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Récents développements de l'ozonation et des substituts à la chloration

30 mai 1990 Paru dans le N°137 à la page 45 ( mots)
Rédigé par : Michel RAPINAT

Depuis de nombreuses années la désinfection de l'eau distribuée fait, d'une manière générale, appel au chlore. Une telle constance signifie que ce réactif remplit bien son rôle et donne largement satisfaction ; notamment c'est un procédé qui n’est pas trop contraignant en exploitation et reste particulièrement compétitif au plan économique.

Si la chloration d'une eau de bonne qualité ne soulève pas d’observations, par contre, sur les eaux de mauvaise qualité, de nombreuses critiques ont été formulées : les plus importantes concernent d'une part la formation de trihalométhanes, substances suspectées de pouvoir être nocives pour la santé, et d'autre part la génération de saveurs désagréables.

Comment limiter les inconvénients d'une désinfection au chlore ?

Dans les deux cas, l'origine des problèmes se situe au niveau de la présence dans l'eau brute de substances qui réagissent avec le chlore et donnent naissance à des composés que l’on souhaiterait éviter. Ces substances ont été baptisées « précurseurs ». Cela confirme bien que le problème est d’autant plus aigu que la qualité de la ressource est mauvaise.

Bien sûr, on peut songer à améliorer la ressource. C'est certainement une bonne solution dont on ne peut que souhaiter la mise en œuvre, mais nous savons que ce sera fort long et qu’il faut chercher, en attendant, à limiter les inconvénients de la désinfection au chlore au sein de nos propres unités de traitement.

Deux voies s’ouvrent :

● la première consiste à faire appel aux autres procédés de désinfection : ozone, bioxyde de chlore, chloramines, UV.

[Photo : Le réactif de substitution le plus séduisant est l’ozone, qui possède le plus fort pouvoir oxydant de tous les réactifs (Ozoneur ouvert - Doc. Trailigaz).]

● la seconde vise à optimiser la chloration pour limiter au maximum ses inconvénients, tout en conservant les avantages du chlore.

Peut-on remplacer le chlore ?

Une première démarche consiste à rechercher des composés à base de chlore qui évitent les inconvénients les plus importants présentés par le chlore, et donc qui ne donnent pas naissance à des trihalométhanes et limitent au maximum le développement de saveurs désagréables. Deux réactifs ont été utilisés : le bioxyde de chlore et les chloramines.

Les chloramines présentent deux inconvénients majeurs. D’une part leur pouvoir bactéricide est beaucoup plus faible que le chlore, ce qui peut parfois poser des problèmes. D’autre part il faut absolument en rester au stade des monochloramines pour éviter les saveurs particulièrement désagréables des di et trichloramines, contrainte qu’il n’est pas facile de respecter en exploitation, compte tenu des variations de qualité de la ressource.

Le bioxyde de chlore semble a priori très tentant, car c'est un réactif très efficace en désinfection, ne donnant pas de trihalométhanes et permettant d’obtenir souvent une nette réduction des saveurs. Pratiquement, c'est un composé qui doit être préparé localement, dont la rémanence en réseau est moindre et qui s'avère plus coûteux. Ne réagissant pas sur l'ammoniaque, il faut veiller à lui associer le plus souvent une étape de traitement complétant son action sur ce point. Enfin, contenant des atomes de chlore, il ne répond qu'imparfaitement à l'objectif de prévention vis-à-vis des sous-produits chlorés.

Le réactif de substitution le plus séduisant est l'ozone, qui possède le plus fort pouvoir oxydant de tous les réactifs. L’ozone est un très bon agent de désinfection. Il possède même sur ce plan des avantages par rapport au chlore, car son action sur les virus, les amibes, les parasites est supérieure. Les problèmes pratiques de production sur le site et de diffusion sont maintenant bien résolus. Les sous-produits d'une ozonation suscitent beaucoup moins de prévention que dans le cas d'une chloration. Par contre, il est extrêmement instable et ne possède donc pas de pouvoir rémanent, ce qui est un inconvénient majeur sur les longs réseaux ; en outre, il peut y favoriser dans certains cas des reviviscences bactériennes.

De son côté, la désinfection aux UV, qui semble réservée aux petites installations, présente le même inconvénient que l’ozone, celui de ne pas avoir d’effet rémanent.

Enfin, pour faire état des recherches les plus récentes concernant le couplage entre l'ozone et l'eau oxygénée ou entre l’ozone et les UV, il semble acquis que l'action désinfectante de ces deux procédés ne dépasse pas celle de l’ozone.

[Figure : Influence de la nature de la filière sur la teneur en chloroforme de l’eau produite à l’usine de Choisy-le-Roi.]

L'examen de tous ces éléments montre qu'il est difficile de remplacer le chlore et qu'il faut plutôt considérer ces procédés comme une voie pour optimiser la chloration. Ils sont moins des concurrents au chlore que des compléments susceptibles de limiter les quantités de sous-produits formés et l'intensité des problèmes de saveur.

L’optimisation de la chloration : la notion de filière

L'idée de base repose sur une constatation simple : sur une eau de bonne qualité, l'action du chlore ne donne lieu à aucune observation ; aussi, est-on amené à rechercher la possibilité de ne chlorer qu'une eau préalablement épurée.

Scientifiquement, cette approche est satisfaisante : plus l'eau est pure, moins la formation de sous-produits doit être importante, ce qui ne peut être qu'un facteur bénéfique pour la santé. En ce qui concerne le problème des haloformes, les précurseurs sont éliminés plus facilement au cours du traitement que les composés formés avec le chlore, ce qui permet d'aller plus loin dans la suppression des effets indésirables (figure 1).

Il faut également remarquer que ce principe permet de garantir une bonne désinfection ; en effet, sur une eau trouble les résultats de la désinfection sont aléatoires, les impuretés réagissant avec le chlore et protégeant les bactéries et autres germes d'un contact avec le réactif de désinfection. Il est donc préférable de placer l’étape de désinfection après la clarification.

Ainsi, la mise en œuvre de la chloration en fin de filière permet simultanément d'améliorer la qualité de l'eau produite par une réduction des sous-produits formés et la bonne élimination des germes. Le dilemme, qui était souvent considéré comme insoluble lors des premiers travaux, entre l'efficacité de la désinfection et la quantité de trihalométhanes et de composés sapides formés, n’est que l'expression d’un faux problème.

Notons que la chloration d’une eau préalablement clarifiée s’accompagne d'une réduction de la dose de chlore utilisée, ce qui ne peut qu’être bien perçu par les abonnés (figure 2). Dans certains cas, la réduction du résiduel de chlore est telle qu'il est pratiquement impossible à un consommateur de détecter si l'eau a été traitée au chlore. On évite ainsi le qualificatif d'eau chimique qui est parfois appliqué à l'eau potable présentant une forte saveur de chlore.

[Photo : Le monde moderne se doit de privilégier les processus naturels par rapport aux traitements chimiques, orientation que l’on retrouve notamment en agriculture.]

Ces réflexions nous permettent de percevoir que l'ordre des diverses étapes de traitement n’est pas indifférent, et que l'obtention du meilleur résultat passe par une combinaison réfléchie des moyens de traitement. C'est la notion même de filière, qui vise, par optimisation des effets de synergie entre les diverses étapes de traitement, à obtenir la meilleure qualité de l'eau possible. Il faut remarquer ici qu'il faut entendre par meilleure qualité, non seulement une eau répondant aux critères fixés et ayant servi de base à la définition des traitements mis en œuvre, mais également une réduction des sous-produits pouvant être générés par le traitement. Une bonne filière n'est pas toujours celle qui répond aux seuls objectifs d'épuration ; c'est l'enseignement fondamental à tirer des réflexions échangées sur les trihalométhanes.

La filière biologique. L'intérêt du couplage Ozone-Charbon

On est donc conduits à rechercher les voies permettant d'obtenir l'épuration la plus complète avant de procéder à la désinfection finale au chlore. Bien évidemment, une contrainte existe en ce qui concerne l'utilisation du chlore pour d'autres objectifs. Il faut en effet noter qu'une chloration, quelle qu’en soit la finalité, conduit à la formation des mêmes sous-produits et donc des mêmes inconvénients. C'est ainsi que l'élimination de l'ammoniaque par un traitement au Break-Point, d’usage courant il y a une dizaine d’années, doit être abandonnée. Il faut donc rechercher les voies les plus efficaces possibles pour épurer l'eau, sans faire appel au chlore, sauf pour la désinfection finale.

[Photo : L’un des procédés les plus performants est la filtration biologique sur charbon actif en grains précédée d’une ozonation (Bassins filtrants – Usine de Choisy-le-Roi – Doc. Sedif).]
[Photo : Fig. 2 : Chlore consommé — Influence de la nature de la filière sur le taux de traitement au chlore (usine de Choisy-le-Roi).]

Si des portes se ferment, d'autres s'ouvrent : en effet, le report du point de chloration en fin de filière permet de faire largement appel aux processus biologiques pour l'épuration de l'eau. Cette orientation vers une plus large utilisation des processus biologiques répond à une tendance qui caractérise le monde moderne : privilégier les mécanismes naturels par rapport aux processus chimiques, orientation que l’on retrouve notamment en agriculture, avec une volonté de réduire progressivement l'utilisation des engrais (photographie n° 2).

Cependant la dégradation de la qualité des ressources fait qu'il faut en la matière innover et que l'on ne peut revenir purement et simplement aux solutions anciennes de filtration lente sur sable. L'un des procédés les plus performants est la filtration biologique sur charbon actif en grain précédée d’une ozonation. L’ozonation préalable de l’eau facilite la bio-dégradabilité de nombreux composés qui sont ensuite éliminés par l'intense activité biologique qui se développe dans le lit filtrant. Le tableau I met en évidence les résultats obtenus par cette technique sur les eaux fortement polluées de la Région Parisienne (photographie n° 3).

Un des aspects les plus importants de l'amélioration de qualité concerne la stabilité de l'eau produite, ce qui peut se caractériser par la demande en chlore. Une filière biologique permet de réduire la consommation du chlore en réseau, ce qui permet d’abaisser la valeur du résiduel de chlore et de limiter la formation d’éventuels sous-produits en réseau.

Extension du domaine d’emploi de l’ozone

La suppression de la chloration en tête de filière peut être à l'origine de difficultés. En effet, la chloration effectuée avant clarification présente certains aspects positifs, comme dans le cas des eaux fortement chargées en fer et en manganèse ; une préozonation permet le plus souvent de retrouver des conditions satisfaisantes.

Par ailleurs, l’ozone possède de nombreuses propriétés que, petit à petit, il est apparu intéressant d’utiliser : c’est ainsi qu’à faible dose (1 mg/l) et employé en préozonation, il favorise la floculation, accroît l’élimination du carbone organique et élimine de nombreux précurseurs d'haloformes. Le bénéfice de l’ozone est particulièrement marqué en période algale. Ce qui a conduit au développement d'une nouvelle technique d’ozoflottation pour éliminer les algues résultant de phénomènes d’eutrophisation. La flottation est assurée par la production de fines bulles et permet de travailler à des vitesses supérieures à celles couramment utilisées. La fraction des algues éliminée est alors, selon les espèces, comprise entre 40 et 95 %. Les propriétés oxydantes de l’ozone permettent parallèlement de diminuer la concentration en matières organiques (photographie n° 4).

Ainsi, l’ozone en prétraitement soulage les étapes ultérieures et constitue une arme de choix pour améliorer la qualité de l’eau.

Le couplage de l’ozone avec d'autres oxydants laisse espérer des résultats prometteurs par effet de synergie.

Ainsi, le traitement d’oxydation par ozone en présence d'eau oxygénée permet d’améliorer l’élimination de composés « réfractaires » tels que certaines espèces organochlorées (pentachloroéthane) ou certains micropolluants. L'action sur l'atrazine est tout à fait exceptionnelle et on peut penser que cette technique pourrait constituer une solution au difficile problème que pose actuellement aux distributeurs d’eau la

Tableau I

Évolution du carbone organique dissous (en milligramme par litre) le long des filières biologiques de Choisy-le-Roi et Méry-sur-Oise.

Emplacement des mesures Choisy-le-Roi Méry-sur-Oise
1988 1989 1988 1989
COD eau brute 2,66 2,73 3,32 3,24
COD avant l’étape Ozone/CAG 1,95 1,98 2,83 2,66
COD après l’étape Ozone/CAG 1,79 1,78 2,38 2,15
[Photo : Fig. 3 : Efficacité de couplage O₃/H₂O₂ sur l’élimination de l’atrazine (résultats d’essais sur pilote).]

présence de ce pesticide dans leurs filières de traitement (figure 3).

Le couplage O3/UV permet également d’accroître l’efficacité du processus d’oxydation ; le traitement de composés organohalogénés saturés, par exemple, est nettement plus efficace que par l’ozone seul.

Dans le cas des processus de secours, il s’avère économique de produire de l’ozone directement à partir d’oxygène. Ce procédé permet d’obtenir des concentrations bien supérieures (50 g/m³). Le gain porte fondamentalement sur les investissements.

Les autres procédés

La performance de la filière biologique et de l’ozone a rendu le bioxyde de chlore moins attractif, la destruction des phénols par l’ozone ayant fait disparaître l’un des avantages du bioxyde de chlore sur le chlore. Par ailleurs, les filières biologiques permettent d’obtenir une plus forte réduction des saveurs désagréables que par la mise en place d’un traitement au bioxyde de chlore.

[Photo : Photographie 4 : Élimination des algues par la technique d’ozoflottation. La flottation est assurée par production de fines bulles (Doc. Anjou Recherche).]

L’utilisation des UV est limitée par le fait que l’eau traitée doit être d’excellente qualité, par l’absence de pouvoir oxydant et surtout rémanent. Aussi, ce procédé semble réservé aux petites installations répondant à des problèmes spécifiques. En particulier, pour les tout petits débits, l’ozone devient très coûteux et il est avantageusement remplacé par les UV. Une autre utilisation potentielle pourrait être fournie par les unités de secours lorsque l’approvisionnement en chlore est difficile.

Conclusion

La combinaison des divers traitements dans une filière optimisée permet d’atteindre des objectifs particulièrement ambitieux, notamment en ce qui concerne la réduction des sous-produits formés et des saveurs. Par la diversité de ses propriétés, l’ozone joue un rôle essentiel dans l’obtention de ces résultats ; seule la désinfection finale fait alors appel au chlore.

Dans cette configuration, la plupart des inconvénients initiaux ont disparu et il ne reste plus que ceux inhérents à l’emploi du chlore, lequel semble difficilement remplaçable pour son effet rémanent.

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