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Que faire des boues du traitement de l'eau potable

30 septembre 1996 Paru dans le N°194 à la page 57 ( mots)
Rédigé par : François MARTIN, Jacques AUVRAY, Muriel CHAGNIOT et 1 autres personnes

L'unité de potabilisation du Cébron (Deux-Sèvres) produit 5 millions de m3 d'eau par an. Cette activité génère des " boues " liquides et hydroxydes, utilisées en cimenterie. La variabilité de la production de la cimenterie induit toutefois des rejets périodiques de boues en rivière et nécessite de rechercher une solution plus fiable. L'étude évalue la production de boues par ouvrage. Une comparaison technico-économique des filières d'élimination des boues est réalisée. Pour le traitement (filtre presse, centrifugation, lagunage et lit de séchage) et l'évacuation, (cimenterie, agriculture, décharge et station d'épuration), l'étude s'appuie sur l'analyse du contexte local et sur les expériences connues en France. Le choix s'oriente vers l'évacuation de boues solides en agriculture.

La production d’eau potable à partir d'une eau de surface entraîne la production de « boues » très liquides et hydroxydes. Actuellement, en France et en Europe, l’évacuation de ces déchets n’entre pas dans un cadre réglementaire précis.

Le rejet de ces boues dans les milieux aquatiques entraîne des pollutions plus ou moins importantes selon la sensibilité du milieu récepteur. Visuellement, l’utilisation de chlorure ferrique lors du traitement colore de rouille l'eau et les berges.

Face à ces constats, le Département des Deux-Sèvres a initié l’étude présentée ci-dessous pour le choix des filières de traitement et d’évacuation des boues.

L'objectif : protéger la rivière

L’unité de production d’eau potable du Cébron, située sur la commune de Louin dans les Deux-Sèvres, produit actuellement 5 millions de mètres cubes par an, pour une capacité maximale de 30 000 m³ par jour.

Les schémas de principe présentent les filières de traitement des eaux et des boues de l’usine (figures 1 et 2).

Le Maître d’Ouvrage a mis en place un système d’évacuation des boues vers une cimenterie de taille importante (1 million de tonnes de ciment par an). Cependant, les variations saisonnières de l’activité de la cimenterie ne permettent plus la réutilisation de toutes les boues produites.

Des rejets périodiques de boues en rivière en sont les conséquences. Ces rejets peuvent avoir une concentration 80 fois supérieure à l’objectif de qualité de la rivière Cébron ; ils peuvent décupler la concentration en matières en suspension de la rivière à l’étiage et sont responsables de coloration rouille de l'eau et des berges (chlorure ferrique) ou de brusques augmentations de pH. Les différents partenaires souhaitent supprimer ces rejets.

Pour une production de 5 millions de m³ d’eau par an, environ 610 tonnes de matières sèches de boues devront être évacuées tous les ans. Dans le cadre de la politique d’environnement du Département, la mise en œuvre d’une solution satisfaisante pour l’évacuation des boues de l’usine du Cébron a été décidée.

L'objectif de l'étude était d’apporter aux élus et aux techniciens un outil d’aide à la décision pour le choix des filières d’évacuation des boues d’eau potable du Cébron.

Après un diagnostic de la situation actuelle et une synthèse bibliographique, l'étude a déterminé les solutions techniques, leurs avantages et leurs contraintes, et un ordre de grandeur des coûts d’investissement et de fonctionnement à prévoir.

Toutes les parties prenantes ont été consultées. L'étude s’est appuyée sur une analyse fine du contexte local et sur les expériences connues en France.

La production de boues : plus de 350 000 m³/an

Les boues issues du traitement de l'eau potable sont très liquides à l’extraction, car très hydrophiles : elles contiennent moins de 1 % de matières sèches. Ce sont des boues fortement minérales et hydroxydes (10 à 30 % de matières organiques, teneurs élevées en hydroxyde de fer).

La production de boues est extrêmement variable : elle dépend de la qualité...

Tableau I

Estimation des productions journalières de boues.

Décanteur : 1 050 m³/j ; 1 050 kg MS/j ; 1 kg/m³ (1 g/l)
Flottateur : 50 à 100 m³/j ; 1 500 kg MS/j ; 15 à 30 kg/m³ (15 à 30 g/l)
Filtres à sable : 500 m³/j ; 100 kg MS/j ; 0,2 kg/m³ (0,2 g/l)
Filtre à charbon actif (pas en service actuellement) : 100 m³/j ; 10 kg MS/j ; 0,1 kg/m³ (0,1 g/l)
Saturateurs à chaux : 30 m³/j ; 150 kg MS/j ; 5 kg/m³ (5 g/l)
TOTAL maxi par jour (30 000 m³ exhaurés) : 1 730 à 1 780 m³/j ; 2 810 kg/j ; 1,6 g/l
TOTAL par an (6,5 millions de m³ exhaurés) : 379 167 m³/an ; 610 t/an ; 1,6 g/l
[Photo : Usine du Cébron. Flottation.]
[Photo : Usine du Cébron. Filtres à sable.]

Tableau II

Comparaison des filières de traitement des boues. Atouts et contraintes

Déshydratation « mécanique »

– Centrifugeuse  
  • Emprise foncière : faible (75 m²)  
  • Nature du sol : /  
  • Influence du climat, faisabilité : possibilité de secours à prix raisonnable (2 centrifugeuses)  
  • Type d’exploitation : exploitation continue  
  • Main-d’œuvre : intervention 5 jours sur 7  
  • Siccité/consommation de chaux : 18 à 22 % – nécessité de chauler moyenne  
  • Consommation d’électricité : élevée  
  • Coûts d’investissements/coûts de fonctionnement : investissements plus élevés, mais coûts de fonctionnement inférieurs à ceux du filtre-presse  

– Filtre-presse  
  • Emprise foncière : faible (100 m²)  
  • Nature du sol : /  
  • Influence du climat, faisabilité : pas de secours  
  • Type d’exploitation : 3 à 4 pressées/jour par campagnes de 10 à 14 semaines  
  • Main-d’œuvre : emploi de main-d’œuvre plus important qu’en centrifugeuse  
  • Siccité/consommation de chaux : 18 à 20 % – nécessité de chauler élevée  
  • Consommation d’électricité : moyenne  
  • Coûts d’investissements/coûts de fonctionnement : –  

Déshydratation « naturelle »

– Lits de séchage  
  • Emprise foncière : importante (6 000 m²)  
  • Nature du sol : /  
  • Influence du climat, faisabilité : séchage, curage et entretien en plein air soumis aux aléas climatiques  
  • Type d’exploitation : par campagnes de 10 à 14 semaines  
  • Main-d’œuvre : interventions de quelques semaines ou mois, nécessitant beaucoup de main-d’œuvre  
  • Siccité/consommation de chaux : 18 à 20 % – nécessité de chauler élevée  
  • Consommation d’électricité : faible  
  • Coûts d’investissements/coûts de fonctionnement : investissements inférieurs à la déshydratation mécanique, mais ajouter le foncier ; coûts de fonctionnement élevés à cause du chaulage  

– Lagunage  
  • Emprise foncière : très importante : 5,8 ha  
  • Nature du sol : nécessite des superficies étanches, non disponibles à proximité  
  • Influence du climat, faisabilité : séchage, curage et entretien en plein air soumis aux aléas climatiques  
  • Type d’exploitation : par campagnes d’un an  
  • Main-d’œuvre : interventions de quelques mois, nécessitant beaucoup de main-d’œuvre  
  • Siccité/consommation de chaux : 18 à 20 % – nécessité de chauler élevée  
  • Consommation d’électricité : faible  
  • Coûts d’investissements/coûts de fonctionnement : investissements faibles mais foncier à acquérir ; coûts de fonctionnement élevés à cause du chaulage  

Coût moyen par m³ d’eau traitée (F/m³) :

– Centrifugation : 0,17 à 0,25 F/m³(1)  
– Filtre-presse : 0,15 à 0,18 F/m³  
– Lits de séchage : 0,13 F/m³(2)  
– Lagunage : 0,15 F/m³(2)(3)

(1) Sortie de centrifugation : boues à 18 % de MS. Dans le cas de boues faciles à déshydrater (sortie à 21 % de MS), le coût serait de 0,17 à 0,19 F/m³.

(2) Hors acquisition du foncier.

(3) Hors étanchéité.

La qualité de l’eau brute, du volume d’eau produit et des taux de traitement effectués. Les boues extraites sont issues du décanteur, du flottateur, des filtres à sable et des saturateurs de chaux (voir les deux photos). Les rejets d’ouvrages sont cycliques pour les filtres, continus pour le décanteur et le flottateur et périodiques pour les vidanges.

Un suivi de la concentration en matières en suspension lors du lavage des filtres à sable a été réalisé (figure 3). Pour un lavage de 20 minutes, les eaux de fin de lavage très diluées peuvent être rejetées en rivière sans traitement.

Les installations ont été dimensionnées à la capacité nominale en tenant compte des pointes de production. Toutefois il ne faudrait pas aboutir à une sous-utilisation des équipements. Des méthodes d’estimation complémentaires, théoriques et empiriques, ont été utilisées. Le bilan estimatif qui a servi de base au dimensionnement des filières d’évacuation est donné dans le tableau I.

Le dimensionnement retenu est de 30 000 m³/j d’eau exhaurée, pour un volume total annuel exhauré de 6,5 millions de m³ (volume réservé du Cébron : 7,2 millions de m³).

La destination des boues

Les boues d’eau potable n’ont pas de qualités intrinsèques intéressantes, aussi les possibilités de les valoriser telles quelles sont-elles limitées.

Dans le cas de l’usine du Cébron, l’évacuation des boues déshydratées et chaulées en agriculture apparaît comme la seule destination pérenne.

En l’absence de teneurs en éléments

[Photo : Usine de production d’eau potable du Cébron. Schéma de traitement des eaux.]

Fertilisants importants, les boues chaulées ont un intérêt en tant qu’amendement calcique. Il faut donc ajouter de la chaux au cours du traitement des boues. Les zones d’élevage du Bocage et de la Gâtine, sur sols granitiques, sont propices à cette utilisation d’amendements. Certaines zones de la plaine de Thouars, qui subissent des baisses de pH, le sont également. En première approximation, l’épandage de 2 800 tonnes de boues chaulées à 30 % produites à la capacité nominale nécessite un périmètre de 700 ha, à la dose de 4 tonnes/ha.

Actuellement, il n’y avait pas de réglementation spécifique concernant l'épandage des boues d’eau potable.

La norme couramment utilisée est celle de la réglementation sur les boues d’épuration. La composition des boues d’eau potable est conforme à la norme Afnor (NFU 44041). L’organisation de l'épandage doit également respecter le Règlement Sanitaire Départemental.

Dans ce domaine, de nouveaux textes sont prévus pour la fin 1996. Ils permettront de lever certaines ambiguïtés (statut des boues, refonte de la norme NFU 44041, règlement sanitaire départemental concernant l’épandage).

La mise en place d’une filière d’évacuation des boues en agriculture nécessitera une étude spécifique du plan d’épandage et un suivi agronomique. Des stockages devront être prévus (huit mois de capacité) car les périodes d’épandage sont limitées ; les stockages existants pourront être réutilisés. Les coûts de stockage avoisinent 250 F/m³ logé (stockage en calcaire compacté ou en enrobé).

Un ordre de grandeur des coûts d’évacuation des boues en agriculture (hors traitement) est de 120 à 150 F/tonne de boues à 30 %, dans le cas d’un « rendu racine ».

Notons que la qualité des boues liquides n’est pas favorable à leur utilisation en tant qu’eau d’irrigation (teneurs élevées en fer et chlorures). D’autre part, il faudrait un stockage de 250 000 m³ à la capacité nominale.

Les autres destinations ne doivent pas être négligées : il est indispensable de disposer d’une filière de secours en cas d'impossibilité ponctuelle ou définitive d'utiliser la filière habituelle.

[Photo : Usine de production d’eau potable du Cébron. Schéma de traitement des boues.]

Dans le Plan Départemental d’Élimination des Déchets, il faut prévoir l’autorisation de mise en décharge des boues d’eau potable, même si les possibilités actuelles sont limitées. Ces boues sont acceptables en Centre d’Enfouissement Technique de classe 2 (même après 2002 selon la loi du 13 juillet 1992) et ne font pas partie des déchets dangereux (décret 94/204/CE du 22 décembre 1994).

La filière d’évacuation en cimenterie peut être améliorée par la gestion des stockages et l’émission de boues plus concentrées. Toutefois, la fiabilité globale restera insuffisante.

En cas de déshydratation des boues, les eaux de surverse pourront toujours être envoyées en cimenterie ou utilisées par les irriguants.

L’évacuation des boues en station d’épuration a été envisagée, mais l'éloignement des stations de capacité suffisante rend les coûts prohibitifs (30 km pour la station de Bressuire).

Les filières de traitement

Pour les filières d’évacuation proposées nécessitant une déshydratation et un chaulage des boues, quatre filières

[Photo : Suivi de la concentration en MES des eaux de lavages des filtres.]

de traitement ont été étudiées :

- le lagunage ;

- les lits de séchage ;

- la déshydratation par filtre-presse ;

- la déshydratation par centrifugation.

Pour chaque filière, l'étude a donné la description et le principe de fonctionnement, le dimensionnement et les adaptations nécessaires, les coûts, les atouts et les contraintes.

Des stockages tampons ont été prévus, ainsi que l'épaississement préalable des boues (sauf pour le lagunage).

Le dimensionnement des ouvrages ainsi que leur chiffrage proviennent de l'expérience du bureau d’études en ingénierie, des données des fabricants et fournisseurs de matériel ainsi que des références bibliographiques. Ce sont des chiffrages estimatifs, à préciser par une étude approfondie et des essais sur les boues pour la filière retenue.

Le tableau II, synoptique, permet de comparer les solutions entre elles.

Au terme de cette étude comparative, la déshydratation « naturelle », solution extensive a priori séduisante, apparaît peu adaptée au contexte local :

- le lagunage nécessiterait des superficies étanches, non disponibles à proximité ;

- les lits de séchage s’avèrent relativement coûteux, nécessitent une surface importante et une exploitation par campagnes.

Le choix entre centrifugation et filtre-presse dépend essentiellement des priorités du Maître d’Ouvrage en termes d’investissement, d’emploi et de fiabilité.

Conclusion

L'étude de faisabilité apporte les éléments de choix pour les filières d’évacuation des boues du Cebron. À la suite de l'étude, des essais de déshydratation des boues ont été réalisés : les résultats sont satisfaisants.

Les élus vont décider des investissements et des charges de fonctionnement à engager.

Le comparatif, réalisé par le bureau d'études montre que les destinations pour ce type de boues sont limitées et que les coûts sont importants. De plus, tant pour le traitement que pour l’évacuation des boues, le maître d’ouvrage doit intégrer la notion de fiabilité dans le choix des filières. Cette fiabilité, insuffisante dans la filière actuelle, a un coût.

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