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Réutilisation des eaux usées épurées par association de procédés biologiques et membranaires - Programme PRECODD 2006

30 mai 2008 Paru dans le N°312 à la page 56 ( mots)
Rédigé par : Hélène DARRAS, Laurent MOULIN, Gwenaëlle LAVISON et 6 autres personnes

La gestion des ressources en eau devient chaque année plus stratégique pour les pays développés et les changements climatiques annoncés par les scientifiques laissent présager des difficultés croissantes pour assurer les besoins en eau des populations et des industriels. Dans ce contexte, la réutilisation d'eau (REUE) apparaît comme une solution pertinente et technologiquement accessible à court terme. Néanmoins, deux verrous freinent aujourd'hui sa mise en place à grande échelle : l'absence de réglementation globale en France et de connaissances techniques sur les filières de traitement à mettre en oeuvre.

Le Programme de Recherche sur les Ecotechnologies et le Développement Durable (PRECODD) mis en place par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) depuis 2005 a pour but de favoriser l’émergence et la diffusion de technologies environnementales innovantes, en fédérant la recherche française autour de partenariats publics/privés. Le but du projet REEBiM (Réutilisation d’Eau usée Épurée par association de procédés Biologiques et Membranaires), co-financé par l’ANR, est de proposer, concevoir et valider de nouveaux procédés utilisant des techniques membranaires permettant la réutilisation des eaux usées.

[Photo : Filières de REUE étudiées.]
[Photo : Figure 2 : principe de fonctionnement de la filtration.]

Travaillent conjointement à la réalisation de ce programme sur 3 ans (2007-2010) : SAUR, INSA Toulouse, CEMAGREF Bordeaux, CRECEP, pour un montant total de 1,4 M€, dont 550 k€ apportés par l’ANR.

Le projet concerne plusieurs filières de traitement possibles pour la REUE :

1. Filière conventionnelle (boues activées + clarificateur) + Ultrafiltration (UF) + Osmose Inverse (OI) ou Nanofiltration (NF) ;

2. Filière membranaire (bioréacteur à membrane) + Osmose Inverse ou Nanofiltration (cf. figure 1).

Rappels en quelques mots sur les filières et procédés testés

Filière secondaire classique

L’objectif du traitement secondaire est de retirer les solides en suspension et les composés organiques résiduels. Le traitement par boues activées est le procédé majoritairement utilisé et consiste à mettre en contact les eaux usées avec un mélange riche en micro-organismes hétérotrophes pour dégrader la matière organique en suspension ou dissoute. Deux étapes sont nécessaires : l’aération qui permet d’obtenir une teneur en oxygène dissout nécessaire à l’activité biologique aérobie et la décantation ou clarification qui sépare l’eau traitée des boues riches en micro-organismes.

Filière secondaire BAM

Les bioréacteurs à membranes combinent à la fois le traitement par boues activées et le traitement par membrane. Les membranes peuvent être immergées dans le réacteur à boues activées (BAM interne) ou placées dans un module alimenté par une boucle de recirculation à l’extérieur du réacteur (BAM externe). Les avantages principaux de combiner traitement biologique et filtration membranaire sont :

- La certitude d’obtenir une clarification poussée quel que soit l’état de la boue puisque la membrane peut retenir les bactéries non floculées et produire un effluent sans MES (turbidité < 1 NTU).

- La construction de stations d’épuration compactes ne nécessitant pas de décanteurs encombrants.

- La possibilité de traiter l’eau usée à des concentrations en boue plus élevées, augmentant ainsi l’âge des boues et réduisant la taille des ouvrages.

- La rétention des espèces de l’ordre du dixième de micromètre (bactéries…).

Techniques de filtration : de la microfiltration à l’osmose inverse

Les techniques de filtration par membranes peuvent être définies comme des procédés de séparation au travers de films minces permélectifs (membrane) sous l’action d’un gradient de pression (cf. figure 2). Parmi les techniques de filtration, on distingue quatre types de procédés selon la taille des particules retenues par la membrane :

- La microfiltration (MF) dont les membranes permettent de retenir des espèces dont la taille est supérieure au dixième de micron (tels que les flocs et les bactéries).

- L’ultrafiltration (UF) est utilisée pour la récupération ou la concentration d’espèces macromoléculaires et de suspensions colloïdales.

- La nanofiltration (NF) permet la séparation de composants ayant une taille voisine du nanomètre. C’est un procédé qui met en jeu des pressions plus élevées.

- L’osmose inverse (OI) utilise des membranes denses qui laissent passer le solvant et sont susceptibles d’arrêter les substances dissoutes, jusqu’aux sels minéraux.

De manière générale, au cours d’une opération de filtration à pression constante, on observe au cours du temps une diminution du flux de perméation qui est due à l’entraînement des particules, colloïdes ou solutés vers la membrane, qui en se déposant à la surface ou à l’intérieur des pores ont pour conséquence la diminution du flux. Ce processus est connu sous le nom de colmatage.

Description du projet

Les performances de ces filières seront évaluées en termes de pouvoir colmatant, de flux transmembranaire et d’abattements vis-à-vis des micro-organismes et des micropolluants. Le cœur de ce programme réside dans la compréhension des interactions entre les phénomènes biologiques du traitement secondaire qui permettent l’abattement des polluants dans la filière secondaire et les mécanismes de rétention et de colmatage des membranes dans la filière tertiaire. Il a donc pour objets la minimisation de ces phénomènes de colmatage biologique issus du traitement secondaire et responsables de la dégradation des performances du procédé tertiaire, et l’optimisation des procédés membranaires tertiaires.

Le programme se découpe en 6 tâches (cf. figure 3) :

Tâche 0 : Coordination du projet et management

Tâche 1 : Définition des indicateurs de qualité et de leur protocole de mesure

Tâche 2 : Étude du procédé tertiaire

Tâche 3 : Études des interactions secondaire/tertiaire

Tâche 4 : Modélisation des procédés biologiques par la simulation ASM

Tâche 5 : Conduite du procédé global

Tâche 6 : Bilan technico-économique

Les premiers résultats obtenus concernent les 2 premières tâches du programme.

La liste des indicateurs de suivi microbiologiques et chimiques a été définie selon les critères suivants :

- présence déjà établie dans l’environnement

[Photo : articulation du programme de recherche]
  • - représentativité par rapport à un groupe de polluants (polarité similaire, comportement physico-chimique similaire, encombrement spatial et affinités similaires, groupements chimiques identiques...),
  • - représentativité par rapport à un groupe de micro-organismes (taille, difficulté à éliminer...),
  • - réglementations (Code de la Santé Publique, Directive Cadre sur l’Eau),
  • - études scientifiques antérieures

Afin d’alléger le programme d’analyses, seule une partie des indicateurs est suivie. On parle alors de tests « initiaux ». L’ensemble des indicateurs suivis est présenté dans le tableau 1. Les tests dits « complémentaires » ne sont réalisés que sur des configurations abouties (type de membrane, pression de filtration…).

Les tests initiaux visent à évaluer la rétention des indicateurs seuls dans l’eau, pour différentes membranes et différentes conditions opératoires (pression, facteur de concentration…).

Afin de décrire le comportement des membranes d’OI et de NF face au colmatage de fluides issus des filières secondaires et de sélectionner les membranes les plus adaptées pour un fonctionnement en continu, des essais à petite échelle ont été réalisés avec une cellule de filtration à pression constante (0 à 15 bar) munie d’un agitateur permettant de maintenir un cisaillement important à la surface de la membrane.

Les tests réalisés sur cellule de filtration ont permis de définir une méthodologie d’évaluation du comportement des membranes. Pour chaque expérience, le flux de perméat normalisé (J(t)/J₀) est tracé en fonction du Facteur de Réduction Volumique [(V₀(t=0) – Vₜ)/V₀]_{t=0}. Trois comportements de colmatage ont ainsi pu être décrits par l’expérience.

La première tendance met en évidence un comportement de filtration où le cisaillement par agitation est plus important que l’effet de polarisation des molécules colmatantes à la surface de la membrane. Ces membranes sont donc peu colmatées à des taux de conversion inférieurs à 65 % environ et correspondent aux membranes d’osmose inverse.

La seconde tendance observée correspond plus particulièrement aux membranes de nanofiltration. On constate une chute de flux linéaire sans doute due à un colmatage très progressif de la membrane.

Dans le dernier cas (tendance 3), la chute de flux est très brutale dès le début de la filtration ; le colmatage est donc rapide et le cisaillement insuffisant par rapport à la concentration des éléments colmatants à la surface de la membrane.

Également, en fin de tests, l’observation microscopique des membranes a permis de réaliser, de façon qualitative, l’importance du dépôt de filtration formé à la surface (cf. photographies de la figure 5).

Des études en cours s’intéressent plus particulièrement à la structure et à la composition du dépôt.

[Photo : chute de flux de perméat en fonction du facteur de réduction volumique]

Tableau 1 : indicateurs de suivi définis

Micropolluants
Tests initiaux
Substances organiques : HAP, Triazines + métabolites
Substances inorganiques : Cd, Cr, Ni, Zn
Tests complémentaires
Substances organiques : BTX, OHV, Propiconazole, Diflufenicanil, 2-hydroxy-ibuprofène, Carbamazépine, Oxazépam, Aténolol, Acide fénofibrique, Antibiotiques
Substances inorganiques : As, Se, Hg
Micro-organismes
Tests initiaux
Suivi bactériologique : Coliformes, E. coli, Flore totale 22 °C et 36 °C
Suivi virologique : Phages
Tests complémentaires
Suivi parasitologique : Cryptosporidium, Giardia
Suivi bactériologique : Campylobacter
Suivi virologique : Entérovirus, Norovirus

La capacité de rétention des membranes a également été mesurée. Les paramètres suivants ont été mesurés sur l’eau brute et…

[Photo : Figure 5 : Photos par Microscope Électronique à Balayage pour une membrane d'OI neuve (a) et une membrane d'OI colmatée à 8 bar par un effluent de bioréacteur à membranes (b) (Grossissement X5000).]

Sur l’échantillon filtré : conductivité, carbone organique total, spectre UV.

Les courbes obtenues permettent de différencier les membranes et de sélectionner les plus performantes en fonction de la qualité de l'eau souhaitée en sortie.

En termes de rétentions, les différences marquantes entre l’osmose inverse et la nanofiltration se situent au niveau des capacités de rétention de molécules de masse molaire inférieure à 300 daltons (cf. graphique 1).

L'osmose inverse retient tous types de molécules avec plus de 90 % d’efficacité. Les membranes de NF se séparent en deux catégories : celles laissant passer les sels (NF3) et celles bloquant les sels. Au niveau des composés organiques, les 3 membranes présentent de fortes rétentions (> 95 %) en UV254 (caractéristique des cycles aromatiques). Par contre, la rétention des composés absorbant les UV à 210 nm est beaucoup plus faible pour les membranes de NF.

Afin d’affiner ces mesures de rétention, une série de manipulations (tests initiaux) a été réalisée sur des effluents synthétiques (eau osmosée dopée en composés cibles à des concentrations supérieures à celles pouvant être couramment rencontrées sur des eaux de stations d’épuration).

La rétention de ces composés par les membranes a ensuite été mesurée, permettant ainsi d’évaluer la performance d'une membrane lorsqu'elle est en présence d'un composé à éliminer (cf. graphique 2).

La membrane d’osmose présente l’avantage d’éliminer plus fortement les triazines urées et l'atrazine.

Pour les deux membranes testées, l’efficacité de séparation est suffisante pour atteindre les normes fixées par la législation. Des tests avec dopage d’effluents réels feront l'objet d'études complémentaires. Les résultats de ces premiers tests ont permis de choisir les membranes les plus appropriées aux effluents testés et aux performances souhaitées et de définir une méthodologie d’analyse du comportement colmatant d'une eau et d'une membrane. Dans un second temps, les membranes sélectionnées seront mises en œuvre sur des pilotes de laboratoire d'une quinzaine de litres (2008) puis sur des installations pilotes semi-industrielles et industrielles (2008 à 2010).

[Photo : Graphique 1 : capacités de rétention de 3 membranes pour un effluent provenant d'un bioréacteur à membranes.]
[Photo : Graphique 2 : Capacités de rétention moyennes de composés cibles par une membrane d’OI et de NF. 1 abattement > 7 log* pour OI, > 3 log pour NF. 2 abattement > 7 log pour OI, > 5 log pour NF. 3 [perméat] < limite de détection → rétention = 100 %. * L’abattement de x log correspond à une chute de concentration d'un facteur 10^x.]
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