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Rôle joué par les polyélectrolytes anioniques de synthèse dans la clarification d'une eau peu minéralisée

30 septembre 1991 Paru dans le N°148 à la page 50 ( mots)
Rédigé par : Alain DEGUIN

Il nous est apparu intéressant de préciser le rôle majeur joué par les polyélectrolytes anioniques de synthèse dans l’amélioration de la qualité d’eau produite à partir d’une eau de surface peu minéralisée.

Les difficultés habituellement rencontrées pour le traitement des eaux de retenues en vue de les rendre propres à la consommation sont bien connues :

• grande variabilité de qualité selon la profondeur (température, oxygène dissous, pH, ammonium, matières organiques) ;

• risques de prolifération d’algues à certaines saisons ;

• relargage de fer, manganèse, phosphate et ammoniaque par les sédiments en état d’anaérobiose ;

• apparition de composés organiques (précurseurs d’haloformes, précurseurs de goûts).

Les filières de traitement à mettre en œuvre pour y faire face sont de plus en plus complètes et complexes.

[Photo : La station de traitement de Kerne Uhel : tamisage-décantation-filtration.]

L’étape majeure de ces filières reste la floculo-clarification. Or, celle-ci est très difficile à maîtriser lorsque le pH fluctue souvent et rapidement, lorsque les algues gênent la décantation, lorsque la viscosité de l’eau est affectée par les variations de température, lorsqu'il faut faire des compromis entre les différents réactifs injectés pour réduire les teneurs de tous les éléments indésirables.

Lorsque l’eau à traiter est peu minéralisée, comme en Bretagne, les difficultés sont accrues vis-à-vis de la cinétique de formation des flocs (bicarbonate disponible en quantité réduite), vis-à-vis de l’amplitude de fluctuation du pH (eau faiblement tamponnée), vis-à-vis de la décoloration de l’eau notamment (acides humiques avec complexation du fer et du manganèse).

Il est proposé de présenter ici, par des résultats obtenus sur plusieurs mois, à la station de traitement de Kerne Uhel (Côtes-d’Armor), le rôle joué par les polyélectrolytes anioniques de synthèse vis-à-vis d’une part de la qualité du produit fini (notamment résiduel d’aluminium, COT, fer, manganèse, pH) et, d’autre part, de la maîtrise d’exploitation des installations (pH de floculation, stabilisation du voile de boue en décantation, incidence sur la filtration, etc.).

Ces essais, effectués en 1985 puis en 1986, l’ont été en application d’un pro-

protocole passé avec le Ministère de la Santé, et plus particulièrement le Conseil supérieur d’Hygiène publique de France, dans le cadre des investigations de celui-ci pour émettre un avis sur l'agrément de l’emploi des polyélectrolytes anioniques de synthèse dans la production d’eau potable.

Il est rappelé que si les polyélectrolytes anioniques de synthèse ont obtenu un avis favorable du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France, aucun texte officiel n’a encore été à notre connaissance publié dans ce sens, de sorte que, pour mettre en œuvre de tels produits, il convient d’en faire la demande au Ministère chargé de la Santé, au coup par coup.

Sont synthétisés et commentés dans ce qui suit les différents contrôles analytiques effectués au cours des essais par trois laboratoires :

  • • le laboratoire de l’École nationale de la Santé publique de Rennes ;
  • • le laboratoire départemental d’analyse des Côtes-d’Armor, en relation avec la DDASS ;
  • • le laboratoire central de la SAUR.

Résumé des problèmes rencontrés à Kerne Uhel

Le Syndicat Mixte de production d’eau de Kerne Uhel dispose d'une installation de traitement capable de produire 12 000 m³/j au débit nominal de 600 m³/h (voir la figure 1 présentant la filière de traitement), à partir de l'eau prise dans une rivière alimentée par une retenue distante de quelques kilomètres.

[Photo : Fig. 1 – Filière de traitement]

Le traitement comprend successivement les opérations suivantes :

  • • préoxydation au bioxyde de chlore, suivie d'une injection de chaux et de permanganate de potassium selon la présence du manganèse ou non dans l'eau brute,
  • • tamisage,
  • • répartition de l'eau additionnée de sulfate d’alumine et d’adjuvant de floculation sur deux décanteurs « Pulsator »,
  • • filtration sur quatre filtres à sable,
  • • ozonation,
  • • reminéralisation (chaux + CO₂),
  • • désinfection finale au chlore avant stockage et distribution.

Le constructeur avait préconisé une floculation au sulfate d’alumine avec correction du pH à la chaux et injection complémentaire d’alginate, pratique qui conduisait à une mauvaise cohésion de la boue et interdisait le fonctionnement des décanteurs au-delà de 1 m/h ; elle fut donc abandonnée.

L’exploitant (SAUR) mit en œuvre une solution de rechange en effectuant une coagulation aux sels de fer (chlorure ferrique, chlorosulfate ferrique), avec correction du pH à la chaux et injection complémentaire d’amidon. Cette méthode permit de renforcer la cohésion des boues ; toutefois, elle présentait deux inconvénients :

  • • régulation du pH sur une plage étroite avec solubilisation partielle de fer, et apparition d’eaux rouges en distribution ;
  • • pH optimum de floculation acide (5,3-5,4) avec dégradation du béton.

À la suite d’essais d'orientation réalisés en laboratoire et afin de résoudre le problème, le Syndicat, la DDAF des

[Photo : Fig. 2 – Caractéristiques de l’eau brute : turbidité, couleur, température]
[Photo : Fig. 3 – Caractéristiques de l’eau brute : fer, manganèse, ammoniaque]
[Photo : Fig. 4 – Autres caractéristiques de l’eau brute.]

Côtes-d’Armor et la SAUR entreprirent auprès du Ministère chargé de la Santé une démarche pour demander l’autorisation d’utiliser, à titre d’essais, sur une durée limitée (de juin à décembre 1985, renouvelée de janvier à juin 1986) certains polyélectrolytes anioniques de synthèse comme adjuvants de floculation au sulfate d’alumine.

Présentation de l’étude

Le Ministère chargé de la Santé, désireux de recueillir des données complémentaires sur l’utilisation des polyélectrolytes dans la production d’eau potable, a accueilli favorablement notre demande et établi un protocole d’essais sous contrôle de la DDASS des Côtes-d’Armor et avec la participation du Laboratoire de l’École de la Santé de Rennes.

[Photo : Fig. 5 – Évolution de la teneur en aluminium.]

Tableau I – Caractéristiques principales des polymères utilisés

Caractéristiques AH 912 (poudre) AN 910 (poudre)
Anionicité (% moles) 3 10
Poids moléculaire (millions) 15 15
Densité apparente 0,80 0,80
Viscosité (cps) à 5 g/l 100 900
Viscosité (cps) à 1 g/l 20 200
Monomère acrylamide (ppm) < 500 < 500

Les polyélectrolytes AN 910 et AH 912 de qualité « alimentaire » fournis par la Société Floerger ont été sélectionnés à cet effet (tableau I). Il s’agit de polyacrylamides à faible taux d’anionicité (3 à 10 %) et à faible teneur en monomère acrylamide (moins de 500 ppm). Un taux de traitement dans l’eau de 0,1 g/m³ en polyélectrolyte conduit donc au plus à 50 µg/m³ d’acrylamide. Après des tests d’orientation, seul le polyélectrolyte AN 910 a été retenu pour la suite des essais.

Les essais ont porté sur une année, de façon à rencontrer toutes les situations saisonnières. Les paramètres suivants ont été régulièrement contrôlés en eau brute, eau décantée, eau filtrée et eau traitée :

  • aluminium total et soluble
  • oxydabilité au permanganate en milieu acide
[Photo : Fig. 6 – Carbone organique total.]
[Photo : Fig. 7 – Oxydabilité.]
[Photo : Suivi d’un cycle de filtration.]
  • - température
  • - pH
  • - TH
  • - TAC
  • - turbidité
  • - fer
  • - manganèse
  • - couleur
  • - ammoniaque
  • - COT

Les lots de polyélectrolyte utilisés ont été contrôlés vis-à-vis du taux d’acrylamide libre. Des mesures complémentaires sur les métaux lourds et quelques éléments tels que détergents anioniques, phénols, hydrocarbures ont été recherchés sporadiquement. Le comportement de la boue dans le décanteur a été examiné par des mesures de coefficient de cohésion. Le colmatage des filtres à sable a fait l’objet de suivi des courbes de pression au cours de différents cycles, à différents niveaux du lit de sable.

Nous donnons ci-après les résultats des essais réalisés.

**Principales caractéristiques de l’eau brute** (figures 2, 3 et 4)

Turbidité NTU : 2 à 5  
Couleur mg/l Co-Pt : 60 à 110  
TAC °F : 1,8 à 2,2  
TH °F : 1,8 à 3,5  
pH : 6,4 à 7,9  
Fer mg/l : 0,1 à 1  
Mn mg/l : 0,06 à 0,15  
NH₄⁺ mg/l : 0,1 à 0,5  
Oxydabilité KMnO₄ O₂ mg/l  
  • acide : 6 à 18,5  
  • alcalin : 5 à 12  
• COT mg/l : 4 à 14,5
[Photo : Courbes des pressions dans le lit de sable au cours de la filtration.]

**Action sur la cohésion de la boue et sur l’eau traitée**

Le résultat le plus marquant est l’action du polyélectrolyte sur la cohésion de la boue résultant de la floculation dans les décanteurs. Ces derniers, grâce au polyélectrolyte, peuvent être exploités à leur débit nominal sans entraînement du lit de boue (très important pour un décanteur à lit de boue pulsé). Cette amélioration entraîne une qualité d’eau traitée accrue vis-à-vis des teneurs résiduelles en aluminium, en turbidité et en matières organiques. Ainsi, pour des taux de traitement optimaux en sulfate d’alumine de 80 à 85 g/m³ (exprimés en Al₂(SO₄)₃·18 H₂O), le taux de polyélectrolyte nécessaire à l’obtention d’une boue à bonne cohésion (coefficient de cohésion de l’ordre de 0,75 à 0,8) se situe entre 0,1 et 0,2 g/m³. Il est intéressant de noter que l’arrêt d’ajout de polyélectrolyte entraîne une chute du

[Photo : Mesure du coefficient de cohésion de la boue (K). 1re série de mesures.]
[Photo : Mesure du coefficient de cohésion de la boue (K). 2e série de mesures.]

coefficient de cohésion des boues à 0,3 (voir notre annexe sur la mesure du coefficient K – figures 10 et 11).

En périodes les plus défavorables (eaux froides en hiver et apparition d’algues en été), le traitement a nécessité 100 mg/l en sulfate d’alumine et 0,3 g/m³ en polyélectrolyte.

La turbidité de l'eau décantée est généralement demeurée inférieure à 1 NTU, et celle de l'eau traitée inférieure à 0,5 NTU.

L'eau traitée présentait les caractéristiques moyennes suivantes (figures 5, 6 et 7) :

  • - couleur inférieure à 5 mg/l de Co-Pt,
  • - fer : inférieur à 0,05 mg/l,
  • - manganèse : inférieur à 0,03 mg/l,
  • - aluminium : inférieur à 0,100 mg/l (sauf 2 à 3 points résultant de sous-dosage en floculant),
  • - oxydabilité au KMnO₄ en milieu alcalin : inférieur à 1,5 mg/l,
  • - COT : inférieur à 4 mg/l.

La présence d’acides humiques difficiles à floculer conduit à une oxydabilité résiduelle au KMnO₄ irréductible, non négligeable principalement en période estivale. Toutefois, l’abattement de l'oxydabilité au KMnO₄ par la filière de traitement représente toujours plus de 75 %.

Action sur la filtration

Au niveau de la filtration, les suivis de perte de charge et turbidité résiduelle (figures 8 et 9) montrent un encrassement des filtres à sable essentiellement sur les 35 premiers centimètres du lit.

Les filtres atteignent leur perte de charge admissible (25 h) avant de « percer » en turbidité (33 h) ; toutefois, il faut noter un accroissement du pouvoir colmatant de l'eau avec l’ajout de polyélectrolyte, puisqu’en l'absence de ce dernier, bien que la qualité de l'eau décantée soit détériorée par des micro-flocs, la durée de cycle de filtration pour atteindre la perte de charge admissible est aussi de 25 h.

[Encart : Signification, mesure et interprétation du coefficient de cohésion K d’une boue L'examen de la cohésion d'un voile de boue renseigne sur la vitesse ascensionnelle à laquelle il est possible de faire fonctionner un décanteur à lit de boue fluidisé. La relation qui relie la vitesse ascensionnelle au volume apparent des boues en expansion s’écrit : v = K (E – 1) avec E = Ve/Vo (c’est-à-dire Volume expansé/Volume initial). La représentation graphique est une droite dont l'intersection avec l’axe des ordonnées donne directement le coefficient K, dit coefficient de cohésion de la boue en expansion. La mesure peut se faire aussi bien sur une boue générée en bécher que sur une boue prélevée dans un décanteur en fonctionnement. On utilise pour la détermination de K une éprouvette graduée dans laquelle un volume de boue décantée est soumis à différentes expansions par rajout continu de petits volumes d'eau. Le calcul de la vitesse ascensionnelle v pour chaque cas étudié permet de tracer la droite : v = K (Ve/Vo – 1) L'interprétation de ce coefficient est souvent délicate dans la mesure où le coefficient réel mesuré sur une boue produite par un décanteur est généralement différent de celui obtenu par floculation en bécher. On peut néanmoins prévoir la vitesse limite de marche d’un décanteur à partir des essais menés en laboratoire (figures 10 et 11).]

Conclusion

Pour ce type d’eau (peu minéralisée, stockée dans une retenue) et pour ce type de décanteur (à lit pulsé de boue), l’ajout de polyélectrolyte anionique de synthèse s’est révélé incontestablement bénéfique vis-à-vis :

  • - de la stabilisation du lit de boue dans le décanteur ;
  • - de la qualité de l’eau traitée (résiduels de turbidité et d’aluminium).

En outre, cette expérience, complétée par d'autres essais conduits par ailleurs, a contribué à aider le Conseil supérieur d’Hygiène publique de France à se prononcer favorablement pour l’emploi de ces produits en production d’eau potable.

Il reste néanmoins à ajouter ce type de floculant dans la liste officielle de ceux déjà autorisés pour traiter les eaux destinées à la consommation humaine, ce qui tarde à venir.

En attendant cette formalité administrative qui semble se prolonger, l’utilisation des polyélectrolytes anioniques de synthèse peut toujours faire l’objet d'une demande d’autorisation auprès du Ministère chargé de la Santé (procédure temporaire mais, selon nous, lourde et non justifiée) et rendre ainsi un précieux service au traiteur d’eau pour améliorer la qualité de l'eau produite par ses installations.

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