Bien qu'en principe essentiellement d'origine domestique, certaines utilisations de l'eau dans ces petites agglomérations peuvent générer des apports suffisants pour dépasser la valeur limite et interdire ainsi l'épandage sur des sols agricoles. Confronté à ce problème sur une commune du nord du département, le Service de l'eau du Conseil général de la Nièvre a décidé de mettre au point une technique de recherche pour identifier la source d'une contamination par le plomb (Pb).
La commune de Saint-Amand-en-Puisaye comporte environ 1 400 habitants. Dans une zone agricole, l'activité s'est développée autour de la poterie. Cette activité semi-industrielle était déjà connue au XIVᵉ siècle et doit son essor à ses particularités géologiques. Pour l'assainissement du bourg, cette commune est équipée d'une station d'épuration de type boues activées en aération prolongée, alimentée par un réseau d'environ 6,3 km à forte proportion unitaire (≈ 80 %).
Problématique
La contamination au plomb fut découverte dans le courant de l'année 2000, lors de l'étude préalable à l'épandage pour le recyclage agricole des boues. En effet, au cours de la recherche réglementaire des éléments traces métalliques (ETM) avant épandage, une concentration de plomb trois fois supérieure à la norme fut détectée.
L'origine de cette contamination s'est rapidement orientée vers l'activité potière compte tenu de l'utilisation de l'oxyde de plomb lors de la cuisson des émaux pour abaisser la température de fusion permettant de faire des économies notables en bois dont les fours couchés étaient grands consommateurs.
Toutefois, pour des raisons sanitaires, techniques et économiques, vers 1965 l'usage du plomb a progressivement été abandonné. Le plomb retrouvé dans les boues de la station d'épuration ne peut provenir de l'usage actuel de ce produit mais de la lixiviation de sacs ou barils d'oxyde de plomb abandonnés dans le milieu naturel lors de l'arrêt définitif des fours.
Si une cartographie des sites potentiellement contaminés a pu être établie en retraçant l'historique des activités sur la commune, il a été nécessaire de développer une méthode pour identifier les points d'intru-
[Photo : Fonctionnement d'un four couché.]
Bien que la teneur dans les boues dépasse très largement les valeurs limites, ce type de pollution agit par effet cumulatif et se caractérise avant tout par de faibles concentrations instantanées dans les effluents et par une variabilité dans le temps en fonction des conditions climatiques. De ce fait, la technique habituelle de l'échantillonnage et analyse des eaux usées ne peut apporter une réponse satisfaisante. Seule une technique par accumulation peut être envisagée.
Matériel et méthode
La méthode retenue emploie des bryophytes et est connue sous le nom de “technique du moss bag” (sac de mousse).
Depuis les années 70, les bryophytes sont souvent utilisées pour l'estimation de la contamination en éléments traces métalliques dans les cours d'eau ou dans l'atmosphère. Les espèces les plus communément utilisées en milieu aquatique appartiennent aux genres Fontinalis, Rhynchostegium et Cinclidotus. Alors qu'en milieu terrestre, les genres utilisés sont les Ceratodons et les Sphagnum.
De nombreux travaux ont mis en évidence une corrélation quasi linéaire entre les concentrations en ETM dans les eaux et les concentrations mesurées dans les mousses. L'aptitude d'accumulation des métaux provient de la paroi cellulaire des bryophytes qui possède un grand nombre de groupements chimiques chargés négativement (groupe carboxylique, polymères d'acide uronique) contenant des protéines sulfurées, oxygénées et nitrogénées, qui sont des sites de fixation pour cations.
Des réactions d'échanges se produisent par le remplacement d'un cation lié à un site immobile extracellulaire chargé négativement, par un cation. Les liaisons électrostatiques qui se forment sont non sélectives et réversibles, le phénomène est rapide et passif. La surface des mousses se comporte ainsi comme une résine échangeuse d'ions.
Par ailleurs, les cations polyvalents ont une meilleure affinité que les cations monovalents. À concentration molaire égale dans l'eau, les éléments à forte affinité comme le plomb et le cadmium sont accumulés de façon préférentielle par rapport aux éléments à plus faible affinité comme le calcium et le magnésium.
En situation de décontamination, l'élimination est toujours plus lente que la prise de métal, cette propriété confère aux mousses la capacité de conserver une empreinte d'une pollution même lorsque celle-ci n'est plus détectable dans l'eau.
Contraintes liées à l'étude
Pour cette étude, le lieu d'exposition étant un réseau d'assainissement, les conditions de vie pour les organismes sont extrêmes :
- - la faible luminosité, voire l'obscurité totale, rendent la photosynthèse inefficace
- - la charge relativement importante en matière organique provoque une anoxie du milieu qui
[Photo : Le protocole d'exposition consistait à exposer des mousses, parfois prétraitées, dans un pochon, fabriqué avec de la "moustiquaire" en PET (maillage carré de 1,5 mm).]
[Photo : Fontinalis antipyretica.]
[Photo : Sphagnum sp.]
accélère l’altération des mousses.
CV = (Écart type / Concentration moyenne des minéralisats (mg/l)) × 100
Tableau 1 : Concentration* de référence standard en ETM chez les mousses aquatiques
As | Cd | Cr | Cu | Fe | Hg | Mn | Ni | Pb | Zn |
3 | 1 | 7 | 19 | 3,0 | 0,008 | 0,6 | 20 | 19 | 200 |
* concentrations exprimées en µg/g (ppm) sauf pour Fe et Mn exprimées en mg/g
Mise au point du protocole d’exposition
Cette technique consiste à exposer des mousses, parfois prétraitées, dans un pochon, fabriqué avec de la « moustiquaire » en PET (maillage carré de 1,5 mm). La dimension du film nécessaire pour contenir une masse de mousses de 2 à 3 g (soit l’équivalent d’une poignée de mousses non tassée) est d’environ 20 cm × 20 cm.
Les avantages de ce procédé sont :
- une capacité uniforme et bien définie ;
- une bonne flexibilité dans le choix des sites ;
- l’assurance de retrouver les échantillons après un long temps d’exposition.
Le principal défaut de cette méthode est le risque de colmatage du filet limitant le contact entre l’effluent et les bryophytes. La mise au point du protocole d’exposition réside donc dans la détermination d’un équilibre entre la durée d’exposition pour avoir une bonne intégration des flux de plomb et le temps de dégradation des bryophytes.
Choix des matrices
À la suite de l’étude bibliographique et en fonction des ressources disponibles, notre choix s’est porté sur deux espèces de bryophytes autochtones, l’une aquatique : Fontinalis antipyretica et l’autre terrestre : Sphagnum sp.
L’analyse
Les analyses ont été réalisées par spectroscopie d’absorption atomique de flamme, cette technique offrant une gamme de concentration comprise entre 0,1 et 1 mg/l de plomb, suffisante pour indiquer une contamination.
Validation des résultats
La validation des résultats s’effectue à deux niveaux de contrôle :
- le lavage des mousses, par l’intermédiaire du Résidu Minéral (RM)
RM = (Résidu minéral pesé (mg) / Masse de mousses sèches initialement pesée (mg)) × 100
On estime que si RM > 10 %, l’échantillon doit être rejeté.
- la répétitivité de l’analyse par l’intermédiaire du Coefficient de Variabilité (CV)
Expression des résultats et de leur représentativité
Outre l’exploitation des données brutes exprimées en ppm (µg/g), certains indices ont été retenus pour exprimer les résultats.
a. Le Facteur de Pollution Standard (FPS) définit pour chaque métal le rapport entre la concentration observée et une concentration dite de « référence standard ». Plus le facteur multiplicatif est élevé, plus le degré de pollution augmente (cf. tableaux 1 et 2).
FPS = Concentration observée (µg Pb/g de mousses) / Concentration de référence standard (µg Pb/g de mousses)
b. Le Facteur de Pollution Ajoutée (FPA) traduit directement l’accumulation des ETM durant la durée d’exposition.
FPA = Concentration en plomb des mousses après un temps d’exposition (µg Pb/g mousses) / Concentration en plomb des mousses au départ t₀ (µg Pb/g mousses)
c. La Grille d’interprétation (GQ) est organisée en cinq niveaux de concentration. Le classement est obtenu en faisant la moyenne des concentrations obtenues pour chaque échantillon. Les classes de qualité ont été établies par l’Agence de l’Eau et reflètent le niveau de contamination d’une rivière.
Tableau 2 : Grille de qualité pour les ETM dans les mousses aquatiques pour le FPS
Niveau de qualité |
M0 / M1 / M2 / M3 / M4 |
FPS interprétation |
|
FPS ≤ 2 |
Pas de pollution |
2 < FPS ≤ 6 |
Situation suspecte |
6 < FPS ≤ 18 |
Pollution certaine |
18 < FPS ≤ 54 |
Pollution importante |
FPS ≥ 54 |
Pollution exceptionnelle |
Les concentrations de référence retenues sont celles définies par MOUVET (« Étude des métaux lourds sur les mousses aquatiques », Agence de l’Eau Loire Bretagne, 1993).
Validation de la technique
La validation de la technique a porté sur trois aspects :
- choix de l’espèce ;
- conditionnement des espèces (traitées préalablement à l’acide nitrique ou simplement étuvées) ;
- durée d’exposition.
Pour ce faire, les bryophytes ont été placées dans un premier temps dans la bâche de pompage de la station constituant le point de référence de toutes les analyses et juste en amont de la jonction des trois branches principales du réseau. Puis, après avoir identifié la branche la plus contaminée, des végétaux ont été disposés à chaque « nœud » de celle-ci.
a) Qualification du protocole
☐ Partie terrain : la technique d'épuration donne dans l'ensemble satisfaction, le principal problème résidant dans le colmatage du filtre. Nous avons pu déterminer, en comparant deux points, l'un étant placé en amont du dégrilleur, régulièrement nettoyé, et l'autre en aval, que l'écran formé par les débris entraîne un écart de 25 %.
☑ Partie laboratoire : le traitement de 42 échantillons (soit 84 analyses réalisées) nous a permis d'établir que les analyses et le protocole sont répétables. En effet, les coefficients de variation sont de l'ordre de 10 % pour les échantillons se situant entre 0,1 et 0,9 mg de plomb/l de minéralisation. Les valeurs inférieures à 0,1 mg/l constituent la catégorie la plus représentée dans nos analyses. Leur validation est incertaine mais ces valeurs apportent surtout une indication de non pollution.
[Encart : Tableau 3 : Grille d’interprétation des concentrations d’ETM chez les bryophytes
Classe 1 : Cpb ≤ 27 – Pas de pollution
Classe 2 : 27 < Cpb ≤ 55 – Situation suspecte
Classe 3 : 55 < Cpb ≤ 165 – Pollution certaine
Classe 4 : 165 < Cpb ≤ 330 – Pollution importante
Classe 5 : Cpb > 330 – Pollution exceptionnelle
(Les concentrations sont exprimées en µg/g de poids sec.)]
b) Sélection de l'espèce
L'analyse des échantillons déposés dans le poste de relèvement de la station nous enseigne que la sphaigne accumule plus (concentration des minéralisats plus forte) et mieux le plomb (FPA de 3,2 pour les sphaignes traitées à l'acide et 2,5 pour les non traitées) que les Fontinales (FPA de 1,7 et 1,6).
c) Détermination du temps d'exposition optimum
Sur les pochons de sphaigne placés en entrée de station pour une durée d'exposition de trois semaines, on note une augmentation des teneurs jusqu'au 12ᵉ jour, puis une tendance à la décroissance (cf. figure ci-dessous). Cette décroissance en troisième semaine est interprétée comme étant le résultat de l'action des microorganismes décomposeurs.
[Figure : Évolution de la capacité d’accumulation de la sphaigne en fonction du temps]
Pour le choix de la méthode, la résistance à la décomposition est donc un facteur prépondérant.
Conclusion
Cette mesure menée par le Service de l'eau du Conseil général de la Nièvre, en collaboration avec le Service du Laboratoire Départemental et la commune de Saint-Amand-en-Puisaye, a permis d'atteindre deux objectifs :
- valider la méthode développée, utilisée jusqu'à présent pour d'autres milieux par l'obtention de résultats cohérents,
- identifier la source de pollution en plomb qui affecte la qualité des boues de la commune (avec, une fois le secteur incriminé déconnecté, une réduction des teneurs de 3 800 mg/kg de M.S. à 1 040 mg/kg).
Il est toutefois important de ne pas perdre de vue que les résultats obtenus par cette méthode constituent une bio-indication et en aucune façon une mesure absolue de la pollution. Comme les résultats semblent le démontrer, la réponse est intégrée dans le temps selon des modalités complexes qui dépendent de cinétiques et de mécanismes d'échange bien spécifiques ainsi que des conditions du milieu.
Enfin, la technique du “moss bag” en réseau d'assainissement ouvre des perspectives de recherche d'autres éléments contaminants, comme le cuivre ou le mercure.
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