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Rejet zéro sur une unité pétrochimique

28 mars 1997 Paru dans le N°200 à la page 48 ( mots)

La réutilisation des eaux usées est une préoccupation actuelle pour tous les utilisateurs d'eau et en particulier pour les industriels. A travers un exemple concret, cette étude de cas montre qu'il est toujours techniquement possible de recycler des effluents en mettant en ?uvre des technologies utilisées à bon escient.

La Direction de l’Eau du Ministère de l’Environnement estimait que l’industrie et les centrales thermiques prélevaient en 1990 : toutefois, la même étude indiquait que 300 millions de m³ (sur les 4 450 millions) étaient consommés par l’industrie et 200 millions (sur les 22 270 millions) par les centrales thermiques. L’eau qui transite ainsi dans les usines et les centrales en grande quantité et susceptible de subir une pollution dépasserait les 21,5 milliards de m³/an. L’eau consommée correspond à l’eau évaporée (dans les tours de refroidissement, rejets de vapeur) ou à l’eau incorporée dans les produits fabriqués. Il est techniquement difficile de réduire ce volume sauf à utiliser des circuits de refroidissement totalement clos (comme un circuit de refroidissement d’un véhicule automobile) en lieu et place des tours de refroidissement « évaporatives ».

Sur le papier cette solution est séduisante, toutefois le coût de la calorie éliminée est beaucoup plus élevé, et l’énergie consommée très importante. Par ailleurs, il est impossible (sauf en utilisant des pompes à chaleur) d’obtenir une température « froide » inférieure à la température sèche de l’atmosphère plus le delta T correspondant à l’efficacité de l’échangeur eau/air. Les économies d’eau que l’on peut faire consistent plus à réduire les appoints et recycler le maximum d’eau provenant des divers rejets de l’usine.

On peut ainsi citer :

- purges de chaudière,  
- condensats du procédé,  
- eaux industrielles contaminées,  
- eaux vannes,  
- eaux résiduaires industrielles,  
- eaux provenant de la matière première rentrant dans l’usine (on peut citer l’eau associée au pétrole brut dans une raffinerie).

Chaque site devient un cas particulier avec les spécificités de chaque procédé. Pour un procédé aussi simple que la production de vapeur, de nombreuses différences existent d’une usine à une autre pour les eaux reje-

Répartition de l’utilisation de l’eau de surface(en millions de m³)

Eau de surface

Eau souterraine

Industries

Centrales thermiques

Total (tous secteurs)

% industries + centrales

[Photo : Figure 1 : répartition du prélèvement d'eau de surface en France (en %)]
[Photo : Figure 2 : consommation d'eau estimée selon les phases de la construction]

Les rejets vont correspondre aux divers prétraitements (cycle de régénération de l'adoucisseur, de la déminéralisation, rejets de l'osmose inverse) aussi bien que les purges de la chaudière. Ces purges, si l'eau d’appoint est déminéralisée, seront alcalines et relativement peu salines. Elles contiendront de petites quantités de phosphate. Si l'eau d’appoint est de l'eau adoucie, la chimie de cette eau sera totalement différente avec une forte salinité, un TAC et un pH élevés. Dans la deuxième partie (étude de cas), il sera examiné la situation d’un site industriel pétrochimique.

Au vu de cette étude, il apparaît de manière évidente que le recyclage est techniquement toujours possible mais qu'il peut faire appel à des technologies complexes.

Étude de cas

Le problème

Une importante étude de réutilisation d’eau résiduaire a été réalisée dans le cadre de l'ingénierie de base d'un gros vapocraqueur (400 000 t/an) auxquelles sont associées quelques unités pétrochimiques (PE, PP, …). Cette présentation a pour but de donner un exemple pratique de la démarche à suivre sur un projet de réutilisation, elle met en évidence les principaux choix qui ont été faits lors de la conception du projet. Le complexe industriel doit être installé en deux phases. La deuxième phase se caractérise par une augmentation des besoins en eau de procédé et en eau de refroidissement. Une stricte limitation des ressources en eau de la région a motivé l'étude et a conduit à envisager un recyclage maximum de l’eau dans l’usine. Les autorités locales ont fixé des limites impératives à la consommation en eau brute du complexe qui sont respectivement de 900 m³/h en phase 1 et 1 000 m³/h en phase 2. Les consommations globales dans chacune des phases sont de 1 260 m³/h en phase 1 et de 1 400 m³/h en phase 2. La répartition vers les divers postes de consommation est détaillée dans le tableau 1.

Tableau 1 : répartition des consommations d’eau (m³/h)

Taux de refroidissement (évaporation)
Phase 1 : 842
Phase 2 : 928
Eau de procédé (déminéralisation + autres)
Phase 1 : 182
Phase 2 : 240
Eau de service
Phase 1 : 105
Phase 2 : 105
Eau potable (dont une partie seulement pour la consommation interne)
Phase 1 : 100
Phase 2 : 100
Eau incendie
Phase 1 : 30
Phase 2 : 30

Il était donc impératif de trouver des solutions pour recycler l'eau. L'étude a montré dans quelles conditions on pouvait recycler environ 380 m³/h en phase 1 et 420 m³/h en phase 2. Elle a permis de faire le choix des installations qui ont été développées dans l'ingénierie de base.

La démarche

Afin de pouvoir « boucler » le bilan en eau, une démarche en plusieurs étapes s'impose. Il s'agit de :

  • - Sensibiliser tous les intervenants du projet au problème de l'économie d'eau. Ceci implique de convaincre le directeur de projet du client qui acceptera les études et les investissements, d’informer le responsable des procédés qui intégrera, dans la mesure du possible, l'économie d'eau dans ses choix de conception, de s'assurer qu'à tous les stades du projet (conception, études, réalisation, opération) la gestion de l'eau sera prise en compte.
  • - Minimiser les consommations et les pertes. Minimiser les consommations consiste par exemple à augmenter le taux de concentration dans les circuits de refroidissement, à optimiser les quantités d'eau de régénération utilisées pour les échangeurs d’ions. Minimiser les pertes passe, par exemple, par l'optimisation de l'utilisation de l’eau potable ou pas, la récupération de l'eau « incendie » utilisée pour les exercices.
  • - Identifier les effluents et organiser une collecte sélective. La création de réseaux de collecte des effluents qui tiennent compte de la qualité des effluents est une étape fondamentale de la démarche pour optimiser le rendement des traitements.
  • - Faire les choix de réutilisation de l'eau. Dans cette étape, il faut faire des hypothèses sur ce que seront les effluents qui seront recyclés. Des conditions opératoires limites doivent être fixées pour certaines applications. Ces conditions serviront à fixer les performances des traitements retenus, voire à choisir le traitement. En pratique, on peut décider que de l’eau résiduaire après traitement biologique et traitement tertiaire physico-chimique sera utilisée pour de l'eau de « service » et pour de l’eau « incendie » même.
[Photo : Figure 3 : répartition de l'eau dans l'usine]

si la salinité est élevée. Pour de l’eau que l’on envisage d’utiliser en appoint des tours de refroidissement, il faut calculer pour les éléments limitants les concentrations que l’on obtiendra dans le circuit afin de décider si ces concentrations sont acceptables ou bien s’il faut améliorer la qualité de l’eau recyclée.

  • - Définir les traitements. Ce choix comporte deux étapes dans certains cas. Dans un premier temps, c’est une orientation principale qui doit être choisie du type « faut-il déminéraliser ou non les effluents avant recyclage ? » Dans un deuxième temps, le choix de la technologie doit être fait : faut-il déminéraliser avec une osmose inverse, une électrodialyse, de l’échange d’ions ? Il peut également arriver que la définition de certains traitements condamne une orientation principale choisie au départ et fasse resurgir des solutions éliminées dans un premier temps. Par exemple, la nécessité d’évaporer des rejets salins concentrés peut conduire à installer un évaporateur équipé d’un système de cristallisation d’un coût extrêmement élevé. Pour des coûts inférieurs, d’autres sources d’eau d’appoint, négligées initialement, peuvent être trouvées.

Les effluents

Les effluents d’un complexe tel que celui-ci peuvent être classés en grands groupes, chacun de ces groupes devant faire l’objet d’un type de traitement. Les effluents « traditionnels » concernent la majeure partie des eaux résiduaires qui sont collectées et traitées dans ce genre d’unité tels que :

  • - les effluents de lavage correspondant à la collecte de l’eau de « service » après usage essentiellement chargés en MES et contenant des matières organiques diverses.
  • - les effluents de procédé chargés en matières organiques et très chargés en salinité (soudes usées) mais en quantité faible.
  • - les effluents huileux provenant des zones où les risques de fuite et d’aspersion par des hydrocarbures sont réels. On distingue en général les effluents continuellement huileux des effluents accidentellement huileux.

Tous ces effluents font l’objet de déshuilage (pour certains), d’un traitement physico-chimique (clarifloculation et décantation), et d’un traitement biologique. Cette chaîne de traitements permet dans la plupart des cas un rejet de ces effluents. Dans le cas d’une réutilisation, ce rejet devient la source des traitements complémentaires ou de la réutilisation directe si celle-ci s’avère possible.

  • - Les effluents « propres » sont une deuxième catégorie qui souvent sont rejetés directement car considérés comme salins mais sans pollution organique demandant un traitement. Ces effluents concernent :
    • - les purges de chaudières qui ont une salinité moyenne et contiennent des produits de conditionnement. Les quantités sont faibles.
    • - les effluents de lavage des filtres d’eau brute ou des filtres installés en dérivé des tours de refroidissement. Ils sont caractérisés par une teneur élevée en matières en suspension.
    • - les purges des circuits de refroidissement dont la composition est directement fonction du taux de concentration retenu pour le circuit et de l’eau d’appoint. La composition peut varier fortement lorsque l’on recycle des eaux résiduaires dans le circuit. Ces effluents sont les premiers à être étudiés dans l’optique d’un recyclage. Dans le cas du projet, les paramètres qui ont imposé des conditions opératoires particulières et conduit à prévoir des traitements complémentaires sur ces effluents sont la silice et la teneur en chlorure maximale admise dans le circuit de refroidissement pour conserver des échangeurs en acier carbone.
  • - Les effluents très salins sont une troisième catégorie constituée par :
[Photo : Figure 4 : schéma du recyclage des eaux dans l'usine]

Tableau 2 : analyse des effluents selon leur source

Effluents Cl⁻ Ca²⁺ Na⁺ SO₄²⁻ Cl⁻ MES
Effluents « traditionnels » 253 80 250 15 80 100
Effluents « propres » 134 100 2000 200 400 100
Effluents très salins 0 ? >20 000 ? ? ?

- les effluents de régénération des chaînes de déminéralisation.

- les concentrats des traitements complémentaires mis en œuvre sur les effluents cités précédemment qui s’avéreront dans le cadre du projet être des éluats de régénération d'une nouvelle chaîne de déminéralisation et un concentrat d’électrodialyse. Ces effluents contiennent plusieurs dizaines de grammes par litre de sels et on ne peut guère envisager, lorsqu’ils sont les uniques effluents, que de les rejeter en mer, de les réinjecter dans des nappes souterraines saumâtres en pays désertique, ou de les traiter par évaporation.

Le recyclage

Comme indiqué plus haut, il est des utilisations qui sont définies assez rapidement. L’eau « incendie » et l’eau de « service » peuvent être d'une salinité assez élevée et une amélioration de la qualité de l'eau sortant du traitement biologique sur un traitement tertiaire de type coagulation-flottation-filtration permet la réutilisation après une bonne stérilisation. Le principal point de recyclage est en fait le circuit de refroidissement et c’est finalement les caractéristiques de fonctionnement du circuit qui vont déterminer les traitements complémentaires. Les calculs de l’analyse de l'eau du circuit en fonction de la qualité de l’eau d’appoint et de la qualité de l'eau recyclée ont été réalisés pour diverses variantes. Le taux de concentration sur le circuit de la tour a été pris égal à 8. Les différents cas correspondaient à :

1) Déminéralisation des effluents du biologique + désiliciage et déminéralisation des purges de tours.

2) Utilisation des effluents du biologique sans déminéralisation et désiliciage uniquement sur les purges de tours.

3) Déminéralisation des effluents du biologique et désiliciage uniquement des purges de tours.

Le tableau 3 montre les concentrations obtenues dans le circuit à l’équilibre. Les positions retenues ont été les suivantes :

1’) Envisager un fonctionnement avec un taux de concentration du circuit des tours de Rc = 8 mais dimensionner les équipements de traitement pour un Re = 6. Ceci pour pallier un éventuel problème lié à la teneur en silice très variable en période de mousson.

2’) Limiter la concentration en chlorure à 400 mg/l pour ne prendre aucun risque vis-à-vis de l’acier carbone. La possibilité de fonctionner à des concentrations en chlorures beaucoup plus élevées (2 500 à 3 000 mg/l) n’a pas été ignorée mais considérée comme un cas opératoire de repli.

Les conséquences de ces choix ont entraîné :

- La nécessité de réduire la salinité de l’eau sortant du biologique,

- La nécessité de désilicier et déminéraliser les purges de tour,

- La nécessité d’évaporer les effluents « très salins ».

Les traitements

Déminéralisation après traitement biologique

Le choix du traitement technique par coagulation-floculation-flottation-filtration s'est imposé comme une solution classique pour réduire au moins les MES et matières colloïdales. Le choix de la déminéralisation a nécessité une étude plus approfondie compte tenu des caractéristiques de l'eau : salinité de 2 500 mg/l, présence de DCO due aux composés aromatiques, forte présence de bactéries. La salinité élevée justifie une technique membranaire de type RO ou électrodialyse. L’application de l’osmose inverse a été écartée pour plusieurs raisons :

- Les conditions de température (35 - 37 °C) ne permettent pas l’usage de membranes en acétate de cellulose alors que les très gros risques de développement bactérien imposent une forte chloration.

- Le taux de récupération escompté pour cette technologie sur des eaux résiduaires de ce type est de l’ordre de 75 - 80 %, inférieur à celui retenu.

- La durée de garantie donnée par les fabricants de membranes en présence de composés aromatiques n’excède pas 6 mois à un an.

- La fiabilité de la production d’eau est réduite du fait que l’eau produite traverse la membrane et que le colmatage provoque une rupture de production.

C’est une solution avec électrodialyse réversible qui a été retenue pour les raisons suivantes :

- La salinité totale correspond à des concentrations où cette technologie est compétitive du point de vue investissement et coût opératoire.

- Existence d'une installation fonctionnant depuis de longues années sur des effluents de type pétrochimique en aval du traitement biologique permet d’avoir un retour d’expérience.

- Le pourcentage d’élimination des sels qui est souvent un handicap en déminéralisation classique est acceptable dans cette application.

- En cas de problème de colmatage des membranes, l’eau produite (bien que de qualité dégradée par une salinité plus élevée) continue à être produite.

Le traitement des purges du circuit de refroidissement, élimination de la silice

Dans ce cas, le choix de la première étape du traitement s'est imposé rapidement. L’élimination de la silice par précipitation par de l’aluminate ou de la magnésie, combinée avec une décarbonatation à la chaux, cumule les avantages :

- Déconcentration limitée à l’extraction des boues,

- Élimination des sels de calcium avec la silice.

Tableau 3 : concentrations obtenues dans le circuit à l’équilibre

Analyse (mg/l) Cas 1 Cas 2 Cas 3
Cl⁻ 84 114 97
Ca²⁺ 45 63 51
Mg²⁺ 9 14 7
Na⁺ 523 1 102 302
Cl 221 1 031 161
SO₄²⁻ 397 788 290
SiO₂ 60 260 90
[Photo : Figure 5 : prix de l'eau selon les technologies employées]
  • Technologie très éprouvée, température de travail.
  • Amélioration du traitement par déconcentration de la partie chaude du circuit.
  • Déminéralisation par échange d’ions.

Le problème le plus crucial étant de s'assurer que les réacteurs fonctionnent à un pH (9,5 – 10) suffisamment élevé pour que l’action du dispersant de la silice, qui joue un rôle majeur dans l'ensemble, soit complètement annihilée.

Déminéralisation des purges de tour après désiliciage

Le choix à ce stade pourrait s’orienter vers divers procédés qui ont chacun été considérés dans le détail :

  • EDR pour des raisons comparables à celles évoquées en déminéralisation des effluents biologiques, mais le taux de conversion plus faible que la solution retenue entraînait une augmentation de la capacité de l’évaporateur.
  • Osmose inverse : problème de coût et problème de performances des membranes à la température de travail.
  • Déminéralisation par échange d’ions, avec un simple échangeur de cations forts et d’anions faibles puisque le rôle principal est de limiter la salinité en chlorure, la silice ayant été éliminée par précipitation.

Cette solution, qui permet de travailler avec une grande efficacité de régénération, conduit à une faible perte d'eau et une faible consommation en réactifs.

D'un point de vue investissement, cette solution bénéficie également de toutes les installations existantes, notamment en ce qui concerne les moyens de régénération (stockage de réactifs, fosse de neutralisation). Les conditions de coûts sont très favorables.

Evaporateur

L’évaporateur devait traiter 55 m³/h et être muni d’une unité de cristallisation. La puissance électrique installée aurait été de 1500 kW. La production de 50 m³/h complémentaires aurait impliqué un coût d’investissement et opératoire inacceptable. Cet investissement n’a pas été retenu et les autorités indiennes ont accepté de porter à 1060 m³/h le débit de consommation maximale utilisable par l’entreprise.

Coût global de recyclage en fonction des installations rajoutées

Le coût du m³ d'eau a été calculé en appliquant une formule économique valable pour l'ensemble de la conception du complexe.

Technologie employée et prix de l’eau

Consommation totale Coût par m³ (US$/m³) Recyclage supplémentaire Installations à rajouter
985 m³/h 0,213 Eau brute
1115 m³/h 0,218 130 m³/h Traitement tertiaire
1230 m³/h 0,774 115 m³/h EDR
1350 m³/h 1,221 120 m³/h Physico-chimie + déminéralisation
1400 m³/h 6,938 50 m³/h Évaporateur
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