Construit au confluent de l’Ubaye et de la Durance, le barrage hydroélectrique de Serre-Ponçon remplit, depuis son achèvement en 1961, plusieurs fonctions : il régule le cours torrentiel de la Durance, irrigue les Alpes-de-Haute-Provence et produit de l’électricité. La construction de ce barrage a permis de créer un réservoir de 1,2 milliard de m3 d’eau alimentant l’ensemble de la chaîne Durance Verdon, soit 10% de la production hydroélectrique française et 50% de la production de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Retour sur l’histoire d’un chantier gigantesque.
L ’idée de domestiquer la Durance et d’édifier un grand réservoir de stockage de l’eau apparait dès 1856. Pour les initiateurs du projet, il s’agit de tenter de réguler la capricieuse Durance, caractérisée par des crues violentes au printemps et en automne, et des étiages sévères en été comme en hiver. Les crues dévastatrices de 1843 et 1856 puis la pénurie de 1895 attirent l’attention des autorités sur la nécessité de régulariser le débit torrentiel de cette rivière, alors qualifiée de «fléau de la Provence». D’emblée, le site de Serre-Ponçon, situé à 2 km en aval du confluent de l’Ubaye, retient l’attention. Là, un goulet relativement étroit, a priori idéal pour la construction d’un barrage, pourrait permettre de créer une retenue de grande capacité. Le site parait donc très propice à l’édification d’un barrage. Mais les premières campagnes de sondage mettent en évidence l’impossibilité de construire et d’ancrer un barrage sur un lit d’alluvions très perméable et dépassant 110 m de profondeur !

Rapidement,
le projet est abandonné.
Un homme pourtant ne jette pas l’éponge.
Durant plus d’un quart de siècle, Ivan
Wilhelm, ingénieur en chef des Ponts et
Chaussées d’origine russe, va tenter de
surmonter cette difficulté. Et en 1948, il y
parvient ! La mise au point d’un nouveau
type de barrage en terre aux Etats-Unis
ouvre la voie à l’édification d’un barrage
sur le site de Serre-Ponçon. L’idée s’inspire des premiers barrages construits
dès le 3ème millénaire avant J.C. qui servaient essentiellement à stocker l’eau. Il
s’agissait de digues de terre ou de roches
assises au fond de l’eau pour soutenir
et structurer l’ensemble de l’ouvrage.
Dans les années 1920, les Américains
reprennent et améliorent ce procédé
millénaire en construisant le barrage
de Fort Peck, dans le Montana. Serre-Ponçon sera donc un barrage en terre
à noyau central d’argile étanche d’environ 2 millions de mètres cubes, et sera
la première réalisation en France et à
cette échelle, d’une technique alors très
répandue aux Etats-Unis.
En 1951, la toute récente société nationale Électricité de France, créée en
1946, se voit confier le projet. Celui-ci
obtient en 1951 l’avis favorable du Comité
Technique des Grands Barrages. Mais
Ivan Wilhelm, le père du barrage meurt
la même année. Il ne verra donc jamais la
réalisation de l’ouvrage sur lequel il a tant
travaillé. En 1955, les travaux débutent. Ils
vont durer 54 mois, jusqu’en 1959.
UN CHANTIER GIGANTESQUE
Pendant plus de 4 ans, le site ressemble à une véritable fourmilière. Le chantier est gigantesque, on y travaille nuit et jour, par roulement, avec une pause de 4 heures seulement, entre 22 heures et 2 heures du matin pour entretenir les machines, les véhicules et le matériel. D’innombrables pelleteuses mécaniques chargent des semi-remorques qui, dans une noria ininterrompue, apportent terres et alluvions au barrage où les bulldozers prennent le relais.

Il faut d’abord détourner le lit de la Durance pour construire la digue. Cette dérivation provisoire, composée de deux galeries de 800 mètres de long et 10,60 m de diamètre, est creusée dans le rocher, en rive gauche du futur ouvrage. Elle est achevée en mars 1957. Il faut ensuite prélever pas moins de 30 millions de tonnes d’alluvions et d’argile dans le lit de la Durance, pour les ériger jusqu’à 123 mètres de hauteur. Pour bien comprendre l’ampleur de cette tâche, il faut se représenter les dimensions et la masse de cet ouvrage: 650 mètres d’épaisseur à la base, 600 mètres de longueur en crête et 123 mètres de hauteur. Au plus fort du chantier, 3000 ouvriers s’activeront sur le site! Il faut aussi creuser dans le rocher, en rive gauche, pour implanter la centrale électrique sous plus de 100 mètres de rocher. Plus de 4 millions de m3 de roches devront être extraits pour créer trois salles : la salle des vannes, la salle des machines et celle des transformateurs de puissance. Pendant sa construction, la digue est constamment auscultée afin de vérifier le bon tassement des matériaux. Car le barrage est conçu pour résister aux crues, aux bombardements, mais aussi et surtout aux séismes.
Situé en zone sismique, le barrage de Serre-Ponçon est prévu pour résister à une secousse de force 7 sur l’échelle de Richter. Enfin, la mise en eau du lac de SerrePonçon peut commencer. Elle débutera le 16 novembre 1959 et durera 18 mois. La fonte des neiges remplit le lac qui atteint sa cote maximale de 780 mètres le 18 juin 1961. Le lac ainsi créé couvre une superficie de 2.800 hectares, une taille comparable à celle du lac d’Annecy. C’est la plus grande retenue de barrage d’Europe. Mais la naissance du lac de Serre-Ponçon provoque d’importants changements sur l’environnement et les infrastructures locales. Des chantiers de grande ampleur doivent être ouverts autour de la retenue, en marge de la construction du barrage, pour rétablir 15 km de voies ferrées, construire trois viaducs SNCF, 50 km de route et plus de 2,5 km de ponts, dont le viaduc de Savines long de 920 mètres. Mais surtout, la mise en eau de la retenue a pour conséquence de submerger toutes les constructions situées à une altitude inférieure à 780 mètres. Les villages de Savines (976 habitants en 1954), d’Ubaye, de Rousset et plusieurs hameaux seront peu à peu engloutis en 1961, lors de la montée des eaux (voir encadré). Fait plus positif, et a priori moins attendu, la naissance du lac de Serre-Ponçon donne à l’économie locale et régionale le coup d’envoi d’un développement économique et touristique qui se poursuit aujourd’hui encore. Rapidement, il devient l’un des hauts lieux du tourisme des Alpes du Sud. Hôtels, restaurants, campings, bases d’activités et de sports nautiques vont se multiplier autour de ce nouveau pôle d’attraction régional.
DES APPORTS MULTIPLES CONTESTÉS

Mais les véritables apports du barrage de Serre-Ponçon ne se limitent pas à un développement touristique inattendu lors de l’élaboration du projet. L’ouvrage permet également de domestiquer la Durance en limitant les conséquences des crues et de développer l’irrigation. Le ministère de l’Agriculture a participé au financement du barrage de Serre-Ponçon à hauteur de 12,3%. A ce titre, 200 millions de m3 d’eau dans la retenue sont destinés à la satisfaction des besoins des irrigants. Au total, la ressource en eau ainsi maîtrisée doit permet d’irriguer quelque 100000 hectares cultivés de la vallée de la Durance. Egalement de sécuriser l’alimentation en eau potable de la région.

Plusieurs villes s’y alimentent en eau potable, comme Marseille, Sisteron et de nombreuses communes du Var et du littoral, via notamment le réseau de la Société du Canal de Provence. Serre-Ponçon constitue également l’élément clé de la production énergétique régionale. Sur le site même, quatre groupes hydroélectriques sont capables de fournir 80 mégawatts chacun en moins de 10 minutes. La production de la centrale de Serre-Ponçon est équivalente à la consommation annuelle des Hautes Alpes. La conduite des 4 groupes est totalement automatisée : le calculateur de Serre-Ponçon gère les démarrages et les arrêts, le débit à turbiner et la répartition de puissance des 4 machines en fonction des programmes de production envoyés par le «calculateur central» du poste de Sainte-Tulle.
Ces
programmes journaliers sont établis en
fonction de la consommation d’électricité et des besoins en eau pour l’irrigation. Car Serre-Ponçon est la tête de
file de la chaîne Durance qui compte 15 usines hydroélectriques et s’étend
jusqu’à l’étang de Berre. Avec son affluent
le Verdon, l’ensemble de la chaîne hydroélectrique Durance-Verdon rassemble
ainsi 32 centrales, dont 19 sont pilotés
à distance et simultanément depuis
le Poste commun de commande de
Sainte-Tulle, près de Manosque. Cette
exploitation centralisée est censée
garantir le fonctionnement synchronisé
d’un gisement de 2000 MW de puissance, soit l’équivalent de deux réacteurs
nucléaires. L’ensemble de l’aménagement produisant chaque année environ
7 milliards de kWh, soit 10% de l’ensemble de la production hydraulique
d’EDF. Face aux records de sécheresse
enregistrés au cours de l’été 2022, d’une
situation du niveau du lac qui risque de
devenir critique (17 mètres en dessous
du seuil habituel recensés), il devient
toutefois nécessaire de repenser son
rapport aux différents secteurs agriculture, industriels, tourisme.