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Sécurité intrinsèque des canalisations d'eau potable

30 mars 1992 Paru dans le N°153 à la page 54 ( mots)
Rédigé par : Daniel LABROCA

Dans le monde entier, les canalisations sont largement utilisées pour le transport de l'eau potable, du gaz, des eaux usées, des boues... Elles représentent l'un des services publics les plus importants entraînant des investissements très élevés ; on leur demande une grande durée de vie et un haut niveau de sécurité et de fiabilité. Toute rupture de canalisation peut, en effet, outre des frais de réparation et de dérangements, causer de graves accidents : inondation, pollution de la nappe phréatique, incendie... (figure 1).

Afin de parvenir à une conception économique, tenant compte de la durée de vie de la canalisation projetée, il est important que le chef de projet connaisse les propriétés mécaniques, hydrauliques et chimiques des différents types de tuyaux qu'il peut adopter. La connaissance exacte des mécanismes de rupture possibles est encore plus importante lorsqu’il s'agit d’évaluer les performances à long terme basées sur des coefficients de sécurité adéquats.

Notre but, dans ce qui suit, est d’expliquer, étape par étape, comment les ingénieurs-concepteurs et les fabricants de canalisations d’eau potable prennent en compte cette notion de sécurité.

Il s’agit là d'un sujet à l’ordre du jour dans le contexte des grands travaux d’harmonisation des normes européennes, qui ont adopté le principe d'exigences fonctionnelles (et non pas descriptives) pour la normalisation des produits.

[Photo : Rupture d’une canalisation de 900 mm en zone urbaine.]

Relation « sollicitation — modèle de calcul — caractéristiques du matériau »

La sécurité à long terme des canalisations enterrées sera atteinte si l'on connaît avec assez de certitude au moment de l’avant-projet :

— les propriétés du matériau et du tuyau lui-même telles qu’elles sont spécifiées par les normes et garanties par le fabricant,

— les contraintes auxquelles la canalisation sera soumise, telles qu’elles sont déterminées à partir des hypothèses de sollicitations et de modèles de calcul adéquats basés sur des théories reconnues et des preuves expérimentales.

Ainsi, pour illustrer notre propos, on citera, par exemple (tableau I) :

• le modèle de Barlow, qui permet, à partir de la sollicitation « P intérieure », de calculer la contrainte R dans la paroi du tuyau, qu'il faudra comparer à la résistance minimale Rmin garantie par le fabricant,

• le modèle de Marston, qui permet, à partir de la sollicitation « Charges des Terres » (H couverture), de calculer la contrainte R dans la paroi du tuyau et le taux d’ovalisation ΔD/D, qu'il faudra comparer aux propriétés minimales garanties par le fabricant.

Simplification pratique des calculs

La confiance dans un projet donné serait totale si l’on pouvait connaître toutes les sollicitations mécaniques auxquelles sera soumise une canalisation depuis sa sortie des lignes de fabrication et durant toute sa durée de vie, par exemple le stockage en pile — les rayures et chocs de manutention — les charges des terres — les charges roulantes — la pression intérieure, les coups de bélier — la température du fluide — la fatigue par vibrations... et si, pour chacune de ces sollicitations, on pouvait disposer d’un modèle de calcul permettant d’évaluer les contraintes résultantes et de procéder aux vérifications qui s’imposent.

Il serait fastidieux, voire impossible, d’être exhaustif. Tout n'est pas modélisable, tout n’est pas prévisible... Des canalisations pratiquement centenaires sont encore en service : qui peut prévoir les modifications de l'urbanisme, des voies routières, les extensions de réseau... sur d’aussi longues durées.

La pratique montre qu'il est plus commode de retenir deux types de sollicitations majeures qui sont : les charges extérieures statiques et dynamiques (1), la pression intérieure (2).

Tableau I

Relation « sollicitation » – modèle de calcul – caractéristiques du matériau

Sollicitation Modèle de calcul Contrainte calculée Vérification Résistance minimale garantie
Pression intérieure Formule de Barlow Contrainte calculée Comparaison Résistance mini garantie
Hauteur de couverture Théorie de Marston Contrainte / déformation calculées Comparaison Déformation maxi garanties

Tableau II

A.C Fonte Acier PVC PE
Matériau A.C Fonte Acier PVC PE
Fluide EAU GAZ

NORMES DE RÉFÉRENCE

NFP 41-302 — ISO/R 160 — ANSI — NFA 49-150 — NFT 54-016 adduction — NFT 54-086 irrigation — NFT 64-063 — NFT 54-065

Formule

P ≤ (2 e R) / (K D)

Critère de dimensionnement

Limite de rupture à 50 ans (limite inférieure de confiance 97,5 %)

Composants de K

P lim. rupture = 1,5 à 2 P essai P lim. élast. = 1,11 P essai P service = 1,5

K, coefficient de sécurité global

3 à 4 : limite de rupture 2 : limite élastique 2 – 1/1,67 : limite de rupture 1,8 / 1 : limite de rupture 1,3 / 4 : limite de rupture

GAMME

DN 80/1 000 — PMA 18/7,5 b DN 40/2 600 — PMA 65/25 b DN 80/2 200 — PMA 68/25 b DN 12/500 — PN 6/16 DN 63/500 — PN 6/16 DN 20/315 — PN 6/16 DN 20/225 — PMA 4 b

* Soit 2 à 3 par rapport à la limite de rupture.

Tableau III

DN Poussée hydraulique sur fond plat pour 16 b (t) Débit hydraulique (l/s) pour V = 1,5 m/s
100 2 12
300 13 100
1 000 138 1 200
1 600 350 3 000

La température du fluide (pour les matériaux plastiques) est prise en compte et le reste des sollicitations probables est englobé par l’utilisation de coefficients de sécurité lors du calcul des contraintes résultant de chacune des sollicitations 1 et 2.

En simplifiant, la démarche adoptée est la suivante :

  • pour la sollicitation « P intérieure », on déduit une épaisseur minimale e₁ min ;
  • pour la sollicitation « charges extérieures », on déduit une épaisseur minimale e₂ min.

L’épaisseur finale est la résultante de ces deux calculs.

Signification du coefficient de sécurité

Cette approche a l’avantage de bien cerner la signification des coefficients de sécurité employés :

  • le coefficient de sécurité utilisé pour « la tenue aux charges extérieures » est généralement intrinsèque au modèle de calcul. Il représente principalement l’incertitude sur l’évaluation des conditions de pose environnant le tuyau enterré ;
  • le coefficient de sécurité utilisé pour « la tenue à la P intérieure » est beaucoup plus explicite. Il s’exprime par le facteur multiplicatif K dans la formule de calcul de la pression :
(1)  P = (2 e R) / (K D)

où : e = épaisseur de la paroi du tube, R = résistance du matériau (critère de dimensionnement), K = coefficient de sécurité, D = diamètre moyen du tuyau.

On constate que K conditionne directement le choix de l’épaisseur.

K représente toutes les sollicitations et aléas qui n’ont pas été formulés par un calcul spécifique. On le nomme de ce fait « coefficient de sécurité global ». Il tient compte en particulier :

  • des aléas sur le matériau et le produit,
  • des aléas de mise en œuvre,
  • des aléas sur la conception et l’utilisation de la canalisation,

mais sa valeur doit aussi être choisie en fonction :

[Encart : Principaux aléas généralement rencontrés dans l’étude des projets de canalisations enterrées Les aléas sur le matériau et le produit • La dispersion sur les caractéristiques géométriques des produits (notamment l’épaisseur), commune à tous les processus industriels, • La dispersion sur la résistance du matériau, résultant notamment des matières de base, des paramètres de fabrication ou de défauts internes. Les aléas sur la mise en œuvre du produit • L'incertitude sur l’effet des chocs, des rayures et autres endommagements, dus aux manutentions, au transport et à la pose. • L'incertitude sur l’effet des contraintes générées par les différents modes de conditionnement (empilage, touret, déroulement-redressage lors de la pose...). • L'incertitude sur les affaiblissements locaux dus aux assemblages par soudage sur chantier. Les aléas sur la conception et l’utilisation de la canalisation • L'incertitude sur la pression réelle, due par exemple à une augmentation de la pression moyenne pour des questions d’utilisation à long terme, due par exemple à une augmentation de débit, d’extension de réseau... • L'incertitude sur les surpressions transitoires (coups de béliers) très fréquentes sur certains réseaux, aggravées quand elles sont pulsées. • L’incertitude sur l’effet combiné de plusieurs sollicitations mécaniques simultanées (par exemple : charges des terres et du trafic + pression interne).]

• de la crédibilité que le concepteur accorde au produit (renforcée ou non par la mise en place de système assurance-qualité chez le fabricant),

• de la contrainte économique (en déterminant l’épaisseur, le coefficient de sécurité influence le coût du produit),

• de l’expérience connue (et sur grande échelle) de l’utilisation du matériau,

• des enjeux probables en cas de défaillance (inondation dévastatrice pour les gros diamètres ou dangers aux personnes physiques pour les fortes pressions).

À titre d’illustration, l’encadré ci-joint cite les principaux aléas généralement rencontrés dans l’étude des projets de canalisations enterrées.

Importance pratique du coefficient de sécurité

Par souci de rationalisation des outillages et de maintenance des réseaux, les fabricants proposent des gammes de diamètres et d’épaisseurs standards et normalisés. On trouve donc généralement dans leur documentation :

• un tableau de gamme : DN — Épaisseur — P max admissible,

• des abaques de pose : DN — Épaisseur — Hauteur max de couverture — Conditions de pose,

• pour les matériaux en matières plastiques : un tableau de détimbrage en fonction de la température.

En fournissant ces éléments, normalisés ou non, le fabricant procède en quelque sorte au dimensionnement de la canalisation pour un usage « normal et moyen ». S'il appartient aux fabricants d’accompagner ses tableaux de toutes les hypothèses ayant permis leur établissement (en particulier choix des critères de résistance, d’ovalisation, valeurs des coefficients de sécurité...) il appartient aux utilisateurs et ingénieurs-projeteurs de prendre connaissance de ces dernières. Comme l’a montré la discussion précédente, la méconnaissance des coefficients de sécurité peut mener à des choix bien malheureux, dans le cas de projet « à conditions sévères d’utilisation » exigeant une interprétation spécifique des risques, ou conduire à de fausses comparaisons entre des solutions techniques offrant des niveaux de fiabilité notablement différents.

Comparaison des matériaux

Contrairement à une idée répandue, le coefficient K de la formule (1) n’est pas uniquement représentatif de la seule sécurité vis-à-vis de la pression interne, il intègre également la prudence envers toutes les sollicitations inconnues ou inquantifiables citées précédemment.

Il est intéressant de comparer les « coefficients de sécurité globaux » adoptés à ce jour par les normes nationales des différents matériaux. Dans le tableau II il apparaît que ces dernières appliquent le même modèle de calcul en utilisant bien entendu le critère de dimensionnement adapté à la spécificité de chaque matériau.

Rm = limite de rupture pour l’amiante-ciment,

Re = limite élastique pour la fonte ductile et l’acier,

LIC = limite de rupture estimée à 50 ans pour les plastiques (limite inférieure de confiance à 97,5 %).

Cependant, la lecture du tableau appelle les commentaires suivants :

• pour les matériaux dimensionnés à la rupture (autre que le PE) K n’est jamais inférieur à 2 ;

• pour les matériaux dimensionnés à la limite élastique, K n’est jamais inférieur à 1,67.

Le polyéthylène et ses nouvelles résines se distinguent en adoptant un coefficient de K = 1,3 dans le domaine de l’eau jusqu’à 16 bars (norme NF T 54-063 de juillet 89) après avoir adopté K = 3 ou 4 dans le domaine du gaz jusqu’à 4 bars (norme NF T 54-065 de novembre 1987).

Il va de soi que, dans le cas des canalisations enterrées, plus le coefficient de sécurité est bas, plus il importe de maîtriser les conditions de pose et d’utilisation futures de l’ouvrage.

Il va de soi également que toute extension de gamme en DN ou pression d’un matériau doit faire l’objet d’une nouvelle appréciation du coefficient de sécurité. En effet, son choix est d’autant plus important que le DN est grand, car d’une part les forces et les débits hydrauliques varient avec le carré du diamètre, d’autre part les conséquences d'une défaillance en petit DN sont sans commune mesure avec celle d’une défaillance en grand DN. Pour s’en convaincre, il suffit d’apprécier les valeurs calculées dans le tableau III.

Conclusion

Parce qu’une canalisation enterrée peut subir en de nombreux points des sollicitations imprévisibles (création de route, choc de pelle mécanique...), parce que les conditions de pose ne sont jamais figées (affouillement, remaniement de terrain, tassements...) parce que les contraintes d’utilisation vont

toujours en s’intensifiant (augmentation de pression, de débit, coup de bélier...) le coefficient de sécurité global constitue une grandeur fondamentale qui contribue à la pérennité potentielle d’un réseau. Tel que défini dans les propos qui ont précédé, il mesure en effet la « réserve de sécurité intrinsèque » à la canalisation choisie. Pour l’utilisateur, il est le seul à définir objectivement les limites entre ce qui est autorisé, faisable ou interdit (par exemple, il n’est pas rare que la réserve de sécurité intrinsèque à la canalisation compense l’absence de système de protection anti-bélier).

Le coefficient de sécurité global apparaît aussi, à l’usage, comme l’expression du compromis nécessaire entre le besoin de sécurité de l’utilisateur et la contrainte économique des coûts de fabrication. Aujourd’hui, dans le cadre des exigences de protection de l’environnement et particulièrement de la gestion des eaux potables, il doit être l’enjeu de discussions objectives et homogènes entre utilisateurs et fabricants, fondées sur des théories et des expériences reconnues, concrétisées par des normes européennes harmonisées et conformes aux exigences de la Communauté en matière de santé et sécurité.

[Encart : APPEL AUX AUTEURS Notre numéro de juin se rapportera au thème EPURATION — ASSAINISSEMENT : Eau chaude solaire — Compteurs, débitmètres — Ozone, U.V. — Canalisations en fibre-ciment — Méthanisation des déchets — Maintenance des stations d’épuration — Forage-sondage — Eaux dans la sidérurgie. Le numéro de septembre sera consacré à la FILTRATION : Installation de réseaux — Conditionnement des eaux — Incinération des déchets — Échangeurs de chaleur — Travaux immergés — Eaux dans l’industrie alimentaire. Les auteurs intéressés par la parution gracieuse d’un article concernant ces matières (ou celles relevant de leur technique) sont cordialement invités à nous faire part rapidement de leur intention.]
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