Une eau usée après l'évier développe dans les conduites un biofilm bactérien exubérant et potentiellement dangereux dans la mesure où il reçoit régulièrement des eaux chaudes qui sont sélectives de Legionella. Ce cas est rencontré lors de désinfection par l'eau chaude des réseaux d'eau potable (Eaux thermales par exemple). Un protocole de désinfection est conçu pour traiter les parties de la conduite d'eau usée sélectionnant potentiellement de Legionella, basé sur l'application en charge de biocides, tels que formol, CO2, H2O2, acide formique.
L’histoire de la découverte de la bactérie Legionella révèle les propriétés remarquables de cette bactérie émergente. Elle tue en groupe, par bronchite aiguë, en même temps, des hommes immunodépressifs. Elle fut dépistée après de longues recherches dans un endroit longtemps insoupçonné : les biofilms chauds des dispositifs de conditionnement d’air. Cette découverte révélait une nouvelle écologie bactérienne qui posait des problèmes inattendus et ébranlait les certitudes de l’hygiène traditionnelle. Les conséquences de l’écologie de Legionella ne sont pas encore totalement prises en compte. Le cas des biofilms d’eaux usées exposés à des températures proches de 45 °C est discuté dans les lignes qui suivent.
On entend par biofilm un dépôt d'origine bactérienne dans une conduite où circule de l'eau, n'importe quelle eau. Le dépôt naît d'un accrochage initial de quelques cellules bactériennes vivantes (adhésion active) mais tout aussi bien de l’accrochage de bactéries mortes (adhésion passive). Ces premières bactéries pionnières fixées par leur exopolymère (gel extracellulaire) ont nécessairement une affinité chimique autorisant l’adhérence sur la nature chimique et les propriétés de surface du support (PVC, PET, céramique, porcelaine, fonte, acier, cuivre…).
La chimie de la conduite dans laquelle un biofilm se développe est le premier agent de sélection des bactéries du biofilm. La première couche cellulaire fixée peut à son tour offrir une autre chimie, une chimie souvent plus acceptable, à l'adhérence des bactéries que le matériau de la conduite. L’abondance du biofilm est sous la dépendance de plusieurs facteurs : la rugosité du support qui ménage plus ou moins de niches, des abris aux bactéries, la vitesse de l’eau circulant dans la conduite – les petites vitesses favorisant la formation de biofilms épais au contraire des grandes qui abrasent ou décrochent le biofilm, lequel colonise la conduite en aval –, la teneur en nutriments favorise la formation d'un biofilm épais mais il faut savoir que même sur eaux sans nutriment organique, eau distillée par exemple, un biofilm très mince peut se développer, adapté au milieu carencé. Les espèces bactériennes en question adoptent alors des formes naines dotées d'un haut pouvoir d’adhérence, leurs tailles sont de l’ordre de 0,2 µ.
Les chocs thermiques intermittents ont un effet sur les biofilms qui s’adaptent en augmentant l’épaisseur d’exopolymère et en mettant en œuvre des mécanismes génétiques de réparation cellulaire. Les biofilms épais, provenant par conséquent d’eaux usées, hébergent une microfaune de prédateurs adaptés, ciliés, protozoaires, amibes ou même métazoaires tels que Nématodes, Acariens. En sorte que, il n’y a pratiquement jamais de conduite d’eau propre ou usée sans biofilm.
Types de biofilms
Dans les eaux potables, les biofilms quand ils existent sont peu épais car les conduites sont lisses, les vitesses intermittentes mais élevées, le chlore rémanent exerce une certaine action bactériostatique et il n’y a pas de nutriment organique. Dans les réseaux d’eau chaude il y a souvent des dépôts carbonatés mélangés au biofilm, dépôts qui le favorisent en offrant des niches protectrices aux bactéries. Dans les zones des conduites où la température est de l’ordre de 45 °C, Legionella, bactérie thermophile résistante, peut se développer à l’abri de la concurrence des bactéries ordinaires du biofilm qui ne sont pas résistantes à ces températures.
On appelle en pratique eau usée l’eau propre après le robinet dès qu’elle arrive dans l’évier du lavabo, l’évier de la cuisine, la cuvette des toilettes, les siphons de sol, les siphons des machines à laver. Dans les conduites recevant ces eaux usées les biofilms sont toujours épais (Figure 1), car les nutriments sont abondants, les vitesses d’écoulement modérées, gravitaires jamais en charge, les ensemencements bactériens très importants et permanents, l’adhérence des dépôts est facilitée par les corps gras contenus dans ces eaux.
On reconnaît dans ces biofilms épais plusieurs biotopes :
- la partie du biofilm collée au support, anaérobie, noire, site de formation d’H₂S ;
- la partie du biofilm en surface, aérobie, en phase de croissance et soumise à une érosion permanente hydraulique qui maintient une épaisseur d’équilibre du biofilm.
Si des eaux à température élevée transitent par ces conduites, des dépôts de CaCO₃ se forment dans la conduite (Figure 2). Ils occupent une place plus importante que le biofilm bactérien qui toutefois continue son développement.
Communauté bactérienne du biofilm
Les différents facteurs de sélection évoqués ci-dessus rendent compte des différentes espèces bactériennes présentes dans un biofilm. Un consortium bactérien à avantages imbriqués complexes s’établit. Chaque espèce du consortium apportant les particularités de son métabolisme, par exemple production d’AGV, de H₂S, de NH₃, de CO₂, de CH₄ dans les couches anaérobies et, dans les couches de surface, production de gels, d’enzymes, d’antibiotiques, de métabolites divers qui régulent la dynamique des populations bactériennes.
Legionella et les biofilms
Le genre Legionella, hétérotrophe, aérobie, a pour habitat naturel dans la nature les sédiments humides, les biotopes humides ; c’est un genre très largement distribué mais jamais en effectif important, toujours en compagnie de bactéries du sol plus abondantes en effectif, c’est la raison pour laquelle le genre Legionella a été découvert si tard. Les propriétés du genre sont :
- thermorésistance aux températures inférieures ou égales à 50 °C, températures létales pour les autres bactéries des biofilms ;
- vie symbiotique possible dans le protoplasme d’amibes nues des biofilms qui les ingèrent sans les détruire. La présence d’amibes nues dans un biofilm est évidemment suspicion de multiplication de Legionella ;
- taux de croissance inférieur à celui des bactéries du biofilm lorsqu’elles vivent au milieu du consortium bactérien, mais multiplication intense lorsqu’elles sont ingérées par une amibe, hôte fréquent des biofilms.
- Propagation par l'air. Les Legionella sont facilement entraînées par le vent lorsque le biofilm est exposé à l'air. Elles se trouvent sous forme d’aérosols et c'est sous cette forme qu’elles sont contaminantes.
- Bactéries pathogènes porteuses d'une toxine virulente. La voie de pénétration chez l'homme est la voie respiratoire. Il se passe alors au niveau des macrophages des alvéoles pulmonaires ce qui a lieu avec les amibes, Legionella se multiplie dans le macrophage qui est détruit et libère un plus grand nombre de Legionella amplifiant ainsi la contamination.
Biofilm et risque sanitaire
Un biofilm soumis à des contacts fréquents avec de l'eau chaude a une forte probabilité de sélectionner des Legionella. Dans les conduites d’eau usée, sous les éviers recevant régulièrement des eaux chaudes ou même très chaudes, il existe toujours une zone de la conduite des eaux usées où la température s'est abaissée et avoisine 50 °C. C'est dans cette zone que la prolifération de Legionella a lieu et que les autres espèces bactériennes du biofilm disparaissent, détruites par la température élevée. Dès lors les conduites sous évier soumises à des déversements réguliers d’eau chaude sont potentiellement dangereuses.
Mesures de précautions sanitaires
Les mesures s'inscrivent dans une stratégie globale de limitation et contrôle du biofilm des conduites d'eau usée, considéré comme l’écologie naturelle des Legionella. Elles comprennent désinfection poussée et régulière des conduites sous évier, examen systématique des biofilms, examen des biotopes eau usée exposés aux températures critiques de 50 °C et superbement ignorés des doctrines sanitaires.
Le devenir de l’eau usée dans un évier
Dès que l’eau potable sort du robinet elle devient eau usée et perd immédiatement une bonne partie de l'intérêt qu’on est habitué à porter à l’eau potable. La suite du trajet de l’eau est mal connue et les programmes de désinfection s'arrêtent presque toujours au niveau de l'évier. Le siphon hydraulique d’évier destiné à opérer l'occlusion de la conduite est le premier organe où un biofilm permanent se forme. Les nutriments et la macération de l'eau dans le siphon expliquent ce développement. Des fragments de biofilm détachés lors de l’ouverture du robinet colonisent et ensemencent les parties aval de la conduite. Selon la température des eaux déversées dans l’évier il y aura ou non sélection de bactéries Legionella. Normalement dans les habitations les températures ne sont pas assez chaudes pour opérer la sélection en question mais il existe des cas où elle peut se produire par exemple dans les ateliers où l'eau de process doit avoir une température voisine de 50 °C.
Un cas intéressant est celui des systèmes de désinfection par eau chaude à 70 °C tel que pratiqué dans les hôpitaux et stations thermales. L’eau chaude s’écoule pendant parfois une heure dans le réseau d'eau potable et s’écoule dans les éviers pour rejoindre l’égout. Le réseau d’eau usée sous évier bénéficie de cette haute température et le biofilm est détruit. Mais il n’est détruit que sur le parcours des conduites où l'eau usée est au-dessus de 50 °C. À partir de cet endroit la sélection de Legionella peut commencer et bien entendu plus bas dans la conduite un biofilm à plusieurs espèces bactériennes, exubérant, se développera exalté par la température tiède de l'eau usée et ceci d’autant plus que des dépôts puissants de CaCO₃ se forment dans la conduite. Le risque probable en somme dans une telle installation de désinfection c'est la production d'un biotope sélectif de Legionella, dans le réseau des eaux usées. Au point de vue sanitaire l'affaire n’est pas très grave car le réseau d’eau usée est isolé par le siphon hydraulique et ses 7 cm de garde d'eau, de plus le sens des écoulements vers le bas interdit toute remontée des fluides avec ses germes éventuels vers le haut, hors de l’évier.
Réflexions sur la propagation de Legionella dans un réseau d’eau usée
Lorsqu’une conduite d’eau usée soumise à des déversements d'eau chaude est colonisée par des Legionella, il importe de prévoir les divers modes de propagation de la bactérie pour précisément anticiper les risques éventuels de contamination. Cinq modes de propagation au moins des Legionella sont possibles.
- Décrochage de fragments du biofilm qui colonisent l'aval et passent dans l'eau d'égout.
- Transport par les amibes mais les déplacements ne peuvent qu’être limités dans les zones voisines de la colonie.
Le déplacement d'une amibe est de l’ordre de 1 mm par heure.
- Entraînement par l’eau usée d’amibes infectées. Elles ensemencent l’aval de la conduite jusqu’à l’égout.
- Par microorganismes prédateurs de biofilm, nématodes par exemple.
- Par insectes, hôtes naturels des conduites d’eau usée. La mouche Psychoda (Figures 3, 5).
Un biotope privilégié : le biofilm des conduites d’eaux usées
Il arrive parfois d’observer des petites mouches immobiles sur les murs, autour des éviers, des siphons de sol ou des cuvettes des toilettes. Il s’agit d’un diptère de la famille des Psychodidées dont les ailes tectiformes à double pente, symétriques, sont couvertes de poils soyeux non mouillables. Les sexes se différencient par la forme des antennes.
Le déplacement est saltatoire, ailes déployées. Il existe une dizaine d’espèces de Psychodididés. L’habitat de ces petits diptères est constitué par tout milieu humide, confiné, tiède, obscur, contenant de la matière organique fermentescible. Les adultes pondent dans les endroits où des dépôts organiques sont formés, biofilms épais des eaux usées par exemple, suffisamment épais pour que les larves (Figure 4) s’y développent à l’abri de l’entraînement par les chasses d’eau.
L’appareil respiratoire des larves de Psychoda est adapté à la vie dans les biofilms épais, anaérobies. La larve possède un siphon caudal s’ouvrant dans la zone aérée alors que la tête de la larve est enfouie dans la biomasse.
Dans un réseau d’égout, l’insecte adulte explore les canalisations qui se présentent dans ses recherches de territoire de ponte ou de colonisation. Ils sont attirés par les températures tièdes et, pour cette raison, remontent dans les canalisations d’eau usée jusqu’aux siphons qui bloquent leurs explorations. Les chasses d’eau dissuadent les explorations dans les petites conduites, mais la nuit les migrations reprennent quand le réseau est calme. Toute rupture de la garde d’eau du siphon hydraulique dans les éviers et analogues, soit par évaporation, soit lors d’un désamorçage par dépression, offre aux Psychoda l’occasion de sortir du réseau d’eau usée et de faire irruption dans les cuisines, cabinets de toilette... C’est d’ailleurs la présence de Psychoda qui est un indice de désamorçage des siphons.
Ainsi, dans l’hypothèse d’un réseau d’égout recevant des eaux chaudes et possédant une zone favorable aux Legionella, les mouches Psychoda qui circulent dans le réseau peuvent très bien être un agent de propagation de ces germes, soit par contact avec les pattes, soit par ingestion et défécation.
Désinfection particulière des biofilms à Legionella
Il est souhaitable de concevoir un procédé radical de désinfection du biofilm suspect de contenir des Legionella.
Le principe du procédé consiste à équiper la conduite d’eau usée, dans sa partie concernée par la contamination du biofilm après le siphon d’évier, d’une vanne automatique, à la remplir d’une solution désinfectante, à laisser agir, à la vider et rincer. Ce traitement est à effectuer à fréquence régulière à déterminer dans chaque cas.
Le protocole de désinfection de ces parties de la conduite d’eau usée contient les séquences suivantes :
- Fermeture de l’électrovanne.
- Le siphon et la cuve de lavabo sont remplis d’une dissolution d’eau oxygénée titrée à 10 volumes. Une couche de liquide de 5 cm environ est maintenue au-dessus de la grille du lavabo.
- Temps de contact : 1 heure, à affiner par approches successives, selon l’épaisseur du biofilm.
- Intervention du laboratoire de contrôle qui constate :
- l’absence de matières organiques ;
- la persistance d’un excès d’eau oxygénée.
- Vidanger et rincer.
- Culture de contrôle sur milieu approprié des Legionella.
- Si la culture est positive quelques jours après l’opération de désinfection, renouveler l’opération en modifiant un ou plusieurs des facteurs agissant sur la désinfection : temps de contact, concentration de la solution biocide.
- Rincer abondamment.
Contrôle d’efficacité de la désinfection
À l’issue du temps de contact, un excès de solution désinfectante doit être constaté. Trois possibilités sont offertes :
- Une dissolution d’acide chromique à 1 % dégage, en présence de traces d’eau oxygénée, une coloration bleue, sensibilité : 1·10⁻⁶.
- Une dissolution d’iodure de potassium de quelques gouttes, ajout d’amidon puis d’une trace de sulfate ferreux, prend une couleur bleue en présence d’eau oxygénée. Sensibilité : 1·10⁻⁶.
- Une dissolution de permanganate de potassium, additionnée d’une goutte d’acide fort (HCl), se décolore en présence d’eau oxygénée.
Un procédé de désinfection intéressant à tester
En milieu obscur, le CO₂ dissous dans une eau minérale ionisée génère l’acide carbonique H₂CO₃ dans les limites d’une plage de pH compatible avec l’équilibre calco-carbonique.
Dans ces conditions, en présence d’aldéhyde formique, deux puissants bactéricides se forment simultanément : acide formique et eau oxygénée.
Cette réaction mérite d’être étudiée dans l’application désinfectante ci-dessus.