Le Syndicat intercommunal de l’agglomération clermontoise, constitué en 1967, décidait la construction d’une station d’épuration pour traiter les eaux résiduaires des 14 communes le composant. Une première phase (épuration physique) a été mise en service en 1973, la deuxième (épuration biologique) en 1978. L'exploitation est assurée par la SGDE*.
Dès le début de la mise en service du traitement et jusqu’en 1987, l'indice de boue diluée présentait des valeurs supérieures à 300 ml/g sur 80 % de la durée de cette période ; dans tous les cas, l’indice de boue ne décroissait pas en dessous de 150.
L'augmentation du débit admis sur la station (1984 : 40 000 m³/j ; 1988 : 56 000 m³/j) a mis en évidence un phénomène — le bulking — peu préoccupant auparavant. Devant des perturbations à répétition, dont les effets se révélaient de plus en plus sérieux (nécessité de diminuer la charge hydraulique des décanteurs secondaires), des remèdes ont été recherchés débouchant sur la mise en œuvre d'une technique peu usitée en France : la chloration des boues activées.
Trois campagnes curatives ont ainsi été menées : avril 1987, mars 1988 et décembre 1988. Elles semblent maintenant pouvoir faire partie de l’exploitation normale de la station.
* Filiale Degrémont - SOGEA.
La station d’épuration de l'agglomération clermontoise
En majorité d'origine urbaine, les eaux usées arrivent à la station par un réseau mixte gravitaire (figure 1).
L’effluent, relevé par des vis d'Archimède (d'une capacité totale de 8 675 m³/h), subit des prétraitements de dégrillage, déshuilage et dessablage.
Il est ensuite réparti également sur deux décanteurs primaires d'une capacité unitaire de 4 250 m³. Après décantation, l'effluent est admis en épuration biologique moyenne charge, qui se compose comme suit :
— deux bassins d'aération indépendants, fonctionnant en parallèle et composés chacun de trois compartiments en série. Ces bassins représentent un volume total utile de 6 420 m³ ; l'eau à traiter est admise en aération au moyen de trappes réparties le long des deux premiers canaux. La boue en retour est admise et réoxygénée sur les premiers deux tiers du premier canal ; l’aération et le brassage sont réalisés par deux groupes de soufflantes centrifuges de 15 000 m³/h chacune. Cet air est insufflé en fines bulles au travers de disques poreux ;
— deux décanteurs secondaires circulaires indépendants, alimentés également en liqueur mixte, assurant la séparation de la boue activée et de l'eau épurée. Ces deux bassins ont une surface unitaire utile de 1 680 m² pour une hauteur de liquide de 3,5 m. L’eau ainsi traitée est rejetée au milieu naturel après comptage. Les boues décantées au fond des décanteurs secondaires sont reprises par des exhausteurs puis dirigées au pied de deux vis de recirculation (465 l/s chacune). C’est à ce niveau que s’opère la sélection entre les boues de recirculation et les boues en excès. Ces dernières
sont en grande majorité traitées par flottation pour être mélangées aux boues primaires avant de subir un traitement physico-chimique (chaux, chlorure ferrique) et d’être filtrées sur 4 filtres-presses à haute pression. Les boues ainsi déshydratées sont mises en décharge, et pourront être éventuellement valorisées en agriculture. Elles représentent annuellement 3 200 tonnes de matières sèches (hors réactifs).
Qu’est-ce qu’un gonflement filamenteux (ou bulking) ?
La prolifération de bactéries filamenteuses entraîne, à brève échéance, un détassement de la boue biologique dans les décanteurs secondaires, et engendre lors des pointes de débit le départ de celles-ci vers le milieu récepteur ; la diminution du pouvoir épurateur de la station est l’amorce d’une situation difficilement contrôlable.
Une valeur d’indice de boue supérieure à 200 ml/g confirmée par une observation microscopique mettant en évidence certaines bactéries filamenteuses, sont les signes, sur la station d’épuration de Clermont-Ferrand, d’un début de foisonnement.
Origine du foisonnement
Sur cette installation les causes probables de déclenchement de ce phénomène sont multiples. Elles peuvent agir isolément ou en synergie ; nous en avons répertorié quelques-unes :
- — déficit en oxygène lié à des à-coups de pollution,
- — diminution du rendement d’oxygénation par encrassement des disques poreux,
- — apport d’effluents septiques par l’intermédiaire du réseau ou des retours de la chaîne de traitement des boues.
Moyens de lutte testés sur l’étage biologique
Dans un premier temps ont été définis des moyens de lutte pour remédier à cette situation :
- • diminution de la charge admise en aération pendant des périodes plus ou moins longues ;
- • modification de la distribution de l’effluent :
- — admission de la boue en retour et de l’effluent en tête de bassin et écoulement en piston,
- — admission des boues en retour en tête de bassin et alimentation étagée,
- — réoxygénation des boues en retour sur les deux premiers tiers du premier canal et admission de l’effluent sur le tiers restant et écoulement en piston ;
- • modification de l’oxygénation :
- — sur-oxygénation par la mise en service de la deuxième soufflante (doublement du débit d’air),
- — sous-oxygénation par abaissement du débit d’air à la valeur plancher de 10 000 m³/h (les disques poreux ne peuvent supporter un débit plus faible ou un arrêt prolongé de 24 à 48 heures sans risquer un colmatage irréversible) ;
- • augmentation de l’âge et de la concentration des boues biologiques (dans la mesure où la capacité de stockage des décanteurs secondaires le permet).
Ces moyens ont été, pour certains, limités dans leur application et sans doute dans leur effet, en particulier du fait des caractéristiques des équipements en place. Nous nous sommes assurés, d’autre part, que l’effluent comportait des teneurs suffisantes en azote et en phosphore par rapport à la DBO₅.
Devant l’échec de ces différentes tentatives, nous nous sommes tournés vers un contrôle chimique de ce bulking.
Mise en place de la campagne de chloration
À ce niveau d’expérimentation, nous avions le choix entre deux substances : l’eau oxygénée ou le chlore (chlore gazeux ou en solution).
L’eau oxygénée présente l’avantage d’une faible toxicité (même à hautes doses) vis-à-vis de la faune épuratrice, son inconvénient majeur étant son coût.
L’eau de javel a des effets toxiques vis-à-vis de la faune (même à faibles doses), mais nécessite une mise en œuvre et un suivi délicats.
Pour des raisons économiques et de mise en œuvre, notre choix s’est orienté vers l’eau de javel en solution commerciale.
Données de base
La phase d’approche ainsi que le suivi de cette opération ont été grandement facilités par les travaux de D. Jenkins et de son équipe.
Dans ses publications, D. Jenkins a mis en relief plusieurs paramètres nécessaires pour un traitement efficace :
- • Détermination de la valeur de l’indice de boue au niveau de laquelle les décanteurs secondaires fonctionneront de manière satisfaisante ; dans notre cas, cette valeur est comprise entre 100 et 150 ml/g.
- • Constatation d’un indice de boue relativement élevé et constant avant d’entamer une chloration. Cet indice sera suivi journalièrement (par l’indice de boue diluée si nécessaire).
- • Injection du chlore de façon connue et contrôlée sur toute la masse biologique et ce, avec un point d’injection favorable à un mélange rapide et énergique. Il est, en effet, indispensable de connaître la quantité de chlore injectée par rapport à la masse de boue à traiter ; pour ce faire, il faut disposer d’une courbe de débit de la pompe doseuse et réaliser un inventaire complet de la biomasse en présence dans les bassins d’aération et les décanteurs secondaires (BA = 16 t, D = 7 t, Total MS = 23 t). Pour éviter un sur-dosage ponctuel et une consommation inefficace, le point d’injection qui devra être retenu sera celui qui présentera le plus de turbulence ; il sera obligatoirement choisi sur le parcours des boues en retour.
- • Injection là où la demande en chlore de
La part de la matière organique non vivante est à son minimum ; c'est dans la boue en retour qui est un mélange d'eau épurée et de biomasse que cette condition est optimum. D’autre part, il faudra veiller à ce que la concentration en nitrite ne soit pas importante du fait de sa consommation élevée en chlore ; le cas échéant, il faudra procéder à un ajout d'ammoniaque en amont de l'injection de chlore.
D'après D. Jenkins, le taux de passage d'une même particule de boue au point d'injection devra être supérieur à 2,5 fois par jour et ceci pour une concentration à ce point inférieure à 35 mg Cl₂/l :
— dose de Cl₂ injectée par jour : D en g Cl₂/kg MS/j :
dose de Cl₂ injectée/jour ───────────────────────────────────────── MS des bassins d'aération + MS des décanteurs secondaires
— concentration en chlore au point d'injection : C en mg Cl₂/l :
masse totale de Cl₂ injectée/jour C = ─────────────────────────────────────── débit total passé au point d'injection
— taux de passage d'une même particule de boue au point d'injection :
masse totale de MS passant dans la journée au point d'injection ─────────────────────────────────────────────────────────────── masse totale de MS du système
L'injection de chlore pour contrôler un foisonnement consiste à introduire un toxique dans un écosystème, avec les conséquences néfastes que cela peut engendrer par manque de suivi analytique ; les contrôles suivants sont donc indispensables :
— mesure de l'indice de boues, — niveau de boue en décantation secondaire, — état de la faune, — mesure de la turbidité de l'eau épurée. Une augmentation de cette dernière, ou un aspect laiteux de l'effluent épuré, sont le signe d'un surdosage.
Moyens mis en œuvre
Le point d’injection choisi à Clermont-Ferrand a été le pied de vis de recirculation, cet endroit étant, semble-t-il, celui rassemblant le plus de critères favorables.
Pour des raisons de commodité, l'eau de javel nous a été livrée en container de 800 l (autonomie, absence de transvasements d’un produit dangereux). L'injection a été effectuée au moyen d'une pompe doseuse. L’ensemble des contrôles et analyses ont été réalisés sur place par les deux techniciens en épuration, sans interruption, pendant la durée totale de l'opération qui a été de 15 jours. Les contrôles et analyses effectués l'ont été de façon pluri-quotidienne pour les paramètres suivants :
— niveau de boue dans les décanteurs secondaires, — indice de boue, — débit d'eau de javel au point d'injection, — contrôle visuel de la turbidité de l'eau épurée.
— MES - DCO - DBOS (analyses quotidiennes), — observations microscopiques.
Résultats et bilan d’une campagne de chloration
Les trois campagnes présentant des résultats similaires, seuls les premiers essais sont décrits dans cet exposé (figures 2 et 3).
Doses appliquées
La première campagne de chloration a démarré avec un indice de boue dilué de 450 et une charge hydraulique admise, en rapport avec la valeur élevée de cet indice.
Nous avons consigné dans le tableau I, pour des périodes données, les doses de chlore appliquées, les indices de boues lus en début et fin de période.
Tableau I
Nombre de jours | D en g Cl₂/kg MS/j | C en mg Cl₂/l | F - Taux de passage | Indice de boues diluées |
---|---|---|---|---|
3,5 | 25 | 0,70 | 15 | 450 - 315 |
7 | 42 | 1,20 | 15 | 315 - 180 |
3 | 32 | 0,90 | 15 | 180 - 110 |
2 | 12 | 0,35 | 15 | 110 - 100 |
Les injections de chlore ont cessé dès que la valeur 100 de l’indice de boue a été atteinte.
Évolution de la microfaune et de la microflore des boues
• Métazoaires et Protozoaires.
Les Aspidica ont été nombreux jusqu’au neuvième jour, puis ont disparu totalement et brutalement avant de réapparaître 40 jours plus tard. Le nombre de Vorticelles, d’Epistylis, de Litonotus, de Trachelophyllum, d’Acinétiens, d’Amibes restait stable pendant toute l’opération. Le quatorzième jour, nous avons remarqué la présence de Rotifères, Nématodes, Coleps et Stentor. Ces deux dernières espèces, qui ne font pas partie de la faune habituelle des bassins, disparurent un mois après leur apparition.
• Filaments de type 0961, Microthrix Parcivella (figures 4, 5 et 6).
Durant les dix premiers jours de la campagne, aucun changement n’est apparu quant à leur nombre et leur aspect. Ensuite, sur les individus présents dans l’interfloc, sont intervenues des modifications portant sur leur taille (raccourcissement) et sur leur aspect qui devient granuleux, les filaments se recouvrant d’agglomérats bactériens et de débris divers. Entre le dixième et quinzième jour, ils disparaissent totalement de l’espace interfloc, mais restent présents dans le floc. À partir du quinzième jour, les filaments du floc commencent à raccourcir puis disparaissent totalement.
Fonctionnement de l’étage biologique
La reprise de charge jusqu’à la normale s’est opérée progressivement pendant 17 jours. Trois semaines après l’arrêt de la chloration, on recevait 125 % de la charge hydraulique normalement admise.
Quantité de réactif utilisé pendant la campagne de chloration
La consommation totale en eau de javel commerciale atteint 9,76 tonnes (soit environ 1,035 t de Cl₂).
Remerciements
Cette opération a pu être réalisée grâce au S.I.E.A.C., maître d'ouvrage des installations, et aux services techniques de la ville de Clermont-Ferrand assurant le contrôle de l’exploitation.
Nous remercions MM. Drakides, ingénieur à l'Université de Montpellier, Pujol, ingénieur au Cemagref, Rideau, ingénieur à l'Agence de Bassin Loire-Bretagne, responsable de l’antenne de Clermont-Ferrand, pour identification des micro-organismes responsables du foisonnement bactérien. M. Fourneret-Satese du Puy-de-Dôme pour son assistance technique et MM. Bohatier et Nahimana (UER Clermont-Ferrand) pour leur concours photographique et leur suivi de la dynamique des populations.
BIBLIOGRAPHIE
Drakides C. (1974). Étude des bactéries filamenteuses des boues activées, CTGREF - Mémoire n° 2, 34 p.
Jenkins D., Richard M.G., Neethling J.B. (1984). Causes and control of activated sludge bulking, Wat. Pollut. Control 83 (4).
Lakay M.T., Wentzel M.C., Ekama G.A., Marais G.v.R. (1988). Bulking control with chlorination in a nutrient removal activated sludge system, Water SA 14 (1), p. 35-42.
Nahimana D. (1988). Observation et estimation quantitative de microorganismes des boues activées d'une station d'épuration des eaux urbaines. Agglomération de Clermont-Ferrand. Mémoire de DEA : UER Clermont-Ferrand, 40 p.
Pujol R. (1982). Mise au point sur le foisonnement des boues, techniques actuelles de lutte, CEMAGREF, document n° 4, 37 p.
Pujol R. (1987). Maîtrise du fonctionnement des boues activées : biosorption et zones de contact, approche méthodologique. Thèse Docteur ès Sciences : INSA Lyon, 154 p.
Tomlinson E.J., Chambers B. (1984). Control strategies for bulking sludge. Wat. Sci. Techn. 16, p. 15-34.
Rideau J.P., Drakides C. (1980). Prévenir, diagnostiquer, supprimer les pertes de boues dans les stations d’épuration à boues activées. Cahiers techniques de la Fondation de l'Eau, 46 p.
Vedry B. (1976). L’analyse écologique des boues activées. Brucker Segetec, 125 p.