Des gènes à l'animal, en passant par les cellules ou l'enzyme, tout dans le vivant peut être utilisé pour contrôler la qualité de l'eau. Mais tous n?ont pas les mêmes possibilités de mesure, et ne s'emploient pas pour les mêmes milieux.
Le milieu naturel est composé d’organismes vivants, de substances organiques et minérales. L’analyse de ces dernières permet aujourd’hui de donner à un instant donné une photographie de la composition chimique d’un milieu. L’analyse biologique offre en revanche la possibilité de mesurer les effets isolés et cumulés de substances toxiques sur les organismes vivants. C’est ainsi qu’aujourd’hui de nombreux tests, in vitro comme in vivo, en laboratoire ou sur le terrain, donnent l’alerte en cas de problème, sans toutefois pouvoir en préciser l’origine. Quatre grandes classes d’outils biologiques ont été développés pour le contrôle de la qualité des eaux : les essais écotoxicologiques en laboratoire, les indicateurs écologiques, les indicateurs biochimiques et les bio-capteurs. À chacun correspond une méthodologie particulière, pour une mesure particulière.
Écotoxicologie : du gène à l’organisme
En laboratoire, les essais écotoxicologiques permettent d’observer les effets toxiques de
Les tests de toxicité globale évaluent l'action de substances chimiques sur des organismes vivants, entiers ou partiels. Ils sont de fait pratiqués sur le matériel génétique, les organismes mono et pluricellulaires et sur les cellules animales. L'un des tests les plus connus est sans conteste le test des daphnies. Ces crustacés microscopiques d'eau douce vivent en moyenne cinquante jours pendant lesquels ils muent de six à vingt-deux fois. Ces mues permettent la libération de six à dix jeunes daphnies à chaque fois, ce qui assure la possibilité d'un élevage permanent. En laboratoire, on observe ainsi l'inhibition ou non de leur mobilité en fonction de la qualité de l'eau dans laquelle ces crustacés microscopiques sont mis.
La toxicité de substances chimiques peut aussi être évaluée de manière globale sur des cellules, humaines et animales, et sur le matériel génétique. C'est la cytotoxicité dans le premier cas (cf. encart) et la génotoxicité dans le second (cf. encart). Bien que ces tests de laboratoire soient très précis pour la plupart d'entre eux, ils restent chers et pour la plupart difficiles à mettre en œuvre. Ils sont de plus des tests globaux, qui ne permettent d'indiquer ni la nature des polluants, ni leur concentration. D'autres tests viennent cependant les compléter.
Bio-indicateurs : de la diatomée à la moule d'eau douce
Les bio-indicateurs sont constitués par les organismes vivant dans le milieu que l'on veut étudier. La combinaison de la densité et de la diversité des espèces présentes indique une qualité de milieu. « Le choix de l'organisme décidera du seuil et du spectre de la sensibilité, souligne Gérard Larbaigt, de CEP Consultant, responsable d'un groupe de travail au sein de l'AGHTM sur les contrôleurs biologiques de la qualité de l'eau. Des organismes bien différenciés comme les poissons ont un seuil de sensibilité moins élevé du fait de leur adaptation, tandis que des organismes plus primaires, comme les algues ou bactéries, présentent un spectre de sensibilité plus faible ». C'est pourquoi plusieurs indices biologiques sont utilisés de concert. Depuis 1992 existe un indice normalisé, l'Indice Biotique Global Normalisé, IBGN (norme Afnor NFT 90-350). Il s'appuie sur l'étude de 138 familles (taxons) de la macrofaune d'invertébrés, regroupés en groupes indicateurs de qualité d'eau. Leur présence ou non, ainsi que leur quantité relative les uns par rapport aux autres, donne une indication de qualité de milieu.
D'autres indices ont aussi été développés, à partir de macrophytes (végétaux supérieurs), de poissons et d'oligochètes, des petits vers qui grouillent dans les sédiments. L'indice basé sur la reconnaissance de poissons étudie par exemple la prédominance de salmonidés (truite, saumon), présents seulement dans des milieux de bonne catégorie, et des cyprinidés (gardon) qui peuvent se trouver en catégorie moindre. Depuis 1996, un indice établi par l'équipe de Michel Coste au Cemagref de Bordeaux, et par Jean Prygiel, à l'agence de l'eau Artois-Picardie, est aussi utilisé en routine par les six agences de l'eau. C'est l'Indice Biologique Diatomées, IBD, en cours de normalisation par l'Afnor pour l'indice lui-même et les techniques d'échantillonnage. Il est établi sur l'observation des populations de Bacillariophycées, petites algues microscopiques qui vivent.
Génotoxicité sur les micro-organismes
• Ames : c'est le test le plus utilisé actuellement pour caractériser la mutagénicité de substances. Son utilisation est désormais généralisée sur des eaux brutes, comme sur des eaux à différents stades de traitement.
L’activité mutagène d'une substance ou d'une eau est testée sur des mutants de bactéries Salmonella typhimurium. Les bactéries mutantes sont incapables de pousser sur un milieu dépourvu d’histidine (un acide aminé). Les bactéries qui ont subi l'effet de l'agent mutagène sont capables de pousser sur ce milieu.
• SOS Chromotest : les substances toxiques peuvent endommager l’ADN, le matériel génétique. Or chaque cellule, y compris les bactéries, possède des capacités de réparation de cet ADN, la réponse SOS. L'intensité de cette dernière peut être observée grâce à la mesure d'une activité enzymatique, couplée à un système bioluminescent pour la révélation de la réaction. Ce test est très facile à mettre en œuvre.
• Umu : test équivalent au SOS chromotest, mais se fait sur la bactérie Salmonella typhimurium, contrairement au précédent sur Escherichia coli.
• Mesure de la recombinaison : lorsque des cassures de l’ADN n'ont pu être réparées lors de la multiplication bactérienne, un processus s'enclenche, impliquant un ensemble de gènes particuliers, les gènes rec. Des mutants de Bacillus subtilis incapables de mettre en place ce processus sont très sensibles aux agents mutagènes.
• Multitest : la cytotoxicité, la mutagenèse, l'induction de fonctions SOS et la recombinaison homologue sont testées chez des souches d’Escherichia coli.
• Détection de mutations chez Escherichia coli : sous l'action d'agents mutagènes, ces bactéries incapables de pousser sur certains milieux voient cette propriété supprimée.
• Essais sur des levures : aussi faciles à manipuler que les bactéries, les levures (organismes eucaryotes monocellulaires) sont sensibles à une grande variété de substances toxiques, génétiquement. Les essais sont simples, peu coûteux, et permettent de détecter une grande variété de mécanismes génétiques dans les cellules eucaryotes.
Dans tous les points d'eau, de la flaque à la rivière, cet indice s’appuie sur 209 espèces de diatomées, parmi les 10 000 recensées à ce jour. “Les diatomées réagissent très rapidement à toute modification physico-chimique des eaux, explique Michel Coste. Pour ces micro-organismes, la sensibilité c'est aussi bien voir son frustule, squelette constitué de deux valves, se déformer sous l’effet d’un produit indésirable que disparaître complètement ou au contraire se multiplier sauvagement”.
L'intérêt des bio-indicateurs, s’il est indéniable pour la qualité des cours d'eau, ne présente cependant pas que des avantages. “Le problème des bio-indicateurs vient qu’il n'y a pas de point zéro. Ils sont donc limités à l'étude de l'évolution qualitative du milieu”, souligne Christophe Renner, chercheur à Anjou Recherche. “Et le bio-indicateur n'est pas un signal d'alarme. Il est plutôt utilisé pour l'historique”, indique Patrick Flammarion, du Cemagref à Lyon. Les bio-indicateurs obtiennent un franc succès auprès des organismes institutionnels pour la surveillance des milieux aquatiques, et un désintérêt total des traiteurs d’eau et industriels, car la connaissance de ces indicateurs biologiques n'intervient pas sur la détermination d'une ressource pour en déterminer la potabilisation. “Leur utilisation est assez longue ; ils ne peuvent donc servir de système d'alerte au jour le jour”, rajoute Christophe Renner.
Bio-marqueurs : l’enzyme au cœur de l’animal
“Les bio-indicateurs sont très intégrateurs, ce qui fait que l'on a du mal à identifier la pollution d’origine”, explique Patrick Flammarion. À l'inverse, les bio-marqueurs peuvent être utilisés pour la même surveillance, mais de manière plus fine grâce à l'observation d’un système moléculaire spécifique, sensible à une gamme plus restreinte de molécules. Leur utilisation est basée sur l'emploi d’espèces sentinelles propres au milieu que l’on veut étudier, ou bien au contraire apportées puis placées quelques temps dans ce milieu. Les individus exposés sont ensuite sacrifiés pour en extraire certains systèmes enzymatiques. On mesure alors la variation biochimique de leur activité, occasionnée par des familles bien spécifiques de polluants, que l'on compare au même système enzymatique appartenant à des individus non exposés (témoins).
Deux systèmes enzymatiques sont à l’honneur dans les recherches françaises. L'activité EROD, pour le cytochrome P450, est induite par les hydrocarbures, les pesticides ou les polychlorobiphényls. Qualitative, la mesure de sa variation peut aussi donner des informations quantitatives. L'acétylcholinestérase est pour sa part une enzyme qui joue un rôle dans l'influx nerveux des animaux, dont l'homme fait partie. Elle est par exemple utilisée par l’armée pour détecter les gaz de combats, dont la structure est proche de celle des organophosphorés. Ces derniers, ainsi que les carbamates et les métaux lourds, inhibent son activité, mesurable chez le poisson notamment. “L’avantage du bio-marqueur, note Patrick Flammarion, réside dans le fait que l'enzyme n'est pas seule, elle est au sein d'un organisme vivant. Il y a toute une cascade biochimique, absente des biocapteurs”.
Les bio-marqueurs sont aujourd’hui assez largement utilisés en recherche, un peu lors de mesures effectuées par des organismes institutionnels, et jamais en routine. Mais leur intérêt pourrait augmenter dans les années à venir avec les travaux sur les perturbateurs endocriniens.
Ces molécules — on en trouve parmi les phtalates, les plastifiants, les pesticides, les détergents et les médicaments — sont suspectées d’agir sur la fertilité et la reproduction des poissons, ce qui a rapidement été surnommé “la féminisation des poissons mâles”. “Ce phénomène a déjà été observé…
dans d'autres pays de l’Union Européenne. Il n'y a pas d’exception française en la matière”, remarque Eric Thybaud, de l’INERIS, organisme représentant la France au sein d'un groupe de travail de l'OCDE sur le sujet. Cette perturbation endocrinienne chez le poisson mâle et l'immature peut être suivie par la présence de vitellogénine, une protéine synthétisée sous l'action d’une hormone, le 17 bêta-œstradiol. Les projets de recherche portant sur cette protéine ont depuis quelque temps fleuri, notamment au niveau européen. La Générale des Eaux travaille par exemple en collaboration avec neuf laboratoires européens du réseau EurAqua. Ce projet vise à identifier les principaux composants d’effluents d’eaux usées responsables de perturbations endocriniennes, à en regarder les impacts sur les populations, et à développer de nouveaux outils d’alerte. Le projet PRISTINE (priority surfactants and their toxic metabolites in waste effluent discharges), démarré fin 1998 pour une fin prévue en 2001, devrait pour sa part donner un certain nombre de résultats concernant les métabolites et leur impact sur la faune et la flore.
Bio-capteurs : de l’enzyme au gymnoforme
La création de bio-capteurs pour la détection de perturbateurs endocriniens fait aussi partie des projets européens (n° 47097 : biosensor tracing of endocrine disrupting compounds in surface water, waste water and sludge for water quality assessment — n° 39033 : Predisensor). Les bio-capteurs, dans lesquels organisme vivant ou bio-molécule sont couplés à un système électronique, se sont développés pour une utilisation autonome — en ligne — dans un plus grand nombre de domaines d'applications. “Plus l’organisme est petit et en contact avec l’eau sur une grande surface, plus la réponse est rapide. Mais la réponse est plus fine avec des organismes évolués”, rappelle Canh Tran-Minh, du laboratoire de génie enzymatique de l’École Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne. Le Truitosem, développé par la Société des eaux de Marseille, filiale de Générale des Eaux, est celui qui a obtenu le plus de succès, avec plus d’une trentaine d’appareils installés en France. Il est basé sur le mouvement de truitelles. L’Auto-Microtox fonctionne avec un organisme nettement plus petit, la bactérie Photobacterium phosphoreum, dont il mesure les variations de luminescence. Il équipe actuellement neuf sites de Générale des Eaux en France. En parallèle de ces deux bio-capteurs les plus connus en existent d'autres, plus spécifiques ou plus exotiques. “La micro-algue est le premier maillon de la chaîne alimentaire”, explique Canh Tran-Minh. Cette situation dans la chaîne alimentaire offre d'intéressantes possibilités de détection de substances toxiques étudiées et commercialisées par Armatronic Plus au travers du Fluotox. Le Nancie s'est pour sa part investi dans l’exotique, avec le développement du Gymnotox, un bio-capteur basé sur les décharges électriques délivrées par un poisson tropical, Apteronotus albifrons. Les micro et macro-organismes ne constituent pas l'unique solution pour les bio-capteurs. “L'enzyme est plus simple à exploiter que le micro-organisme, et moins sujette à variation”, souligne Canh Tran-Minh. Le bio-capteur enzymatique permet aussi de quantifier les substances toxiques, ce qui est très difficile avec la plupart des bio-capteurs basés sur les organismes. L’acétylcholinestérase est ainsi étudiée par de nombreux laboratoires.
Zellweger analyse le méthanol
Dans l'analyseur 8810 de Zellweger, l'enzyme, une alcool oxydase, est immobilisée sur une membrane. Une seconde membrane de diffusion de l'oxygène permet la mesure de la consommation d'oxygène nécessaire à la réaction de transformation du méthanol en eau oxygénée et formaldéhyde. « Ce système, rapide et qualitatif, remplace la seule méthode précise connue en laboratoire, la chromatographie liquide, ainsi que la méthode, plus imprécise, de corrélation avec la DCO », rappelle Philippe Sérizot, chef de produit chez Zellweger Analytics. Ce biocapteur peut être utilisé pour les eaux usées, quand du méthanol est ajouté comme source de carbone. Il peut aussi servir à vérifier que le procédé a fonctionné, avec l'absence de méthanol en sortie.
toires du fait de la bonne connaissance des molécules qui l'inhibent. La société Zellweger Analytics a quant à elle développé l'un des rares bio-capteurs à être qualitatif, basé sur l'oxydation du méthanol par alcool oxydase. « L’avantage indéniable du bio-capteur est la détection de produits inconnus, dont on ne dispose pas d’étalons pour la chromatographie. Mais ceci est aussi un frein à son développement », remarque Canh Tran-Minh. Les bio-capteurs, s’ils ont en effet eu le vent en poupe il y a quelques années, font désormais peu parler d’eux. Divers facteurs expliquent ce désintérêt. « Il y a toute une cascade biochimique qui n'existe pas dans le bio-capteur enzymatique », indique Patrick Flammarion. « On y perd en effet tout ce qui est accumulation d'effet toxique », ajoute Christophe Renner. L’inconvénient majeur reproché aux bio-capteurs réside cependant dans la gestion de l’alarme. « Une fois que l'alerte est donnée par le bio-capteur, il faut en identifier la cause. C'est toujours délicat, voire impossible, et demande une gestion au quotidien très difficile. Il faut être pragmatique et voir le coût pour retrouver l’origine de la pollution. Il est alors plus judicieux d’utiliser les bio-capteurs en ligne dans une vision plus globale et à long terme », note Christophe Renner.
Ce fait explique la relative désaffection qui s'est produite dans la filière de la potabilisation. « Les bio-capteurs se développent dans des structures privées surtout pour se garantir de toute mauvaise surprise », constate Gérard Larbaigt.
Toxicité aiguë, toxicité chronique, rien n’échappe à la vigilance des contrôleurs biologiques de la qualité de l'eau, contrairement aux tests chimiques. Bien que ces derniers quantifient la présence d’une ou de plusieurs molécules toxiques, ils souffrent de deux défauts majeurs aux yeux des organismes chargés de la surveillance du milieu aquatique : celui de ne pas signaler la présence de molécules inconnues à leur répertoire, et celui de ne pas indiquer les effets toxiques sur les populations concernées. Au niveau des industriels, les bio-capteurs connaissent un succès dans certains secteurs comme l'agro-alimentaire.
Biotrade commercialise par exemple le système Microzyme pour doser le lactate dans l'industrie du sucre en vue de révéler la contamination bactérienne. Mais au niveau des effluents, le constat sur les contrôleurs biologiques reste maigre. « Il n’y a pas eu une pression réglementaire suffisante pour que les systèmes biologiques se développent. Je pensais qu'il y aurait une ouverture possible, notamment dans le dernier texte sur les installations classées. Mais cela n'a été relayé par personne. C’est un problème franco-français », souligne Gérard Larbaigt.
« Les industriels ont-ils intérêt à vérifier l'impact d'un rejet sur la rivière ? » s'interroge Patrick Flammarion.
La réglementation ne les y oblige pas. Se pose alors la question des contrôleurs biologiques en amont », conclut-il.
Le Gymnotox
Le Nancie s'est penché sur les variations de décharges électriques émises par un gymnotiforme, Apteronotus albifrons. Ce poisson, qui s'acclimate très rapidement aux conditions imposées par le procédé de surveillance, se réfugie spontanément dans les tubes PVC où sont mesurées ses décharges électriques. Celles-ci sont de type ondulatoire et possèdent des caractéristiques (fréquence et forme) très régulières dans des conditions environnementales stables. Ainsi, la moindre anomalie dans la qualité de l'eau est immédiatement visible.