François Philipps et Benoît Duthoit, VEOLIA EAU
Bernard Droz, SADE Forages
Raphaël Delattre, SIAER-Ambleteuse
Le Syndicat Intercommunal de la Région d'Ambleteuse dispose de deux sites de production d'eau potable : deux forages à La Mendelle et trois forages à Slack.
Depuis 2007, ces sites présentaient des signes inquiétants de perte de production et un diagnostic, réalisé en 2009, indiquait une chute brutale de leur productivité.
La situation des deux sites, en zone côtière sur un domaine protégé, a conduit à proposer un traitement sans produit chimique, produits classiquement utilisés en cas de colmatage de forage. Le procédé innovant AirShock consiste à envoyer des ondes de choc à l'aide de gaz comprimé dans le forage pour le décolmater.
Cette technique a ainsi permis une déstabilisation des encroûtements, une remise en place du massif de graviers et l'évacuation de résidus permettant d'enrayer l'ensablement du forage.
Après curage et nettoyage des forages à l'émulseur, des pompages d'essai ont été réalisés, avec des résultats très concluants : une augmentation des débits et une diminution des rabattements.
Le SIAER d'Ambleteuse (figure 1), situé en frange littorale du Pas-de-Calais, prélève environ 0,4 million de m³ d'eau par an à partir de ses captages (figure 2) et alimente près de 5 000 habitants. Ses ouvrages captent l'aquifère complexe du Kimméridgien à l'état de calcaires, grès, et sables mélangés à des marnes et des argiles. Tous les ouvrages sont équipés d'une crépine inox à fil enroulé avec massif de gravier filtrant. Ces forages sont protégés en application de l'arrêté préfectoral de DUP (déclaration d'utilité publique) daté de 1986.
[Encart :
LES CHIFFRES DU SERVICE
• Habitants desservis : 4 492
• Abonnés (clients) : 2 720
• Installation(s) de production : 2
• Réservoir(s) : 4
• Longueur de réseau (km) : 116
• Taux de conformité microbiologique (%) : 79,7
• Rendement de réseau (%) : 78,7
• Consommation moyenne (l/hab/j) : 150
LES COMMUNES DESSERVIES
Ambleteuse, Audinghen, Audresselles, Bazinghen, Beuvrequen, Offrethun, Wacquinghen]
[Photo : Figure 1 : Les données du SIAER-Ambleteuse.]
Mots clés : Forage, Régénération, Décolmatage, Ressource, Eau potable
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2008 |
N/N-1 |
Volume prélevé par ressource (m³) |
001-Usine de Hove |
186 266 |
183 980 |
170 018 |
152 773 |
166 100 |
8,7 % |
002-Usine de Slack |
258 919 |
265 350 |
278 346 |
208 680 |
208 156 |
-0,3 % |
[Photo : Volumes prélevés par ressource.]
Au mois de mars 2009, un diagnostic a été réalisé sur les forages F1 - F2 du site de Slack et F1 - F3 du site de La Mendelle-Hove (figure 3), qui subissent une nette perte de production d’eau par rapport aux années antérieures, et avec une problématique d’ensablement sur le site de Slack, qui gêne fortement la déferrisation (utilisée par couple de forages pour un débit de 2 × 30 m³/h).
[Photo : Situation des captages Slack et La Mendelle.]
Ce diagnostic a mis en évidence de fortes baisses de productivité, (avec une responsabilité du forage F2 Slack pour l’ensablement de la station), nécessitant de procéder rapidement à une régénération des quatre ouvrages.
Les comparaisons des courbes de productivité (rabattement en fonction du débit)
[Photo : Courbes de productivité du forage F3 - La Mendelle.]
établies alors tendent à prouver l’existence d’un colmatage à la fois minéral et organique avec la présence naturelle, dans les ouvrages, d’hydroxydes de fer et de bactéries du fer, propices à obstruer les crépines des forages.
Programme de travaux
Soucieux de protéger l’environnement dunaire, le Syndicat d’Ambleteuse a opté pour une solution de traitement des quatre forages, sans injection de produits chimiques, ni de rejet de leurs résidus dans le milieu naturel, en utilisant une nouvelle technologie, dénommée procédé Air Shock (figure 5). Cette technique consiste à créer une onde de choc à l’aide d’un gaz au droit des parties crépinées colmatées, par l’intermédiaire d’un « canon » introduit dans l’ouvrage à différentes profondeurs, qui va libérer de l’azote comprimé sous forme de bulles de gaz et provoquer, à chaque décompression, une onde déstabilisant les encroûtements plus ou moins indurés présents sur les crépines et les désolidariser des parois du tube lors du retour d’onde. Par ailleurs, la simplicité de mise en œuvre a été un atout supplémentaire.
Les opérations se sont déroulées du 14 juin au 2 juillet 2010 avec un test de productivité au préalable effectué sur chaque ouvrage le 11 juin 2010 sur la base de pompages par paliers de courte durée chacun (4 × 0 h 30).
Les inspections caméra ont été réalisées systématiquement avant et après nettoyage, pour établir les comparaisons et vérifier l’efficacité du traitement.
Le forage F2 Slack a dû être curé à l’émulseur avant de le traiter avec l’Air Shock suite à un dépôt important encombrant la base des crépines et le tube de décantation sur près de 8 m.
Du fait d’un colmatage plus prononcé des deux forages de La Mendelle au niveau de leur crépine inférieure (épaisseur des encroûtements, masquage des génératrices
Le matériel est descendu dans le forage et mis en route par un technicien qui contrôle l’opération du pupitre de commandes.
La sortie de l’azote crée une bulle de gaz à haute pression engendrant une onde de choc et un puissant flux d’eau dans la crépine et dans l’aquifère.
L’onde de choc, envoyée à 45° par rapport à l’outil, permet la décompression du gaz, engendrant un reflux rapide de l’eau et des particules solides dans le forage.
[Photo : Procédé Air Shock.]
de crépines...), il a été décidé de procéder à un brossage des tubes (figure 6), avant de réaliser le traitement Air-shock, qui risquait sinon de ne pas être aussi efficace.
[Photo : Brosses de forages.]
Traitement Air-shock
Un canon « à air » suspendu par un câble est descendu dans le forage et, sur toute la hauteur des crépines, il se met en action en libérant du gaz/azote sous pression (figure 7) à des intervalles de temps réguliers, pour déstabiliser les dépôts colmatants présents sur les crépines.
[Photo : Stockage d'azote.]
Au fur et à mesure de la descente du canon, un système d’émulsion (air-lift) permettait de pomper, depuis le bas du forage, afin de récupérer toutes les matières incrustantes et les sédiments éventuels de l’aquifère capté, piégés dans un massif de gravier filtrant, qui ont été remis en mouvement sous l’action de l’onde de choc.
Tout au long de la progression du canon, des témoins (figure 8) ont été pris avec un cône de sédimentation pour vérifier la nature des eaux extraites, très chargées au départ et ayant tendance à s’éclaircir par la suite.
[Photo : Prélèvements.]
Après une série de tirs sur toute la hauteur crépinée, le traitement Air-shock était interrompu pour laisser l’émulseur fonctionner et libérer les eaux sales jusqu’à éclaircissement. Le but de l’opération était d’évacuer le plus possible d’eau chargée en colloïdes afin de libérer l’aquifère et de remobiliser les horizons productifs initialement colmatés.
À la reprise des tirs, l’eau pouvait se resalir à des degrés plus ou moins forts selon le « développement » du forage, et il était décidé de poursuivre ou non l’opération en fonction de la nature de l’eau et des matières en suspension, pour éviter que ces eaux turbides ne stagnent dans le forage en continuant à les évacuer jusqu’à éclaircissement.
Toutes ces eaux, dénuées de produits chimiques, étaient évacuées à la sortie de chaque site, via le trop-plein sur le site de Slack ou en limite de parcelle sur le site de La Mendelle, sur la pelouse, pour laisser filtrer l’eau avant qu’elle ne rejoigne le ruisseau situé à proximité.
Pour établir des comparaisons, des échantillons d’eau étaient pris régulièrement pour vérifier l’amélioration apportée par les tirs successifs. En laissant décanter l’eau recueillie dans les différents cônes (figure 9), on pouvait apprécier une certaine ségrégation de l’eau en divers compartiments.
[Photo : Colloïdes.]
Pour les forages F1 Slack et F3 La Mendelle, l’eau extraite était fort turbide au début avec une nature plutôt colloïdale, qui se déposait dans le cône au bout de plusieurs minutes et qui recréait une eau de couleur marron dès que le cône était à nouveau remué.
Pour les forages F2 Slack et F1 de La Mendelle, une forte proportion de sables a pu être constatée sur chaque ouvrage lors des nettoyages à l’émulseur, avec des cônes remplis d’abord de sables puis de matières colloïdales, qui se sont estompées par la suite au fur et à mesure du traitement des ouvrages.
Régulièrement, un contrôle du massif de gravier était effectué entre le tube cimenté et la colonne de captage pour voir son éventuel tassement lors des traitements Air-shock (figure 10).
Prof avant (m) |
Prof après (m) |
Écart (m) |
F2 Slack |
26,30 |
28,00 |
1,70 |
F1 Slack |
17,60 |
18,90 |
1,30 |
F1 La Mendelle |
2,26 |
3,85 |
1,59 |
F3 La Mendelle |
16,20 |
16,35 |
0,15 |
[Photo : Tassements des massifs de gravier.]
[Photo : Site de Slack.]
On a observé des différences de descente du massif filtrant entre les ouvrages (moins marqué au F3) avec comblement du vide obtenu dans la partie pleine de la colonne de captage par du gravier filtrant approvisionné.
Pompages d’essai comparatifs
Slack (figure 11)
Le traitement Airshock n’a pas permis de retrouver les conditions d’exploitation d’origine du forage F1, mais une amélioration notable se fait sentir par rapport aux essais avant traitement. On peut noter qu’entre les tests de 2009 et ceux juste avant traitement en juin 2010, aucune perte franche de productivité n’a été constatée. Sur le F2, le traitement Airshock a été très efficace, d'une part, en raison des similitudes des courbes entre les données d’origine et celles obtenues après traitement, d'autre part, en raison de la disparition du sable au cours des pompages, ce qui permettra de mieux gérer la station de traitement du fer, et éviter des nettoyages intempestifs des filtres. Les courbes de 2009 et celles avant traitement sont quasi-identiques avec toutefois un signe avant-coureur de dégradation de la productivité au dernier palier de juin 2010, que le traitement a réussi à oblitérer.
[Figure : Comparaison des tests de pompage – Forage F2 Slack.]
La Mendelle
Le traitement Airshock a permis d’améliorer la productivité du forage F1, en retrouvant quasiment les données d’origine après une nette diminution des performances de l’ouvrage qui s’étaient dégradées depuis 2009.
Le forage F3 est celui dont les performances ont été très peu améliorées par le traitement ; toutefois, cet ouvrage était le seul à s’éclaircir déjà très rapidement par rapport aux trois autres forages, ce qui peut s’expliquer par sa conception différente avec une
[Photo : Caméra avant et après traitement.]
[Figure : Coupe de forage.]
partie pleine plus importante.
Diagraphies
L'analyse des passages caméra – notamment au droit des crépines (figure 13) – montre sur l'ensemble des forages un nettoyage très significatif des ouvrages, et une récupération des ouvertures de passage d’eau.
Des diagraphies ont été réalisées en parallèle sur chaque ouvrage, à savoir une diagraphie de type gamma-ray qui détecte les éléments radioactifs naturels essentiellement présents dans les horizons argileux ou marneux, et une diagraphie de thermo-conductivité qui permet de visualiser d’éventuels mouvements d’eau, même lorsque l’aquifère n’est pas sous l'effet d'un pompage.
Au niveau des diagraphies gamma-ray, le contraste entre les sables dunaires et les formations du Jurassique (coupe en figure 14) est bien marqué pour trois forages (entre 18 et 22 m de profondeur), alors que pour le forage F1 de la Mendelle, le signal est très atténué à cause de tous les tubes qui ont été posés depuis sa création en 1965, avec les cimentations en conséquence.
Très peu de contrastes de température apparaissent sur F1 Slack, ainsi que sur les deux forages de La Mendelle. Quant à F2 Slack, des variations sont visibles à la base de la crépine haute et en tête de la crépine basse, mais peu significatives.
Au niveau de la conductivité, chaque ouvrage montre un profil légèrement différent (avec des variations sensibles au droit de certaines crépines).
Conclusion
Soumis à de fortes pertes de productivité, les forages de Slack (F1 et F2) et ceux de la Mendelle (F1 et F3) ont fait l'objet d'un traitement en urgence et de mise en œuvre simple et rapide, juste avant la période estivale, pour essayer de retrouver une productivité suffisante afin d’assurer un fonctionnement optimum de la station de déferrisation.
Les quatre ouvrages ont été traités par le procédé « Airshock » spécialement utilisé dans des milieux sensibles sur le plan environnemental (zone dunaire), permettant de régénérer les ouvrages sans avoir à utiliser de produits chimiques avec la contrainte de leur rejet dans le milieu naturel.
Le contrôle par caméra des ouvrages avant et après traitement a permis de mesurer l’efficacité de ce traitement, en dégageant les crépines fortement incrustées, en liaison avec un colmatage à la fois minéral et organique.
Sur les quatre forages traités, deux forages ont pu retrouver les conditions d’exploitation d'origine, tout en enlevant la problématique d’ensablement de la station, avec aujourd'hui des nettoyages de filtres beaucoup moins fréquents.
Même si les deux autres forages n’ont pas connu une amélioration aussi nette, un débit global de 60 m³/h a pu être retrouvé sur chaque site avec 35 m³/h pour F1 et 25 m³/h pour F3 sur La Mendelle, et 35 m³/h pour F2 Slack avec 25 m³/h pour F3 Slack (non traité ici de par sa grande fragilité et sa vétusté). Le forage F1 Slack servira en appoint en se limitant à un débit de 10 à 15 m³/h.
Les résultats du traitement Airshock peuvent être considérés comme concluants, mais il faut maintenant suivre l’évolution des productivités des ouvrages pour voir le degré de pérennité du traitement.
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