Les cuves d'eau de pluie ne sont pas des ouvrages de gestion à la source des eaux pluviales comme les autres (noues, bassins, tranchées'). Souvent mises à l'écart, elles peuvent tout de même, sous certaines conditions, apporter une contribution à la maîtrise des volumes et débits écoulés, en particulier lors de faibles pluies. L?analyse de démarches en France et à l'étranger permet d'illustrer sous un angle nouveau la place possible de l'utilisation de l'eau de pluie dans la gestion des eaux pluviales.
Si la gestion à la source des eaux pluviales tend à se généraliser en France sous l'injonction de la maîtrise du ruissellement, leur utilisation en tant que ressource alternative à l'eau potable s’observe également, à l'initiative des porteurs de projets. Bien que contribuant toutes deux au stockage temporaire des eaux pluviales, ces deux pratiques relèvent d’objectifs traditionnellement distincts. Faut-il pour autant les opposer ?
Utiliser et maîtriser les eaux pluviales : un paradoxe ?
La gestion à la source des eaux pluviales devient incontournable pour maîtriser les incidences de l'imperméabilisation des sols. Ces incidences sont diverses selon les contextes locaux : transfert chronique de polluants par ruissellement dans les eaux superficielles, déversements de temps de pluie des systèmes d'assainissement unitaires existants, dysfonctionnement des réseaux…
stations de traitement des eaux usées, érosion des sols, inondations par ruissellement et débordements de réseaux... Le développement de politiques locales de gestion des eaux pluviales par les collectivités vise à y remédier. Le législateur a d’ailleurs confirmé que la collecte, le transport, le stockage et le traitement des eaux pluviales des aires urbaines constitue un service public relevant des communes (article L.2226-1 du CGCT). Ces dernières, ou leurs groupements, peuvent s’appuyer sur différents outils comme le PLU, le zonage au titre de l’article L.2224-10 du CGCT ou le règlement d’assainissement. La mise en œuvre d’ouvrages comme les noues, les tranchées ou les jardins de pluie s’inscrit dans la déclinaison de ces politiques dans les projets de construction et opérations d’aménagements (illustration 1).
Les cuves de récupération et utilisation de l’eau de pluie ne sont généralement pas incluses au sein de ces ouvrages car leurs performances en termes de limitation des volumes ou des débits écoulés sont en première approche moins « prévisibles ». En effet, les objectifs assignés à la maîtrise du ruissellement pour une ou plusieurs pluies supposent que les ouvrages présentent à tout moment un volume de stockage disponible en prévision d’un orage. Les objectifs assignés à la récupération et utilisation de l’eau de pluie cherchent quant à eux à conserver des volumes suffisants dans les cuves afin de satisfaire aussi régulièrement que possible les besoins en eau (illustration 2). La distinction se traduit par des logiques de dimensionnement différentes (illustration 3). Pourtant, les ouvrages de gestion à la source des eaux pluviales et les cuves d’eau de pluie assurent un certain nombre de fonctions qui peuvent apparaître convergentes (recueil/collecte, stockage, restitution/distribution). Comment éviter que ce constat ne soit source de confusion ? Est-il possible de rendre les cuves d’eau de pluie complémentaires des ouvrages de gestion des eaux pluviales ?
Une première approche : adapter la conception des ouvrages à l’échelle des projets de construction
Des exemples en France et à l’étranger permettent d’illustrer des cas concrets dans lesquels les cuves d’eau de pluie jouent un rôle dans la gestion à la source des eaux pluviales. Au niveau de la parcelle, les cuves compartimentées permettent de coupler une maîtrise du ruissellement et une récupération de l’eau de pluie en vue d’une utilisation ultérieure. Le principe de conception de ces cuves, parfois qualifiées de cuves « double-fonction », repose sur la distinction physique entre un volume de stockage destiné à l’utilisation de l’eau de pluie (le volume disponible évoluant en fonction des soutirages effectués par les usagers) et un volume de stockage des-
…tinée à la maîtrise des eaux pluviales, restituées à débit contrôlé après l'événement pluvieux (illustration 4). D'autres solutions techniques s'appuient sur une infiltration des trop-pleins des cuves d'eau de pluie, ce qui permet éventuellement d’éviter tout rejet en dehors de la parcelle. Des adaptations de conception existent en cas de contraintes foncières ou d’encombrement du sous-sol limitant a priori le recours à un ouvrage d'infiltration. D'autres adaptations reposent sur l’accélération de la vidange des cuves d’eau de pluie, lorsque les soutirages sont trop faibles ou bien lorsqu'ils ne sont que saisonniers. Cette vidange peut être automatisée dans les projets d'enver- d'infiltration.
Les exemples n’apparaissent encore pas développés en France.
Les principes précédents sont transposables au niveau de bâtiments collectifs : habitats et hébergements collectifs, bureaux, bâtiments commerciaux, équipements publics et collectifs… Les volumes de stockage mis en œuvre, tant pour la maîtrise des eaux pluviales que pour leur utilisation, sont généralement plus importants, comme dans le cas des cuves compartimentées. Cela peut entraîner des ajustements dans leur conception ou leur mise en œuvre, tels que leur réalisation in situ lorsque les cuves sont en béton.
Une seconde approche : adapter la conception à l'échelle des opérations d'aménagement
Les exemples précédents peuvent être systématisés dans les opérations d’aménagement, tels que les lotissements ou les ZAC (illustration 5). Le changement d’échelle de réalisation appelle cependant des dispositions spécifiques, notamment lorsque les cuves d’eau de pluie s’articulent à d'autres ouvrages de stockage implantés sur le domaine public ou le domaine privé. Par exemple, en phase de mise en œuvre, le nombre d'intervenants peut nécessiter un phasage précis des réalisations, ainsi qu'une information réciproque des maîtres d’œuvre, bureaux d'études et entreprises de travaux. Ceci revêt une importance toute particulière lors du raccordement de trop-pleins à des ouvrages de stockage des eaux pluviales. Réfléchir à l’échelle de l’opération d’aménagement permet également de mobiliser des principes nouveaux, comme la mutualisation de certains composants : surfaces de collecte, ouvrages de stockage, dispositifs de rétention ou d’infiltration des trop-pleins. Ces projets « semi-collectifs » s'appuient sur une rationalisation des fonctions assurées par les cuves d'eau de pluie et les ouvrages de gestion des eaux pluviales (illustration 6).
Source : Roannaise de l'Eau.
La Ville de Paris a récemment permis de faire évoluer le projet en limitant le volume du stockage complémentaire. Pour cela, un marais a été créé dans le jardin d'eau situé à proximité de la future installation.
Il permet également de réfléchir à différents niveaux d'usage entre les propriétaires de parcelles et les services techniques de la collectivité.
Les bénéfices des cuves d’eau de pluie en termes de réduction des volumes ou des débits écoulés seront d’autant plus notables que l’aménagement se situe dans un secteur géographique présentant des pluviométries régulières sur l'année. La constance des usages de l’eau de pluie envisagés constitue également un facteur déterminant, quelle que soit l’échelle de mise en œuvre. Un autre facteur réside dans cette échelle même de mise en œuvre des dispositifs, une réduction des bénéfices pouvant être observée lorsque l’échelle spatiale s’élargit. Ceci peut souligner l'intérêt de considérer les cuves d'eau de pluie pour la gestion des eaux pluviales en priorité sur les bâtiments collectifs et les secteurs à forte densité urbaine.
Comment une approche spécifique de dimensionnement peut-elle alors compléter les adaptations de conception ?
Aller plus loin en proposant une logique spécifique de dimensionnement des ouvrages
Lorsque des cuves d’eau de pluie et des ouvrages de gestion des eaux pluviales sont associés, une approche de dimensionnement conservative prévaut généralement, c’est-à-dire que les deux volumes de stockage sont calculés indépendamment l'un de l'autre. Des réalisations existantes et publications suggèrent cependant que la présence d’une ou plusieurs cuves d'eau de pluie peut permettre de réduire les volumes de stockage requis par les exigences locales de maîtrise des eaux pluviales (rejet à débit limité, stockage des faibles pluies sans rejet…). Au-delà de l'approche technique, c’est également un intérêt économique qui se dégage pour les porteurs de projets. Les initiatives observées reposent par exemple sur la définition de la proportion du volume de la cuve d'eau de pluie, éventuellement nulle, considérée comme contribuant à la maîtrise des eaux pluviales. Cela se concrétise par une réduction, un abattement ou un « crédit » de volume (illustration 7). Par exemple, dans l’État-capitale de Canberra en Australie, les cuves d'eau de pluie alimentant les chasses d’eau, le lave-linge ainsi que des usages extérieurs peuvent être considérées comme partie intégrante du système de gestion des eaux pluviales : lorsque l’ensemble de ces usages est alimenté, 50 % du volume de la cuve d’eau de pluie peut en effet être décompté. Pour des projets plus importants ou comprenant plusieurs ouvrages, une simulation simplifiée et une analyse statistique des volumes disponibles dans les cuves d'eau de pluie au cours du temps peuvent constituer un support de discussion et une aide à la décision pour les différentes parties prenantes en vue de l’ajustement des exigences de stockage des eaux pluviales. Cette démarche a été appliquée lors des études préalables de la ZAC Gare de Rungis en région parisienne. Des précautions sont cependant à prendre dans la définition des hypothèses : représentation des usages, données de pluviométrie, pas de temps de calcul...
En termes opérationnels, la prise en compte de la présence de cuves d'eau de pluie peut conduire à i) une modification de la valeur d’une donnée d’entrée de calcul, telle qu'une diminution de la surface de collecte, un accroissement des pertes initiales au ruissellement ou un abaissement des intensités statistiques d'une pluie de projet pour une période de retour donnée ou bien à ii) un abattement ou « crédit » sur les volumes calculés pour la maîtrise des eaux pluviales. Une telle traduction opérationnelle, si elle vient à être généralisée, suppose la définition préalable d’un ou plusieurs critères d’évaluation partagés en un point de référence géographique donné, tels que la fréquence de déversement des cuves d’eau de pluie ou d'une composante du système d’assainissement ou de gestion des risques d'inondation des milieux récepteurs.
…tion des eaux pluviales, la réduction des volumes écoulés à l’exutoire d’un projet à une échelle événementielle, mensuelle ou annuelle, ou bien encore l’évaluation du volume de stockage disponible dans les cuves d’eau de pluie, également à une échelle de temps donnée. Ces critères sont particulièrement adaptés à des objectifs de gestion des pluies faibles à moyennes, pluies pour lesquelles les bénéfices de la présence de récupérateurs d’eau de pluie sont les plus notables. La non-aggravation ou la réduction des débits de pointe à l’exutoire d’un projet est également un critère possible. Cependant, les études existantes démontrent que sa pertinence est limitée car les bénéfices observés sont intimement liés à la forme de la pluie, et difficilement prévisibles, à moins que les cuves n’aient fait l’objet d’une adaptation de conception (par exemple, cuves compartimentées).
Quelle prise en compte dans les politiques territoriales de gestion des eaux pluviales?
La mise en œuvre des cuves d’eau de pluie comme dispositifs contribuant à la gestion à la source des eaux pluviales dans un projet d’aménagement relève généralement d’une initiative des propriétaires, maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre ou concepteurs. Leur intégration au sein d’une politique de gestion des eaux pluviales témoigne plus largement d’une évaluation et d’une reconnaissance de bénéfices à l’échelle d’un territoire, qui soulève des questions d’opportunité, de mise en œuvre et d’accompagnement. À nouveau, les expériences existantes sont riches d’enseignements.
La contribution des cuves d’eau de pluie pour l’atteinte d’objectifs de préservation du milieu récepteur peut passer par une prise en compte dans la lutte contre les rejets urbains de temps de pluie, en favorisant la déconnexion partielle ou totale des réseaux d’assainissement unitaires. Dans le cas du comté de Valparaiso dans l’État américain de l’Indiana, le projet « Stormwater BMP Auction and Green Infrastructure » a eu pour but d’encourager les propriétaires privés à mettre en place des ouvrages de gestion à la source afin de réduire les rejets au réseau (jardins de pluie ou cuves). Le principe retenu par la collectivité repose sur un partage public-privé des coûts d’acquisition et de mise en œuvre des dispositifs. Des enchères sont formulées par les propriétaires, le complément de financement est apporté par la collectivité ou ses partenaires. Ces pratiques sont à ce jour très peu transférées en France.
La contribution des cuves d’eau de pluie peut également porter sur la limitation du ruissellement et des rejets d’eaux pluviales vers les milieux aquatiques. La démarche portée par l’État de Virginie à l’échelle du bassin versant de la baie de Chesapeake en est un exemple. Les expériences étrangères suggèrent par ailleurs que les cuves d’eau de pluie sont susceptibles d’avoir davantage de succès auprès des citoyens que d’autres dispositifs techniques, dans le cadre de programmes d’incitations financières.
Dans les démarches de lutte contre les inondations, les cuves uniques deviennent inefficaces et des adaptations de conception sont à prévoir. Ces adaptations semblent particulièrement étudiées dans les pays asiatiques tels que la Corée du Sud. Par ailleurs, l’intégration de l’utilisation de l’eau de pluie dans une politique territoriale ne se traduit pas nécessairement par la contribution à un objectif « sectoriel » mais peut viser plus largement à contribuer à la préservation ou à la restauration du fonctionnement hydrologique de petits bassins ou sous-bassins versants impactés par l’urbanisation existante (illustration 8).
Les exemples étudiés mettent égale…
Stockage(s)
L’ensemble du dispositif doit rester conforme aux exigences de la réglementation en vigueur. En cas de collecte d’eaux en provenance de surfaces autres que des toitures inaccessibles, les usages à l’intérieur du bâtiment sont inter…
… vertu ! trop-plein de l’ouvrage de gestion des eaux pluviales (GEP)
– Conception
Les cotes altimétriques prévues…
…difficile ultérieure de remblaiement et…
I – Dimensionnement
Les deux volumes de…
…gestion des eaux pluviales (GEP)
ment de limiter les surcoûts,
II – Mise en œuvre
Les cotes altimétriques…
…trop-plein.
indépendamment l’un de l’autre, en faisant l’hypothèse que…
Cependant, lorsque les soutirages d’eau de pluie sont réguliers et le taux de recouvrement des besoins faible, une simulation journalière peut permettre de justifier une réduction du volume de maîtrise des ruissellements (GEP), dans l’optique notamment :
…(GEP).
vigueur (RUEP), ou toute opération de maintenance, doit…
…sa pérennité
Considérations diverses
Lorsque cela est faisable, une solution technique favorisant l’infiltration des trop-pleins d’eau de pluie participe davantage aux principes de gestion à la source des eaux pluviales ou de préservation des ressources en eau (configuration 1°3)…
…par le propriétaire est un t-clé pour son… et…
Les recommandations
Ils mettent en avant les différents leviers à disposition des décideurs : réglementation locale, recommandations techniques, incitations financières, projets expérimentaux vitrines. Ils laissent apparaître des considérations orientées vers la réduction des volumes écoulés et non des débits de pointe, considérations qui trouvent peu d’écho à ce jour dans les pratiques françaises. Elles sont pourtant appelées à se renforcer dans le cadre des objectifs de réduction des rejets urbains de temps de pluie.
Vers de premières recommandations
En France, les exemples d’encouragement à l'utilisation de l'eau de pluie pour réduire les rejets d'eaux pluviales dans les eaux de surface ou vers les réseaux d’assainissement paraissent récents et encore peu nombreux. L'utilisation de l’eau de pluie reste avant tout associée à des enjeux premiers d’économies de la ressource en eau. Pour dépasser cette opposition, les expériences étudiées en France et à l’étranger permettent de dégager un certain nombre de constats, le premier d’entre eux étant que l'utilisation de l'eau de pluie peut être considérée en vue de répondre à différents objectifs de gestion des eaux pluviales, de la contribution à la préservation de la qualité des milieux récepteurs lors de faibles pluies, à la maîtrise des inondations lors de pluies plus importantes, sous réserve de dispositions constructives adaptées. Ces objectifs peuvent être associés au principe de niveaux de service des systèmes d’assainissement développé par le Ministère en charge de l'Environnement et le Certu en 2003, et applicable également aux seuls systèmes de gestion des eaux pluviales strictes. Sans chercher à systématiser le recours aux cuves d'eau de pluie, il apparaît important, quand elles sont envisagées, d’accompagner les démarches pour une prise en compte pertinente des bénéfices escomptables pour la maîtrise du ruissellement. Cet accompagnement peut intervenir à différentes échelles.
À l’échelle de la parcelle, les principes de conception observés conduisent à dégager une typologie. Pour chaque configuration, des recommandations en termes de conception, de dimensionnement, de mise en œuvre, d’exploitation et/ou d’entretien peuvent être formulées (illustration 9).
À l’échelle de l’opération d’aménagement, les projets existants illustrent en quoi les principes de conception peuvent être systématisés mais également complexifiés à plus grande échelle, en mettant à profit les autres aménagements à proximité des récupérateurs d’eau de pluie, dans une approche semi-collective. Dans le cas d'une opération de taille significative sur un petit bassin-versant, ou du recours à l'utilisation d’eaux pluviales en provenance d’autres surfaces que les toitures, il est utile de rappeler qu'une simulation préalable peut être nécessaire pour s’assurer que le projet n’impacte pas de façon significative les débits biologiques des petits cours d'eau dont le régime est très dépendant de la pluviométrie.
Au niveau d'une politique locale, une évaluation préalable est une étape essentielle pour approcher les bénéfices escomptables de la généralisation de l'utilisation de l’eau de pluie sur le bilan hydrologique ou le fonctionnement d’un système d’assainissement à l’échelle d’un bassin-versant ou d’une ville. Elle constitue un outil d’aide à la décision. L’objectif visé conditionne alors le choix du ou des critères d’évaluation à retenir par les décideurs selon les conditions pluviométriques. Ces critères sont très proches de ceux considérés à l’échelle des projets : non-aggravation ou réduction des débits de pointe à l’exutoire d’un ou plusieurs sous-bassins versants, réduction de la fréquence de déversement d'une composante du système d’assainissement ou de gestion des eaux pluviales, réduction des volumes écoulés à l’exutoire d’un ou plusieurs sous-bassins versants, à une échelle événementielle ou (pluri)-annuelle. Une évaluation préalable permet également à la collectivité de choisir les leviers d’actions à mobiliser et de s’assurer de ses capacités à en assurer la mise en œuvre, le suivi et la capitalisation, au sein d'un ou de plusieurs de ses services techniques.