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Quel avenir pour la valorisation agricole des boues des stations d'épuration ?

30 avril 1993 Paru dans le N°163 à la page 58 ( mots)

La valorisation par épandage agricole contrôlé des boues d'épuration des collectivités et de certaines industries connaît actuellement en France un essor important. Parmi les trois solutions en usage, la valorisation agricole arrive en première position avec 50% de la production actuelle, avant la mise en décharge et l'incinération. Or la mise en décharge étant condamnée à moyen terme, la valorisation agricole se place donc prioritairement par rapport à l'incinération car elle constitue une filière de recyclage. Toutefois, une exigence de qualité à tous les niveaux est indispensable. Cette exigence s'applique bien sûr, sur les produits, mais aussi sur les méthodes de travail, les conditions de mise en ?uvre et de suivi agronomique.

Production de boues

Les estimations actuelles font état d’une production annuelle de 600 000 tonnes de matière sèche.

Les actions à mener pour le traitement des eaux pluviales, l’application de la nouvelle directive « eaux usées » en cours de retranscription en droit français, l’amélioration de la technicité et de la gestion des ouvrages existants, tout cela concourt à une augmentation importante de la production de boues dans les années à venir, laquelle devrait doubler d’ici 1995, puis continuer à augmenter durant une dizaine d’années.

Trois filières d’évacuation finales sont actuellement en usage (tableau I) :

  • la valorisation agricole : 50 % de la production actuelle dont la moitié seulement fait l’objet d’une mise en œuvre et d’un suivi agronomique efficace ;
  • la mise en décharge : 35 % ;
  • l’incinération : 15 % environ.

On peut d’ores et déjà penser que la mise en décharge est une voie condamnée à moyen terme, les produits organiques (et donc les boues) ne pouvant plus être ainsi traités à partir de 2002 (tableau II). Quoi qu’il en soit, les coûts de cette filière connaissent actuellement une augmentation parfois considérable (prix multiplié par cinq en deux ans dans certaines régions). Il devient donc tout à fait essentiel et vital de développer les autres voies existantes, et donc la valorisation agricole.

Le choix à faire est en définitive simple :

  • ou la boue est valorisable ; dans cet objectif, il convient de convaincre l’opinion publique et les agriculteurs qu’une boue est une source de matière organique fertilisante, que son recyclage en conditions contrôlées dans l’environnement est sans danger ; mieux encore, qu’elle permet de faire des économies substantielles d’engrais ;
  • ou la boue est considérée comme un déchet dont les volumes devront être réduits autant que faire se peut, par combustion, tout en respectant une réglementation contraignante sur la pollution atmosphérique.

Tableau I

Production de boues en forte augmentation
└─ Problème de l’évacuation
   ├─ Valorisation Agricole : 50 %
   ├─ Mise en décharge : 35 %
   └─ Incinération : 15 %

Tableau II

État actuel de la réglementation « métaux lourds »

Éléments Teneurs limites (Afnor U 44.041) Teneurs limites Directive CEE 86/278
Cadmium (Cd) 40 20 à 40
Chrome (Cr) 2 000 1 000 à 1 750
Cuivre (Cu) 2 000 1 000 à 1 750
Mercure (Hg) 20 15 à 25
Nickel (Ni) 400 300 à 400
Plomb (Pb) 1 600 750 à 1 200
Sélénium (Se) 200 =
Zinc (Zn) 6 000 2 500 à 4 000

La valorisation agricole :

un panel de solutions différentes

Le terme général de valorisation agricole englobe en fait un ensemble de filières différentes, ce qui laisse donc une grande latitude de choix. Les principales filières connues à ce jour sont :

  • • la valorisation agricole directe : boues liquides, pâteuses, solides,
  • • le chaulage,
  • • le compostage,
  • • le séchage-granulation.

Toutefois, pour que la valorisation agricole soit possible, des conditions fondamentales doivent être remplies par les boues :

  • • la stabilisation : les boues doivent être stabilisées car, dans le cas contraire, elles génèrent des mauvaises odeurs au stockage et à l’épandage, qui font courir de grands risques à la pérennité de la filière,
  • • la conformité aux normes et réglementations (tableau II),
  • • la qualité physique des boues.

Pour les filières boues pâteuses, le stockage représente un handicap majeur dès lors que l’on s’intéresse au stockage nécessaire par ailleurs, car la « fenêtre d’épandage » (laps de temps durant lequel l’épandage est possible) est relativement courte. Classiquement, cette « fenêtre » se situe entre les mois d’août et octobre selon les années, induisant des capacités de stockage de neuf mois en moyenne.

La tendance actuelle est de concevoir des stockages aménagés et de limiter autant que possible le stockage en bout de champ à la période climatique favorable, sans pour autant l’interdire.

D’une manière générale, cette exigence de qualité (qualité agronomique, qualité au regard de la norme métaux lourds, stabilisation efficace des boues, qualité physique) constitue actuellement la voie à poursuivre pour fiabiliser et développer encore les filières de valorisation agricole.

Tableau III

Appréciation des différentes filières de valorisation agricole

Nature des boues Stockage Épandage Intérêt de l’agriculteur Fiabilité générale de la filière
Boues liquides + + + (uniquement petites stations)
Boues pâteuses : filtre à bande + + +
Boues pâteuses : centrifugeuse + + +
Boues pâteuses chaulées + ++ ++ ++
Boues solides ++ ++ +++ +++
Compost, granulé ++ ++ +++ +++

La transparence de la filière

et le suivi agronomique

La réglementation et les usages actuellement en vigueur préconisent la mise en place d’une filière transparente, où la destination de chaque tonne de boue est connue, de même que ses conditions d’utilisation. Le suivi agronomique, le suivi analytique des boues et des sols, le suivi de parcelles de référence participent largement à cette transparence, garantissant aux administrations concernées la bonne fin de la valorisation. En outre, le suivi agronomique est l’outil technique qui permet d’informer, de convaincre, de fidéliser les agriculteurs utilisateurs.

La position des agriculteurs

Fondamentalement et intrinsèquement, les agriculteurs ont pris conscience de l’intérêt que pourraient représenter les boues sur le plan matière organique, lesquelles contiennent du phosphore, de l’azote, de la chaux et de la magnésie dans certains cas. Paradoxalement, la PAC (Politique Agricole Commune), qui provoque les remous que l’on sait, renforce encore l’intérêt de l’agriculteur pour ces produits.

Dans sa préoccupation à court terme, l’agriculteur se rapproche d’amendements ou de fertilisants peu onéreux, ce qui est le cas des boues, afin de réduire ses charges en engrais fertilisants classiques sur son exploitation.

Parallèlement, l’agriculteur ou plutôt ses organisations syndicales ont compris que l’agriculteur participe à la dépollution des villes. Un point d’équilibre entre le producteur et l’utilisateur est possible, si l’on admet que les boues ne peuvent être payées par les agriculteurs au prix des engrais, mais que des filières gratuites ou à participation modique des agriculteurs sont préférables.

L’intérêt financier de l’agriculteur doit d’ailleurs être important afin qu’il ne remette pas en cause sa participation à la filière et, par là, sa pérennité.

L’évolution des normes

On nous prédit dans les années à venir une évolution ou la création de nouvelles normes. D’ores et déjà, certains pays de l’Europe du Nord (Danemark, Hollande) ont édicté des normes extrêmement sévères, certaines concentrations limites en métaux lourds étant divisées par dix par rapport à la norme française. De son côté, l’Allemagne a mis en place une norme sur certains micropolluants tels que les PCB.

Certes, ces contraintes fortes pourraient inquiéter, mais à condition que les objectifs fixés soient réalistes dans leurs valeurs et…

TYPOLOGIE DES BOUES

Les boues mixtes (boues de décantation primaire + boues biologiques) ou les boues biologiques seules sont au départ liquides de par leur mode de production. Elles subissent ensuite deux grands types de traitement :

  • • la déshydratation,
  • • la stabilisation,

conduisant à plusieurs catégories de produits.

Les boues liquides : filière très largement répandue pour les petites stations. Ces stations fonctionnant en aération prolongée, produisent des boues théoriquement stabilisées qui subissent alors un simple épaississement dans un silo épaississeur ou sur une table d’égouttage. La plupart des grandes villes ont abandonné ces dernières années cette filière liquide (ex : Versailles, Chartres) car elle posait des problèmes considérables de stockage et de logistique d’évacuation (sans parler de l’impossibilité de la mise en décharge).

Les boues pâteuses : filière largement répandue, trop peut-être, pour les stations de taille moyenne. Les boues stabilisées par aération prolongée ou par digestion sont déshydratées sur un filtre à bande ou dans une centrifugeuse. Les taux de matière sèche obtenus oscillent entre 14 et 22 % en moyenne. Lorsque ces boues sont valorisées en agriculture, elles posent des problèmes tout à fait particuliers tenant à leur aspect physique, notamment, au niveau du stockage (les boues ne se « tiennent » pas) et de l’épandage proprement dit qui justifie alors des matériels spécifiquement adaptés. La mise en décharge de ces boues, quant à elle, est théoriquement interdite, car leur siccité se situe toujours en dessous des 30 %.

Les boues pâteuses et chaulées : de plus en plus fréquemment, et après le filtre à bande ou la centrifugeuse, les boues sont chaulées par pompage ou mieux par malaxage. La siccité finale du produit chaulé est supérieure (20 à 30 % de siccité). La filière boues pâteuses chaulées pose également des problèmes de stockage, certes moins importants que pour les boues pâteuses. L’intérêt de cette filière est que les produits sont généralement bien stabilisés, à condition que le taux de CaO sur la matière sèche atteigne ou dépasse 35 %. En outre, l’apport de chaux est apprécié par les agriculteurs pour amender leurs terres carencées en cet élément.

Les boues solides : elles sont obtenues par filtration sur filtre-presse avec adjonction de chaux. La siccité obtenue dépasse généralement les 38 %. Deux grandes villes en France (Paris avec la station d’Achères et Marseille) ont adopté la technique du Portheus qui permet, après cuisson, d’obtenir des boues à plus de 50 % de matière sèche. Les boues solides présentent de grandes qualités pour la valorisation agricole. La tenue en tas est bonne, voire remarquable (Achères). Le chaulage apporte un « plus » important dans certains cas. Le taux de matière sèche élevé permet d’argumenter auprès des agriculteurs sur l’intérêt d’un produit plus concentré en éléments fertilisants.

Les autres filières : actuellement encore relativement marginales en tonnage, les autres filières tels que le compostage, le séchage vont probablement se développer dans les années à venir, malgré un coût généralement élevé par rapport aux solutions plus « classiques » citées plus haut.

Dans le laps de temps donné pour les atteindre ; ce renforcement des normes va dans le sens de l’exigence de qualité dont nous parlions plus haut.

À Bruxelles, une commission a été constituée afin de travailler sur ces projets. Pour l’instant, aucune norme n’est en préparation, par contre, les réflexions et les prises d’information nécessaires préalables sont engagées. Lors d’un récent séminaire, cette commission a clairement établi des ordres de priorité entre différentes filières de traitement des boues, et la valorisation agricole est la toute première d’entre elles, car elle est conforme à l’esprit de Bruxelles qui vise à un recyclage, autant que possible, des déchets avant leur élimination ou destruction.

En second lieu, l’incinération est considérée par certains comme une valorisation énergétique, point très contesté par d’autres ; en tout état de cause, elle se place comme une technique de traitement dès lors que les boues n’auront pas la qualité suffisante pour être valorisées en agriculture.

La mise en décharge quant à elle arrive en troisième position ; elle est, nous le savons d’ores et déjà condamnée à moyen terme par les Français.

Conclusion

La valorisation agricole (ou plutôt les filières de valorisation agricole des boues) apparaît actuellement comme l’une des deux seules alternatives à moyen terme. Elle est prioritairement retenue dans la mesure où elle constitue une forme de valorisation et de recyclage. Néanmoins, pour qu’elle soit possible, une exigence de qualité est primordiale. Cette exigence de qualité s’applique bien sûr, sur les produits, mais aussi sur les méthodes de travail, les conditions de mise en œuvre et de suivi agronomique.

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