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Recherche de médicaments et perturbateurs endocriniens dans les eaux destinées à la consommation humaine en Poitou-Charentes

30 avril 2021 Paru dans le N°441 à la page 80 ( mots)
Rédigé par : Marie-laure GUILLEMOT, E. AUBERTHEAU de Celosis Environnement , B. GOMBERT de ENSI Poitiers et 3 autres personnes

En Poitou-Charentes, 5 campagnes d’échantillonnage ont permis de prélever 70 échantillons d’eau brute destinée à la potabilisation et 32 d’eau traitée. Soixante-dix-sept molécules ont été analysées (médicaments, alkylphénols, perfluorés, plastifiants). Les perturbateurs endocriniens ont été rarement retrouvés, 21 molécules ont été quantifiées à une concentration >?10 ng/L, 5 à une concentration >?100 ng/L (metformine, iopromide, ioméprol, iohexol, paracétamol). Ces molécules sont principalement retrouvées dans les eaux brutes d’origine superficielle et toutes, sauf le paracétamol, ont été quantifiées dans les eaux traitées (concentration moyenne >10 ng/L avec caféine, 4-nonylphénol et PFHxS) malgré les traitements (charbon actif ou ozonation dans certaines filières).

Introduction

Le deuxième Plan National Santé Environnement (2009-2013) a été décliné à l’échelle de l’ex-région Poitou-Charentes au travers d’un programme de recherche sur les substances médicamenteuses et les perturbateurs endocriniens. Une meilleure connaissance des paramètres contrôlant l’élimination des médicaments et des perturbateurs endocriniens au sein des filières de traitement d’eau potable est nécessaire afin d’apporter de nouvelles connaissances permettant à terme la mise en place de mesures de suivi des filières.
Ainsi, plusieurs campagnes d’échantillonnage ont été menées entre 2012 et 2015 sur des eaux brutes superficielles et souterraines destinées, après traitement, à la consommation humaine, et traitées en usines d’eau potable sélectionnées en Poitou-Charentes. Le Poitou-Charentes présente une densité moyenne de 70 habitants/km² (2016, www.insee.fr). Il y existe cependant d'importantes disparités entre des territoires agricoles marqués par une certaine déprise démographique, des régions littorales en croissance constante et des agglomérations souvent densément peuplées.

Dans le cadre de cette étude, 77 molécules ont été sélectionnées, parmi lesquelles des médicaments (43), quelques métabolites de ces médicaments (9), des hormones (8) et des produits de contrastes iodés (3) (tableau 1). Les médicaments retenus appartiennent ainsi à 16 classes thérapeutiques, comme les antibiotiques (10), anti-inflammatoires non stéroïdiens (5), bétabloquants (4), hypolipémiants (4), les analgésiques (3), ou encore les psychotropes (3). Les autres molécules sélectionnées sont des perturbateurs endocriniens, répartis en trois familles : les alkylphénols (3), les composés perfluorés (10) et un plastifiant (bisphénol A) (1). Ces molécules ont été sélectionnées sur la base de campagnes exploratoires et de projets effectuées à l’échelle nationale, montrant leur persistance dans les milieux aquatiques (AEAP, 2010 ; ANSES, 2011 ; Miège et al., 2009) et en lien avec des risques pour la santé humaine connus ou suspectés.

Matériel et méthodes

Plan d’échantillonnage
Dix-neuf sites ont fait l’objet d’un prélèvement, parmi lesquels 9 correspondent à des eaux superficielles (ESU) et 10 à des eaux souterraines karstiques (ESO). Deux campagnes ont été menées en septembre et novembre-décembre 2012 sur l’ensemble de ces stations. Les résultats issus de ces deux premières campagnes ont permis de faire ressortir 10 filières de traitement présentant une pollution significative permettant de procéder à un prélèvement d’eau brute et d’eau traitée. Ainsi, trois campagnes complémentaires ont été menées entre 2013 et 2015. Au total, ce sont 70 échantillons d’eau brute (ESO et ESU) et 32 échantillons d’eau traitée qui ont été prélevés et analysés.
Méthodes analytiques
Un prélèvement ponctuel de 4×500 mL a été effectué pour l’analyse des médicaments et des composés perfluorés et de 2×100 mL pour l’analyse des alkylphénols et du bisphénol A. Les échantillons ont été stockés dans des flacons en verre calciné et conservés à 4 °C. Le prélèvement pour les composés perfluorés a été quant à lui stocké dans un flacon PTFE. Les extractions ont été effectuées dans un délai maximum de 48 heures.
Cinq méthodes ont été développées dans le contexte de ce projet par le laboratoire d’analyses Ianesco (Poitiers) : pour les médicaments, trois méthodes couplant la chromatographie liquide avec la spectrométrie de masse (LC-MSMS) ; pour les perturbateurs endocriniens perfluorés, une méthode par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC-MS). Deux méthodes ont également été développées pour l’analyse spécifique du bisphénol A et des alkylphénols par LC-MSMS après extraction sur phase solide.
Les analyses ont été effectuées sous accréditation COFRAC pour 18 molécules. Les méthodes ayant été améliorées au cours de l’étude, le nombre de molécules analysées a pu évoluer entre la première et la dernière campagne. La limite de quantification est comprise entre 2 ng/L et 40 ng/L en ce qui concerne les méthodes LC-MSMS et entre 10 ng/L et 50 ng/L pour les méthodes GC-MS.

Résultats et discussion

Molécules quantifiées
Sur les 77 molécules analysées, 40 ont été quantifiées dans au moins un échantillon d’eau brute, et 17 ont été quantifiées en eau traitée et 33 molécules n’ont jamais été quantifiées (tableau 1).
Il est intéressant de noter que les 8 hormones et l’androgène sélectionnés n’ont jamais été quantifiés dans les échantillons. Les limites de quantification semblent trop élevées pour pouvoir observer ce type de molécules, contrairement à Vulliet et Cren-Olivé en 2011 qui ont pu observer des concentrations inférieures à 1 ng/L en testostérone et en progestérone dans plus de 80 % des échantillons d’eaux de surface et d’eaux souterraines prélevés dans la région Rhône-Alpes (limite de quantification de 10 et 5 ng/L respectivement dans la présente étude).
Les composés perfluorés ont été très peu retrouvés dans les échantillons, tout comme les alkylphénols et le bisphénol A (moins de 5 % de fréquence de quantification en eau traitée), contrairement à d’autres études faisant par exemple état de concentrations allant jusqu’à plus de 100 ng/L en eau de surface en Europe (Loos et al., 2009) et dans plus de 20 % des échantillons d’eau souterraine analysés par Barnes et al. (2008) aux États-Unis.
Vingt-six molécules ont été quantifiées à une concentration supérieure à 10 ng/L dans au moins un échantillon d’eau brute, voire supérieure à 100 ng/L pour cinq molécules : la metformine, l’iopromide, l’ioméprol, l’iohexol et le paracétamol.
État de contamination des eaux brutes
Entre 2012 et 2015, sur les 70 échantillons d’eau brute (souterraine et superficielle) analysés :
  • 75 % des eaux souterraines (ESO) présentaient au moins une molécule quantifiée ;
  • 100 % des eaux superficielle (ESU) présentaient au moins une molécule quantifiée ;
  • 34 molécules ont été quantifiées dans les ESU, contre 24 dans les ESO ;
  • 15 molécules ont été quantifiées uniquement dans les ESU et 6 uniquement dans les ESO (venlafaxine dans 33 % des ESO avec un Cmax = 2,4 ng/L ; fénofibrate dans 1 % des ESO avec un Cmax = 15 ng/L ; PFHxS dans 6 % des ESO avec un Cmax = 11 ng/L ; triclosan, tylosine et PFPeA dans 1 à 3 % des ESO avec un Cmax à la limite de quantification) ;
  • 13 molécules ont été quantifiées dans au moins 50 % des ESU (la caféine et le valsartan ont été quantifiés dans 100 % des ESU analysées), contre deux dans plus de 50 % des ESO (le tramadol et l’hydrochlorothiazide).
Les différences de contamination entre les eaux brutes d’origine souterraine et superficielle ont été observées lors d’autres études françaises, comme celle réalisée par l’ANSES (2011) ou encore Vulliet et Cren-Olivé (2011) qui faisait état de la présence de metformine dans 58 % des eaux de surface échantillonnées en région Rhône-Alpes (sur 71 échantillons au total), contre 10 % des eaux souterraines (sur 70 échantillons). Ces différences sont en accord avec le rapport de fréquence observé pour cette molécule dans la présente étude (31 % des ESO contre 89 % des ESU).
La venlafaxine n’a été analysée que lors de la dernière campagne de prélèvement. Il existe un nombre restreint d’études sur cette molécule dans la littérature mais Rúa-Gómez et Püttmann (2012) ont fait état de la présence de venlafaxine en eau de surface fortement impactée par l’activité humaine et reportent son absence dans les eaux souterraines.
Figure 1. Gamme de variation des concentrations en eau brute : a) d’origine souterraine (ESO) ; b) d’origine superficielle (ESU) des molécules avec FD ≥ 20 %. Q1 : Premier quartile ; Q3 : Troisième quartile ; 50 % des échantillons sont compris entre Q1 et Q3 – • : molécules analysées lors des campagnes de 2013, 2014 et 2015 ; ◊ : molécules analysées lors de la campagne de 2015 uniquement.

Les gammes de concentration sont plus élevées dans les eaux de surface que dans les eaux souterraines, comme le montrent les figures 1a et 1b. Les concentrations maximales sont plus élevées dans les ESU que dans les ESO pour les huit principales molécules, dont la metformine (390 ng/L en ESU et 85 ng/L en ESO) et l’iopromide (301 ng/L en ESU et 78 ng/L en ESO). La gamme de variation en ESO dépasse rarement 5 ng/L (écart entre le premier (Q1) et le troisième quartile (Q3)). Seuls la caféine, l’iopromide et la metformine ont une gamme de variation plus élevée. En ESU, la différence entre Q1 et Q3 est régulièrement supérieure à 15 ng/L. Ainsi, pour une même molécule, la gamme de variation est généralement plus importante en ESU qu’en ESO. Par exemple, 50 % des valeurs de concentration en metformine sont comprises entre 60 et 170 ng/L (valeur médiane de 140 ng/L) en ESU, contre 24 à 47 ng/L (valeur médiane de 30 ng/L) en ESO. Vulliet et Cren-Olivé (2011) ont également fait état de la présence de metformine à une plus forte concentration dans les eaux de surface que dans les eaux souterraines avec une concentration moyenne de 100 ng/L et 10 ng/L respectivement.

État de contamination des eaux traitées

La figure 2 présente pour chaque molécule quantifiée en eau traitée la fréquence de quantification et les concentrations moyenne et maximale obtenues pour l'ensemble des campagnes réalisées (2013, 2014 et 2015) en fonction de l'origine de l'eau brute.
Figure 2 : État de la contamination des eaux traitées : fréquence de quantification et concentrations moyenne et maximale. ESO : n = 10 ; ESU : n = 15 (sauf pour le valsartan n = 5 et la metformine n = 14).

Dix-sept molécules ont été quantifiées dans les eaux traitées, dont 10 dans plus de 10 % des échantillons d'eau traitée : Carbamazépine (ESO) ; Diclofénac (ESU) ; Hydrochlorothiazide (ESO) ; Iohexol (ESU) ; Ioméprol (ESU) ; Iopromide (ESU et ESO) ; Metformine (ESU) ; Tramadol (ESU et ESO) ; Valsartan (ESU) ; 4-nonylphénol (ESO). Toutes ces molécules, à l'exception du 4-nonylphénol, ont été quantifiées dans les eaux brutes. Le diclofénac, quantifié dans plus de 60 % des eaux brutes de surface, est principalement retrouvé dans les eaux traitées d'origine superficielle, tout comme le valsartan (100 % des eaux brutes de surface). Néanmoins, pour la carbamazépine, le diclofénac, l’hydrochlorothiazide, le tramadol et le valsartan, les concentrations observées sont faibles, à la limite de la quantification. Sept molécules ont été quantifiées à une concentration moyenne supérieure à 10 ng/L : Caféine ; Iohexol (max > 50 ng/L) ; Ioméprol (max > 50 ng/L) ; Iopromide (max > 50 ng/L) ; Metformine (max > 50 ng/L) ; 4-nonylphénol ; PFHxS.

Les procédés de traitement employés dans les usines sélectionnées ne semblent pas suffisants pour l’abattement de l’iohexol, l’ioméprol, l’iopromide et la metformine. Au contraire, un bon abattement semble être observé pour la caféine et la carbamazépine.

Conclusion

Le deuxième Plan National Santé Environnement (2009-2013) décliné dans l’ex-région Poitou-Charentes a permis de réaliser cinq campagnes de prélèvements sur des eaux brutes superficielles et souterraines destinées après traitement à la consommation humaine, et traitées en usines d’eau potable régionales. Dans le cadre de cette étude, 77 molécules ont été sélectionnées, parmi lesquelles des médicaments, quelques métabolites de ces médicaments, des hormones et des produits de contrastes iodés, ainsi que des alkylphénols, des composés perfluorés et un plastifiant. Parmi toutes les molécules analysées, 40 ont été quantifiées dans au moins un échantillon d’eau brute dont la moitié dans plus de 20 % des échantillons et 17 ont été quantifiées en eau traitée. Les hormones et l’androgène n’ont jamais été observés, et les composés perfluorés, les alkylphénols et le bisphénol A ont été très peu quantifiés. Les analyses effectuées ont mis en évidence que 75 % des échantillons d’eau souterraine présentaient au moins une molécule quantifiée, et 100 % des échantillons d’eau superficielle. Un plus grand nombre de molécules ont été quantifiées dans les eaux superficielles, avec une fréquence de quantification plus importante et une plus forte concentration (gamme de variation, concentration médiane et maximale). Les concentrations maximales les plus importantes ont été obtenues pour la metformine, l’iopromide, l’ioméprol, l’iohexol et le paracétamol mais seul le paracétamol n’a jamais été quantifié dans les eaux traitées. Les autres molécules présentent encore des concentrations supérieures à 50 ng/L en eau traitée, malgré l’application de traitement. En revanche, un bon abattement semble être observé pour la caféine et la carbamazépine.
Remerciements
Les autorités françaises ont lancé un plan national santé-environnement (PNSE) entre 2004 et 2008, permettant dans un premier temps de mettre en évidence les problématiques environnementales susceptibles d’avoir un impact négatif sur la santé des populations. Dans la continuité de ce PNSE, un second PNSE (loi de santé publique du 9 août 2004 et article 37 de la loi 2009-967 du 3 août 2008 du Grenelle de l’environnement) a été mis en place, dont l’une des volontés finales est la réduction des pollutions à fort impact sur la santé. Dans la déclinaison régionale du PNSE 2 (PRSE 2) à l’échelle du Poitou-Charentes, l’axe « Protection de la ressource en eau et l’eau du robinet » et plus particulièrement la fiche thématique 16 « Développer un programme de recherche sur les substances médicamenteuses et perturbateurs endocriniens » ont été proposés. La présente étude a été réalisée dans le cadre de cette fiche d’actions. Elle a été financée par l’Agence Régionale de Santé (ARS) Poitou-Charentes, réalisée sous son contrôle et animée par un comité de pilotage comprenant notamment des chercheurs et des représentants de personnes responsables de la production et distribution de l'eau. Les analyses ont été réalisées par le laboratoire IANESCO de Poitiers. Tous les acteurs de cette étude sont remerciés de leur contribution, en particulier les PRPDE (personnes responsables de la production et de la distribution de l’eau) ayant accepté que les données issues de leur usine de production d’eau potable soient utilisées. 

Cet article a fait l'objet d'une communication lors du congrès des Journées Information Eaux JIE2020.


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