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Réutilisation des eaux usées pour l'arrosage des espaces verts : maîtrise de la qualité sanitaire de l'eau aspersée ?

31 juillet 2009 Paru dans le N°323 à la page 39 ( mots)
Rédigé par : A. HUYARD, Éric BLIN, François BRISSAUD et 1 autres personnes

Cet article montre que la réutilisation des eaux usées traitées après un traitement de désinfection et le maintien de la qualité de l'eau au sein du réseau de distribution permettent d'arroser des espaces verts en garantissant une innocuité sanitaire pour les passants ou les riverains.

Depuis 100 ans, la réutilisation des eaux usées épurées fait l'objet de nombreux travaux de recherche et de développement. Des technologies permettant de désinfecter ces eaux ont été développées, mais ce développement en France est freiné par une réglementation qui peine à se mettre en place. Aucun cadre réglementaire européen n'est fixé ; les réflexions sont nourries par les travaux de l’OMS de 1989 ou de 2006, l'avis du Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France de 1991. En 2001, un projet d’arrêté a apporté des modifications significatives, requérant un traitement minimal des eaux usées, renforçant les exigences pour les paramètres biologiques (concentration en salmonelles) avec l'apparition d'une classe de qualité supérieure et un assouplissement des distances à respecter. L'AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments) vient de rendre un avis sur ce projet d’arrêté, permettant la réutilisation des eaux usées traitées à des fins d’arrosage en agriculture. L'AFSSET (Agence Française de Sécurité Sanitaire pour l'Environnement et le Travail) doit être saisie pour rendre également un avis notamment sur les possibilités d’arrosage d’espaces ouverts au public sans contrainte de distance.

Les conditions de sécurité sanitaire relatives à l’aspersion en milieu urbain constituent donc un enjeu majeur dans cette démarche environnementale.

Depuis 4 ans, le Centre de Compétence en Milieu Aquatique de Lyonnaise des Eaux/SDEI avec l'Université de Montpellier II et avec la participation du CIRSEE/SUEZ Environnement poursuit, sur le site du Grau-du-Roi, un ensemble de travaux ayant permis de :

  • - qualifier différentes chaînes de traitement de désinfection : lagunage, filtration + rayonnement UV, ultrafiltration,
  • - suivre l’évolution de la qualité microbiologique le long d’un réseau distribuant des effluents de la station d’épuration traités ou non par rayonnement UV.

Les travaux sur les différentes chaînes de traitements ont montré qu'il était possible d’obtenir une eau avec une qualité supérieure à celle demandée pour les eaux

Tableau 1

Élimination des germes et pathogènes d’une eau usée urbaine par différent traitement d’une eau usée urbaine clarifiée

Germes ou pathogènesFiltration + UVUltrafiltration ZENON
DCO36,8 ± 1,4423,4 ± 2,2
MES2,6 ± 20
Coliformes totaux11,4 ± 12< 1
Escherichia coli3,9 ± 11,6< 1
Entérocoques< 1< 1
Pseudomonas aeruginosa00
Salmonelle00
Œufs d’helminthes00
Cryptosporidium00
Giardia00
Norovirus00
Bactériophages ARN F< 1< 1
Clostridium60
Spores bactéries anaérobie sulfito-réductrices00

de baignade et exemptes de pathogènes. Le tableau 1 rassemble une synthèse des résultats obtenus en 2007.

Objectifs de l’étude

  • - Évaluer les risques de dégradation de la qualité microbiologique dans les stockages et les réseaux de distribution. En effet, les eaux recyclées sont encore chargées en matière organique, ce qui favorise la formation de biofilms et la re-croissance de micro-organismes, pathogènes ou non. Les amibes, pouvant servir de réservoir protecteur pour les légionelles ou d’autres micro-organismes, ont été également mesurées. Le moyen classique d’éviter ce processus est l’introduction de chlore dans le réseau. Une partie de l’étude a donc consisté à identifier la concentration de chlore résiduel suffisante pour préserver la qualité sanitaire des eaux recyclées à leur point d’utilisation, c’est-à-dire au niveau des asperseurs.
  • - Évaluer les risques d’inhalation de micro-organismes par des habitants ou des passants situés à proximité immédiate des asperseurs. On s’est attaché aux risques d’inhalation des légionelles, qui constituent les principaux sinon les seuls facteurs d’épuration ; il n’est pas apparu nécessaire de prendre en compte les protozoaires pathogènes. De plus, à cause de leur taille, rares sont ceux susceptibles d’être inhalés.

Méthodologie

Dispositif expérimental

Les effluents secondaires issus de la station de boues activées alimentent une ligne de traitement filtration + ultraviolet + désinfection.

[Photo : Schéma du dispositif expérimental. Les points de prélèvement d’échantillons d’eau sont indiqués par ▸, les vannes réglables par ⊗.]

Les effluents sont soumis à une désinfection classique par rayonnement ultraviolet (UV) dans un réacteur pilote Degrémont Technologies-Ozonia équipé de lampes basse pression. Cette ligne comporte un tamisage par tamis Mecana suivi d’un réacteur UV. Le pouvoir de coupure effectif du tamis est de 10 à 15 µm, avec 90 % d’élimination des particules de taille supérieure à 10 µm.

[Photo : Vues du filtre Mecana (à gauche) et du réacteur UV (à droite).]

Le débit traité...

[Photo : Asperseurs et préleveurs d’aérosols.]

par le tamis et le réacteur UV, est compris entre 4 et 5 m³/h du début des essais, puis d’environ 10 à 12 m³/h. La dose de rayonnement peut être évaluée à 60 mJ·cm². Une fraction des effluents traités par le réacteur, soit environ 2 m³/h, alimente une première cuve de 1 m³.

Une chloration continue est effectuée dans cette cuve (ou cubitainer) au moyen d'une pompe doseuse (figure 3). Une seconde cuve, identique, communique avec la première par un tuyau en partie basse. Une pompe située dans cette deuxième cuve alimente la ligne d’arrosage entre 20 heures et minuit et aussi les matins des jours de mesure où les asperseurs sont mis en route aux fins de prises d’échantillons. Le débit d’alimentation est compris entre 0,95 et 1,2 m³/h. La différence entre le débit d'alimentation de la première cuve et le débit prélevé dans la deuxième est évacuée par une surverse située en partie haute de la première cuve.

Réseaux de distribution

La ligne de traitement alimente un réseau de distribution, constitué par un tuyau en polyéthylène noir de 32 mm de diamètre interne et de 1 km de long. Le volume d'eau dans le tuyau est de 0,80 m³. Après un parcours de 1 km, les effluents alimentent une batterie de 4 asperseurs situés à environ 1 m au-dessus du sol (figure 3).

Résultats

Qualité de l'eau produite après désinfection UV

L’efficacité du filtre Mecana a été suivie au moyen du contrôle de la turbidité dans les effluents sortis des clarificateurs et ceux issus du réacteur UV (pas d’action du réacteur UV sur ce paramètre). Les valeurs respectives de la turbidité avant et après le filtre sont respectivement 6,9 ± 8,8 NTU et 1,4 ± 1,0 NTU. Le réacteur UV va avoir par contre une action sur les différents germes présents dans l’eau usée traitée.

Tableau 2 : Abattements (en log) des indicateurs de contamination fécale entre le clarificateur et les points de prélèvements UV2, UV3 et UV4 du réseau de la ligne UV (Période 1)

• Coliformes totaux
 – E50 → UV2 : 3,0 ± 0,3
 – E50 → UV3 : 2,5 ± 1,3
 – E50 → UV4 : 1,1 ± 0,7
• E. coli
 – E50 → UV2 : 3,4 ± 0,3
 – E50 → UV3 : 3,1 ± 0,5
 – E50 → UV4 : 3,0 ± 1,0
• Entérocoques
 – E50 → UV2 : 2,86 ± 0,4
 – E50 → UV3 : 2,7 ± 0,6
 – E50 → UV4 : 1,9 ± 1,0

Demande en chlore

Afin de conserver la qualité de l'eau produite après la désinfection par les UV, différentes doses de chlore ont été appliquées au niveau de la cuve de stockage.

La cinétique de disparition du chlore est illustrée par la figure 4. Cette courbe (en bleue) est caractérisée par une demande en chlore importante (10 mg/L), une cinétique rapide de consommation et l'atteinte d'un plateau, ici avec un résiduel à 0,5 mg/L en Cl libre. Lorsque la dose de chlore n’est pas en excès par rapport à la demande en chlore de l’eau usée traitée, ce plateau n’est pas atteint, et une re-croissance peut être observée.

Cette forte demande en chlore provient de la concentration importante des eaux d’irrigation en matière organique, et sans commune mesure avec ce que l'on peut trouver dans l'eau potable.

Elle est propice au développement d’un biofilm et, du même coup, à une re-contamination.

Évolution de la qualité d’eau dans les réseaux

L'évolution de différents indicateurs de contamination fécale a été mesurée en différents points du réseau. Le tableau 2 rassemble les résultats obtenus au cours d’une première période (28/07/08 – 19/09/08).

[Photo : Évolution de la consommation en chlore libre pour une eau usée traitée après désinfection UV.]

Tableau 3 : Abattements des indicateurs de contamination fécale entre le clarificateur et les points de prélèvements UV2, UV3 et UV4 du réseau de la ligne UV (Période 2)

Coliformes totaux E. coli Entérocoques
ESO → UV2 : 2,3 ± 1,1 2,4 ± 0,9 2,1 ± 0,7
ESO → UV3 : 4,8 ± 1,0 4,1 ± 0,5 3,2 ± 0,7
ESO → UV4 : 4,6 ± 0,8 4,0 ± 0,7 3,3 ± 0,7

Au cours de cette période, l'eau projetée par les asperseurs a vu sa qualité se dégrader au cours de son transit dans le réseau durant laquelle les concentrations de chlore ajoutées étaient souvent inférieures à la demande de l'eau traitée. À la sortie du traitement UV, nous avons un bon abattement des différents indicateurs, mais en progressant dans le réseau de distribution, l'abattement global diminue, notamment pour les coliformes totaux et les entérocoques, traduisant une re-croissance dans le réseau.

En sortie du réacteur UV (pt UV2) nous observons un bon abattement de ces différents germes. Par contre, la quantité de chlore injectée au niveau du réseau de distribution n’est pas suffisante pour empêcher la re-croissance de certains d’entre eux au niveau de la seconde cuve de stockage (pt UV3) et du réseau d’arrosage (pt UV4). Afin de maîtriser la qualité microbiologique de l'eau après le réacteur UV, une dose de chlore supérieure ou égale à 10 mg/L a été injectée au niveau de la cuve 1, pour garder un résiduel supérieur à 0,5 mg/L dans la cuve 2 et à l’extrémité du réseau, juste en amont des asperseurs.

Les résultats obtenus au cours de cette seconde période (jusqu’au 17/11/08) sont reportés dans le tableau 3.

Au cours de cette seconde période, les abattements dans le réacteur UV sont plus faibles, mais la chloration poursuit la désinfection. Le maintien d’un résiduel de chlore dans le réseau de distribution permet donc de fournir une eau en amont des asperseurs exempte de germes indicateurs de contamination fécale (< 1 ufc/100 mL).

[Photo : Figure 5 : Bactéries témoins de contamination fécale et chlore libre résiduel en sortie de la ligne de traitement ultraviolet.]

Qualité sanitaire des aérosols

Le risque spécifique lié à l’arrosage d'espaces verts par aspersion est celui de l’inhalation d’aérosols susceptibles de contenir des pathogènes par les personnes qui fréquentent ou vivent à proximité des aires arrosées. Le principal pathogène d’intérêt est Legionella pneumophila.

Les prélèvements d’air ont été réalisés à l’aide d’échantillonneurs CIP 10-M (Arelco) (voir Berthelot et al., 2009), placés à une distance de 5 ou 25 m des asperseurs (voir figure 3), sous le vent. Les échantillons sont analysés à l'aide des méthodes par PCR, NF XP T 90-471, ou par culture NF T 90-431. Les données obtenues au cours de la première période sont présentées dans le tableau 4.

Tableau 4 : Les légionelles dans l’eau d’arrosage et les aérosols

Sortie de la ligne ultraviolet Aérosols
Date Distance par rapport aux asperseurs (m) Coliformes totaux (UFC/100 mL) Legionella sp. (UFC/L) Legionella pneumophila (UFU/L) Legionella pneumophila (UFC/50 mL)
28/07 25 2070 ND ND ND
04/08 5 P-NQ ND ND ND
11/08 5 5120 ND ND ND
25 ND ND ND ND
15/09 5 7940 ND ND ND

* P-NQ = Présence non quantifiée ND = Non détecté

Les légionelles ne sont pas détectées par culture ou PCR dans les prélèvements d’aérosols.

Chloration et gestion de la qualité microbiologique dans les réseaux

Au cours de ces travaux, il est apparu une relation entre la teneur en chlore résiduel et les concentrations en bactéries témoins de contamination fécale. La figure 5 illustre la relation existant entre ces deux types de paramètres.

Clairement, le maintien d’un résiduel en chlore libre de 0,5 mg/L dans le réseau favorise le maintien de la qualité de l'eau d’arrosage produite.

[Encart : Maintenir une teneur en chlore libre résiduelle supérieure à 0,5 mg/L dans le réseau de distribution paraît constituer une garantie de qualité microbiologique de l'eau utilisée pour l'arrosage des espaces verts.]

La nécessité de maintenir un niveau minimum de chlore résiduel dans les systèmes de distribution d’eau réutilisée n’a donné lieu qu’assez récemment, soit au cours de la dernière décennie, à réglementation par quelques États des USA. Les doses requises vont de 0,5 à 1,0 mg/L (Asano et al., 2007). L’US EPA recommande une teneur minimale en chlore total résiduel égale à

1 mg/L pour divers types d’usage, y compris les usages urbains et l’aspersion d’espaces verts. Cette teneur doit être atteinte après un temps de contact de 30 minutes. Le contrôle correspondant est prévu à la sortie de la station de traitement. Il n’est pas fait mention de contrôle dans le réseau de distribution (US EPA, 2004). Une disposition semblable figure dans la réglementation israélienne pour l’irrigation sans restriction mais, cette fois, appliquée au chlore libre résiduel ; un contrôle continu du chlore résiduel est exigé.

Une teneur minimale en chlore résiduel égale à 0,5 mg/L figure dans la réglementation jordanienne quand l’eau est réutilisée pour l’arrosage des espaces verts. Une teneur minimale de 0,5 mg/L en chlore libre résiduel est exigée pour tous les usages en Arabie Saoudite depuis 2006. En France, la teneur en chlore résiduel dans les réseaux de distribution d’eau potable ne doit pas être inférieure à 0,1 mg/L.

Conclusion

Le marché de la réutilisation des eaux usées en France est freiné par l’absence d’un encadrement réglementaire de cette pratique. L’origine des eaux suscite quelques appréhensions.

Un des risques liés à la réutilisation des eaux usées est la re-contamination microbiologique des eaux dans le réseau de distribution. Nos travaux montrent que le maintien de cette qualité après un traitement de désinfection (rayonnement UV ou même UF) nécessite un contrôle de la chloration dans celui-ci. Certaines conditions opérationnelles ont permis de mettre en évidence des re-contaminations très significatives. Les mêmes essais ont montré que le maintien d’une teneur en chlore libre résiduel supérieure ou égale à 0,5 mg/L jusqu’à son point d’usage empêche la re-contamination de l’eau d’irrigation. L’eau produite est exempte de pathogènes.

Même dans le cas d’autre traitement d’affinage comme l’ultrafiltration, barrière physique conduisant à une demande en chlore réduite, il sera nécessaire également d’assurer la gestion de la qualité de l’eau produite pour arrosage.

Ces travaux ont été financés avec la participation du Conseil régional de Languedoc Roussillon et de la Communauté de Communes Terre de Camargue.

Références bibliographiques

  • * V. Lazarova et F. Brissaud – Intérêt, bénéfices et contraintes de la réutilisation des eaux usées en France. L’Eau, l’industrie, les nuisances (2007) 299, pp 29-39
  • * Traitement des eaux usées – Prêts pour le recyclage ? Hydroplus (2008) 184, pp 36-42
  • * N. Berthelot, A. Pinon, V. Alexandre, M. Vialette et F. Laurent – Prélèvement des légionelles dans les aérosols : étude de la viabilité avec deux préleveurs du marché. L’Eau, l’industrie, les nuisances (2009) 320, pp 53-55
  • * T. Asano, F. L. Burton, H. L. Leverenz, R. Tsuchihashi et G. Tchobanouglous (2007) – Water Reuse. Issues, Technologies and Applications. McGraw-Hill, New York, 1570 p.
  • * U.S. EPA (2004) – Guidelines for Water Reuse. EPA-625/R-04-108, U.S. Environmental Protection Agency and U.S. Agency for International Development, Washington, DC.
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