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Quantification des fuites dans les réseaux d'eau potable

28 février 1991 Paru dans le N°143 à la page 43 ( mots)
Rédigé par : Marcel BÉNADÉ

La méthodologie de la quantification des fuites dans les réseaux d'eau potable, telle que nous la développons dans la suite, existe depuis de nombreuses années. Sous le terme de « sectorisation » ou « îlotage », beaucoup de techniciens la connaissent, mais pourtant peu l'utilisaient jusqu'à présent, cela probablement pour deux raisons : — malgré sa simplicité apparente, cette méthode nécessite une rigueur soutenue à chaque étape, car toute erreur conditionne l'efficacité des étapes suivantes et la qualité des résultats, — des erreurs d'appréciation de l’étanchéité des vannes d’interconnexion, de « démaillage » ou de contrôle peuvent facilement fausser le diagnostic.

La méthodologie, telle que nous la développons dans la suite, existe depuis de nombreuses années. Sous le terme de « sectorisation » ou « îlotage », beaucoup de techniciens la connaissent, mais pourtant peu l'utilisaient jusqu'à présent, cela probablement pour deux raisons :

  • — malgré sa simplicité apparente, cette méthode nécessite une rigueur soutenue à chaque étape, car toute erreur conditionne l'efficacité des étapes suivantes et la qualité des résultats,
  • — des erreurs d'appréciation de l’étanchéité des vannes d’interconnexion, de « démaillage » ou de contrôle peuvent facilement fausser le diagnostic.

Il était nécessaire jusque-là d'installer des compteurs sectoriels, ce qui posait des problèmes au niveau

  • — du coût de ces installations,
  • — de la fiabilité de ces compteurs (pour de faibles débits),
  • — du choix de leur dimensionnement.

Les camions de diagnostic, apparus depuis quelque temps, permettent d'éviter ces problèmes et relancent l'intérêt de la recherche de fuites par quantification, qui devient une opération souple, sûre et rentable, particulièrement pour les réseaux fortement maillés des grandes villes.

Nous examinerons tout d’abord dans ce qui suit les problèmes techniques et économiques que posent les fuites dans les réseaux d’eau et la nécessité de les résoudre en utilisant la méthode que nous avons mise en œuvre.

Situation de l'exploitant d'un réseau d’eau

La réduction des pertes constitue certainement l'un des problèmes d’exploitation les plus complexes à résoudre sur un réseau. Les difficultés proviennent non seulement de la diversité des phénomènes à inventorier mais aussi de leur multiplicité, de leur faible importance unitaire, et bien souvent du peu d'indices apparents.

À cela s'ajoute le fait que l'origine des pertes peut se trouver à tous les stades de la vie d'un réseau :

  • — dans la conception : calcul hydraulique, spécifications des matériaux,
  • — l'exécution : choix des matériaux, des équipements, qualité de la mise en œuvre, respect des spécifications, nature du terrain,
  • — l'exploitation : suivi régulier des indicateurs, statistiques, qualité et rapidité des interventions, équipements nouveaux, modifications.

D’autre part, si les responsables de services d'eau sont convaincus de l’intérêt de rechercher et de réduire les pertes (car ils en voient les conséquences financières et techniques), ils sont soucieux également de leur gestion financière et il importe pour eux de cerner les ordres de grandeur des quantités et des coûts et de comparer les économies possibles aux dépenses à engager.

Aspect économique

À partir du moment où l'on décide de lancer une campagne de recherche de fuites, la méthode la plus simple est évidemment de parcourir l'intégralité du réseau avec un appareillage de détection de fuites (triphones, corrélateurs) et de faire les réparations au fur et à mesure qu'on les trouve. Cette solution peut tout à fait se concevoir dans le cas de réseaux de dimensions réduites où la durée d'inspection reste raisonnable. Cependant, dès que les réseaux deviennent très étendus, cette méthode n'est plus rationnelle, car une analyse économique montre très rapidement qu'elle n’est plus globalement rentable. Si le coût des recherches et des opérations risque de dépasser les économies de productions et les gains éventuels résultant du report d'investissement, il devient nécessaire d’adopter une méthodologie qui permette d’optimiser l'organisation des recherches de fuites. Le raisonnement suivant, bien que schématique, permet d’éclaircir ce point de vue.

[Photo : Véhicule de diagnostic monté en dérivation ; au premier plan : le capteur de pression.]
[Photo : Vue intérieure du véhicule : l'écran du micro-ordinateur.]
[Photo : Vue intérieure du véhicule : le système de mesure.]

En admettant que les fuites soient réparties uniformément sur un réseau et que le coût des réparations soit indépendant du débit des fuites, car il est plutôt fonction du matériau, du diamètre de la canalisation et de la nature du terrain (revêtement et sous-sol), on constate que le coût d’une campagne reste proportionnel au linéaire inspecté par l’équipe de recherches de fuites (durée de la recherche) ; de même, le nombre de fuites réparées lui est directement proportionnel. Par contre, les débits des fuites « récupérés » sont éminemment variables. L’optimisation consistera, pour un taux de réduction du débit de fuite donné, à minimiser le coût d’intervention, c’est-à-dire à rechercher les tronçons où le débit de fuite par unité de longueur est le plus important et, après les avoir classés par ordre d’importance, passer à la localisation précise et aux réparations. Tout revient donc à minimiser la durée de la campagne de recherches pour un objectif donné, ou encore à réparer le maximum de fuites, en débit, pour un budget de recherche fixé.

Quantification des fuites

Pour répondre à cette demande, du matériel (camion de diagnostic) et une méthode (« recherche de fuites par sectorisation ») ont été développés.

Le principe est basé sur l’enregistrement des variations de débit et de pressions sur un tronçon ou un secteur alimentés uniquement à travers le camion de diagnostic et parfaitement isolés du reste du réseau. On travaille (de préférence) dans une tranche horaire comprise entre minuit et cinq heures du matin. Le réseau étant « ramifié » (tout réseau maillé peut être pour l’occasion transformé en réseau ramifié en fermant les vannes adéquates), une équipe parcourt le réseau en fermant l’une après l’autre les vannes du secteur étudié, de l’aval vers l’amont, de façon à isoler les tronçons un par un. Les pressions et débits sont enregistrés en continu et analysés par l’ordinateur embarqué sur le véhicule.

Le débit alimentant le tronçon étudié correspond à la somme de deux facteurs : les fuites sur le réseau et la consommation chez les abonnés. Ce dernier facteur est déterminé par l’ordinateur, qui tient compte de l’heure de la journée, du nombre d’habitants, du type de consommateur, etc. Il fait ensuite la différence par rapport au débit constaté et en déduit la valeur des pertes.

Phase préliminaire

Analyse du réseau et bilan des volumes

À partir des plans, l’équipe de recherche de fuites analyse avec le responsable du site la structure et le fonctionnement de son réseau :

  • — les productions, les stations de pompage (exhaure, reprises ou surpressions), les réservoirs, les points de comptage, etc. ;
  • — les différents services, les interconnexions (quels que soient leurs diamètres) ;
  • — l’état des vannes de sectionnement (ouvertes ou fermées) ;
  • — la localisation des gros consommateurs.

Les plans sont complétés, s’il y a lieu, par les dernières extensions et les petites antennes (diamètres 40 ou 60 mm – vannes + conduites).

Sont évoqués tous les problèmes rencontrés dans l’exploitation (fortes pressions, vétusté du réseau, nature des canalisations et des joints, état d’étanchéité des vannes, nature des terrains, fréquence des réparations, anomalies restées sans explication, etc.) de façon à mieux percevoir l’originalité du réseau et en tenir compte dans les opérations suivantes.

Un bilan des divers volumes d’eau transitant à travers le réseau est effectué (figure 1), comportant :

  • — les quantités importées et exportées ;
  • — les quantités perdues sur incidents ;
  • — les moyens mis en œuvre pour les mesures, âge et emplacement des compteurs généraux, classe, histogramme du parc compteur.
[Figure : Fig. 1 – Bilan des volumes]

Cette analyse est suivie d’une visite des principaux ouvrages permettant de mieux comprendre le fonctionnement général du réseau. Quelques opérations simples peuvent être effectuées :

  • — arrêt d’un déroulement et contrôle du manomètre (si baisse rapide de la pression, fuite sur la conduite ou mauvaise étanchéité des clapets anti-retour, branchements sur la conduite) ;
  • — vérifications d’organes tels que interrupteurs de niveau pour pompages ou robinets à flotteurs (risques de débordements) ;
  • — vérification de la fermeture ou de l’étanchéité des by-pass.

Schématisation du réseau

Pour réaliser efficacement les recherches de nuit, il est nécessaire d’établir un schéma fonctionnel planimétrique clair du réseau (figure 2), où ne seront portés que les éléments essentiels :

  • — les réservoirs (avec leur dénomination) ;
  • — les points de comptage ;
  • — les canalisations (conduites maîtresses et antennes significatives) ;
  • — les vannes (préciser si elles sont fermées dans les conditions normales) ;
  • — quelques indications très simples (traversées de voies ferrées, ruisseaux, ponts…) sans surcharger le schéma.

Les vannes sont ensuite numérotées suivant l’ordre le plus logique possible. Le cas échéant, les nœuds importants peuvent être repérés par une lettre. Ces numéros et ces lettres sont reportés sur le plan général du réseau. Enfin, il est préparé un tableau destiné au repérage et à la vérification du réseau.

Découpage du réseau en secteurs de recherche

À partir de la schématisation du réseau effectuée au cours de la phase précédente, il sera procédé à un découpage en secteurs, qui feront chacun l’objet d’un diagnostic de nuit. Trois critères sont à considérer pour exécuter ce découpage :

  • — la durée des opérations de manœuvre des vannes, tant pour la séquence de fermeture que pour la remise en eau, le nombre de vannes à manœuvrer ;
  • — le débit maximum qui passera par le camion, ses possibilités de raccordement ;
  • — la nécessité de décomposer chaque secteur en « réseau ramifié », ce qui ne doit pas présenter de difficultés car toute maille peut être « démaillée » en fermant une vanne, laquelle, si elle n’existe pas (cas peu probable), doit être ajoutée, ne serait-ce que pour faciliter l’exploitation.

Une attention particulière est apportée pour ne pas interrompre trop longtemps l’alimentation des industriels consommant la nuit.

[Photo : Plan schématique d’un réseau.]
[Photo : Fiche de rapport de localisation d’une fuite et de sa réparation.]

Phase opératoire

Documents à préparer

Avant toute mesure, le programme des opérations doit être établi de façon précise :

  • — tableau d’ordre de fermeture des vannes,
  • — tableau d’ordre d’ouverture des vannes qui ne correspond pas obligatoirement à l’inverse du précédent, l’objectif étant de remplir au plus vite le réseau, tout en respectant les précautions nécessaires pour éviter la création de poches d’air et les coups de bélier,
  • — liste des branchements d’abonnés considérés comme gros consommateurs ou pouvant consommer de l’eau pendant la nuit pour des raisons professionnelles dans le but :
    • * d’avertir les intéressés et de les isoler pendant les mesures,
    • * ou de contrôler leur débit.

Précautions

Des précautions sont à prendre pendant les opérations :

  • — La fermeture des vannes doit être suffisamment lente pour limiter les coups de bélier, éviter les surpressions dangereuses pour le réseau ainsi que des variations de débits (oscillations d’ondes) propres à perturber les mesures. Ce phénomène est d’autant plus important que la vitesse dans la section est élevée et que la distance au réservoir est grande. La fermeture de la vanne peut être rapide jusqu’aux trois quarts, mais elle doit être opérée avec de grandes précautions sur les derniers tours (pour gagner du temps, il est conseillé de relever le nombre de tours lors de la phase de contrôle des vannes) ;
  • — L’ouverture de même doit être contrôlée : une ouverture trop rapide peut provoquer tout d’abord une onde de dépression à l’amont, ensuite un remplissage trop rapide du réseau qui aura pour effet la formation de poches d’air propres à perturber la distribution.

Mise en place du camion

Le camion est placé en by-pass de la vanne isolant le secteur et relié à celui-ci par l’intermédiaire d’une borne incendie et de tuyaux du type « pompier » ; de cette façon toute l’alimentation du secteur étudié passera par les organes de mesures et de diagnostic du véhicule.

On procède alors à différents tests : l’alimentation par le véhicule est coupée ; si les

vannes ne sont pas étanches, la maille continue à être alimentée et dans ce cas, aucune baisse de pression n’est constatée. Il faut alors procéder à des vérifications jusqu’à l'obtention de l'isolement total (si on effectue les mesures dans cette situation, les débits de fuites seront difficilement contrôlables et de toute façon minimisés).

On alimente ensuite le tronçon par l’intermédiaire du véhicule. Après stabilisation, on procède à l'ouverture d’un poteau incendie ou d'une vidange, ce qui doit provoquer une augmentation du débit entrant dans la maille en même temps qu'une diminution de pression sur le capteur côté maille.

Ces tests permettent de confirmer l'isolation du tronçon de canalisation à contrôler.

Recherches et réparations de fuites

Nous ne reprendrons pas le principe de la mesure qui a été décrit ci-dessus ; cependant des variantes sont possibles dans le mode opératoire, qui peuvent amener les questions suivantes :

Vaut-il mieux faire les mesures de jour ou de nuit ?

Bien que la procédure et le matériel soient les mêmes, les facteurs suivants sont plus favorables à la mesure de nuit :

  • + débit maximum utilisable : le volume qui peut transiter à travers le camion est de 60 m³/h ; or la consommation diurne est plus importante que celle de nuit, dans un rapport nuit/jour d’environ 1/4 à 1/5 ; on en déduit que la longueur d'une maille étudiée de jour sera réduite d’autant..., ce qui va se traduire par un certain nombre d’inconvénients : moindre rapidité d'exécution, augmentation du nombre de vannes à manœuvrer pour l'ensemble du réseau (quatre à cinq fois plus), statistiquement, davantage de difficultés pour définir et trouver des secteurs isolables et les points de raccordement du camion, avec en corollaire, moins de souplesse d'exécution.

    En outre et dans le cas où l’on trouve une interconnexion non prévue ou une vanne non étanche, il est plus facile de reconfigurer un secteur important (en l’agrandissant ou en le diminuant légèrement) qu'un secteur réduit où l'on risque de ne pas trouver assez de vannes.

  • + Sensibilité de la mesure : nous sommes dans un cas où les pertes sont le paramètre à mesurer et la consommation le « bruit de fond » ; il est évident que les pertes seront plus perceptibles la nuit lorsque la consommation (le bruit de fond) est faible. D'autre part, la pression du réseau est plus élevée la nuit, surtout vers la fin du remplissage des réservoirs, ce qui rend les fuites plus décelables.

  • + Fiabilité de la mesure : le principe de la mesure de jour comme de nuit étant de déceler la consommation minimale à un moment donné du secteur étudié, statistiquement ce point est plus facile à obtenir la nuit ; de jour, soit par manque de chance, soit par impatience, on risque de ne pas repérer certaines pertes.

  • + Nuisances : les manœuvres sur les vannes, ouverture des vidanges, etc. peuvent amener des remous dans le réseau et la mise en suspension des dépôts. Ces phénomènes sont moins sensibles lors de faibles tirages et ont de moindres répercussions la nuit.

Les mesures étant faites, les résultats sont reportés sur un schéma du réseau, et l'on procède à un classement des tronçons par ordre de priorité ou d'urgence des réparations ; on ne prend pas uniquement comme critères les pertes en valeurs absolues, mais également les indices de pertes, c’est-à-dire les pertes ramenées à la longueur de conduite.

Le programme établi, une équipe parcourt les tronçons retenus et procède à la localisation exacte des fuites. L’équipe de réparation intervient ensuite.

Faut-il faire un contrôle après réparations ?

Les réparations doivent donner lieu à un rapport où, outre la date, la durée de l’opération, on notera le type de la fuite (sur branchement, joints, éclatement), la nature du terrain, l'aspect intérieur et extérieur de la conduite, etc. (figure 3). Toutes ces informations sont utiles pour se faire une opinion sur l'état du réseau et pour prendre, éventuellement, des mesures préventives.

Cela n’est pas nécessaire si lors de la première mesure on est parvenu à obtenir un « point zéro », c’est-à-dire à délimiter parfaitement entre deux vannes, un tronçon ou un sous-secteur d’où proviennent toutes les fuites et qu'une fois ce tronçon isolé, le débit alimentant le secteur considéré redevienne normal et exempt de perte (point zéro), ou que, d’autre part, le tronçon en question soit suffisamment court pour qu’on puisse y effectuer une localisation précise des fuites au triphone ou au corrélateur. Si ce n’est pas le cas, il faut refaire une mesure de contrôle, ce qui présente le désavantage de prolonger l'opération et d’augmenter la dépense, mais permet de relever des mesures de références qui resserviront plus tard pour d'autres campagnes de diagnostic.

Conclusion

L’emploi du camion de quantification des fuites sur les réseaux d’eau potable, qui permet d’optimiser leur entretien et d’améliorer leur rendement, est maintenant une démarche qui a fait ses preuves. En ce qui concerne plus particulièrement l’équipement de diagnostic que nous utilisons, nous en sommes arrivés actuellement à plusieurs milliers de kilomètres d’investigations avec des résultats tout à fait positifs.

Certes, la méthode nécessite quelques sujétions et des dépenses au départ :

  • — investissement pour la remise à jour des plans du réseau,
  • — dépenses de la remise en état des vannes,
  • — études préliminaires et enquêtes sur le terrain.

Cependant, ces dépenses ont une retombée positive, puisqu’elles permettent une meilleure connaissance du réseau, et qu'une fois faites, elles peuvent resservir pour des campagnes de quantifications ultérieures (rares sont les réseaux où le nombre et le débit des fuites se stabilisent et où il n’est pas nécessaire de recommencer des recherches).

Les aspects directement intéressants de l'utilisation du camion de diagnostic par quantification sont au nombre de trois :

  • * réparer prioritairement les plus grosses fuites ;
  • * cerner les zones à problèmes en complément des rapports de réparations et remonter à l'origine des défauts ;
  • * permettre à l’exploitant du réseau de ne plus se cantonner dans une attitude curative (réparation des fuites trouvées), mais d’aller plus loin et d’engager une démarche préventive, en envisageant des mesures de protection ou tout simplement le renouvellement des conduites.

De ce point de vue, les données statistiques et l’expérience accumulées par l’équipe du camion de diagnostic sont des atouts non négligeables.

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