubles dans le sol et donc transférables ?
Mais les analyses coûtent cher. De nouveaux outils, comme les sondes thermiques, permettent de prendre des mesures directement sur le site.
Le trèfle, la moule et le ver de terre
Pour sécuriser la réponse qu’ils donnent à leurs commanditaires, les laboratoires doivent offrir une parfaite traçabilité de leur protocole d’analyse et de leur fiabilité. Leurs résultats doivent être comparables à ceux obtenus par d’autres méthodes ou d’autres laboratoires. Ils doivent enfin être validés par un système d’étalonnage des appareils. C’est à cela que servent les matériaux de référence (voir encadré). Ce sont des matrices (sols, sédiments, tissus biologiques, eaux…) dont la composition en certains éléments polluants a été rigoureusement déterminée. Ils permettent de valider les méthodes analytiques employées et de contrôler la qualité des mesures au quotidien.
Les analyses de sols pollués s’effectuent souvent dans un contexte fortement juridique. Elles sont demandées par des assureurs, des promoteurs, des industriels ou des administrations. Pour garantir leur capacité à fournir des résultats exacts et reproductibles, de plus en plus de laboratoires s’engagent dans des démarches d’accréditation (par exemple, le programme 134 du Cofrac).
Une fois les résultats d’analyse connus, il reste à les interpréter. Des modèles peuvent y aider en ce qui concerne l’analyse physico-chimique. Mais celle-ci est insuffisante. Car il faut tenir compte du devenir des substances chimiques dans leur écosystème. L’écotoxicité d’un contaminant n’est pas seulement fonction de la dose présente dans l’environnement.
Comment surveiller l’évolution de cette toxicité ? La tendance est de faire appel aux biomarqueurs, ces plantes et animaux sentinelles qui permettent un diagnostic rapide et précoce des dysfonctionnements réels de l’écosystème. Plusieurs programmes
recherche étudient leurs réactions à des pollutions diverses : les trèfles et les abeilles, par exemple, pour identifier et mesurer la pollution autoroutière ; la moule, pour le diagnostic de l'état de santé des milieux marins ; le ver de terre, pour les sols pollués ; le métabolisme phénolique, chez les végétaux, est un bon indicateur de la pollution atmosphérique par l'ozone ; les bactéries, contre les hydrocarbures, etc.
Un atlas géochimique européen
Les laboratoires peuvent ainsi fournir aux industriels et aux pouvoirs publics des outils de biosurveillance représentatifs des effets des polluants sur les écosystèmes et complémentaires des approches analytiques physico-chimiques.
Un autre outil se développe pour surveiller l’environnement sur le long terme, dans une optique de développement durable : l’archivage des échantillons de pollution. La qualité des milieux est suivie en France par de nombreux organismes (Ifremer, Cemagref, Inra…). Mais aucun de ces établissements n’a développé d'archivage systématique ni de stockage cryogénique des échantillons préalablement analysés. Orque (centre d’observation et ressources sur la qualité de l’environnement) est un projet français de banque d’échantillons environnementaux, comme il en existe déjà dans plusieurs pays (Amérique du Nord, Europe du Nord, Japon). Les échantillons de sols, de sédiments, d’eaux et de matériaux biologiques sont archivés après avoir été caractérisés. Est également caractérisé le patrimoine génétique des populations cibles vivant dans les milieux sélectionnés.
De même, des études nationales et internationales sont menées pour tenter d’évaluer le fonds géochimique naturel des territoires. Un monitoring pour définir ce que pourrait être un “état zéro” des sols, avant leur modification par l'homme. Un atlas européen, notamment, est en cours d’élaboration. Nommé Foregs, il prélève en surface et dans les sols sédimentaires, de façon aléatoire mais selon un maillage régulier, et au sein de cellules de 160 km², des échantillons standardisés de terre. Ces pièces sont ensuite analysées et répertoriées par des laboratoires certifiés. Ainsi, des comparaisons seront toujours possibles entre les pays qui participent au programme¹.
Les générations futures pourront ainsi bénéficier de critères de départ sûrs pour connaître les impacts des activités anthropiques sur les milieux caractérisés.
¹ – En France, le correspondant est le BRGM.