L’analyse des eaux de différents ateliers de la raffinerie d’huile végétale Sogedia située à Annaba (Algérie) a mis en évidence leur contamination considérable par des substances organiques et minérales. Ces impuretés ainsi que le pH élevé des eaux usées rejetées dans la mer entraînent sa pollution. Des expériences de flottation ont montré que cette méthode permet de réduire la teneur des substances organiques en suspension d’environ 55 %, pour des eaux en contenant jusqu’à 20 g/l.
La raffinerie d’huile SOGEDIA traite mensuellement quelque 90 tonnes d’huiles brutes de colza et de tournesol. L’huile brute est débarrassée de ses impuretés en la soumettant à un traitement aux acides phosphorique et sulfurique, puis à la soude, suivi de sa décoloration par mise en contact d’un adsorbant solide, et de sa désodorisation obtenue par distillation sous vide à haute température et par injection d’eau.
Le contrôle du fonctionnement des ateliers principaux a mis en évidence la formation d’une quantité importante de déchets solides et liquides qui sont, en majeure partie, rejetés dans la mer sous la forme soit de solutions, soit d’émulsions organiques ou minérales. Les déchets ainsi entraînés subissent relargage et hydrolyse, dégageant sous l’action de facteurs naturels (rayonnement solaire, oxygène de l’air) des odeurs nuisibles. Par ailleurs les processus d’oxydation des constituants organiques des déchets s’effectuant en mer y réduisent considérablement la teneur en oxygène, ce qui limite sérieusement les possibilités de vie et de développement des organismes vivants habitant dans la baie. Les produits de relargage des constituants organiques des déchets aussi bien que certains de leurs sels minéraux polluent, sous forme de dépôts étrangers, le fond de la baie tandis que les composants flottants constituent un obstacle au transfert des gaz à l’interface eau-air et favorisent la diffusion de la pollution.
La possibilité d’autres conséquences fâcheuses n’est pas à écarter.
Analyse des principales eaux de la raffinerie
Le tableau I reproduit la composition minérale des principales eaux de la raffinerie.
On peut y constater que la composition de l’eau de ville consommée à l’atelier de raffinage (échantillon 1) se distingue peu de l’eau potable ordinaire utilisée à l’Université d’Annaba (échantillon 7), par exemple. Les différences dans la composition des deux échantillons ont certainement pour origine leurs provenances distinctes ainsi que l’état technique différent des conduits correspondants.
L’eau de refus de la chaudière (échantillon 2) se caractérise par sa teneur élevée en chlorures et sulfates dont les causes ne peuvent être décelées qu’après étude approfondie de la technologie de son traitement.
Notons que la composition de l’eau technologique de la raffinerie traitée par les ionites a mis en évidence une assez bonne efficacité de ce traitement (réduction de la dureté due aux carbonates) en même temps que la mauvaise qualité de la filtration de l’eau après son traitement (augmentation considérable de la masse de résidu sec comparativement aux échantillons 1 et 7).
Si toutes ces eaux ne peuvent occasionner la pollution provoquée par le fonctionnement de la raffinerie, il en va autrement des eaux des échantillons 3 à 6.
Les eaux de lavage de la pâte de neutralisation sont décantées après décomposition à l’aide d’un traitement par H₂SO₄ à chaud (échantillon 3). Ces eaux se distinguent par leurs concentrations élevées en sulfates (supérieure à 40 g/l) et en substances organiques (perte au feu supérieure à 20 g/l).
TABLEAU I
Résultats d’analyse de quelques eaux (consommations, technologie, effluent) de la raffinerie d’huile Sogedia de Annaba.
Échantillon n° |
Caractéristiques 1 2 3 4 5 6 7 |
Na⁺, mg/l 12,0 | 36,1 | 37,1 | 38,0 | 30,0 | 47,0 | 14,5 |
Ca²⁺, eq.mg/l 0,125 | 0,105 | 0,323 | 0,200 | 0,150 | 0,200 | 2,640 |
Mg²⁺, eq.mg/l 3,420 | 0,201 | 1,750 | 0,310 | 0,690 | 3,230 | 2,560 |
HCO₃⁻, mg/l 549 | 170,8 | 378,2 | 183,0 | 341,6 | 97,6 |
Cl⁻, mg/l 573 | 520,9 | 426,0 | 573,6 | 37,2 | 220,8 | 134,9 |
SO₄²⁻, mg/l 363,0 | 637,6 | 428,0 | 573,0 | 442,9 | 301,2 | 175,3 |
Dureté globale, eq-mg/l 3,54 | 7,70 | 2,08 | 10,52 | 1,14 | 3,44 | 4,81 |
Dureté temporaire, eq-mg/l 1,98 | 3,85 | 0,55 | 6,03 | 1,65 | 2,54 | 0,58 |
Résidu sec, mg/l 277 | 145 | 75 782 | 148 622 | 10 319 | 255 | 387 |
Résidu calciné, mg/l 136 | 48 | 54 529 | 93 362 | 3 023 | 74 | 223 |
Perte au feu, mg/l 141 | 97 | 21 253 | 55 260 | 7 296 | 181 | 164 |
1 — eau de ville 2 — eau de refus de la chaudière 3 — eau de décomposition de la pâte 4 — eau de lavage des huiles 5 — eau de lavage des cylindres 6 — eau résiduaire de l’atelier de raffinage 7 — eau potable de l’Université de Annaba
Les eaux savonneuses, séparées au niveau de la centrifugeuse après traitement des huiles par les réactifs (échantillon 4), renferment également de grandes quantités de matières organiques (plus de 55 g/l) et de sels minéraux (plus de 93 g/l) dont les phosphates constituent évidemment la majeure partie ; les sulfates y figurent aussi en quantités importantes.
Des quantités assez grandes de sels minéraux (plus de 3 g/l) et de matières organiques (plus de 6,5 g/l) ont été détectées dans les eaux de lavage des cylindres de l’unité (échantillon 5).
Quant à l’eau de l’égout de l’atelier de raffinage (échantillon 6), on peut noter sa concentration relativement faible en sels minéraux et en matières organiques comparativement aux autres eaux analysées ; cette diminution est évidemment liée au phénomène de dilution.
Il est utile de noter que l’activité de la raffinerie s’accompagne de la formation d’autres eaux polluées (solutions provenant de la régénération des ionites, eaux de lavage des filtres servant à la décoloration des huiles, eaux des pompes à vide). Il faut indiquer également le passage périodique dans les eaux résiduaires de l’unité de quantités considérables de pâte (au stade de la neutralisation de l’huile), de terre décolorante et d’acides gras libres (au niveau du processus de traitement acide de la pâte).
Quelques propositions
Les résultats ainsi accumulés permettent de proposer les mesures suivantes dont la réalisation, même partielle, permettrait de réduire considérablement la pollution de l’eau de mer due à l’activité de la raffinerie.
- — observation stricte du règlement technologique existant, et en particulier l’arrêt absolu de l’évacuation dans la mer de la pâte de neutralisation de l’huile ;
- — exploitation des eaux acides (eau de chaudron par exemple) pour la neutralisation contrôlée des eaux usées alcalines ;
- — réinjection des eaux usées de certains processus (eau des pompes à vide ; eau de refroidissement de l’appareillage) pour la réalisation des autres étapes de la chaîne technologique ;
- — régénération et réutilisation, pour la décoloration de l’huile, de l’adsorbant usé ;
- — élimination maximale des impuretés solides (par sédimentation, filtration, centrifugation, etc.) des eaux usées à tous les niveaux de la technologie de l’unité ;
- — montage d’une installation compacte de dégraissage (exemple : flottation) ou de détoxication (exemple : incinération) des eaux d’égout de la raffinerie, considérées soit dans leur ensemble, soit séparément ;
- — stockage des eaux résiduaires présentant une alcalinité excessive en vue de leur utilisation ultérieure pour la neutralisation des eaux acides des égouts des autres entreprises situées sur le territoire de la Wilaya d’Annaba.
Analyse de l’eau de mer
Les produits énumérés sont entraînés par les eaux de l’égout et s’accumulent surtout dans le bassin de la station maritime de Annaba avec les conséquences déjà évoquées.
Signalons le pH élevé des eaux de l’égout (pH : 11,6) de la raffinerie qui entraîne la modification du pH de l’eau de mer (jusqu’à 7,7).
Nous avons analysé des échantillons d’eau de mer pris, en différentes profondeurs, en divers points de la station maritime. Les résultats obtenus font ressortir la présence, en tous les points
examinés, de substances organiques flottantes, en suspension, et dissoutes à des concentrations importantes pouvant atteindre cinq millions de fois (5.10^6) les concentrations maximales admissibles les plus strictes en produits pétroliers pour les eaux de bassins destinées à l'utilisation courante et sanitaire. Ces substances organiques constituent la composante la plus importante des déchets liés aux activités de la raffinerie. Dans ces conditions, l’élaboration de mesures pour l'épuration des eaux polluées du port et surtout de celles du bassin de la station maritime devient d'une nécessité évidente.
Essai d'application de la flottation à l'épuration de l'eau de mer
Les procédés d’élimination des impuretés organiques des milieux aqueux sont très variés [1-3] et présentent individuellement aussi bien des avantages que des inconvénients. Le procédé de traitement de très grandes quantités de liquide devant être simple tout en permettant une efficacité acceptable au moindre coût, nous avons étudié au laboratoire les possibilités d'application de la flottation à l'épuration de l'eau de mer du bassin de la station maritime.
Pour vérifier l'efficacité du traitement, des extractions ont été opérées par de l'hexane et par du CCl₄ sur des échantillons d'eaux brutes et épurées, puis l'extrait et le raffiné ont été analysés dans chaque cas. La comparaison des valeurs des pertes au feu met en évidence une réduction importante de la teneur des substances organiques dans les extraits relatifs aux échantillons d’eau traitée (la valeur moyenne de l'efficacité de traitement est de 85,72 %), et dans les raffinés correspondants (la valeur moyenne de l'efficacité du traitement est de 54,15 %). Notons également que l'eau de mer polluée devient sensiblement transparente après son traitement par flottation.
Si les résultats acquis avec une petite station de laboratoire doivent sans aucun doute être confirmés sur des installations plus grosses, ils ne prouvent pas moins la possibilité de principe de purification des eaux polluées marines à l'aide du procédé ordinaire de flottation. Par ailleurs un choix astucieux du site pour édifier une installation de flottation des plus simples à prix de revient raisonnable, permet de minimiser les frais de transport et d’envisager l'application de ce procédé à des masses considérables d’eau polluée. L'efficacité du traitement peut atteindre 55 % pour une eau contenant jusqu’à 20 g/l de substances organiques en suspension ; le volume d’air utilisé en cours de traitement est estimé dans ce cas à 24,6 m³ pour 1 000 m³ d'eau de mer polluée, la charge hydraulique spécifique pouvant atteindre 19,5 m³ (m² × h) en régime de fonctionnement optimal de l’installation.
Conclusion
L'analyse d’une série d’échantillons d’eau pris en différents points du processus technologique de la raffinerie d’huile Sogedia a permis de mettre en évidence les plus dangereux d’entre eux quant à la pollution de l'eau de mer de la baie d’Annaba. Les résultats analytiques ont permis de proposer une série de mesures dont la réalisation permettrait la réduction de cette pollution. L’analyse de l'eau de mer a montré une modification du pH, et une augmentation de la quantité de matières en suspension qui atteint 257 g/l auprès de la sortie des effluents de l’usine.
Les essais de décontamination partielle de l’eau à l'aide du procédé de flottation, réalisés en laboratoire, montrent qu’on peut facilement et à coût modéré diminuer la teneur en polluants dans les eaux usées de la raffinerie ainsi que dans l'eau de mer ; l'efficacité du traitement pouvant atteindre 55 % pour une eau contenant jusqu’à 20 g/l de substances organiques en suspension. Le volume d’air utilisé pour ce traitement a été estimé à 24,6 m³ pour 1 000 m³ d’eau de mer.
BIBLIOGRAPHIE
[1] Société Degrémont, Mémento technique de l'eau, Technique et Documentation, 8e édition, Lavoisier, Paris (1978).
[2] R.L. Bolton, L. Klein, Sewage treatment — Basic principles and trends, Butterworths (1971).
[3] J.C. Block, Point sur l’épuration et le traitement des effluents, Lavoisier, Paris (1988).