Une méthode de localisation rapide par calcul périodique de rendements Mise en application dans le département du Nord
Une méthode de localisation rapide par calcul périodique de rendements
Mise en application dans le département du Nord
M. DUROUSSEAU, E. BOUREL et P.E. SEGRÉ Agence de l'Eau Artois Picardie – Société des eaux du Nord
Pour contrôler l’étanchéité d'un réseau de distribution d’eau potable, une solution consiste à y installer des compteurs généraux, afin de rapprocher les volumes introduits dans un réseau des volumes vendus aux abonnés par une double relève comparative. Dans la pratique, opérer à répétition cette opération chez l’habitant, dans un réseau vaste avec un intervalle de temps réduit, est une procédure difficilement supportable pour le distributeur d’eau, comme pour l'abonné.
L'idée mise en application par la Société des Eaux du Nord à Lille, avec le concours de l'Agence de l'Eau Artois-Picardie, consiste à calculer, dans des zones préalablement définies, un rendement technique approché à partir des relevés mensuels de compteurs généraux de zones et des estimations mensuelles de vente d'eau établies selon la méthode développée dans le présent article. Cette méthode repose sur une bonne stabilité des consommations domestiques, mais elle tient compte à la fois des fluctuations saisonnières et des variations constatées dans la demande en eau des industries et des établissements agricoles importants.
UN OUTIL DE GESTION : LE RENDEMENT TECHNIQUE DU RÉSEAU
Dans la mesure où les autres facteurs de minorisation sont convenablement maîtrisés (état et précision des compteurs, livraisons gratuites...), la valeur du rendement technique du réseau traduit son niveau d’étanchéité.
L'idée mise en pratique dans l’exploitation de la Société des Eaux du Nord réside dans un découpage du réseau en zones géographiques, de taille réduite, fermées par des postes de comptage, ce qui permet le calcul du rendement dans chaque zone. Une baisse brutale de rendement traduit alors la naissance d'une fuite, ce qui permet le déclenchement d'opérations de sa localisation par tout moyen traditionnel à la disposition du distributeur d’eau (amplificateur acoustique, corrélateur...).
Sans autre déplacement sur le terrain que la relève régulière des compteurs de zone, un réseau même très vaste est ainsi placé « en observation » quasi permanente, ce qui dispense le distributeur de recherches fastidieuses tous azimuts.
L'INVESTISSEMENT INITIAL : DES COMPTEURS GÉNÉRAUX
Le mode de gestion préconisé nécessite l’installation d'un poste de comptage sur chaque conduite contribuant à la livraison de l'eau dans chaque zone considérée ou permettant un échange avec la zone voisine (voir photographie).
Dans l’exploitation citée qui comprend environ 3 200 km de conduites, desservant 102 communes de l’agglomération lilloise (ce qui représente 48 millions de m³ vendus annuellement à 195 000 abonnés), 41 zones ont été définies et maîtrisées par 80 postes de comptage.
LA MÉTHODE DE GESTION
L'objectif visé est de calculer, chaque mois, le rendement technique du réseau de chacune des zones contrôlées, c’est-à-dire le volume vendu, rapporté au volume introduit dans cette zone pendant le même temps. Le volume introduit est aisé à mesurer grâce à la relève effectuée aux postes de comptage généraux ; le volume vendu peut être estimé avec une précision suffisante grâce à la méthode exposée ici, laquelle consiste, dans chacune des zones :
- à identifier les abonnés correspondants ;
- à distribuer sur chaque mois, avec le cas échéant, un coefficient mensuel de répartition, les consommations semestrielles, trimestrielles ou mensuelles relevées aux dates habituelles de relève chez les abonnés de la zone ;
- à calculer le bilan des volumes introduits dans la zone ;
- à calculer enfin le rendement approché ;
- à en déduire, si le rendement chute en valeur d'un mois sur l’autre, un programme de recherche de fuites limité à la zone en question.
Identification des abonnés dans chaque zone contrôlée
Le découpage en zones contrôlées, qui procède de l'examen technique du réseau, peut être sensiblement différent du découpage administratif qui, lui, détermine les secteurs de relève des compteurs abonnés. Le premier travail consiste donc à affecter chaque abonné à la zone à laquelle il appartient.
Distribution mensuelle des consommations relevées chez les abonnés de la zone
C'est la phase de calcul la plus importante et la plus délicate : il faut, en effet, aboutir à l'issue de ce calcul à une estimation plausible du volume vendu chaque mois dans la zone considérée. Les étapes en sont les suivantes :
- À l'intérieur d'une zone recouvrant deux ou plusieurs secteurs de relève, les dates de relève ne sont pas toujours synchrones. Par ailleurs, la période entre deux relèves peut varier de quelques jours, selon les semestres.
Un premier calcul au prorata est, par conséquent, effectué pour aboutir à un relevé estimé pendant le « semestre-type ». Ce relevé estimé semestriel est ensuite réparti sur chaque mois au prorata du nombre de jours contenus dans chaque mois pour conduire à des relevés estimés mensuels.
Voici un exemple de ces calculs :
Estimation du relevé pendant le semestre-type (exemple d'une zone recouvrant deux secteurs de relève).
Dans cet exemple (tableau 1) l'observateur, se situant à la date du 30 juin de l'année 1, ne dispose pas des valeurs du secteur de relève 1 pour calculer le rendement de juin. Il en est de même les mois suivants. Pour pallier ce manque d'information, on convient de reprendre les valeurs de consommation du semestre-type correspondant de l'année précédente. Cette manière de reconduire est tout à fait justifiée, compte tenu de la relative stabilité des consommations domestiques d'une année sur l'autre. Néanmoins, aux dates des futures relèves, les valeurs correspondantes du tableau seront remplacées par de nouvelles valeurs.
À la date d'observation du 30 juin on obtient ainsi le schéma porté au tableau 2 sur lequel figure l'estimation du relevé pendant chaque semestre-type de l'année.
Tableau 1
ANNÉE 0 | ||||||||||||
DATE D'OBSERVATION | ||||||||||||
Secteur relève 1 | J | F | M | A | M | J | J | A | S | O | N | D |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
— | 253 | 101 | 03 | 273 | 391 | ? | ||||||
Secteur relève 2 | 3 406 m³ | 6 194 m³ |
Tableau 2
ANNÉE 0 ANNÉE 1 | ||||||||||||
DATE D'OBSERVATION | ||||||||||||
Secteur relève 1 | J | F | M | A | M | J | J | A | S | O | N | D |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
— | 253 | 101 | 03 | 273 | 391 | ? | ||||||
Secteur relève 2 | 3 406 m³ | 6 194 m³ | 3 406 m³ |
Consommations réparties sur chaque mois de l'année en cours, proportionnellement au nombre de jours de chaque mois.
Le tableau 3 donne les consommations mensuelles par secteur de relève (sans coefficient de répartition).
- La répartition sur chaque mois peut être modulée par application d'un coefficient mensuel de répartition, lequel est estimé par le distributeur d'eau d'après son expérience.
- Dans la zone considérée, après application de coefficients de répartition, on procède au cumul par mois des consommations domestiques des différents secteurs relevés semestriellement.
- Le tableau 4 donne ainsi, pour le même exemple, le résultat de ces opérations cumulées (avec coefficient de répartition).
Tableau 3
ANNÉE 1 | |||||||||||||
DATE D'OBSERVATION | |||||||||||||
Secteurs | J | F | M | A | M | J | J | A | S | O | N | D | |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
1 | 46 567 | 42 060 | 46 567 | 45 063 | 46 567 | — | 41 492 | 42 875 | 42 875 | 41 492 | 42 875 | 41 492 | |
2 | 1 061 | 959 | 1 061 | 1 026 | 1 061 | 1 026 | — | 574 | 574 | 555 | 574 | 555 | 574 |
Tableau 4
ANNÉE 1 | DATE D'OBSERVATION | |||||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Éléments | J | F | M | A | M | J | J | A | S | O | N | D |
Relèves semestrielles corrigées | 273 | 391 | 6 194 | 253 101 | 3 406 | |||||||
Consommations mensuelles cumulées (avec coefficient de répartition) | 47 594 | 42 988 | 47 594 | 46 056 | 47 594 | 54 662 | 37 343 | 28 006 | 45 181 | 46 687 | 45 181 | 47 206 |
Tableau 5
ANNÉE 1 | DATE D'OBSERVATION | |||||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Éléments | J | F | M | A | M | J | J | A | S | O | N | D |
Relèves semestrielles | 273 | 391 | 6 194 | 253 101 | 3 406 | |||||||
Répartition des relèves semestrielles corrigées | 47 594 | 42 988 | 47 594 | 46 056 | 47 594 | 54 662 | 37 343 | 28 006 | 45 181 | 46 687 | 45 181 | 47 206 |
Relèves trimestrielles | 14 376 | 17 143 | 14 328 | 16 914 | ||||||||
Répartition des relèves trimestrielles | 4 952 | 4 472 | 4 952 | 5 651 | 5 841 | 5 651 | 4 828 | 4 672 | 5 699 | 5 516 | 5 699 | |
Relèves mensuelles | 268 | 644 | 372 | 409 | 379 | 424 | 250 | 105 | 370 | 405 | 398 | 285 |
Total des ventes du mois | 52 814 | 48 104 | 52 918 | 52 116 | 53 814 | 60 737 | 42 421 | 32 939 | 50 223 | 52 791 | 51 095 | 53 190 |
Moyenne journalière des ventes | 1 704 | 1 718 | 1 707 | 1 737 | 1 736 | 2 025 | 1 368 | 1 062 | 1 620 | 1 703 | 1 703 | 1 716 |
– De la même manière, on répartit sur chaque mois les consommations relevées trimestriellement (après correction proportionnelle pour tenir compte du trimestre-type), puis celles relevées mensuellement. Le cumul par mois des consommations relevées semestriellement, trimestriellement et mensuellement, permet le calcul pour chaque mois de la moyenne journalière des ventes.
Calcul du bilan mensuel des volumes introduits dans chaque zone
Dans l'exemple qui précède, où l'on trouve deux compteurs de cubes entrants, un compteur de cubes sortants et, à l'intérieur de la zone en question, une unité U₀ de production d'eau, on a relevé depuis janvier de l'année 1 les valeurs reproduites dans le tableau 6, ce qui permet de calculer la somme des volumes introduits en moyenne chaque jour dans la zone.
Tableau 6
ANNÉE 1 | DATE D'OBSERVATION | |||||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Éléments | J | F | M | A | M | J | J | A | S | O | N | D |
Compteur 1 entrant | 653 | 618 | 629 | 590 | 523 | 603 | ||||||
Compteur 2 entrant | 688 | 718 | 357 | 400 | 586 | 768 | ||||||
Compteur 3 sortant | −179 | −155 | −176 | −170 | −162 | −209 | ||||||
Production locale U₀ | 891 | 840 | 1 350 | 1 350 | 1 250 | 1 140 | ||||||
Somme volumes introduits par jour | 2 053 | 2 021 | 2 160 | 2 170 | 2 197 | 2 302 |
Tableau 7
ANNÉE 1
Éléments | J | F | M | A | M | J | J | A | S | O | N | D |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Moyenne journalière des ventes | 1 704 | 1 718 | 1 707 | 1 737 | 1 736 | 2 025 | 1 307 | 1 062 | 1 620 | 1 703 | 1 703 | 1 716 |
Somme volumes introduits par jour | 2 053 | 2 021 | 2 160 | 2 170 | 2 197 | 2 302 | 2 487 | |||||
Rendement approché | 0,83 | 0,85 | 0,79 | 0,80 | 0,80 | 0,88 | 0,52 |
Calcul du rendement approché de la zone
Il suffit de rapprocher la moyenne journalière des ventes dans une zone donnée (tableau 5) de la somme des volumes introduits en moyenne chaque jour du mois dans la même zone (tableau 6) pour en déduire une valeur approchée du rendement.
À titre d'exemple, une simulation de résultats à fin juillet de l'année 1 est donnée dans le tableau 7.
Analyse des résultats
On observe que :
— la moyenne journalière des ventes figurant au tableau 7 est différente de celle du tableau 5. Une nouvelle valeur de consommation relevée mensuellement (car il s'agit de gros consommateurs) a été introduite dans le calcul en juillet ;
— constatation majeure, la valeur approchée du rendement a brutalement chuté en juillet. Ce résultat est le signe de l'apparition de fuites. Il y a lieu d’engager, sans délai, des recherches devant conduire à des travaux d’entretien ;
— le décrochage du rendement est, semble-t-il, un peu amplifié par une valeur de juin particulièrement élevée. Cela tient, vraisemblablement, au choix des coefficients de répartition (qu'il est possible de modifier) et, répétons-le, aux diverses approximations nécessaires. Néanmoins, de légères distorsions des résultats ne font, en aucune manière, obstacle à l'exploitation du système.
LES MOYENS DE GESTION
La conduite mensuelle de cet ensemble de calculs prédispose la méthode exposée à une gestion informatisée. Un tableur Multiplan traité sur Burroughs B 26, avec disque dur, couplé à une imprimante Facit, a été utilisé pour effectuer cette gestion.
Pour chacune des zones appelées sur écran, la seule manipulation consiste à introduire en mémoire les débits journaliers moyens caractéristiques du mois écoulé ayant transité dans les compteurs généraux et, à l'échéance des relèves à domicile, le total des ventes classées selon la périodicité des relèves.
LES RÉSULTATS DANS L'AGGLOMÉRATION LILLOISE
Depuis sa mise en application sur une partie du réseau de l'agglomération lilloise (à partir de septembre 1984) le système de gestion décrit a permis la détection de nombreuses fuites non apparentes. Dans le cas d’un contrôle systématique du réseau elles auraient, selon toute vraisemblance, débité pendant toute la durée du cycle de balayage du réseau, par les équipes de détection.
Certaines zones ont de cette façon été contrôlées plusieurs fois de suite jusqu’à l'obtention de rendements jugés satisfaisants. À l'inverse, le contrôle d’autres zones, constantes et satisfaisantes dans leurs résultats, a été ajourné au profit de réseaux moins favorisés. Dans tous les cas, le signal de déclenchement des opérations de détection a été très net.
L'investissement initial pour cette première phase d’équipement, qui représente environ 1 900 000 F (correspondant essentiellement à la création des postes de comptage) pour contrôler 1 300 km de réseau a d’ores et déjà permis de récupérer près de un million de mètres cubes après douze mois de mise en application du système.
L'expérience se révèle par conséquent intéressante malgré les hypothèses et approximations nécessaires qui ont été développées, puisqu'elle réunit plusieurs avantages rappelés ci-après :
— contrôle en continu du réseau sans intervention sur le terrain, autre que la relève mensuelle des compteurs de zone ;
— maîtrise du rendement qui devient un outil de gestion et non plus la sanction a posteriori ;
— pré-orientation des opérations de recherche de fuites et quantification des objectifs d’un regain d'intérêt pour une activité considérée souvent comme fastidieuse et peu motivante, si le réseau est très étendu ;
— délai de réaction, entre la naissance d'une fuite et sa recherche, réduit à un mois ;
— meilleure connaissance par le personnel de réseau du régime de distribution (coefficient de pointe, hydrogramme, influence d'une unité de production sur un secteur...).
L'INTERVENTION DE L'AGENCE DE L'EAU ARTOIS-PICARDIE
Les ressources en eau souterraine ou de surface suffisent actuellement à l’alimentation en eau potable de la région Nord. La recherche des économies d'eau, par la lutte qui a été entreprise contre le gaspillage, ne constitue pas moins un objectif important, car elle préserve l’avenir.
La participation technique et financière de l'Agence de l'Eau Artois-Picardie à la poursuite de cet objectif a été particulièrement importante puisqu’elle représente au cours de ces dernières années, en termes budgétaires, 500 000 F par an en moyenne (pour environ 1 500 000 F de frais d’installation de compteurs).
Les résultats obtenus par les collectivités locales ou par les sociétés fermières sont appréciables, en particulier, dans les réseaux de taille réduite présentant une structure simplifiée.
L’expérience conduite dans l'agglomération lilloise consiste à mettre en pratique, cette fois sur un réseau de grande taille, une méthode de résolution mathématique du problème de la localisation des fuites. Ses premiers résultats sont tout à fait encourageants.