L'idée d’un ciment résistant au sulfate de calcium date de Vicat (1864) ; il proposa des combinaisons ayant un rapport stœchiométrique : (Al2O3 + SiO2) > 1 (CaO + MgO)
A. MATHIEU (Lafarge Fondu International) P. SOUKATCHOFF (Pont-à-Mousson)
L'idée d’un ciment résistant au sulfate de calcium date de Vicat (1864) ; il proposa des combinaisons ayant un rapport stœchiométrique :
(Al2O3 + SiO2) > 1 (CaO + MgO)
En même temps, Ebelmann (1848) et Sainte-Claire-Deville (1856) synthétisèrent les premiers des aluminates de calcium. Au début du XXe siècle, M. Bied (1898) fit des recherches sur les ciments résistant aux sulfates ; il fabriqua des ciments à base d’aluminates de calcium au lieu de silicates de calcium (ciment Portland), dont la composition concordait avec les propositions de Vicat.
Ses travaux ont conduit à un brevet concernant la fabrication de ciment alumineux grâce à un mélange de calcaire et de bauxite ou autres minéraux riches en aluminium, à faible teneur en silice.
FABRICATION DU CIMENT ALUMINEUX
Le ciment alumineux est obtenu en faisant fondre un mélange de bauxite et de calcaire dans un four réverbère comportant deux parties.
Les matières premières, sous forme de blocs, sont introduites dans la partie verticale du four et sont préchauffées par les gaz de combustion. Ensuite, elles sont fondues dans une chambre à fusion, sous une flamme.
Le clinker fondu est évacué dans un bain de lingotières dans lesquelles il se solidifie. Il est ensuite broyé et ensaché.
HYDRATATION DES CIMENTS CONTENANT DE L’ALUMINE
L'hydratation des ciments alumineux se distingue fondamentalement de celle des ciments Portland (tableaux 1 et 2) :
Tableau 1 : Composition chimique et minéralogique du ciment Portland et du ciment alumineux
Ciment | Composition chimique (%) | Composition minéralogique (1) | ||||
---|---|---|---|---|---|---|
SiO2 | CaO | Al2O3 | FeOx | CaSO4 | ||
Portland | 20-21 | 60-63 | 6-9 | 3 | 3-5 | C3S, C2S |
Alumineux type Fondu | 4-5 | 38-39 | 16,5 | – | – | CA, C2AS – Ferrite, C12A7 |
(1) Légende : C = CaO, A = Al2O3, S = SiO2, F = oxyde de fer, S̅ = SO3 CA : aluminate de calcium, C3S : trisilicate de calcium
Tableau 2 : Comparaison des activités hydrauliques des silicates de calcium et des aluminates de calcium
Phase | CS | C2S | C3S | C4AF | CA12 | CA | C2A | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Réactivité | Inerte | Lente | Rapide | Instantanée | Très rapide | Très rapide | Rapide | Lente |
Lors de son hydratation, le ciment Portland libère de la chaux hydratée (Portlandite) qui, carbonatée par le CO2 atmosphérique, provoque le comportement défavorable des bétons vis-à-vis des solutions agressives, particulièrement des acides ; en comparaison, l’hydratation des ciments alumineux est complètement différente : elle se déroule en plusieurs étapes y compris une transformation cristalline des hydrates, connue sous le nom de « conversion », définie ci-après :
20 °C CA + 10 H → CAH10 t > 30-35 °C ½ C2AH8 + ½ AH3 + 9/2 H → 1/3 C3AH6 + 2/3 AH3 + 6 H
La conversion du CAH₁₀ (structure hexagonale) en C₃AH₆ (structure cubique stable) se fait par libération de gibbsite AH₃ et d’eau libre. La conversion des aluminates nécessite un certain temps à 20 °C et s'accélère au fur et à mesure que la température augmente. La libération de gibbsite AH₃ est un facteur positif pour la résistance du ciment alumineux vis-à-vis des eaux agressives et plus particulièrement vis-à-vis des acides ; cependant, la formation d'eau est un facteur négatif qui augmente la porosité du béton et peut entraîner une diminution des résistances mécaniques.
Les hydrates hexagonaux se formant lors de la conservation à la température ambiante peuvent se transformer en hydrates cubiques. Dans le cas de températures inférieures à 25 °C, la transformation est extrêmement lente et peut nécessiter des années avant d'être complète ; dans le cas de températures plus élevées, la vitesse de transformation augmente : à 40 °C elle se déroule en quelques mois. Elle n’est pas réversible.
La formation d'hydrates (métastables) hexagonaux nécessite plus d’eau que celle des cubiques (stables) ; il s’ensuit que de l'eau est libérée lors de la conversion. De ce fait, il est important que le rapport eau/ciment ne soit calculé que pour l'hydratation du ciment dans la structure cubique. Lorsque les conditions de conservation provoquent au départ la formation d’hydrates hexagonaux, l’eau libérée lors de la conversion ultérieure peut être absorbée par l’hydratation des grains de ciment non hydratés. Dans ce cas, l’augmentation de la porosité sera faible, ainsi que la diminution de la résistance liée à la libération de l’eau. Le rapport eau/ciment nécessaire à l’hydratation du ciment alumineux sous forme cubique est d’environ 0,35. Cette valeur est appelée rapport E/C critique. De nombreux travaux ont montré qu’un rapport E/C de 0,4 est une limite pratique utilisable qui garantit une résistance du béton après la conversion supérieure à 40 MPa.
COMPORTEMENT CHIMIQUE DU MORTIER DE CIMENT ALUMINEUX
DOMAINE ET LIMITES D’APPLICATION
À l'origine, le ciment alumineux a été développé en raison de sa bonne tenue aux sulfates, à l'eau de mer et aux effluents industriels. Le ciment alumineux présente un meilleur comportement que le ciment Portland face à ces substances agressives. On peut considérer qu'une des raisons de cette situation réside dans le fait que les hydrates de ciment alumineux sont moins solubles dans les acides minéraux que ceux du ciment Portland ; toutefois, le comportement d’un béton ou d’un mortier ne dépend pas exclusivement de ses constituants, mais également de sa structure (porosité, perméabilité, taille des pores et de leur distribution).
Le béton fabriqué avec du ciment alumineux avec un rapport E/C inférieur à 0,40 n’est que faiblement poreux, même après conversion, car parallèlement à la conversion, il y a hydratation des grains non encore hydratés, ce qui a comme conséquence une diminution de la porosité.
Tenue aux acides dilués
Des essais d’immersion de prismes de mortier de dimension 2 × 2 × 10 cm dans une solution d’acide sulfurique renouvelée tous les jours (pH = 3) permettent de faire une comparaison entre le ciment alumineux et le ciment de haut fourneau avec 74 % de laitier. Les deux mortiers ont un rapport sable/ciment de 1,6 et la même fluidité, qui correspond à un rapport E/C du ciment alumineux de 0,30.
Les échantillons ont été stockés de la manière suivante : — 24 heures à l’air, à 90 % d’humidité relative, — 13 jours à 20 °C, à 50 % d’humidité relative, — 14 jours dans l’eau, à 20 °C pour le ciment de haut fourneau, à 38 °C pour le ciment alumineux (afin d’atteindre un taux de conversion de 50 %).
Le critère utilisé pour l’évaluation est la perte de poids des échantillons en fonction du temps. Les courbes de la figure 1 résument les résultats obtenus. On constate que le ciment alumineux à moitié converti a un meilleur comportement à pH 3 que le ciment de haut fourneau. Les pertes de poids sur neuf mois sont très faibles : 2 % avec des granulats silicieux, contre 6,5 % pour le ciment de haut fourneau. À cet égard, le point le plus important semble être le caractère asymptotique de la courbe de corrosion pour les mortiers de ciment alumineux avec granulats silicieux, alors que les courbes pour le ciment de haut fourneau sont croissantes linéairement.
Tenue aux bases fortes
Afin d’établir le comportement du ciment alumineux face aux bases fortes, on a déterminé la perte de poids d’échantillons de mortier de ciment alumineux de taille 2 × 2 × 10 cm qui étaient trempés dans des solutions de soude et d’ammoniaque. L’agrégat (0 à 4 mm) se compose de quartz ; le rapport sable/ciment se situe à 0,5.
Les conditions de mûrissement sont les suivantes : A — un jour à 20 °C, 90 % d’humidité relative + 27 jours à 20 °C dans l’eau, ciment alumineux non converti ;
un jour à 20 °C, 90 % d’humidité relative + 13 jours à 20 °C sous eau, 14 jours à 38 °C sous eau, ciment alumineux semi-converti ;
5 jours sous eau à 38 °C après gâchage — ciment alumineux complètement converti.
Dans la soude caustique à pH 14, l’attaque est très rapide : en l’espace de 20 jours, on note une perte de poids de 2,3 %. Après 400 jours il se produit une stabilisation de la perte de poids à 9 %. Dans le cas d’un pH de 13 (NaOH) l’attaque est similaire. Au cours des premiers jours elle se développe très vite pour se stabiliser ensuite. La perte de poids après 360 jours se situe autour de 5 %. Dans le cas de NaOH à pH 11, la perte de poids après 100 jours se situe entre 2 et 3 %; après plus de 250 jours, on ne constate pratiquement plus d’attaque ; après 360 jours, la perte de poids est d’environ 3 %. L’échantillon A non converti se comporte légèrement mieux (figure 2). Dans le cas de l’ammoniaque à pH 13, les mortiers de ciment alumineux ne présentent pas de perte de poids. On peut même constater une légère augmentation (figure 3).
Ces résultats démontrent que le facteur le plus déterminant, lors de l’attaque d’un mortier de ciment alumineux, est la nature de l’alcalin de la solution plus que la valeur du pH.
[Figure : Fig. 2 – Pertes de masse mesurées sur prismes de mortier de ciment alumineux immergés dans une solution de soude (pH = 11).] [Figure : Fig. 3 – Variation de masse de prismes de mortier de ciment alumineux dans une solution d’ammoniaque (pH = 13).]Essais sur des revêtements intérieurs de tuyaux présentant des fissures
On a procédé à des essais sur la tenue des revêtements de tuyaux de fonte à l’égard d’une action goutte à goutte d’acide sulfurique (pH 3), ceci en présence de fissures variées de 0,1, 0,4 et 0,6 mm, créées sur le revêtement de mortier de ciment alumineux de tuyaux DN 150. Après 4 mois et demi d’essai, on a pu constater que l’échantillon fissuré sur 0,6 mm de largeur présente une attaque de la partie fonte, l’acide ayant pénétré entre le mortier de ciment et le tuyau de fonte ; par contre, les tuyaux présentant des fissures d’une largeur de 0,1 à 0,4 mm n’ont donné lieu à aucune corrosion de la fonte.
Simulation de la corrosion par de l’hydrogène sulfuré dans des canalisations d’assainissement
Les essais ont été réalisés sur des échantillons de tuyaux de fonte de DN 100 et de 450 mm de longueur qui avaient été revêtus intérieurement de mortier par centrifugation ; quatre types différents de ciments ont été utilisés :
- — un ciment de haut fourneau (70 % de laitier),
- — un ciment de laitier (80 % de laitier),
- — le ciment alumineux Lafarge,
- — un ciment Portland.
Les échantillons ont été alignés horizontalement, obturés aux extrémités avec des plaques en plexiglas et remplis au tiers d’eaux usées.
Les échantillons étaient reliés les uns aux autres par des tuyaux en polyéthylène de DN 25. Ces tuyaux passaient à travers les plaques des extrémités et étaient parcourus par un courant d’air à 400 l/h contenant 100 ppm de H₂S. La partie inférieure des tuyaux d’essai reposait dans un bain d’eau à 37 °C. Le refroidissement de la génératrice supérieure du tuyau provoquait la formation d’eau de condensation et assurait une certaine humidification du ciment se trouvant au-dessus du niveau des eaux usées. Ces dernières constituaient un milieu de culture pour les bactéries, alors que le bain d’eau chaude à 37 °C garantissait des conditions favorisant les réactions bactériennes.
L’essai a duré deux années au cours desquelles le niveau des eaux usées a été maintenu constant grâce à des apports réguliers. Au cours de cette période, on a pu constater une formation importante de condensats dans la zone supérieure du tuyau, ce qui a provoqué pratiquement un lavage permanent. Au niveau de l’eau et un peu au-dessus, du sulfate de calcium s’est cristallisé, de même que sur la surface du tuyau baignant dans les eaux usées, ainsi qu’on a pu le constater à la fin des essais ; au niveau de la ligne d’eau, et 1,42 cm au-dessus, il existait en outre, pour la plupart des mortiers, un certain gonflement et une fragilisation du revêtement. Au-dessus de cette zone, le ciment avait gardé son aspect initial.
On a ensuite rincé les échantillons à l’eau, et on les a légèrement brossés : dans tous les cas la laitance s’enlevait facilement des surfaces maintenues constamment humides ; à la partie supérieure, exposée à une formation d’eau de condensation, la laitance était inchangée.
Au niveau de l’eau, et un peu au-dessus, tous les mortiers, à l’exception du mortier de ciment alumineux, étaient friables. Le mortier se détachait en passant simplement la brosse. Après nettoyage, les agrégats du mortier encore adhérents étaient mis à nu.
Le tableau 3 donne un aperçu des profondeurs de pénétration de la corrosion dans la zone du niveau d’eau, et cela pour différents types de mortier.
Tableau 3 : profondeur de la corrosion de différents revêtements intérieurs au ciment
N° | Type de ciment | Profondeur de la corrosion au niveau de l'eau |
---|---|---|
1 | Ciment de haut fourneau | 1,78 à 2 mm |
2 | Ciment de laitier | 2,4 à 2,7 mm |
3 | Ciment alumineux | 0,6 mm (enlèvement de la laitance) |
4 | Ciment Portland | 1,9 à 2,3 mm |
Les photos de la figure 4 illustrent cette corrosion, surtout au niveau de la ligne d'eau.
La détérioration des mortiers de ciment par réoxydation de l’hydrogène sulfuré peut être constatée, comme souvent dans la pratique, dans la zone située juste au-dessus du niveau d’eau, laquelle reste humide par effet capillaire. Sur les surfaces se trouvant au-dessus de cette zone où il y avait eu de la condensation, le matériau était resté intact, sans doute en raison de la condensation qui avait comme conséquence un lavage permanent des parois. À l'exception du ciment alumineux, tous les types de ciments présentaient une corrosion notable dans la zone du niveau d’eau.
Conclusion concernant le domaine d’application
En raison des résultats d’essais précités, et des résultats probants dans la pratique, on peut dire que les limites d’utilisation pour les tuyaux et raccords revêtus intérieurement d’un mortier de ciment alumineux se situent, dans le cas des effluents domestiques, dans le domaine de valeur de pH allant de 4 à 12. La valeur limite inférieure du pH (en milieu acide) a d’ailleurs été également recommandée par C.M. George (1) et dans le manuel concernant le choix et l'utilisation des ciments hydrauliques, établi par l’American Concrete Institute (2).
TECHNIQUE D’APPLICATION DU REVÊTEMENT DE MORTIER DE CIMENT SUR LES TUYAUX DE FONTE
Le mortier utilisé pour le revêtement intérieur des tuyaux de fonte est composé de ciment, de sable quartzeux (plus de 90 % SiO₂) et d’eau ; la composition du mortier est caractérisée par le rapport sable/ciment et par le rapport eau/ciment.
Centrifugation
On introduit le mortier dans le tuyau positionné horizontalement : lors de la phase de centrifugation, le mortier est lui-même centrifugé. Les paramètres essentiels du procédé sont : vitesse maximale de rotation, temps de rotation, les vibrations et leur apparition pendant le cycle. Pendant la phase de centrifugation, l'eau en excès est chassée, ce qui assure une bonne compacité du mortier.
L’épaisseur du revêtement intérieur de mortier de ciment des tuyaux d’assainissement est définie en France par la norme NF P 48-820.
Mûrissement
Pendant le mûrissement, le mortier de ciment s'hydrate et acquiert une bonne tenue mécanique. Pour la bonne hydratation du mortier il faut maintenir une atmosphère comportant une humidité relative d’au moins 90 %.
Propriétés caractéristiques du revêtement réalisé
La centrifugation produit une bonne compacité. Il se forme ainsi :
- un revêtement de mortier d’épaisseur régulière ayant une bonne tenue structurelle,
- une concentration de particules fines à la surface, ce qui procure au tuyau d’excellentes propriétés hydrauliques.
Après centrifugation, le facteur eau/ciment qui est de l’ordre de 0,28 à 0,30 assure de ce fait une faible porosité et une résistance mécanique très élevée.
Contrôle de qualité
Le contrôle de qualité des tuyaux de fonte revêtus intérieurement d’un mortier de ciment alumineux porte sur les éléments ci-après :
- les matières premières : ciment, sable (surtout mesure de la teneur en alcalins solubles et non solubles) ;
- le mortier frais : rapport sable/ciment, facteur eau/ciment ;
- le revêtement durci : aspect, tenue mécanique, adhérence du revêtement, épaisseur de la couche.
Les caractéristiques typiques des revêtements centrifugés en mortier de ciment alumineux sont les suivantes :
- densité : 2,25 à 2,30 g/cm³,
- porosité : 16 à 18 % vol,
- résistance mécanique à la compression après 28 jours > 450 kg/cm².
BIBLIOGRAPHIE
- (1) C.M. George : Structure and Performance of Cement S 424 (ASP 83). Edited by P. Barnes — Applied Science Publishers.
- (2) Guide to the selection and use of Hydraulic Cements ACI-Committee 225, Nov./Dec. 1985.
- (3) High Alumina Cements and Concrete — T.D. Robson. Ed. Singleton — Green.
- (4) Étude sur les ciments alumineux — R. Alègre — Revue des matériaux ciments et bétons n° 630, mars 1968.
- (5) Emploi du béton de ciment alumineux dans la construction — C.M. George — Revue des matériaux de construction n° 701, avril 1976.