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Recherche d'une méthode d'étude de la fiabilité des systèmes d'alimentation en eau potable

29 novembre 1986 Paru dans le N°105 à la page 36 ( mots)
Rédigé par : Jean BUSTARRET et Yvan RETKOWSKY

Jean BUSTARRET

Compagnie générale des eaux

Yvan RETKOWSKY

Agence financière de Bassin Seine-Normandie

Dans toute activité industrielle, la fiabilité des installations fait partie des préoccupations fondamentales de l’exploitant, qui doit s’astreindre à l’apprécier correctement et, le cas échéant, à l’accroître au moindre coût. Les méthodes d’évaluation de la fiabilité se sont largement développées sous l’impulsion d’un certain nombre de secteurs de pointe, tels l’aéronautique ou l’industrie nucléaire (pour lesquels la sûreté maximale représente un enjeu capital). Devant les nombreuses méthodes fiabilistes mises en application avec des succès toujours croissants, les distributeurs d’eau ne pouvaient manquer de rechercher une meilleure approche de leur fiabilité et un moyen supplémentaire d’optimiser leurs investissements.

Assurément, dans l’ensemble de la France, la distribution de l’eau potable est globalement très satisfaisante et, le plus souvent, les interruptions de la fourniture y sont de très courte durée. On pourrait donc considérer, à première vue, que la fiabilité des systèmes de distribution d’eau, bénéficiant de l’expérience acquise au prix de nombreuses décennies d’efforts ininterrompus, ne pose pas de problème particulier et, corrélativement, ne nécessite pas la recherche d’investigations spécifiques. Une réflexion plus poussée conduit cependant à constater que les systèmes d’aujourd’hui, beaucoup plus complexes que ceux d’hier, risquent par là-même, si l’on n’y prend pas garde, de devenir beaucoup plus fragiles. À cette complexité nouvelle s’ajoutent les divers types d’agression qui menacent les ressources en eau, et parmi eux en tout premier lieu, dans de nombreuses régions, les déversements accidentels dans les rivières, de plus en plus fréquents et de plus en plus graves.

C’est ainsi que les distributeurs d’eau de la région parisienne se sont engagés dans des études de fiabilité, avec la participation de l’Agence financière de Bassin Seine-Normandie, dans le cadre du programme d’études coordonnées qu’elle finance en accord avec la préfecture de la région Île-de-France. Dans un premier temps, l’Agence financière de Bassin a confié à l’École des Ponts et Chaussées une recherche sur les possibilités d’adapter aux services de distribution d’eau les méthodes de calcul de fiabilité ayant fait leurs preuves dans un certain nombre de secteurs industriels. Il est en effet apparu qu’une méthodologie adéquate devrait pouvoir conduire, après mise au point, à une évaluation de la fiabilité des systèmes d’alimentation en eau potable à partir de l’examen de leurs trois grandes composantes : adduction, production et distribution.

Bien évidemment, les résultats obtenus dépendent des hypothèses simplificatrices posées au départ et de la méthode de calcul retenue. La valeur globale de la fiabilité étant directement liée à l’utilisation d’une méthode ou d’une autre, il en résulte que, d’une certaine manière, la fiabilité d’un système n’a pas grand sens en valeur absolue. Par contre, elle a une signification très importante en valeur relative : en effet, par la mesure de l’impact sur le système des risques de défaillance de chacun de ses éléments constitutifs, elle met en évidence les éléments les moins sûrs (les moins fiables) et permet d’évaluer l’accroissement de fiabilité qu’apporterait tout investissement de sécurité supplémentaire. Elle rend également possible, lorsque des travaux d’extension ou d’amélioration sont envisagés, le classement des diverses variantes d’un même projet, en fonction des conséquences qu’elles induisent sur la fiabilité du système. C’est dans cette perspective qu’a été étudiée la mise au point d’une méthode applicable aux grands services d’eau de la région parisienne et plus particulièrement à celui du Syndicat des Eaux d’Île-de-France, qui dessert 4 millions d’habitants dans 144 communes réparties tout autour de Paris et dont la Compagnie générale des eaux est le régisseur. Les calculs ont été conduits par la Sétude avec l’aide du cabinet Brennus, spécialiste des calculs de fiabilité, qui dispose en la matière d’une longue expérience acquise dans des domaines industriels variés.

[Photo : Diminuer la fréquence des ruptures de conduites en améliorant la fiabilité de la distribution.]

Le système-type d'alimentation en eau potable étudié comprend une usine-type de traitement d’eau de rivière représentative des filières mises en œuvre par le Syndicat, dont la capacité a été fixée à 200 000 m³/j et la production moyenne à 120 000 m³/j (figure 1). Le réseau-type qui en dépend s'inspire d’une partie du réseau de distribution du Syndicat ayant une consommation moyenne équivalente (120 000 m³/j) et limitée à ses canalisations principales (figure 2). Les mailles retenues pour le réseau-type comptent 16 nœuds et 24 tronçons. Il n’a pas été possible de prendre en considération les stockages d’eau dans les réservoirs ni les élévations successives, qui auraient beaucoup alourdi les calculs. Les composants de chacun des sous-systèmes de ce système-type ont fait l'objet d'une étude de probabilité de défaillance, dont les effets ont été analysés au niveau journalier. Pour chacun d’eux, on a établi la valeur du TMED (temps moyen entre deux défaillances) et du TMI (temps moyen d’indisponibilité) à partir de l’expérience des exploitants ou, à défaut, en fonction des opérations programmées d’entretien préventif.

[Photo : Schéma de l'usine-type]
[Photo : Schéma du réseau-type]

L'analyse de la fiabilité de l’usine de production-type passe par la détermination des composants élémentaires de la filière, qui constituent autant de sous-systèmes indépendants. L’étude des combinaisons de défaillance de ces sous-systèmes conduit à une évaluation des probabilités de défaillance et de leurs conséquences sur la capacité de production de l'usine. Certains modes de défaillance n’ont que peu d'incidence sur la capacité de production, d'autres peuvent au contraire la diminuer sensiblement. Il en résulte que la probabilité de ne pouvoir produire un débit donné est une fonction croissante de ce débit. Selon les calculs de l’Étude et du cabinet Brennus dans l'exemple étudié, la probabilité de ne pouvoir produire que 75 % du débit nominal de l’usine est de

[Photo : Probabilité de défaut de production]

0,12 %. Elle atteint 0,46 % pour le débit nominal lui-même (figure 3). Comme la demande du réseau est en général très inférieure au débit de pointe (120 000 m³/j en moyenne pour une capacité de 200 000 m³/j dans le cas de figure envisagé), la plupart des modes de défaillance seront sans incidence si l'indisponibilité se produit à un moment où la demande n’est pas trop élevée. La fiabilité de l'usine-type sera donc obtenue en tenant compte de la répartition des débits journaliers dans l'année et en combinant leur probabilité d’occurrence avec la probabilité de ne pouvoir produire le débit demandé. Les calculs de l’étude effectués dans le cadre simplifié de l'usine de production-type conduisent à une probabilité pondérée d’insuffisance de production égale à 70.10⁻⁵, ce qui donne une fiabilité de 0,99930. La prise en considération de la composante ressource (pollution de la rivière) a une incidence beaucoup plus importante, même dans le cas étudié où l'existence d'une réserve d’eau brute assure une autonomie de deux jours de consommation moyenne. La probabilité d'un défaut de la ressource entraînant un ralentissement de l'usine atteint 205.10⁻⁵ et la fiabilité de l’adduction a pour valeur 0,99795.

Il en résulte une fiabilité de l'ensemble « adduction-production » égale à 0,99725.

Pour ce qui concerne le réseau de distribution schématique retenu, l’analyse de fiabilité a consisté à étudier, en appliquant la méthode itérative Hardy-Cross, les conséquences dans plusieurs hypothèses de demande en eau de l'isolement successif des 24 tronçons. Chaque isolement a été considéré comme défectueux lorsque l'un au moins des 16 nœuds du réseau-type a enregistré une baisse de pression supérieure à 5 m. En prenant un taux de défaillance de 0,05 arrêt par km et par an et un temps moyen de réparation de trois jours, on obtient une probabilité de défaut de distribution qui, suivant les débits demandés, passe de 436.10⁻⁶ à 2 289.10⁻⁵. Comme celle de l’usine-type, la fiabilité du réseau-type de distribution est obtenue en pondérant ces valeurs par la modulation des débits de la demande. Le calcul de la Sétude donne ainsi une fiabilité de 0,9916 pour le système distribution. Le cabinet Brennus obtient, par une variante de calcul basée sur l'utilisation du modèle Marcus, une fiabilité comparable (0,9913). Ces deux valeurs très voisines sont sans doute un peu pessimistes, puisqu’elles ne prennent pas en compte les stockages des réservoirs. La méthode ne permet pas de donner des poids différents aux situations d’accidents en fonction du nombre d'usagers qu’elles affectent. Elle devrait à cet égard être améliorée.

Dans ces conditions, la fiabilité globale du système « adduction - production - distribution » s’établit à partir des valeurs ci-dessus à 0,9894. Avec les réserves exprimées plus haut, on constate que la fiabilité la meilleure est celle de l’usine de production-type (0,9993), dont la probabilité de défaut égale à 0,07 % correspond à une insuffisance de production une fois tous les quatre ans. Pour l’adduction (fiabilité 0,9979), la probabilité d'insuffisance de la ressource atteint une fois tous les 1,3 ans et pour la distribution (fiabilité 0,9916) la probabilité d’insuffisance de fourniture s'élève à une fois tous les quatre mois. En d'autres termes, la fréquence de défaillance de la ressource serait trois fois plus forte que celle de l'usine et la fréquence de défaillance du réseau douze fois plus forte.

[Photo : Méry-sur-Oise — L’usine de traitement d’eau potable. Au premier plan, le bassin de storage.]

En ce qui concerne la ressource, cette étude souligne la nécessité de poursuivre les efforts de contrôle et de surveillance des trois rivières du Bassin Parisien, même lorsque l'on dispose d'un bassin de storage représentant deux jours de consommation moyenne. Quant au réseau, elle indique que des recherches complémentaires doivent être entreprises pour affiner les calculs de fiabilité, mais surtout que la sécurité de la distribution doit être améliorée sans relâche, par tous les moyens disponibles et notamment par l'accroissement des réserves d'eau potable et le développement de conduites d’interconnexion de grande capacité.

En définitive, les résultats présentés ci-dessus, pour intéressants qu’ils soient, ne constituent qu’une première approche fiabiliste qui devra être complétée. Certes, les ordres de grandeur dégagés sont significatifs, malgré les simplifications opérées. Néanmoins, on pourrait sans doute préciser la méthode mise au point en prenant en considération le rôle joué par les réserves d’eau en distribution et en affinant les calculs de fiabilité du réseau. C’est l’objet d'une seconde étape, qui sera entreprise prochainement.

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