Les usines de traitements de surfaces subissent des contrôles de plus en plus stricts sur leurs effluents, concernant particulièrement les rejets de métaux lourds très toxiques. Des recommandations européennes définissent en effet les charges limites de façon très stricte. Pour le Cadmium, par exemple, la CMA (concentration maximum admissible) est ainsi fixée à 0,1 ppm.
Les entreprises concernées sont en butte à de grandes difficultés pour respecter ces spécifications, que ce soit en utilisant des techniques d’épuration classiques (comme la détoxification par voie chimique), ou des techniques plus récentes (comme les échangeurs d’ions). Elles ont maintenant à leur disposition un nouveau procédé, le « Metal Removal Media » (MRM), basé sur la technologie d’échange d’ions, qui a été développée précisément pour purifier les eaux usées industrielles riches en métaux lourds. Il a notamment permis d’enregistrer des résultats encourageants dans l’épuration des effluents des usines de traitements de surfaces, comme on le verra ci-après.
Évolution de la technique d’échange d’ions
Un échangeur d’ions est un électrolyte contenant des cations, des anions et un solvant qui est de l’eau. L’un des ions est lié à une matrice poreuse insoluble, l’ion de signe opposé ou contre-ion est mobile donc échangeable.
Les résines échangeuses d’ions ont une forte capacité de rétention sous des conditions optimales de fonctionnement. Néanmoins des phénomènes de passages préférentiels et de colmatages sont fréquents lorsque l’on travaille avec des résines en colonne.
Dans des conditions de débit élevé, certains sites d’échanges des résines peuvent ne pas être utilisés du fait d’une limitation de la diffusion des ions au sein de la résine.
Un autre problème des résines est leur tendance à gonfler ou à se rétracter suivant les conditions chimiques et leurs caractéristiques. Lorsque leur degré de réticulation est faible (peu de liaisons entre les chaînes de polymères), les résines sont souples et peuvent facilement gonfler et se compresser ; l’échange est relativement bon mais à faible débit. Si l’on augmente le degré de réticulation, la matrice peut travailler à des débits plus élevés mais les pores sont plus étroits et le taux d’échanges est plus réduit.
La plupart des résines commerciales sont formées de sphères de diamètre s’étageant de 0,3 à 1,2 mm. La capacité d’échange peut être améliorée si l’on diminue la taille des particules afin d’offrir une plus grande surface d’échange. Les échangeurs d’ions en poudre sont assez performants mais, du fait de leur taille, ces particules entraînent une baisse de pression importante lors de leur utilisation et ne peuvent être utilisées qu’en lit très mince.
Il existe différents types de résines, les plus utilisées étant celles des types gel ou macroporeuse. Les premières sont les plus anciennes et leur porosité dépend de leur taux de réticulation ; les résines macroporeuses présentent des pores au sein même de leur structure (figure 1) et elles permettent d’utiliser les phénomènes d’adsorption.
La structure du MRM est basée sur une résine du type pelliculaire où une couche de polymères d’échange d’ions est greffée sur un support solide. Il est formé d’une couche de copolymères fixée de façon uniforme et covalente sur un support filtrant. La couche de polymères offre une capacité d’échange d’ions importante. Les sites d’échanges d’ions sont disposés à la surface du réseau filtrant. Les problèmes de diffusion des ions jusqu’au lieu d’échange sont réduits et la capacité du média peut être entièrement mise à profit, même à des débits élevés.
Vers une optimisation de la capacité d’échange d’ions
Le polymère d’échanges d’ions fixé sur la matrice est un acide faible qui est un échangeur de cations. Le filtre retient les métaux lourds selon la réaction de la figure 2.
Un fort pouvoir de rétention
Des essais au laboratoire ont permis de déterminer les capacités théoriques d’échange du média pour différents métaux lourds. Conditions des essais :
— capacité statique (CS) : mise en contact du MRM (m = 0,80 g) pendant 1 heure avec 100 ml de solution à 100 ppm d’un métal donné, avec agitation,
— capacité dynamique (CD) : débit = 5 ml/min (3,2 BV/min), solution à 100 ppm d’un métal donné, MRM (m = 0,35-0,40 g).
Les résultats figurent dans le tableau II. La figure 3 permet d’apprécier la cinétique de la réaction d’échange.
Des débits importants
Une caractéristique intéressante du MRM est que sa capacité d’échange ne varie que peu à débit élevé. Le tableau II montre la faible variation de la capacité dynamique du média pour un ion donné et à différents débits.
• conditions des essais :
— MRM m = 0,37 g,
— solution de Nickel à 100 ppm (pH = 6,5).
Pour un débit supérieur à 2 ml/min/g de résine, la capacité de rétention de celle-ci est réduite de façon drastique alors que la capacité du MRM ne décroît que très faiblement (figure 4).
Influence du pH
Comme toute réaction chimique, l’échange d’ions est influencé par les conditions physico-chimiques du milieu. Le pH optimal dépend de la nature de l’ion métallique que l’on a fixé et de sa concentration.
La zone de pH d’utilisation du MRM est de 4 à 12.
Pour de fortes concentrations (> 20 ppm), le pH optimal de rétention des métaux est le plus élevé possible, mais il faut alors tenir compte des possibilités de précipitation possible des hydroxydes métalliques.
Pour de faibles concentrations (lignes en pointillés sur le graphe suivant), lors d’opérations de polissages par exemple, le pH peut être plus élevé.
Compétition entre ions à retenir
Sélectivité du MRM
Des essais ont été réalisés sur des mélanges de Cuivre et de Nickel :
• conditions :
— 100 ml de solution à 100 ppm de Nickel et 100 ppm de Cuivre, pH = 6,09,
— MRM m = 85-90 mg,
— contact pendant une heure avec agitation.
résultats (en milléquivalent d’ions retenus par gramme de média sec) :
— CS Cu = 3,10 meq/g,
— CS Ni = 0,13 meq/g.
À pH 6, le média retient uniquement les ions cuivres et se sature avec ceux-ci.
La compétition entre les différents ions existants dans un effluent est très importante et celle-ci varie avec le pH. À pH 4, la sélectivité du média pour différents cations est la suivante :
Pb > Cu > Fe > Cd, Ni, Zn > Ca, Mg > K, Na.
C’est une des raisons principales qui oblige chaque industriel à faire des essais expérimentaux avant toute filtration industrielle ; chaque effluent est différent et le média se comporte différemment avec chacun d’eux.
Une approche expérimentale sur site
Pour chaque type de produit à traiter l’efficacité du MRM est différente. Elle peut être évaluée à l’aide d’un protocole expérimental établi par Cuno, test qui permet d’ajuster les paramètres opératoires (pH, débit) pour chaque produit et d’évaluer les capacités du média pour chaque application.
Le matériel expérimental est contenu dans une mallette expérimentale contenant les éléments portés sur la figure 6.
Les essais expérimentaux comportent différentes étapes :
— choisir un débit dans la gamme conseillée : 1 à 6 BV/min,
— choisir le pH optimal pour la rétention des ions métalliques considérés,
— ajuster le pH de l’effluent à traiter à ce pH,
— filtrer un échantillon significatif d’effluent (2 à 3 BV) et doser les concentrations finales en métaux lourds.
L’efficacité de la rétention est optimisée sur une courbe rétention/pH spécifique du cas d’application traité ; on peut ainsi évaluer la quantité que l’on peut filtrer par volume de média.
Cette approche expérimentale est très utile avant tout dimensionnement d’une installation industrielle.
Quelques réalisations industrielles
Le MRM est utilisé pour traiter les effluents de galvanoplastie. D’autres applications sont en phase de développement.
Traitement d’eaux usées riches en Cadmium
Après avoir réalisé des essais encourageants au laboratoire, la société de galvanoplastie est passée au stade du pilote. Les conditions étaient les suivantes :
Tableau I
Mesure des capacités du MRM pour quelques métaux.
Éléments | CS (meq/g média sec) | CD (meq/g média sec) |
---|---|---|
Nickel | 1,6 | 1,1 |
Cuivre | 3,5 | 3,2 |
Cadmium | 1,3 | 1,0 |
Tableau II
Influence du débit sur la capacité d’échange du média.
Débit (BV/min) | 3 | 1,3 | 0,5 |
---|---|---|---|
CD (meq/g média sec) | 1,0 | 1,1 | 1,15 |
— pH ajusté de 6,2 à 8,0,
— préfiltration sur filtre plissé en polypropylène,
— filtration sur MRM (37 plaques, d = 13 cm, m = 607 g),
— débit = 500 ml/min (0,2 BV/min),
— volume filtré = 490 l.
La concentration initiale de cadmium, qui était de 200 ppm, passe à 100 ppm après la préfiltration. Sur le tableau suivant (tableau III), on voit que cette concentration devient inférieure à 0,01 ppm après le traitement par le MRM.
Les résultats étant satisfaisants, la société est passée à l’échelle industrielle et a installé deux filtres MRM de grande capacité (50 disques de 30 cm de diamètre par corps de filtre, ce qui correspond à 5 kg de média). La dépollution est suffisante : après ajustement du pH de l’effluent vers 7,8, la concentration finale en cadmium reste inférieure à 0,01 ppm. Le volume filtré par colonne avant saturation est d’environ 6 000 l.
Polissage d’eaux polluées par du zinc
Ces eaux de rinçage riches en phosphate de zinc ont été traitées par ultrafiltration (fibres creuses) mais le taux de zinc dans le filtrat est resté trop élevé (2,4 ppm). Les essais ont consisté à traiter le perméat sur MRM selon le protocole expérimental. Lors de différents essais, le pH fut ajusté successivement à 8,4, 7,0 et 6,5. Le débit était de 3,7 BV/min. Quel que soit le pH de la solution traitée, le taux de zinc après traitement est de 0,8 ppm (66 % de réduction).
Un système industriel est à l’étude.
Polissage d’un effluent mixte
Cet effluent contenait à la fois du fer, du chrome, du zinc et du nickel. Il a été traité sur MRM au laboratoire dans les conditions suivantes :
• MRM m = 0,37 g,
• débit = 1,3 BV/min,
• pH ajusté de 9 à 7.
Les résultats étant encourageants, les tests vont être poursuivis.
Tableau III
Résultats de l’essai sur pilote pratiqué à partir d’effluents riches en cadmium.
Éléments | Effluent initial (ppm) | Effluent préfiltré (ppm) | Effluent à 601 l (ppm) | Effluent à 490 l (point de fuite) (ppm) |
---|---|---|---|---|
Calcium | 9,5 | 9,0 | 1,5 | 9,0 |
Cadmium | 204 | 105 | < 0,01 | 0,04 |
Iron | 2,6 | 0,4 | < 0,1 | 0,1 |
Magnesium | 1,05 | 1,00 | 0,03 | 2,9 |
Nickel | 1,2 | n.j. | 1,1 | 0,5 |
Zinc | 7 | 0,37 | < 0,02 | 0,04 |
Concentration totale en solides dissous (TDS) | 9 540 | 6 230 | 5 300 | 5 830 |
Tableau IV
Résultats laboratoires – polissage d’effluent mixte.
Tests | Témoin | Filtrat | % de rétention |
---|---|---|---|
Concentration en métal (ppm) | |||
Ni | 0,91 | 0,13 | 85,7 |
Zn | 0,41 | 0,06 | 85,4 |
Cr | 1,08 | < 0,05 | > 95,3 |
Turbidité (NTU) | 60 | 9,5 | 84,2 |
Conclusion
Ces quelques exemples d’applications mettent clairement en évidence les possibilités de traitement des effluents chargés en métaux lourds grâce au MRM et l’intérêt que présente ce procédé pour la protection de l’environnement.
L’étendue de la zone de fonctionnement du MRM est large aussi bien en ce qui concerne le pH que le débit spécifique. L’utilisation d’une mallette expérimentale permet dans tous les cas d’évaluer avec précision les conditions optimales de fonctionnement.
Aujourd’hui nous travaillons plus spécifiquement sur les conditions dynamiques d’utilisation du MRM. Le concept à flux vertical, développé dans un premier temps, possède l’avantage d’être modulable (variation de la quantité de média dans une même unité). Naturellement, l’accroissement du nombre d’étages augmente la perte de charge et réduit les débits d’utilisation. Deux autres concepts à flux radial sont à l’étude (figure 7) ; ils associent l’avantage d’une capacité de rétention importante, modulable suivant la quantité de média utilisée, à celui d’un débit spécifique constant.