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Pureté des produits chimiques utilisés pour l'élaboration de l'eau potable

30 avril 1979 Paru dans le N°34 à la page 19 ( mots)
Rédigé par : Luc LEGRAND et Pierre LEROY

Quelles que soient leurs origines, les eaux potables de distribution publique doivent avoir subi un traitement préalable, simple ou complexe, impliquant l'utilisation de produits chimiques. Il faut donc s’assurer que les impuretés de ces produits ne compromettent pas les résultats que l'on est en droit d’attendre du traitement. Cette question mérite un examen, d’autant plus attentif que les normes de potabilité deviennent toujours plus rigoureuses en liaison avec le perfectionnement des méthodes analytiques.

Il y a plusieurs années déjà que le Service des Eaux de la Ville de Paris s’est intéressé à ce sujet. Il a été amené à fixer, pour chacun des réactifs mis en œuvre dans ses usines, les teneurs maximales admissibles en diverses impuretés. En 1976, à la suite d'une demande du Conseil des Communautés Européennes, et en conformité avec la directive alors en préparation sur les eaux potables, les auteurs du présent article ont établi un document plus général qui pourrait contribuer à l’élaboration de normes de pureté pour l’ensemble des réactifs utilisés dans les stations de traitement. Ils se proposent de présenter ici un résumé de ce document.

EXPOSÉ DU PROBLÈME

Compte tenu des volumes considérables d’eau potable distribués, des masses importantes de produits chimiques sont mises en œuvre dans les stations de traitement. Quel que soit le soin apporté à leur préparation, ces produits, fournis par l'industrie en grande quantité, contiennent à peu près nécessairement des impuretés. Celles-ci, de nature essentiellement minérale, passent dans l’eau au cours de son traitement. Or certaines d’entre elles peuvent être toxiques, ou tout au moins indésirables dans l’eau de distribution publique. La directive européenne fixe des concentrations maximales admissibles dans l'eau potable pour chacun de ces éléments. Le tableau I en donne la liste.

L'idée d’établir des normes de pureté particulières pour les produits chimiques lorsque ceux-ci sont destinés au traitement de l’eau vient alors naturellement à l’esprit. En effet, de telles normes pourraient éventuellement amener les industriels, soit à améliorer la qualité de leurs produits, soit au contraire à proposer des produits moins élaborés, donc moins coûteux. D’autre part, les services de distribution d’eau pourraient s‘approvisionner en réactifs sans craindre que les impuretés de ceux-ci ne compromettent la qualité de l'eau traitée.

TABLEAU I. — ÉLÉMENTS TOXIQUES OU INDÉSIRABLES DANS L’EAU POTABLE

Concentrations maximales admissibles selon la directive européenne

Éléments — Concentrations maximales admissibles (mg/l)
Aluminium (Al) : 0,200
Argent (Ag) : 0,010
Arsenic (As) : 0,050
Cadmium (Cd) : 0,005
Cyanures (CN) : 0,050
Chrome (Cr) : 0,050
Cuivre (Cu) : 0,050
Fluor (F) : 1,500
Fer (Fe) : 0,200
Mercure (Hg) : 0,001
Manganèse (Mn) : 0,050
Nickel (Ni) : 0,050
Phosphore (P) : 2,000
Plomb (Pb) : 0,050
Antimoine (Sb) : 0,010
Sélénium (Se) : 0,010
Zinc (Zn) : 0,100

Mais comment déterminer, dans les réactifs chimiques destinés au traitement de l'eau, les teneurs maximales tolérables en impuretés ? Pour résoudre ce problème, il faut évidemment tenir compte des normes de qualité de l’eau potable, telles qu’elles sont rappelées dans le tableau I. Cependant, la connaissance de celles-ci n’est pas suffisante. De nombreux autres facteurs interviennent, qui sont les suivants :

  • — la qualité de l’eau à traiter, et en particulier les concentrations en ses diverses impuretés, variables selon la saison, le jour ou même l'heure, et qui dépendent évidemment du site considéré,
  • — le nombre, la nature et les doses des différents réactifs utilisés au cours du traitement ; ces réactifs et les doses appliquées sont également très variables en fonction du lieu et du temps,
  • — l’élimination plus ou moins importante des éléments indésirables ou toxiques au cours du traitement, qui dépend de très nombreux facteurs ; on observera à ce sujet que les impuretés d’un réactif introduit en tête de traitement pourront être plus facilement éliminées que celles d’un réactif introduit en fin de traitement.

Malgré la diversité des paramètres et la complexité du problème, on doit, semble-t-il, avoir pour objectif d’établir des normes relatives aux impuretés dont l'application soit simple et garantisse l'innocuité des réactifs sans entraîner pour leur fabrication des dépenses excessives ou des impossibilités pratiques.

RÈGLE GÉNÉRALE PROPOSÉE POUR LA DÉFINITION DES NORMES DE PURETÉ

Les quantités d’impuretés qui, du fait des réactifs, passent dans l'eau au cours d’un traitement dépendent du degré de pureté de ceux-ci ainsi que des doses appliquées. L’établissement des normes nécessite donc pour chaque réactif le choix préalable d’un taux de traitement ; nous nous sommes référés à des doses supposées maximales, ayant fort peu de chance d’être dépassées quelle que soit l'eau à traiter, ou la nature du traitement. La règle proposée pour la définition des normes de pureté est alors la suivante : un produit chimique peut être admis pour le traitement de l'eau si, la dose maximale étant appliquée, les impuretés introduites dans l'eau accroissent les concentrations en éléments toxiques ou indésirables de moins du dixième des valeurs fixées par la directive européenne et rappelées sur le tableau I.

À titre d’exemple, on appliquera cette règle au cas de la soude (réactif) en considérant comme impureté le mercure.

Concentration maximale admissible de mercure dans l'eau potable (d’après la directive européenne) : 1 µg/l.

Taux de traitement par la soude, considéré comme maximal : 50 mg NaOH/l.

Teneur maximale tolérable en mercure dans la soude (norme de pureté proposée) :

1 µg × —
     10
—————— = 2 mg/kg NaOH
    50 mg

La règle générale proposée, quelque peu arbitraire comme d'ailleurs n’importe quelle norme, peut paraître à première vue sévère. Mais elle nous semble en accord avec l’esprit des directives européennes. En effet, si l'on compare la directive sur les eaux potables déjà citée à celle relative aux eaux superficielles destinées à la production d’eau alimentaire, on constate que pour bon nombre d’éléments toxiques ou indésirables la concentration maximale admissible est la même dans les deux cas. Autrement dit, les auteurs de ces directives, pour des raisons de sécurité, ont voulu ignorer pour ces éléments les éventuels effets favorables des traitements.

EXAMEN DES PRODUITS INDUSTRIELS

Il nous a semblé indispensable, pour chacun des produits susceptibles d’être mis en œuvre dans l'industrie de l’eau potable, de procéder à une confrontation systématique entre les valeurs constatées des concentrations en impuretés, qui sont notamment fonction des procédés de fabrication appliqués, et les teneurs maximales calculées comme indiqué précédemment.

À cet effet, nous avons d’abord dressé une liste, aussi exhaustive que possible, des réactifs pouvant être utilisés. Ces quelque cinquante réactifs, portés sur le tableau II, ont été classés pour la commodité d’après leurs fonctions principales dans les traitements : coagulants et floculants, adsorbants, correctifs de la composition minérale, oxydants, réducteurs, séquestrants. De l’examen des produits industriels disponibles sur le marché français auquel il a été ensuite procédé découlent les enseignements indiqués ci-après.

a) Coagulants et floculants

Coagulants et floculants sont utilisés pour la clarification des eaux turbides. Les coagulants déstabilisent les matières en suspension colloïdales, dont la précipitation est accélérée du fait de la floculation.

Les coagulants méritent un examen attentif car ils sont souvent utilisés dans l'industrie de l'eau à des doses importantes. Il est apparu que les sels d’aluminium respectent les normes proposées pour chacune des impuretés considérées. Par contre les sels de fer, sous-produits moins affinés que les sels d’aluminium, ne respectent pas ces normes en ce qui concerne le manganèse et le nickel. Cependant, de récentes expériences, portant sur le chlorosulfate ferrique, ont montré que ces impuretés sont, dans ce cas, éliminées en majeure partie par la floculation. Nous avons donc proposé que, pour de tels produits, des dérogations puissent être accordées après des essais effectués dans des stations pilote de traitement d'eau.

Enfin les produits chimiques utilisés comme floculants, que nous avons examinés, sont apparus satisfaisants en ce qui concerne la pureté.

b) Adsorbants (charbons actifs)

Les charbons actifs sont utilisés sous forme de poudre ou de grains pour l’affinage de l'eau.

Ces produits contiennent de nombreuses impuretés. Mais celles-ci, en majeure partie, sont liées au squelette carboné et ne peuvent passer dans l’eau.

Il ne nous a donc pas semblé que les impuretés présentes dans les charbons actifs livrés par l’industrie puissent poser des problèmes d’ordre sanitaire.

c) Correctifs de la composition minérale

Il est souvent nécessaire, du fait du traitement ou de la nature même de l’eau à traiter, de modifier la concentration de certains éléments majeurs : calcium, hydrogénocarbonate. Ces traitements correctifs, qui utilisent selon les cas des réactifs divers, sont effectués pour de multiples raisons (protection des canalisations contre la corrosion, adoucissement des eaux trop dures, etc.).

TABLEAU II - RÉACTIFS CHIMIQUES POUVANT ÊTRE UTILISÉSPOUR L’ÉLABORATION DE L’EAU POTABLEDoses maximales retenues

COAGULANTSet FLOCULANTS

Composés et réactifs nécessaires à la préparation de coagulants et floculants | Composés ou éléments dosés | Doses maximales mg/l
— Sulfate d’aluminium............................ Al₂(SO₄)₃·18H₂O | 150
— Chlorure d’aluminium.......................... AlCl₃ | 100
— Polychlorure basique d’aluminium............ Al₂O₃ | 10
— Aluminate de sodium.......................... NaAlO₂ | 100
— Chlorure ferrique................................ FeCl₃·6H₂O | 100
— Chlorosulfate ferrique.......................... FeSO₄Cl | 75
— Sulfate ferrique................................... Fe₂(SO₄)₃·9H₂O | 100
— Sulfate ferreux.................................... FeSO₄·7H₂O | 50
— Sulfate de cuivre.................................. CuSO₄·5H₂O | 20
— Silicate de sodium................................ SiO₂ | 10
— Bentonite............................................ bentonite | 5
— Polyélectrolyte anionique naturel : alginate de sodium................. polymère | 5
— Polymères non ioniques et polyélectrolytes de synthèse...................... polymère | 5

ADSORBANTS

— Charbons actifs................................... —

OXYDANTS

— Chlore.............................................. Cl₂ | 30
— Hypochlorite de sodium........................ Cl₂ | 30
— Hypochlorite de calcium....................... Ca(ClO)₂ | 50
— Chlorure de chaux............................... CaOCl₂ | 60
— Chlorite de sodium.............................. NaClO₂ | 5
— Ozone............................................... O₃ | —
— Eau oxygénée.................................... H₂O₂ | 10
— Permanganate de potassium.................. KMnO₄ | 10
— Iode................................................. I₂ | 0,5
— Ammoniaque..................................... NH₄OH | 1
— Chlorure d’ammonium.......................... NH₄Cl | 2

RÉDUCTEURS

— Anhydride sulfureux............................. SO₂ | 5
— Bisulfite de sodium............................... NaHSO₃ | 10
— Thiosulfate de sodium.......................... Na₂S₂O₃·5H₂O | 10

SÉQUESTRANTS

— Phosphates de sodium.......................... P | 2
— Polyphosphates de sodium..................... P | 2
— Polyphosphates mixtes.......................... P | 2

CORRECTIFS DE LA COMPOSITION MINÉRALE

— Carbonate de calcium........................... CaCO₃ | 150
— Chaux............................................... CaO | 80
— Dolomie............................................ CaCO₃·MgCO₃ | 150
— Magno.............................................. CaCO₃·MgO | 100
— Bicarbonate de sodium......................... NaHCO₃ | 150
— Carbonate de sodium........................... Na₂CO₃ | 150
— Soude............................................... NaOH | 50
— Anhydride carbonique.......................... CO₂ | 100
— Acide chlorhydrique............................. HCl | 30
— Acide sulfurique.................................. H₂SO₄ | 50
— Chlorure de calcium............................. CaCl₂ | 150
— Sulfate de calcium............................... CaSO₄ | 200
— Échangeurs d’ions : résines anioniques*.... —
— Échangeurs d’ions : résines cationiques*.... —
— Chlorure de sodium.............................. NaCl | 250
— Iodure de sodium................................. NaI | 0,1
— Fluorure de sodium.............................. NaF | 2
— Phosphate tricalcique............................ P | 2
— Acide phosphorique.............................. P | 2

* Utilisation interdite en France (pour l'eau potable).

Il peut arriver aussi que la concentration de l’eau en fluorure doive être modifiée pour des raisons d’ordre sanitaire.

Comme les coagulants, certains correctifs de la composition minérale sont parfois utilisés à des doses importantes. La pureté de ces produits doit donc être examinée avec un soin particulier. En fait, seules certaines qualités de composés alcalino-terreux ainsi que de soude peuvent causer quelques difficultés.

Il nous est apparu en effet que certains composés alcalino-terreux (chaux, carbonate de calcium, dolomie), qui sont des produits naturels ou très peu élaborés, ne respectent pas les normes proposées en ce qui concerne le fer, l’aluminium et le cuivre. Cependant, si le traitement est accompagné d’une floculation, ces impuretés sont facilement éliminées en majeure partie. Nous avons donc proposé que des dérogations puissent être accordées après des essais effectués dans des stations pilote de traitement d’eau. En ce qui concerne la soude, réactif très utilisé, les produits que l’on trouve sur le marché français sont fabriqués selon deux modes différents. La soude préparée selon le procédé « au diaphragme » respecte parfaitement les normes proposées. La soude préparée selon le procédé utilisant une cathode de mercure présente une teneur en mercure voisine de la teneur maximale proposée.

d) Oxydants, réducteurs et séquestrants

Les oxydants sont utilisés principalement pour la désinfection de l'eau. Ils peuvent aussi permettre d’éliminer certains composés ou éléments indésirables comme le fer et éventuellement le manganèse.

Les réducteurs sont utilisés pour l'élimination des oxydants chlorés résiduels (chlore - bioxyde de chlore - chloramines).

Les séquestrants permettent d’éviter la formation de tartre dans les réseaux privés.

Tous ces réactifs sont des produits de qualité, utilisés pour la plupart d’entre eux par d’autres industries que celle de l'eau, non moins exigeantes. Les produits industriels que nous avons analysés respectent largement les normes proposées concernant les impuretés.

CONCLUSION

Cette étude fait apparaître que les produits chimiques utilisés couramment en France pour l’élaboration de l'eau potable sont généralement de qualité satisfaisante. Mais il semblerait de l'intérêt des industriels comme des services publics que des normes de pureté, et parfois des procédures d’agrément, soient instituées en complément des directives européennes existantes.

L. Legrand - P. Leroy.

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