Le renforcement récent de la règlementation sur l'épandage des boues urbaines et industrielles doit contribuer à pérenniser et à professionaliser la filière de recyclage argicole. Il faut désormais s'attacher à produire des boues de qualité afin de répondre aux critères d'intérêt agronomique et d'innocuité. La mise en oeuvre des épandages est pour sa part conditionnée à la réalisation d'une étude préalable, de même qu'à une autosurveilance rigoureuse.
Le principe de base du recyclage agricole est « on ne peut plus simple » puisqu’il s’agit d’organiser le retour harmonieux au milieu naturel d’éléments qui lui ont été prélevés.
Fiabiliser le débouché
De nombreux déchets trouvent ainsi une seconde vie en tant que matières fertilisantes que ce soit les déjections animales, les effluents agro-industriels, la fraction fermentescible des ordures ménagères, les déchets verts ou les boues d’épuration.
Ces dernières peuvent provenir d’ouvrages d’assainissement traitant des rejets d’origine urbaine ou industrielle.
On estime à plus d’un million de tonnes de matière sèche le quantitatif de boues recyclées en agriculture.
Pratiquée de façon empirique depuis des siècles, cette filière s’est progressivement organisée puis professionnalisée.
Le début des années 80 a vu l’émergence de bureaux d’études et de prestataires spécialisés dans la conception, la gestion et l’auto-surveillance des épandages. Ces sociétés se sont fédérées depuis 1993 en fondant le SYPREA (Syndicat des Professionnels du
L’épandage permet de recycler les éléments fertilisants contenus dans les boues
Recyclage en Agriculture).
Les adhérents du SYPREA estiment à ce jour gérer et organiser plus de 60 % des épandages de boues.
La sortie des nouveaux textes réglementaires sur le Recyclage Agricole des boues urbaines (Décret du 8/12/97 et Arrêté du 8/1/98) et industrielles (Arrêté du 17/08/98) doit permettre de fiabiliser et de pérenniser cette filière.
Produire des boues de qualité
Outre les éléments fertilisants, les boues peuvent également contenir des éléments indésirables tels des métaux ou des composés traces organiques.
Déjà pour partie réglementées au titre de la norme NFU 44.041, les valeurs limites viennent d’être abaissées que ce soit pour les concentrations ou les flux maxi autorisés (cf tableau I).
De nombreuses expérimentations sont en cours afin de préciser l’efficacité et l’innocuité des boues
Ces valeurs qui s’avèrent être parmi les plus draconiennes au niveau européen, peuvent être atteintes sans trop de difficultés à condition de maîtriser les rejets dans le réseau d’assainissement. Pour ce faire, des conventions spéciales de déversement doivent être passées entre la collectivité et les industriels.
C'est le concept de police des réseaux qui a déjà fait ses preuves sur la qualité des boues issues de station d’épuration de grosse capacité : Toulouse (550000 équivalent habitants), Reims (300000 équivalent habitants).
Pas d’épandage sans étude préalable
Le recyclage agricole des boues ne peut s’envisager qu'après la réalisation d’une étude préalable et ce quelle que soit la taille des ouvrages d’assainissement concernés.
Tableau I : Teneurs limites en éléments traces dans les boues et flux maxi autorisés
Éléments traces | du 8/1/98 |
---|---|
Cadmium | 0,03 ** |
Chrome | 15 |
Cuivre | 15 |
Mercure | 0,015 |
Nickel | 03 |
Plomb | 15 |
Zinc | 45 |
* 15 mg/kg de MS à compter du 1/1/2001 et 10 mg/kg de MS à compter du 1/1/2004
** 0,015 g/m2 à compter du 1/1/2001
La première étape de cette démarche consiste à caractériser le gisement de boues tant du point de vue qualitatif que quantitatif.
Il faut à ce niveau, comme le prévoit la réglementation, vérifier l'innocuité et prouver l'intérêt agronomique des boues. Pour ce faire, des analyses sont réalisées par des laboratoires agréés tant sur les éléments traces que sur les éléments fertilisants.
La prise en compte des contraintes liées au milieu naturel (topographie, hydrologie, hydrogéologie, climatologie) et à l'urbanisation permet ensuite de délimiter les zones propices à l’épandage.
Un contact est alors établi avec les utilisateurs potentiels afin de définir sous quelles conditions ils peuvent intégrer les apports des boues dans leurs pratiques de fertilisation. La signature d’un accord préalable garantit l’existence d’un débouché.
Une étude de sol permet alors de déterminer de façon précise l’aptitude des parcelles à recevoir des boues. Les analyses de terre (une pour 20 hectares) réalisées dans ce cadre, constitueront le point zéro du programme d’auto-surveillance.
Enfin, les conditions techniques de mise en œuvre sont précisées (entreposage, transport, épandage) de même que les coûts d’investissement et d’exploitation correspondants. Il y a lieu, à ce niveau, de prévoir systématiquement une filière alternative (décharge, incinération) au cas où la composition des boues les rendrait momentanément impropres au recyclage agricole.
D’un point de vue strictement administratif, les opérations d’épandage doivent faire l’objet d’une déclaration en préfecture voire
N° 247 - L'EAU, L'INDUSTRIE, LES NUISANCES = 51.
Le point sur les boues des stations d’épuration biologique
Ce colloque sur les boues s'est tenu le 4 novembre 1998, pendant le salon Pollutec 98. Il était conjointement organisé par l'AGHTM et le CNIS (Conseil National des Ingénieurs et Scientifiques de France). Il a surtout permis de faire le point sur les nouvelles réglementations relatives à l'épandage des boues de STEP en agriculture, sur les différents moyens techniques de diminution et d’élimination des boues, et également sur les autres voies d’élimination ou de valorisation, existantes ou en cours de développement.
Il a été largement souligné par l'ensemble des intervenants que le devenir des boues est appelé à être une des préoccupations majeures des collectivités, ceci étant dû à l'amélioration des performances des STEP (quantités croissantes de boues résiduaires), à la demande sociale de plus en plus exigeante et à une réglementation renforcée.
Les grandes lignes de cette nouvelle réglementation relative à l'épandage des boues sont les suivantes (décret du 8 décembre 1997 publié au JO du 10 déc. 97 et arrêté conjoint du 8 janvier 1998) :
- + Les producteurs de boues sont responsables de la filière, depuis la production de la boue et de son suivi, jusqu’à son épandage.
- + Une filière d'épandage organisée et encadrée sous la responsabilité du producteur de boues.
- + Une filière réglementée et contrôlée par l'État (préfets des départements).
- + Innocuité des boues, c’est-à-dire maîtrise des teneurs et des flux en éléments trace, en micropolluants organiques et maîtrise des microorganismes (la qualité des boues pouvant être un obstacle à leur recyclage, il est devenu essentiel de garantir cette qualité des points de vue physico-chimique et biologique).
- + Traçabilité de toutes les opérations.
- + Conditions de transport et de stockage avant épandage.
Il apparaît que la réglementation limite les possibilités de mise en décharge et qu'elle se durcit vis-à-vis de l'épandage des boues (la preuve de leur intérêt agronomique doit être faite), d’autant plus que les acteurs du monde agricole et agro-alimentaire et les consommateurs, s'inquiètent du déversement de boues sur les cultures alimentaires. Un des buts principaux de la réglementation est donc de garantir la qualité des boues recyclées en agriculture (application de valeurs seuils en micropolluants organiques et de valeurs limites sur les métaux lourds encore plus restrictives), de procurer une solution rentable pour l'élimination des boues comparée au remblai et à l'incinération, c’est-à-dire de consolider ce débouché important pour l'élimination des boues qu'est l'épandage (il faut rappeler qu'actuellement ce recyclage concerne les 2/3 des STEP de petites et moyennes structures).
En bref, l'objectif de cette nouvelle réglementation en matière d'épandage est donc de contrôler l'utilisation des boues d’épuration de manière à éviter des effets nocifs sur les sols, la végétation, les animaux et l'homme. Une de ses conséquences sera l'augmentation du coût moyen des boues par tonne de matière sèche, ce qui aura automatiquement une incidence sur le prix de l'eau payé par l'abonné.
Par ailleurs, en cas de désordres causés par l'épandage de boues de mauvaise qualité, la constitution éventuelle d'un Fonds de Garantie pour les agriculteurs est actuellement en cours d’étude, ce qui pourrait donner une sorte d’assurance pour l’exploitation de cette voie simple d’élimination.
Pour diminuer le volume et la masse des boues à éliminer, et donc in fine le coût, il faut réduire au maximum leur teneur en eau, afin de limiter les quantités à évacuer et d’autre part, offrir des boues qui répondent aux critères d’acceptabilité de l'incinération comme de la valorisation agricole.
Il existe actuellement différentes solutions techniques pour diminuer la teneur en eau des boues et qui ont été évoquées dans le cadre de ce colloque par des fabricants ; mais l'accent a été surtout mis sur les projets au stade de recherche et développement aussi bien sur le plan français qu'européen : dans le cadre de la déshydratation mécanique, il est à noter que des recherches sont en cours sur les produits de conditionnement, sur les milieux filtrants et sur les machines (filtres à bandes, filtres-presses, etc.). Des recherches technologiques sont également en cours sur les procédés de séchage. Les projets développés dans le cadre de la recherche au niveau européen visent à réduire le volume des boues par des techniques optimisées de déshydratation des boues, par des traitements innovateurs tels que l'oxydation humide.
Il est par ailleurs nécessaire aux producteurs de boues d'avoir une solution alternative à l'épandage, en cas de problème dans cette filière (ces choix stratégiques incinération, compostage, séchage…, étant tout autant techniques que financiers) :
- + Incinération : c'est une des voies d’élimination des boues, à envisager également en co-incinération avec les ordures ménagères. Actuellement, cette technique fait l'objet de nombreuses critiques : coût élevé, rejets atmosphériques plus ou moins bien contrôlés et gestion des résidus solides engendrés.
- + Séchage : obtention d’un produit stable, « hygiénisé », sans nuisance olfactive.
- + Revégétalisation : cette voie apparaît comme une solution intéressante d'utilisation des boues et composts de boues dans le cadre de la réhabilitation des sols.
- + Compost en sylviculture : énorme potentiel pour absorber les boues dans le futur ; il est donc impératif qu'une réglementation soit rapidement élaborée, ainsi que celle pour la revégétalisation.
- + Récupération d'énergie.
- + Récupération des matières minérales.
- + Compostage : avec des déchets verts par exemple permet d'obtenir un produit plus noble mais qui, sur le plan réglementaire, est toujours considéré comme un déchet. L’homologation de ce produit en ferait sa réussite, les débouchés ne manquant pas (entretien des espaces verts, agriculture…).
Au niveau français, un comité national pour l'épandage des boues urbaines, créé conjointement par les ministères chargés de l'Environnement et de l'Agriculture, disposera d'ici le premier semestre 1999 d'un audit environnemental portant sur les filières d’élimination de boues, et d'une analyse des pratiques européennes tant sur les applications réglementaires que sur la gestion de leurs impacts. L’audit environnemental auquel participent également les Agences de l'Eau fera le point sur l'analyse du cycle de vie, l'impact sur l'environnement, le bilan économique, l’acceptabilité sociale et les risques pour la santé (synthèse finale prévue pour mars 1999). Cette étude a pour but de mettre en avant les avantages et les inconvénients de chaque filière d’élimination de boues et d'être en quelque sorte une aide à la décision, notamment pour les collectivités.
En conclusion, il est apparu qu'un énorme travail reste encore à réaliser sur les boues et leur devenir pour définir les conditions d'utilisation les meilleures tant sur le plan santé et environnement, que sur le plan économique.
Sophie Robert
d'une autorisation pour des stations d’épuration d'une capacité supérieure à 50 000 équivalent habitants.
Garantir la transparence et la traçabilité
Outre les prescriptions portant sur la conception des filières de Recyclage Agricole, la nouvelle réglementation impose une auto-surveillance permanente de la qualité et de la destination des produits épandus.
À ce titre et sur la base d'un programme d'échantillonnage préalablement défini, il faut vérifier régulièrement que les boues présentent des teneurs en éléments indésirables inférieures aux seuils autorisés.
Un planning prévisionnel doit également être établi en concertation avec les utilisateurs afin de localiser précisément les parcelles qui seront épandues.
Les sols font pour leur part l’objet de contrôles réguliers afin de suivre l’évolution de leur fertilité et de leur teneur en éléments traces.
Par ailleurs, il faut pouvoir justifier à tout moment de la localisation des boues en fonction de leur période de production et des analyses effectuées.
Pour ce faire, le producteur de boues doit tenir à jour un registre d’épandage. Ce document reprend l'ensemble des données sur la composition et la destination des boues de même que l'identification des personnes physiques et morales chargées des opérations d’épandages et des analyses.
Enfin, un bilan agronomique permet de
fournir aux agriculteurs des informations sur les fertilisations apportées par les boues. Le préfet peut de son côté décider de faire
valider les résultats de cette auto-surveillance par un organisme indépendant du producteur de boues.
Professionnaliser la filière
Le respect des prescriptions de la nouvelle réglementation sur l'épandage des boues nécessite des savoir-faire spécifiques. La conception, la mise en œuvre et l'auto-surveillance des opérations de Recyclage Agricole doivent s'effectuer avec professionnalisme afin de crédibiliser et de pérenniser cette filière.
Par ailleurs, la garantie de transparence voulue par les pouvoirs publics doit contribuer à entretenir la confiance entre les producteurs des boues, les agriculteurs, les transformateurs et les consommateurs.