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Rétention des métaux lourds des eaux usées industrielles par filtration percolation à travers une couche sol-sable

31 decembre 2009 Paru dans le N°327 à la page 92 ( mots)
Rédigé par : M. NAJEM, A. LAAMYENM et I.t. LANGAR

La filtration lente sur sable et sur sol est une méthode très ancienne utilisée pour traiter les eaux usées. Cette méthode de traitement reste un procédé de choix dans certaines zones rurales mais aussi dans de nombreux pays industrialisés. Elle s'est révélée simple, sûre, peu coûteuse et efficace dans un large spectre d'applications. Elle présente, par rapport aux autres méthodes, l'avantage considérable de tirer un meilleur parti des compétences locales et des matériaux disponibles dans les pays en voie de développement. Nous avons développé en laboratoire un système d'infiltration percolation en utilisant des colonnes verticales formées par des lits filtrants exclusivement constitués par du sol agricole et du sable marin du littoral. Les principaux paramètres analysés par ICP dans cette étude sont le Cd, Cr, Cu, Fe, Pb, Zn. Les résultats obtenus par ce système de traitement laissent apparaître une réduction de 40 % pour le Cd, 70 % pour le Cr, 85 % pour le Cu, 95 % pour le Fe et 60 % pour le Pb, 99 % pour le Zn. Pour valider nos résultats, l'analyse par ICP des filtrats a été comparée à celle de l'eau potable. L?effluent que nous avons obtenu après traitement peut être réutilisé pour des besoins industriels en matière de refroidissement, par exemple, ou au niveau agricole en irrigation.

Les eaux usées industrielles sont très différentes des eaux usées domestiques. Leurs caractéristiques varient notablement d'une industrie à l'autre. En plus de matières organiques, azotées ou phosphorées qu’elles recèlent, elles peuvent également contenir des produits toxiques, des solvants, des métaux lourds, des micropolluants organiques, des hydrocarbures. Certaines d’entre elles doivent faire l’objet d’un prétraitement de la part des industriels avant d’être rejetées dans les réseaux de collecte. Elles ne sont mêlées aux eaux domestiques que lorsqu’elles ne

[Photo : Montage expérimental utilisé pour le traitement des eaux usées industrielles et urbaines.]

présentent plus de danger pour les réseaux de collecte et ne perturbent pas le fonctionnement des stations d’épuration. La zone industrielle, d’une superficie de 120 ha, au sein de laquelle ont été prélevés nos échantillons est située à 4,5 km de la ville d’El Jadida. Elle est composée de 350 lots dont la superficie moyenne varie entre 1.000 et 10.000 m². Les entreprises implantées dans la zone industrielle appartiennent à cinq types d’industrie (Ministère du Commerce et de l’Industrie, 1994) : agroalimentaire, textile et cuir, chimique et para-chimique, mécanique, métallurgique et électronique. Ces dernières, très consommatrices d’eau, génèrent des eaux usées chargées en matières organiques et en métaux lourds qui sont rejetées dans les milieux récepteurs sans aucun traitement préalable. Ce qui constitue un risque évident de contamination de la nappe phréatique (A. Yatribi et al.).

Afin de remédier à ces problèmes et rendre les eaux usées traitées éventuellement réutilisables en irrigation ou comme eau de refroidissement par exemple, il s’est avéré nécessaire d’élaborer un système de prétraitement susceptible de réduire la teneur en métaux lourds de ces eaux usées. Dans ce contexte, nous avons développé en laboratoire un système d’infiltration percolation en utilisant des colonnes constituées de sol agricole et de sables marins. Nous avons choisi ce type de filtre naturel pour la simplicité de sa mise en œuvre et surtout pour son efficacité et son rendement en termes d’épuration. Notre recherche a été axée principalement sur la réduction des métaux lourds dans ces rejets liquides et pour donner plus de valeur à nos conclusions, nous avons confronté les résultats obtenus par ces lits filtrants à l’eau potable. Toutes nos analyses ont été effectuées par ICP (Inductively-Coupled-Plasma). Les métaux lourds que nous avons suivis sont le Cd, Cr, Cu, Fe, Pb, Zn.

Matériels et méthodes

Les échantillons de sables que nous avons utilisés dans nos expériences de filtration percolation ont été prélevés le long du littoral de la ville d’El Jadida. Ces derniers ont été dans un premier temps soigneusement lavés puis séchés à 40 °C dans une étuve. Ils ont ensuite été tamisés afin de déterminer les différentes tailles granulométriques. Puis ils ont été analysés par diffraction X pour avoir une idée très précise du taux de présence de calcite et de silice (AWW review, volume III, juin 2006) et par spectroscopie ICP (Inductance couplage plasma) pour s’assurer de l’absence de traces en métaux lourds. Notre choix s’est finalement focalisé sur quatre sables de mêmes tailles granulométriques (160 μm) mais dont le taux de silices et de calcites varie d'un sable à l’autre. Cette taille a été choisie après une étude complète sur la détermination de la vitesse d’infiltration dans le même lit filtrant : d’après nos travaux antérieurs sur ce sujet, plus la vitesse d’infiltration est lente, meilleur est le taux de rétention. Par contre, le sol utilisé après avoir été nettoyé et séché est du même type agricole. Nous allons donc effectuer nos expériences de traitement des eaux usées industrielles sur quatre colonnes, formées chacune d'une couche de sable et d'une couche de sol. Le montage expérimental que nous avons utilisé est schématisé sur la figure 1. Il s’agit d’une colonne verticale, de 6 cm de diamètre et de 50 cm de hauteur. Le lit filtrant est constitué dans l’ordre précis d’une couche de sol agricole de granulométrie adéquate sur laquelle est entassée une autre couche de sable bien nettoyé et tamisé. L’alimentation du système se fait exclusivement par des eaux usées industrielles, l’écoulement se fait en percolation à travers le substrat.

Résultat et discussion

Les eaux usées à traiter proviennent de la zone industrielle de la ville d’El Jadida. Ces dernières ont été analysées soigneusement par ICP (Inductance, couplage, plasma). L’analyse a montré la présence de plusieurs éléments très toxiques et des traces de métaux lourds. Le tableau 1 présente l’analyse détaillée des échantillons avant traitement.

Tableau 1 : Analyse par ICP des eaux usées industrielles étudiées avant traitement

Cd : 0,005 ppm
Cr : 0,03 ppm
Cu : 0,07 ppm
Fe : 1,9 ppm
Pb : 0,1 ppm
Zn : 1,103 ppm

Tableau 2 : Analyse par ICP des eaux usées industrielles étudiées après traitement

Eaux purifiées par le filtre 3

0,003

0,001

0,01

0,1

0,04

0,04

Eaux purifiées par le filtre 4

0,004

Filtre 1 : sol + sable de taille granulométrique 160 µm, avec 61,14 % de silice et 19,27 % de calcite

Filtre 2 : sol + sable de taille granulométrique 160 µm, avec 50,24 % de silice et 22,4 % de calcite

Filtre 3 : sol + sable de taille granulométrique 160 µm, avec 46,4 % de calcite

Filtre 4 : sable de taille granulométrique 160 µm, avec 31,69 % de silice et 36,04 % de calcite

0,005 ppm à 0,003 ppm. Cet abattement s’explique par l’immobilisation au niveau du substrat, via des mécanismes tels que l’adsorption au niveau des sites d’échanges, la fixation à la matière organique, l’incorporation dans la structure du sol.

[Photo : Figure 2 : Évolution du cadmium avant et après traitement des eaux usées sur les quatre filtres et dans l’eau potable.]
[Photo : Figure 3 : Évolution du zinc avant et après traitement des eaux usées sur les quatre filtres et dans l’eau potable.]
[Photo : Figure 4 : Évolution du plomb avant et après traitement des eaux usées sur les quatre filtres et dans l’eau potable.]

Présente en ppm le taux de présence de quelques éléments toxiques détectés dans les eaux industrielles que nous avons utilisées dans nos expériences, dans leur état brut avant traitement. Dans le tableau 2, nous avons exposé la valeur en ppm de présence de ces mêmes métaux lourds dans les filtrats obtenus après filtration des eaux industrielles utilisées par les différents filtres que nous avons cités plus haut. Pour valider les résultats obtenus, nous avons jugé utile et intéressant de faire une comparaison avec l’eau potable que nous avons également analysée par ICP (voir colonne 2 du tableau 2). Les figures suivantes permettent de mieux visualiser les valeurs en ppm de chaque métal lourd, à la fois dans les eaux usées brutes, avant et après traitement à travers les différents filtres, et celles de référence, à savoir l’eau du robinet.

Le taux de cadmium dans les eaux usées brutes provient de la production de fertilisants non naturels à base de phosphates et des rejets industriels liés à la métallurgie. Leur traitement à travers les quatre filtres a diminué la concentration du cadmium par la précipitation sous forme de composés insolubles (Eger, 1994 ; Wieder, 1990).

La concentration du zinc dans les eaux usées industrielles a pour origine l’exploitation minière, la combustion du charbon et des déchets, et l’industrie de l’acier. Le zinc, relativement mobile, est facilement adsorbé par les constituants du sol organiques et minéraux. Il peut donc être mobile et migrer facilement en profondeur. C’est ce qui explique la réduction de la concentration du zinc pour les quatre filtres.

[Photo : Figure 5 : Evolution du fer avant et après traitement des eaux usées sur les quatre filtres et dans l'eau potable.]

respectivement de 95,26 % ; 92,63 % ; 94,74 % ; 93,68 % (voir figure 5). Cette élimination est due à des micro-organismes présents dans les sols et les sables.

Le cuivre, Cu, provient principalement des rejets industriels du traitement de surfaces, l'industrie chimique et électronique. Le dosage du cuivre dans l'eau percolée révèle des teneurs de l’ordre de 0,01, 0,009, 0,01 et 0,03 ppm respectivement pour les quatre filtres récupérés, ce qui correspond aux rendements épuratoires respectifs de 85,71 % ;

[Photo : Figure 6 : Evolution du cuivre avant et après traitement des eaux usées sur les quatre filtres et dans l'eau potable.]

Le traitement des effluents industriels a permis une réduction de respectivement 34,61 % 15,38 % 15,38 % 34,61 % pour les quatre filtres. Nous notons toutefois que les filtres 2 et 3 donnent le meilleur rendement de réduction de concentration en ppm de cet élément très toxique. L'abattement du plomb s’explique par les différents minéraux argileux existants dans le sol, particulièrement la palygorskite (Potgieter et al., 2006).

Le fer est l'un des métaux les plus abondants à l’état naturel. Il est présent dans l'eau sous trois formes, le fer ferreux Fe²⁺, le fer ferrique Fe³⁺ et le fer complexé à des matières organiques (acides humiques, fulviques, tanniques, ...). Son origine au niveau industriel peut s'expliquer par l'exploitation minière, la sidérurgie, la corrosion des métaux. Le fer donne aussi un goût métallique à l'eau rendant désagréable sa consommation.

La filtration des eaux usées, par les différents filtres que nous avons utilisés a permis une réduction de cet élément respectivement de 87,14 % ; 85,71 % ; 57,14 %. Il s'agit donc d'un rendement épuratoire très important pour cet élément. La rétention du cuivre est due à sa fixation par la matière organique.

La teneur en chrome détectée dans les eaux usées industrielles utilisées a été réduite de 70 %, 70 % 66,66 % et 70 % respectivement par les quatre filtres, comme le montre clairement la figure 6. Cet abattement s’explique par des phénomènes de précipitation et d'adsorption qui jouent certainement un rôle d’atténuateur de la toxicité de cet élément (Cheng et al., 1975 ; Nelson et al., 1981).

[Photo : Figure 7 : Evolution du chrome (Cr) avant et après traitement des eaux usées sur les quatre filtres et dans l'eau potable.]

Les pourcentages moyens d’élimination des différents éléments toxiques par les quatre filtres que nous avons utilisés dans le traitement des métaux lourds étudiés

Tableau 3 : Pourcentages de réduction des métaux lourds étudiés par les quatre filtres

Filtre 1 : Cd 40 % ; Cr 70 % ; Cu 85,71 % ; Fe 95,26 % ; Pb 10 % ; Zn 99,64 %
Filtre 2 : Cd 40 % ; Cr 70 % ; Cu 87,14 % ; Fe 92,63 % ; Pb 60 % ; Zn 95,47 %
Filtre 3 : Cd 40 % ; Cr 66,66 % ; Cu 85,71 % ; Fe 94,74 % ; Pb 60 % ; Zn 96,37 %
Filtre 4 : Cd 20 % ; Cr 70 % ; Cu 57,14 % ; Fe 93,68 % ; Pb 10 % ; Zn 89,12 %

nos expériences sont rassemblées sur le tableau 3.

Conclusion

La filtration des eaux usées industrielles sur des lits filtrants composés de sol agricole et de sable marin du littoral donne des résultats très satisfaisants que ce soit au niveau caractérisation physico-chimique (pH, DCO, chlorures, orthophosphates et autres...), ou au niveau de la réduction très significative de la teneur en métaux lourds très toxiques détectés dans les effluents utilisés.

Les analyses par ICP des filtrats obtenus par les quatre filtres que nous avons utilisés ont montré le rôle primordial que jouent ces filtres naturels, très peu coûteux, qui pourraient être facilement utilisés dans les pays arides et semi-arides, particulièrement en Afrique où le stress hydrique devient problématique. Les sables que nous avons utilisés pour traiter les eaux usées ont ensuite été valorisés en les mélangeant à du ciment pour fabriquer des briques de béton.

Références bibliographiques

  • * Cheng M.H., Paterson J.W., Minear R.A., 1975. Heavy metals uptake by activated sludge. J. Water Pollut. Control Fed., 47, 362-376.
  • * Eger P., 1994. Wetland treatment for trace metal removal from mine drainage: the importance of aerobic and anaerobic processes. Wat. Sci. Tech., 29(4), 249-256.
  • * Nelson P.O., Chung A.K., Hudson M.C., 1981. Factors affecting the fate of heavy metals in the activated sludge process. Water Pollut. Control Fed., 53, 1323-1332.
  • * Huisman L. et Wood W.E., La filtration lente sur sable. Genève, Organisation Mondiale de la Santé, 1975 ; 133 pages.
  • * Potgieter J.H., Potgieter-Vermaak S.S., Kalibantonga P.D., 2006b. Heavy metals removal from solution by palygorskite clay. Minerals Engineering, 19, 463-470.
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