La station d’épuration du C.E.A. de Vaujours produit de façon chronique une boue activée riche en filaments bactériens qui, dans certains cas, se développent exagérément au point d’altérer la qualité du traitement épuratoire de la station.
Lors d’une crise de foisonnement des boues survenue en mai 1986, un traitement curatif a été appliqué par apport d’eau oxygénée concentrée dont le suivi a été assuré par un prototype d’appareil de mesure récemment mis au point au C.E.A. : le Ponarimètre automatique. Le caractère explosif du réactif à forte concentration a nécessité des précautions particulières.
HISTORIQUE DU TRAITEMENT PAR L’EAU OXYGÉNÉE
L’eau oxygénée est expérimentée depuis peu de temps pour éliminer les bactéries filamenteuses (contrairement aux traitements chlorés) et le nombre de publications détaillées à ce sujet est restreint.
Le dosage d’H₂O₂ étant indifféremment exprimé par rapport au débit d’eau brute, au débit de boue activée recyclée ou au poids de boue, une étude comparative de la littérature impose un choix des unités de dosage ; nous choisirons les kg d’H₂O₂ globalement utilisés par kg de MS des boues activées, assortis de la durée d’application.
Pour une réduction de l’indice de décantation des boues activées de 50 %, Keller et Cole proposent un dosage variant de 0,1 kg H₂O₂ par kg MS de boues activées appliqué pendant 9 jours à 0,9 kg H₂O₂ par kg MS de boues activées appliqué pendant un jour. Ils mentionnent qu’une dose inférieure à 0,1 kg H₂O₂ par kg MS est inefficace et que, par ailleurs, une concentration supérieure à 4,50 g/l de boue activée de retour est nuisible au fonctionnement sain des boues zoogléales.
L’article de synthèse d’Interox mentionne un dosage efficace de 0,35 kg H₂O₂ par kg MS de boues activées.
Schwarzer, sur une boue filamenteuse de laiterie contenant un mélange de Sphaerotilus de 021N de Nocardia, expérimente avec succès une dose de 0,09 kg H₂O₂ par kg MS de boues activées pendant 6 jours.
Ces références montrent que les doses de réactif varient de manière importante selon les expériences ; cela est dû au degré variable d’élimination des bactéries filamenteuses mais aussi aux différences d’espèces et de densité de leur peuplement, ou encore au mode de fonctionnement de la station biologique.
Le site d’application d’H₂O₂ jugé idéal est la conduite de recyclage des boues activées secondaires, celle où la concentration des boues est la plus élevée, où la concentration en eau brute est la plus faible et où le mélange H₂O₂ et boue est le plus facile à réaliser.
Schwarzer signale que, par suite de la formation de bulles d’oxygène (qui engendrent des écumes), il est parfois nécessaire d’appliquer H₂O₂ dans le bassin d’aération lui-même et non pas dans la conduite de recyclage des boues.
En règle générale, l’action d’H₂O₂ se prolonge longtemps après l’arrêt du traitement ; toutefois les filaments réapparaissent après un délai variable car les causes de sélection des filaments n’ont pas été supprimées par le traitement à l’eau oxygénée.
Le mode d’action d’H₂O₂ semble être une oxydation des structures polysaccharidiques bactériennes qui conduit à la destruction de la cellule. L’oxydation dépend de la concentration en H₂O₂ : les structures filamenteuses baignant dans le liquide interstitiel de concentration maximale en H₂O₂ sont les premières atteintes. L’inhibition préférentielle des filaments se traduit par un développement relatif des bactéries zoogléales.
Notons également que l’action d’H₂O₂ s’exerce non seulement sur les filamenteuses, mais aussi sur les bactéries situées à la périphérie du floc en contact avec le liquide interstitiel. Ces bactéries floculées sont elles aussi détruites au cours du traitement H₂O₂, mais le réensemencement est immédiatement assuré par les couches bactériennes unicellulaires situées à l’intérieur du floc ; celles-ci se développent d’autant plus vite qu’elles sont stimulées par la haute concentration d’oxygène dissous engendrée par l’apport d’H₂O₂.
LA STATION D’ÉPURATION DU C.E.A.
L’épuration biologique des eaux résiduaires du Centre de recherche du C.E.A. à Vaujours est réalisée au moyen
d'un bassin « combiné », c’est-à-dire d'un bassin d’aération séparé du décanteur secondaire par une simple cloison pourvue d’orifices de communication. La recirculation des boues activées décantées s'effectue dans ce cas au moyen de cinq éjecteurs pneumatiques (Béduwés) qui entrent en action successivement toutes les 6 secondes. Le taux de recyclage des boues décantées secondaires est d’environ 200 % du débit d'eau brute.
Les caractéristiques de la station au moment de l'expérimentation (juin) étaient les suivantes :
— volume d’aération .......... 12 m³ — volume décanteur secondaire ................. 20 m³ — débit d'eau brute quotidien .............. 90 m³/j — débit d'eau brute horaire ............... 3,75 m³/h — DBO₅ moyenne de l’eau brute ............... 200 mg/l — concentration des boues activées ............. 5 000 mg/l — charge massique Kg DBO₅ ............... 0,3 kg/Kg MS j — temps de séjour en aération ............... 3 h 15’ — température de l'eau brute ............... 25 °C
La station possède la particularité de pouvoir accumuler les eaux brutes dans un réservoir-tampon qui les restitue à débit constant.
LE PONSARIMÈTRE AUTOMATIQUE
C'est un appareil automatique qui réalise les mesures, effectue les calculs et affiche les résultats de l'indice Ponsar des boues activées.
L'indice Ponsar est un indice de décantation des boues activées qui peut se définir par le volume qu’occupe un gramme apparent de boues activées après 30 minutes de décantation.
Le poids apparent résulte d’une mesure densimétrique du poids des boues activées obtenue au moyen du Ponsarimètre, appareil manuel commercialisé par Hydrocure.
L’intérêt du poids « apparent » (c’est-à-dire du poids issu d'une mesure densimétrique) par rapport au poids sec usuellement utilisé en analyse, est de rendre compte des propriétés densimétriques, donc des propriétés de décantation des boues activées, lesquelles varient suivant de multiples facteurs : teneur en matière organique, forme des flocs, présence ou non de filaments bactériens, etc. Le poids apparent est exprimé en gramme par litre.
Dérivé du Ponsarimètre manuel, le Ponsarimètre automatique, mis au point récemment à Vaujours, peut effectuer sans intervention humaine une détermination de l’indice Ponsar toutes les heures. Un calculateur organise les mesures et restitue les résultats : volume de boue décantée en 30’, poids apparent des boues (indice Ponsar), sous forme d’une fiche d’analyse.
TRAITEMENT DES BOUES FILAMENTEUSES PAR L'EAU OXYGÉNÉE
Après une série de mesures des boues activées sans traitement pendant une dizaine de jours et après avoir constaté la présence de bactéries filamenteuses, un apport d'eau oxygénée est réalisé dans les conditions suivantes :
Point d’application de l'eau oxygénée (H₂O₂)
La configuration du bassin combiné ne permet pas d’appliquer l'eau oxygénée sur le recyclage des boues ; dans ces conditions, l'apport d’H₂O₂ a lieu dans le bassin d’aération en un point central jugé correctement brassé, à environ un mètre de profondeur.
Mode d’application de l'eau oxygénée
La solution H₂O₂ est utilisée à la concentration de 110 volumes. Elle est distribuée au moyen d’une pompe péristaltique dans le bassin d'aération pendant huit heures environ par jour (c’est-à-dire pendant la présence de personnel dans la station, précaution jugée indispensable du point de vue de la sécurité) dans les conditions suivantes :
nombre d’heures d’application H₂O₂ (h) ...................... 44 poids d’H₂O₂ appliqué (kg) ............ 14,52 débit de la pompe d’H₂O₂ (l/h) ............ 1 débit massique de la pompe d'H₂O₂ (kg/h) .................. 0,33
Concentration des boues activées et purge de boues en excès
Au cours de l’expérimentation, les purges de boues en excès ont été supprimées ; la concentration en MES doit par conséquent augmenter peu à peu. Cette procédure évite l’interférence éventuelle des purges sur la diminution espérée de l’indice de décantation par simple effet de déconcentration des boues activées.
RÉSULTATS
Phases de l’expérimentation
L’expérimentation a duré 17 jours, du 13 juin au 30 juin 1986, au cours desquels le contrôle des boues activées a été réalisé à l'aide du Ponsarimètre automatique, avant, pendant et après traitement.
Évolution du poids apparent des boues activées (figure 1)
Avant le traitement, le poids apparent des boues activées est compris entre 0,75 g/l et 1,5 g/l ; au cours du traitement, il est compris entre 0,8 g/l et 2,2 g/l ; après traitement, le poids apparent est plus stable. La tendance à l’augmentation du poids apparent s’explique par l’arrêt des purges de boues en excès au cours de l’expérience.
La fluctuation très importante du poids apparent au début du traitement par H₂O₂ traduit la modification des propriétés densimétriques des boues sous l’influence du réactif.
Évolution de l’indice Ponsart Ip (figure 2)
L’Ip est compris, avant le traitement, entre 475 et 700 ml/g apparent (Ip = volume occupé par 1 g apparent de boue après 30’ de décantation) ; en cours de traitement, il varie entre 375 et 550 ; après traitement, il est compris entre 250 et 325 ml.
Le traitement par H₂O₂ a donc eu pour effet de diminuer l’Ip de près de 50 %, résultat remarquable, si l’on tient compte qu’il n’y a pas eu de purge de boues activées et que leur concentration a augmenté.
Les fluctuations de l’Ip au cours d’une journée sont une particularité de la mesure du poids apparent, qui est sensible aux variations de densité des boues. Le Ponsarimètre automatique permet de mesurer ces variations inaccessibles aux moyens analytiques usuels.
Turbidité de l’eau épurée
Avant le traitement, la turbidité mesurée au disque de Secchi est de 70 cm. Pendant le traitement, l’eau épurée devient laiteuse (présence de lysats cellulaires dus à H₂O₂). Après le traitement, la turbidité au disque de Secchi est nettement améliorée, elle est de 1,0 à 1,5 m.
Évolution des MES des boues activées
Les concentrations en MES des boues activées passent de 4,9 g/l (avant traitement) à 5,6 g/l (en fin d’expérience), ce qui est dû à la suppression des extractions de boues en excès pendant la durée de l’opération.
Les bactéries filamenteuses
Les boues ne contiennent qu’une seule espèce bactérienne filamenteuse ; voici leur fiche signalétique :
- — les filaments, très nombreux, sont disposés en écheveaux ;
- — la longueur moyenne du trichome est de l’ordre de 350 µ ;
- — les flocs zoogléaux sont reliés entre eux par des filaments qui forment des ponts ;
- — largeur cellulaire : 1,2 à 1,1 µ ;
- — longueur cellulaire : 1,33 µ ;
- — filaments sans branchement ;
- — trichomes pourvus d’une gaine visible au microscope électronique à balayage ;
- — l’espèce filamenteuse correspond à la description de Eikelboom. Elle est du type 021N.
Analyse écologique des boues activées
Avant traitement :
- — filaments bactériens très nombreux,
- — peu de bactéries libres dans le liquide interstitiel,
- — zooflagellés rares,
- — chilodenella,
- — rotifères (faune majoritaire),
- — amibes,
- — trachelophyllum,
- — nématodes.
Dix jours après traitement :
- — filaments bactériens plus rares,
- — bactéries libres nombreuses,
- — zooflagellés rares,
- — rotifères rares,
- — nématodes rares,
- — opercularia.
Le traitement par l’eau oxygénée concentrée a pour effet de désorganiser les flocs de zooglée, mais aussi de provoquer une destruction des filaments bactériens ; en outre, il a modifié provisoirement la biocénose initiale.
Quantité d’H₂O₂ utilisée
La quantité d’H₂O₂ utilisée au cours du traitement curatif est exprimée par rapport au total des poids des boues activées contenues dans les bassins d’aération et de décantation secondaires.
La liste des données permet le calcul de la dose d’H₂O₂ appliquée :
- — solution d’H₂O₂ = 110 volumes = 330 g/l H₂O₂
- — débit pompe d’H₂O₂ = 1 l/h
- — volume aération = 12 m³
- — volume boue en décanteur II = 4 m³
- — concentration boue aération = 4,8 g/l
- — concentration boue décantée II = 5,1 g/l
- — poids total de boue = 78,1 kg (aération + décantation)
- — nombre total d’heures d’application de H₂O₂ = 44 h
- — poids total d’H₂O₂ pur distribué = 14,52 kg
Dosage d’H₂O₂ appliqué :
14,52 kg H₂O₂ = 0,186 kg H₂O₂/kg MS78,1 kg MS
Le dosage d’H₂O₂ est appliqué pendant 44 heures effectives, mais de manière intermittente ; il assure une diminution de moitié de l'indice de Ponsar.
Keller et Cole, dans leur expérience d’élimination de l'espèce filamenteuse pourvue d'une gaine Sphaerotilus (donc voisine du type observé à Vaujours, lui aussi pourvu d'une gaine) utilisent un dosage compris entre 0,1 kg H₂O₂ par kg MS et 0,4 kg H₂O₂ par kg MS.
L'ordre de grandeur du dosage utilisé à Vaujours (de 0,18 kg H₂O₂/kg MS) est donc compris dans la fourchette de dosage expérimentée par Keller et Cole. Il est par contre supérieur au dosage mentionné par Schwarzer, qui est de 0,09 kg H₂O₂ par kg MS.
Oxygène dissous dans le bassin d'aération
Au cours de l’application d’H₂O₂ dans le bassin d’aération, une augmentation importante de la concentration d’oxygène est observée. Elle provient de la décomposition d’H₂O₂ selon la formule :
2 H₂O₂ → O₂ + 2 H₂O.
Les concentrations en oxygène dissous fluctuent dans le bassin d’aération entre 5,8 mg/l et 9,0 mg/l, les fluctuations étant dues vraisemblablement au recyclage périodique des boues décantées secondaires. Les concentrations en oxygène dissous avant et après le traitement sont, dans la journée, de l'ordre de 2 mg/l.
Effets du traitement par H₂O₂ dans le temps
Le traitement par H₂O₂ est suivi d'une diminution progressive du nombre des bactéries filamenteuses pendant deux semaines environ, à la suite de quoi leur effectif se stabilise à une valeur très faible pendant cinq mois. Six mois après le traitement, les bactéries filamenteuses se développent à nouveau, au point de nécessiter un nouveau traitement pour les éliminer.
Comme suite à cette observation, le délai de réapparition des filaments bactériens est estimé à environ six mois, ce qui signifie que deux traitements sont nécessaires par an pour contrôler leur développement.
Coût du traitement
Sur la base des prix suivants (TC) :
1 litre H₂O₂ à 110 vol = 14,27 F 1 kg H₂O₂ pur = 43,24 F
Le coût du traitement en réactif H₂O₂ revient à :
44 h × 14,27 = 628 F
Exprimé par kg de boues activées, le coût du traitement en réactif H₂O₂ s'élève ainsi à : 7,81 F/kg de boues activées (poids sec)
Exprimé par m³ d’eau traitée (2 traitements par an), le coût du traitement est :
628 --------- = 0,04 F/m³ 90 m³/j × 6 × 30
Ce coût est parfaitement négligeable devant le coût de l’ordre de 1 F d'un m³ d'eau épurée dans le cas de stations inférieures à 10 000 équivalents-habitants. Il ne serait plus négligeable dans des stations de grande capacité.
CONCLUSION
L’eau oxygénée à 110 volumes appliquée sur une boue activée foisonnante envahie de bactéries filamenteuses du type 021N a pour effet d’améliorer l’indice de décantation des boues (Indice Ponsar) dès les premiers jours du traitement.
À la suite de l'application d'eau oxygénée, l'effectif des bactéries filamenteuses diminue progressivement ; il se maintient à une valeur faible dans les boues activées pendant les cinq mois qui suivent le traitement ; les filamenteuses se développent à nouveau six mois après le traitement.
Les doses de réactif H₂O₂ utilisées sont de l'ordre de 0,18 kg H₂O₂ pur par kg de MS boues activées (aération + décantation) réparties à raison de 8 h par jour pendant 5 jours.
Le coût du traitement par H₂O₂, suffisant pour maîtriser le foisonnement filamenteux pendant six mois (exprimé par m³ d'eau épurée), s'élève à 4 centimes/m³.
L’évolution de l’indice de décantation des boues, pendant et après le traitement par H₂O₂, a été suivie au moyen du Ponsarimètre automatique ; prototype mis au point par le C.E.A., cet appareil est capable d’exécuter toutes les heures une mesure du poids apparent des boues par voie densimétrique, une mesure du volume décanté en 30', de calculer l’indice de Ponsar correspondant à ces mesures et d’éditer les résultats.
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