[Photo : Thierry GUICHARD - Communauté Urbaine de Bordeaux]
[Photo : Gérard Michel FAUP - Lyonnaise des Eaux - Dumez]
[Photo : Christophe PERROD]
Thierry GUICHARD - Communauté Urbaine de Bordeaux
Gérard Michel FAUP - Lyonnaise des Eaux - Dumez
Christophe PERROD
et Marc CLEMENT - Société Liac
Au cours des vingt dernières années, la Communauté Urbaine de Bordeaux a mis au point et développé un système de contrôle centralisé destiné à réguler le débit de son important réseau pluvial. Des investissements considérables ont ainsi été réalisés pour protéger l’agglomération, si bien que le centre de télécontrôle pluvial Ramses doit superviser un nombre toujours plus élevé d’équipements (stations de pompage, bassins de rétention, conduite de refoulement). Ce système, déterminant pour faire face au risque d’inondation, fonctionne à l'occasion des crises. Du fait de l’augmentation du nombre d’informations à acquérir et d’une régulation hydraulique complexe, un système-expert a été réalisé pour aider les opérateurs à prendre les meilleures décisions. Cette application, appelée Paydirt, a été développée dans le cadre du programme européen Esprit en combinant un modèle hydraulique et une base de données de connaissances. Ses différentes fonctions, mises en œuvre en période de crise, comportent : la détection de défauts et leur filtrage, les simulations hydrauliques en corrélation avec les capacités disponibles des ouvrages, la définition des priorités à observer en matière de réparation, l’optimisation de l'emploi des équipes d’intervention, le traitement des appels téléphoniques des habitants inondés. Le système-expert Paydirt qui fonctionne en temps réel avec le télécontrôle constitue un réel progrès pour les opérateurs.
Comme la nature l’a brutalement rappelé au deuxième semestre de l'année 1993, de nombreuses collectivités restent exposées à de graves risques d’inondations. Certaines subissent essentiellement des désordres consécutifs à des aménagements situés en amont, échappant à leur contrôle, mais toutes peuvent agir sur deux facteurs clés dont elles possèdent la maîtrise : l'imperméabilisation des sols, consécutive au développement des agglomérations, et l’adaptation des équipements de stockage et d’évacuation.
Mais la pluie provoque également par effet de choc, ou à plus long terme par accumulation de métaux lourds et de micropolluants, une grave pollution du milieu naturel. Dans le contexte de la transposition en droit français de la directive européenne « Eaux résiduaires urbaines », l’effort de mise à niveau visant à limiter le risque et les conséquences des inondations urbaines devra progressivement intégrer leurs aspects qualitatifs. Il ne s’agit pas uniquement de réaliser des investissements souvent considérables, mais aussi de se donner des outils de gestion adaptés, c’est-à-dire en l'occurrence la capacité à réagir de manière fiable en temps réel.
[Photo : Architecture générale de Ramses.]
L’exemple de la Communauté Urbaine de Bordeaux, qui est confrontée à une situation particulièrement sensible, illustre par l’ampleur et la variété de ses réalisations l’efficacité d’une démarche globale volontariste.
La Communauté Urbaine de Bordeaux : un site à risques
La Communauté Urbaine de Bordeaux (650 000 habitants) comprend 27 communes réparties sur 56 000 ha, mais draine les eaux d’un territoire de 90 000 ha en forme de cuvette où coulent plus de 150 ruisseaux qui se jettent dans la Garonne.
Sa situation en matière d’exposition aux risques d’inondations est la conséquence de plusieurs facteurs :
- - la pluviométrie : la région connaît des orages violents en période estivale et parfois de fortes précipitations d’hiver liées à un climat océanique marqué,
- - les variations du niveau de la Garonne, en raison de l’influence des marées. Le marnage peut atteindre 7 m, ce qui gêne considérablement l’évacuation des eaux pluviales en empêchant leur écoulement gravitaire,
- - la topographie et l’hydrographie, qui font que près de 13 500 hectares sont situés en dessous des plus hautes eaux de la Garonne,
- - la saturation des réseaux : créés à la fin du XIXᵉ siècle ils ont été très vite insuffisants du fait de l’urbanisation croissante des communes périphériques situées en amont de Bordeaux, et ce d’autant plus que la disposition des lieux, en forme d’amphithéâtre, fait converger toutes les eaux vers le centre historique de la ville,
- - l’imperméabilisation croissante des sols et la faible densité moyenne de la population.
Une démarche exemplaire : la gestion des eaux pluviales à Bordeaux
La démarche entreprise depuis plus de dix ans par la Communauté Urbaine de Bordeaux repose sur un principe simple : agir le plus en amont possible. La prévention coûte moins cher et est plus sûre. C’est ainsi que plus de 200 réalisations de solutions compensatoires (voiries et parkings à structures réservoirs, puits ou tranchées d’infiltration, petites retenues...) ont été réalisées, ce qui a permis de poursuivre le développement urbain sans aggraver les insuffisances du réseau ancien.
Ces mesures étaient nécessaires, mais n’étaient pas suffisantes pour rétablir une situation conforme aux aspirations légitimes de la population. Des équipements lourds, d’une ampleur peu fréquente ont été alors construits pour stocker, contourner ou court-circuiter le centre de la ville, et pomper les débits correspondant à une pluie de 40 mm en une heure :
- - des bassins de retenue implantés sur le cours des grands ruisseaux, pour réguler et étaler les débits, bassins à sec, bassins à plan d’eau permanent, bassins enterrés conçus pour s’intégrer dans un tissu très urbanisé. Les 27 bassins du réseau bordelais représentent un volume de stockage global de plus de 1 300 000 m³, soit le flux de la Garonne à l’étiage pendant plus de 3 h. En cas de très forte pluie, ils peuvent se remplir en 20 minutes ;
- - des collecteurs, véritables “métros à eau”, qui canalisent et dérivent les eaux de leur trajet naturel. Ces conduites forcées font transiter les eaux jusqu’à la Garonne, en délestant les zones basses du centre-ville. Depuis 1986, 6 km de canalisation ont été creusés sous le territoire de la CUB, en employant la technique des tunneliers jusqu’à un diamètre de 4,5 m ;
- - des stations de pompage, dont la capacité globale dépasse 100 m³ par seconde, correspondant à l’ordre de grandeur du débit d’étiage de la Garonne et dont la conception intègre un haut niveau de fiabilité ;
- - une gestion centralisée en temps réel Ramses assistée d’un système expert, d’autant plus nécessaire que les délais d’alerte et les temps de concentration sont très courts.
La Lyonnaise des Eaux, partenaire de la Communauté Urbaine de Bordeaux, participe à la conception et a en charge la gestion de l'ensemble des équipements “pluviaux”, depuis l’entretien et la réhabilitation des collecteurs, la maintenance des équipements jusqu’à la gestion du télécontrôle.
La clé de la gestion en temps réel : le télécontrôle Ramses
Le télécontrôle Ramses* permet d’atteindre trois objectifs : anticiper,
[Photo : Exemple de diagnostic d’une station de relèvement.]
* Régulateur par Mesures et Supervision des Équipements et Stations.
télécommander, réguler, assure la gestion des écoulements des eaux pluviales de la CUB, il surveille ainsi un réseau comprenant : 720 km de collecteurs eaux pluviales, 910 km de collecteurs unitaires, 40 stations de pompage et 27 bassins de stockage.
Toutes les données recueillies dans les collecteurs sur les hauteurs d’eau, le fonctionnement des stations de pompage, des bassins d’étalement et le niveau de la Garonne sont acheminées vers le Centre de Télécontrôle.
Pour assurer cet acheminement, un réseau de télétransmissions reliant directement chaque installation au Centre a été mis en place, s’intégrant dans une architecture informatique dont l’objectif prioritaire est la rapidité de transmission des données.
Depuis 1967, date de mise en service de la première installation centralisée de report d’alarmes, les moyens nécessaires à la conduite et à la surveillance des installations se sont développés au fur et à mesure de l’accroissement du réseau de transport des eaux pluviales et des évolutions techniques intervenues dans les domaines des télétransmissions, de l’automatisme et de l’informatique.
Le Centre Ramses est en service depuis 1992 et le système expert Paydirt y est connecté depuis le début de 1994. Cette évolution a permis de répondre aux différents besoins de gestion du réseau des eaux pluviales :
- • mise en alerte météorologique et vision globale de la situation pluviométrique sur le territoire de la C.U.B. au travers d’un réseau de pluviomètres exploité en temps réel,
- • analyse rapide du fonctionnement des organes des ouvrages de pompage et de stockage des eaux pluviales,
- • constitution d’une banque de données pluviométriques, en vue d’analyse ultérieure et de modélisation des bassins versants,
- • optimisation de la disponibilité de stockage des bassins.
Structure de Ramses
Chaque ouvrage est équipé d’au moins un automate programmable relié directement au Télécontrôle afin de réduire au maximum les incidences d’une rupture de liaison de transmission. Les automates assurent l’acquisition des données locales et leurs traitements au travers de programmes d’automatismes (vidange de bassins, gestion des pompes). Ils transmettent également les données vers le niveau supérieur et reçoivent les ordres du poste central. Ils peuvent fonctionner de façon autonome en cas de rupture de liaison avec le niveau supérieur et assurent dans ce cas un stockage provisoire des données.
Le poste central Ramses dialogue avec les ouvrages au travers des frontaux de communications qui surveillent l’état des liaisons et l’informent en cas d’impossibilité de dialogue avec un site.
Il s’agit d’un réseau de stations Vax comprenant un poste serveur, deux consoles de contrôle-commande, une console de consultation et une console de traitement pluviométrique (figure 1).
Le télécontrôle comprend également un panneau synoptique relié directement aux frontaux de communications et pouvant, de ce fait, fonctionner même en cas de panne générale du système de supervision.
[Photo : Le centre de télécontrôle Ramses.]
La gestion de crise
La mise en alerte est effectuée par l’opérateur du Télécontrôle ; elle est destinée à pouvoir mobiliser à temps le personnel et prendre des mesures de sécurité sur le fonctionnement hydraulique du réseau et de prédisposition des équipements (groupes électrogènes, vannes de régulation…).
L’alerte est déclenchée compte tenu de la prévision d’une situation météorologique à risques pouvant être matérialisée par le dépassement d’un seuil pluviométrique ou par une image Radar Météo. Le délai de prévision optimum est d’une à deux heures.
La phase de crise correspond aux périodes de précipitations pluviométriques suffisamment fortes pour solliciter de façon importante les équipements (station de pompage, bassins…) et le réseau, avec éventuellement des inondations locales.
Pendant cette phase, le Centre de contrôle est amené à traiter un nombre d’informations important et de natures différentes : données du système de supervision Ramses, données pluviométriques et météorologiques, appels téléphoniques des particuliers et des collectivités, communications radio des équipes d’intervention.
Pour y parvenir, une recherche ergonomique a été réalisée à la fois sur le plan de la conception de la salle du Centre de Contrôle et sur celui de la conception des vues synoptiques sur l’écran. En parallèle, une réflexion a été engagée pour construire un système d’aide à la décision à destination des opérateurs et ainsi faire face au développement du réseau eaux pluviales.
Aujourd’hui, plus de 3 000 informations sont ainsi susceptibles d’être centralisées ; il faut observer qu’à l’occasion des longues pluies de décembre 1993, plus de trois informations par seconde ont été reçues pendant plusieurs jours.
L’apport du système-expert Paydirt
Face à cet accroissement du nombre d’informations à traiter et de la complexité grandissante du réseau, le besoin est apparu de disposer d’un outil aidant l’opérateur durant les différentes phases de crise.
Le système-expert Paydirt (Processing Architect Yielding Deductions In Real Time), qui a été réalisé à cet effet, possède des fonctions qui peuvent être regroupées sous trois rubriques caractéristiques du rôle du Centre de Télécontrôle :
Fonctions hydrauliques
- • la prévision des hauteurs de marées :
- ● il s’agit de prévoir les variations de la hauteur de la Garonne à Bordeaux dans les prochaines heures en fonction des valeurs réelles des données maritimes, météorologiques et fluviales, afin de connaître les conditions d’écoulement gravitaire du réseau eaux pluviales;
- ● l’interprétation des données pluviométriques : ce qui permet de surveiller l’intensité des pluies mesurée au travers du réseau de pluviomètres, de détecter les intensités à risques selon les bassins versants et de contrôler la cohérence des informations;
- ● la simulation hydraulique des écoulements : cette fonction consiste à simuler la réaction des ouvrages d’un bassin versant au regard d’une pluie prévue et d’éventuels incidents venant limiter l’efficacité d’un ouvrage; on peut ainsi évaluer un risque de débordement et dégager des priorités d’intervention.
Fonctions de télésurveillance
Elles intègrent le traitement des données acquises par le système Ramses. Une analyse de ces informations est réalisée en permanence, afin de contrôler d’éventuelles contradictions, d’identifier des fonctionnements anormaux, de mettre en évidence des défauts majeurs, l’objectif étant de transformer des données en informations directement utilisables pour agir.
La figure 2 montre un exemple du filtrage de données par une station de relèvement.
Fonctions d’organisation
La situation de crise nécessite de disposer de procédures rapidement accessibles pour assurer la gestion des événements rencontrés. À cet effet Paydirt apporte son aide dans trois domaines :
- ● la gestion de la procédure de crise : selon les situations, Paydirt rappelle l’ensemble des consignes qui s’appliquent vis-à-vis d’un ouvrage, du réseau, d’un chantier ou du personnel : une véritable check-list est proposée à l’opérateur;
- ● la gestion des appels téléphoniques : les demandes d’interventions des particuliers et des collectivités sont intégrées par Paydirt afin de les associer aux autres données dans le but de définir un programme d’interventions par ordre de priorité;
- ● la gestion des équipes d’interventions : en complément de l’établissement du programme d’interventions, Paydirt propose une répartition des interventions vers les équipes de terrain en tenant compte de la disponibilité des équipes et de leur lieu d’intervention.
Conclusion
Le système expert Paydirt est le résultat d’une recherche menée pendant trois ans par la Lyonnaise des Eaux, dans le cadre du programme européen Esprit. Cette réalisation constitue l’une des avancées dues à l’effort de recherche du groupe Lyonnaise des Eaux en matière d’eaux pluviales.
Les situations de crise dues aux eaux pluviales étant par définition exceptionnelles, il convient, pour y faire face, de procéder à un examen critique des moyens de gestion en place, mais également de recueillir les enseignements fournis par les expériences passées. La démarche menée pour la réalisation du système-expert permet de mettre en forme ces expériences, ce qui constitue un apport d’une grande efficacité.
En situation de crise, cet outil confortera les opérateurs dans deux missions majeures, l’une de concentrer les actions sur les interventions prioritaires et l’autre de sélectionner les moyens d’action les plus appropriés.
[Publicité : Alfa Laval]