La consommation de l'eau et sa pollution sont devenues depuis quelques années, en France et dans la plupart des pays industrialisés, des problèmes de plus en plus préoccupants et les autorités sont amenées à prendre des mesures draconiennes pour, non seulement interdire les rejets pollués, mais aussi, dans certains cas, limiter la consommation d’eau.
L’industrie du traitement de surface est l’une des plus touchées par ces mesures. C’est pourquoi elle est de plus en plus amenée à traiter ses effluents et à les recycler au moyen de techniques modernes et fiables. Les échangeurs d’ions représentent une des solutions de ce problème.
LES ÉCHANGEURS D’IONS
La génération actuelle d’échangeurs d’ions est constituée de résines synthétiques qui se présentent généralement sous forme de particules sphériques de diamètre compris entre 0,3 et 1,2 mm. Ces résines possèdent des groupements actifs, greffés sur la matrice, capables d’échanger leurs ions mobiles avec les ions de même signe contenus dans les solutions avec lesquelles elles sont mises en contact.
On distingue quatre grands groupes d’échangeurs d’ions :
- les échangeurs de cations fortement acides du type acide sulfonique ;
- les échangeurs de cations faiblement acides du type acide carboxylique ;
- les échangeurs d’anions fortement basiques (ammonium quaternaire) ;
- les échangeurs d’anions faiblement/moyennement basiques (amine secondaire ou tertiaire).
De par leur acidité ou basicité différente, chaque groupe d’échangeurs d’ions possède des propriétés différentes : ainsi un échangeur de cations fortement acides est capable, sous la forme H⁺, de fixer tous les cations d’une solution de pH 1 à 13 ; par contre, un échangeur de cations faiblement acides ne pourra fixer sous une forme neutralisée (Na⁺ par exemple) que des cations divalents et/ou trivalents d’une solution de pH 3 à 8.
Un échangeur d’anions faiblement basique ne fixera que les anions d’acides forts (pH solution 1 à 5) alors que la résine fortement basique fixera tous les anions d’acides forts et faibles (pH solution 1 à 12).
D’un autre côté, les résines faiblement acides et basiques sont très facilement régénérées par des solutions d’acides forts (HCl, HNO₃, H₂SO₄) et de bases fortes (NaOH, KOH) ; il faut par contre de gros excès de ces mêmes réactifs pour régénérer les échangeurs de cations fortement acides et d’anions fortement basiques.
SÉLECTIVITÉ DES ÉCHANGEURS D’IONS
Les échangeurs d’ions sont dans certaines conditions capables de sélectivité, c’est-à-dire de ne fixer qu’un ion déterminé au milieu de plusieurs autres. Ceci dépend d’abord de l’affinité de la résine pour l’ion considéré, étant entendu que plus l’affinité est élevée, plus la régénération est difficile.
Les affinités respectives sont dans l’ordre suivant :
- échangeurs de cations fortement acides (forme H⁺) : Cr³⁺ > Al³⁺ > Pb²⁺ > Fe²⁺ > Ca²⁺ > Ni²⁺ > Cd²⁺ > Cu²⁺ > Zn²⁺ > Mg²⁺ > Ag⁺ > K⁺ > NH₄⁺ > Na⁺ > H⁺
- échangeurs de cations faiblement acides (forme Na) : H⁺ > Cu²⁺ > Pb²⁺ > Fe²⁺ > Zn²⁺ > Ni²⁺ > Cd²⁺ > Ca²⁺ > Mg²⁺ > NH₄⁺ > Na⁺
Échangeurs d’anions fortement basiques (forme OH⁻) :
Cyanures complexes métalliques > détergents anioniques > complexes de l'EDTA >> NO₃⁻ > CrO₄²⁻ > PO₄³⁻ > oxalate > NO₂⁻ > Cl⁻ > F⁻ < CH₃COO⁻ > HCO₃⁻ > HSiO₃⁻ > CN⁻ > H₃BO₃ > OH⁻.
Il faut signaler que les trois premiers mentionnés sont fixés par les résines d'une façon tellement solide qu'il est pratiquement impossible de les éluer pendant la régénération.
Échangeurs d’anions moyennement basiques (forme base libre) :
OH⁻ > Fe(CN)₆⁴⁻ et ³⁻ > Zn(CN)₄²⁻ > Cu(CN)₄³⁻ > Ni(CN)₄²⁻ > détergents anioniques > CrO₄²⁻ > SO₄²⁻ > NO₃⁻ > NO₂⁻ > SCN⁻ > Cl⁻ > oxalate > F⁻.
TYPES D’EAUX RENCONTRÉES ET SCHÉMAS UTILISÉS
Les eaux résiduaires des ateliers de traitement de surface se répartissent normalement dans quatre types : eaux de rinçage acides, basiques, chromatées et cyanurées.
Il y a peu d’années encore, on pouvait, sur une seule installation, traiter ces quatre eaux mélangées. La législation française interdit maintenant le mélange des eaux acides et des eaux basiques. Le recyclage de ces eaux se fait donc nécessairement sur deux installations distinctes :
Installation de traitement des eaux acides (mélange eaux acides et eaux chromatées) ; le schéma utilisé est simple :
— Échangeur de cations fortement acide,
— Échangeur d’anions moyennement basique.
Installation de traitement des eaux basiques (mélange eaux basiques et eaux cyanurées) ; le schéma utilisé est plus complexe :
— Échangeur de cations fortement acide,
— Échangeur d’anions moyennement basique,
— Échangeur d’anions fortement basique.
Dans ce cas, l’échangeur d’anions fortement basique est obligatoire car lui seul est capable de retenir les anions d’acides faibles comme les bicarbonates, carbonates, silicates, borates et surtout, à cause de leur toxicité, les cyanures. D’un autre côté, l’échangeur d’anions moyennement basique est indispensable pour assurer la protection de l’unité fortement basique. En effet, si l’on se reporte au chapitre des affinités, on comprend qu’on ne peut laisser une solution contenant des cyanures complexes métalliques, des détergents anioniques ou des sels complexes de l'EDTA passer directement sur l’échangeur fortement basique.
Le résultat serait rapidement désastreux car la difficulté, voire l’impossibilité, d’éluer ces corps pendant la régénération entraînerait un blocage irréversible de la capacité, rendant la résine plus ou moins rapidement inutilisable.
CALCUL D’UNE INSTALLATION DE RECYCLAGE
La capacité utile d'un échangeur d’ions est limitée. Elle est de l’ordre de 0,5 à 1,5 équivalent par litre de résine, soit approximativement 20 à 40 g/l de métaux pour un échangeur fortement acide. La régénération demande 1,5 à 4 fois la quantité stœchiométrique en acide (HCl, HNO₃ ou H₂SO₄) ou en soude caustique. En outre, les résines consomment de l'eau pour leur régénération et leur rinçage (eaux de service = deux à dix fois le volume de résine).
Dans ces conditions, on peut comprendre l’intérêt de n’admettre sur l’installation de recyclage que les effluents présentant une pollution inférieure à 10 milliéquivalents par litre. La moyenne des installations se situe autour de 0,5 à 1 meq/l ; plus on dépasse cette valeur, plus la quantité d’eau traitée est faible, plus le nombre de régénérations est important. En définitive, l’utilisateur se retrouvera devant un coût d’exploitation prohibitif et c’est pourquoi il est fortement conseillé de prévoir le lavage des pièces en cascade avec un bain mort. Ce bain n’est pas traité sur les échangeurs d’ions et rejoint les bains usés pour un traitement chimique.
Les résines mises en œuvre dans l’installation doivent être capables :
– d’éliminer la pollution (ionique),
– de purifier une certaine quantité d’eau brute d’appoint destinée à compenser les pertes (en général 3 à 10 % du débit).
Le calcul du volume de résines est effectué :
— soit sur la base d'une pollution moyenne connue ; l’utilisateur pourra connaître cette pollution par analyse des eaux de rinçage ou par une estimation des consommations de produits imputables à la perte par rinçage,
— soit, si la pollution n’est pas connue, sur la base d'un débit spécifique : débit d'eau (en m³/h) divisé par 20 = volume de résine en mètres cubes. On ajoutera à ce volume la résine nécessaire à l’épuration des eaux de service et de l’appoint.
[Schéma : Schéma 2]inconvénient de ne permettre aucune estimation a priori des fréquences de régénération.
QUALITÉ DE L’EAU OBTENUE
La résistivité de l'eau fournie par une installation de recyclage est de l'ordre de 50 000 ohm/cm (20 microsiemens/cm) ; cette qualité est parfaitement satisfaisante pour la plupart des cas.
Le contrôle de la qualité est fait essentiellement par des résistivimètres et des rH-mètres, le premier cité contrôlant la teneur en acides forts, le deuxième, en cyanures.
CHOIX DES RÉSINES
Résine fortement acide :
la plupart des installations fonctionnent avec une résine du type gel. Certains installateurs préconisent une résine à structure macroporeuse qui possède un pouvoir de rétention supérieur vis-à-vis des mouillants à caractères cationiques.
L’acide chlorhydrique est le réactif le plus employé à raison de 60 à 100 grammes de HCl 100 % par litre de résine. Si l'eau contient des ions argent, l’acide nitrique doit être utilisé.
Résine moyennement basique :
cette résine élimine essentiellement les acides forts, les chromates et les métaux sous forme de complexe anionique. Sa caractéristique principale doit être une excellente résistance à l’oxydation. Les résines polystyréniques macroporeuses sont couramment utilisées dans cette application. Le réactif de régénération utilisé est la soude caustique à raison de 80 g/l de résine. Dans certains cas, il peut être intéressant de récupérer l’effluent contenant le CrO₃ sous forme de chromate de sodium et de le recycler.
Résine fortement basique :
son rôle est essentiellement l’élimination des acides faiblement ionisés (acide cyanhydrique et acide borique). Les résines utilisées peuvent être du type gel ou du type macroporeux. La quantité de NaOH utilisée pour la régénération est de l'ordre de 80 à 100 g/l de résine.
ÉLIMINATION DES MOUILLANTS
Les mouillants ne sont pas totalement retenus, loin s’en faut, par les échangeurs d’ions de la chaîne de traitement. La conséquence en est une accumulation progressive au fur et à mesure des recyclages, avec la formation de plus en plus importante de mousse ; trois possibilités s’offrent alors à l’utilisateur :
- ajouter des composés antimousse, d’où une augmentation de la pollution ;
- éliminer les mouillants sur charbon actif. Ce matériau est peu sélectif et présente l’inconvénient majeur d’être un produit de consommation puisque sa régénération trop coûteuse en équipement n’est pratiquement jamais envisagée ;
- éliminer les mouillants sur une résine adsorbante régénérable et présentant une bonne sélectivité.
Deux produits peuvent être utilisés pour cette application :
- une résine adsorbante, faiblement basique de structure formo-phénolique,
- une résine polyacrylique macroporeuse à fonction carboxylique. Celle-ci a été spécialement mise au point pour cette application et est plus efficace dans de nombreux cas.
La régénération de ces produits peut se faire avec une solution de NaOH ou avec du méthanol.
PROBLÈMES RENCONTRÉS SUR UNE INSTALLATION DE RECYCLAGE
Un certain nombre de problèmes peuvent se présenter à l’utilisateur d’une installation de recyclage par échangeurs d’ions. Certains sont accidentels (vidange d’un bain dans l’eau de rinçage) et peuvent être évités par des mesures adéquates, d’autres sont inhérents au système. Nous en citerons quelques-uns ci-dessous :
- augmentation de la perte de charge due à une filtration importante de matières en suspension. Les échangeurs d’ions ne doivent pas être utilisés comme des filtres mécaniques. L’eau doit être filtrée avant l’arrivée sur les résines ;
- précipitation de métaux ou de sels peu solubles. Certains complexes cyanurés peu stables se dissocient au niveau de la résine fortement acide et peuvent donner lieu à précipitation de cyanures métalliques difficilement solubles (Zn, Cu et Ni). L’utilisation de H₂SO₄ pour la régénération peut entraîner des précipitations de sulfate de calcium, voire de sulfate de plomb. Ces précipitations peuvent entraîner des perturbations par colmatage. Dans la plupart des cas, fort heureusement, un traitement approprié permet d’éliminer les précipitations (HCl, HNO₃, solution de cyanures alcalins, etc.) ;
- enrobage par des huiles ou des graisses. L’enrobage de billes par des huiles ou des graisses entraîne systématiquement une perte de rendement par diminution de la cinétique d’échange. En général, un traitement par une solution de détergent non ionique apportera un remède satisfaisant.
CONCLUSION
Nous terminerons cet exposé en rappelant que le traitement des eaux de rinçage ne représente qu’une faible partie des possibilités offertes au traiteur de surface par les échangeurs d’ions. Par exemple, un certain nombre de bains peuvent être épurés et recyclés. Citons :
- l’épuration de bains d’acide chlorhydrique (élimination du fer et du zinc) par échangeur d’anion fortement basique,
- l’épuration de bains d’acide phosphorique, de bains d’acide chromique (élimination de fer et de chrome) par échangeurs de cations fortement acides.
Les échangeurs d’ions modernes sont un moyen fiable et économique pour lutter contre la pollution, diminuer la consommation d’eau, mais également récupérer des matières premières coûteuses.