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Protection des ressources en eau vis-à-vis des pollutions diffuses : vers une nouvelle dynamique pour les captages d'eau potable

31 decembre 2009 Paru dans le N°327 à la page 71 ( mots)
Rédigé par : Boris DAVID, Marc ALARY et Marie RUAUD

L?emploi intensif d'engrais et de produits phytosanitaires depuis plus d'un demi-siècle a contribué à améliorer la productivité de l'agriculture européenne mais s'est accompagné de la dégradation des ressources en eau, notamment celles destinées à la production d'eau potable. Afin de renforcer la lutte contre les pollutions diffuses, la France s'est dotée d'un nouveau dispositif de protection des ressources en eau permettant la création de zones de protection des Aires d'Alimentation de Captage (AAC) d'eau potable, sur lesquelles doivent être mis en oeuvre des programmes d'action vis-à-vis des pollutions diffuses, notamment celles d'origine agricole. Dans le cadre du Grenelle de l'environnement, 507 captages prioritaires ont été identifiés sur le territoire national sur lesquels le nouveau dispositif devra être mobilisé en priorité.

Les pollutions diffuses affectant la qualité des eaux sont principalement dues à l’usage de produits phytosanitaires et de fertilisants azotés.

État des lieux

L’activité qui contribue le plus à la contamination des eaux est de loin l’agriculture puisque les activités agricoles représentent la vaste majorité des nitrates et des produits phytosanitaires utilisés en France. La situation est d’autant plus préoccupante qu’un grand nombre de captages d’eau potable se situe en zone rurale, souvent au sein de territoires faisant l'objet de fortes pressions agricoles. D’après les statistiques du Service de l’observation et des statistiques de l’environnement (SOeS), la qualité en nitrates des eaux brutes superficielles s’est dégradée de façon constante entre le début des années 1970 et la fin des années 1990 et tend à se stabiliser depuis. Aujourd’hui, la France apparaît coupée en deux, comme l’illustre la figure 1, avec une qualité plutôt médiocre (malgré une évolution en baisse) pour les cours d’eau sur le quart nord-ouest, et une qualité plutôt bonne (malgré une évolution en hausse) sur le reste du territoire excepté pour les régions de culture intensive du Sud-Ouest. Pour les eaux souterraines, toujours selon le SOeS, on observe le même découpage géographique que les cours d’eau : les eaux souterraines du quart nord-ouest de la

Évolution des nitrates sur la période 1998-2007

[Photo : Figure 1 : Évolution des nitrates par bassin sur la période 1998-2007.]

France montrent des teneurs en nitrates plus élevées et ont connu entre 1992 et 2001 une augmentation de plus de 5 mg/l en moyenne de leur teneur en nitrates. En 2006, 10 % des points du réseau de connaissance générale se situaient au-dessus des 50 mg/l. Pour mémoire, le fond géochimique des eaux souterraines pour le nitrate est estimé entre 5 et 25 mg/l, une valeur moyenne de 10 mg/l étant généralement admise comme témoignant de l'absence de fertilisation. En ce qui concerne les pesticides, 25 % des points du réseau de connaissance générale sont classés en qualité mauvaise ou médiocre (cf. figure 2). La concentration en produits phytosanitaires en l’absence d’activité anthropique est évidemment nulle puisque les pesticides sont des produits de synthèse.

Quelques repères historiques

La préoccupation pour la protection des ressources en eau vis-à-vis des pollutions diffuses n’est pas récente à la fois en France et en Europe, comme l'illustre le tableau 1. Depuis le début des années 90 et notamment avec l'adoption par l'Union européenne de la Directive « Nitrates » en 1991, un certain nombre d'initiatives sur le plan local et national ont été menées pour protéger les ressources en eau avec plus ou moins de succès. Quelques exemples, parmi les opérations passées de lutte contre les pollutions diffuses les plus connues en France, sont présentés dans l’encadré 1. Malgré ces efforts, la France aura beaucoup de difficultés à se mettre en conformité avec les objectifs de la DCE puisque le premier état des lieux réalisé en 2004 indique que 50 à 75 % des masses d’eau superficielles et souterraines sont gravement dégradées, et que, dans l'hypothèse la plus optimiste, moins de 50 % des masses d'eau pourront atteindre le bon état écologique d'ici 2015. Selon le SOeS, l’évolution des nitrates doit impérativement être maîtrisée car ils sont responsables de plus du tiers des déclassements des masses d’eau en Loire-Bretagne et Adour-Garonne. Les Français sont d’ailleurs bien conscients des enjeux liés à l'usage intensif d’intrants puisque, selon la consultation nationale sur l'eau de 2008, les pollutions agricoles constituent leur préoccupation principale dans le domaine de l’eau (54 % contre 47 % pour les pollutions industrielles et 19 % pour les pollutions urbaines).

Le nouveau dispositif de protection des Aires d’alimentation de captages (AAC)

Afin d’apporter un nouvel élan à la lutte contre les pollutions diffuses dans les eaux et notamment celles utilisées pour l’ali-

Tableau 1 : Historique de la lutte contre les pollutions diffuses d'origine agricole

1975Adoption d'une directive européenne qui limite le taux de nitrates à 50 mg/l dans les eaux de surface destinées à la production d'eau potable
1984Création du Comité d’orientation pour des pratiques respectueuses de l’environnement (CORPEN)
1991Adoption de la Directive « nitrates »
Lancement des opérations Ferti-Mieux
Adoption de la Directive « produits phytosanitaires » (homologation et mise sur le marché)
1992Réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) : introduction des mesures agro-environnementales
Programme de maîtrise des pollutions agricoles (PMPOA). Ce programme accorde des aides financières aux éleveurs pour financer des ouvrages de stockage, l'imperméabilisation d'aires bétonnées, la séparation des eaux pluviales et des eaux souillées.
Définition du code des bonnes pratiques agricoles dans le cadre de la Directive « Nitrates »
Création de l'association interprofessionnelle « Forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement » (FARE)
1995« Bretagne Eau Pure » Ce programme multipartenarial de reconquête de la qualité de l'eau spécifique à la Bretagne visait à l'origine à lutter contre la pollution par les nitrates. Ses objectifs ont été élargis à d'autres types de pollutions (notamment phytosanitaires) et à l’ensemble des acteurs agricoles ou non agricoles.
1997Définition des zones vulnérables dans le cadre de la Directive « Nitrates »
1999Réforme de la PAC et création du second pilier qui concerne le développement rural
Mise en place des Contrats territoriaux d’exploitation (CTE)
Mise en place du plan national phytosanitaire qui préconise la délimitation de bassins versants prioritaires où des actions visant à réduire les pollutions d'origine phytosanitaire doivent être conduites.
2000Lancement des opérations PhytoMieux, analogues aux opérations Ferti-Mieux.
Mise en place de la Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour les produits phytosanitaires
Mise en place des Contrats d’agriculture durable (CAD) en remplacement des CTE
2002PMPOA 2
Initiation de la démarche Re-Sources
2003Réforme de la politique agricole commune avec l’accord de Luxembourg : introduction de la conditionnalité environnementale
Fin des opérations Ferti-Mieux et début des opérations AgriMieux
2006Création du Plan végétal environnement (PVE)
Adoption de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) et de son article 21 concernant les Aires d’Alimentation des Captages (AAC)
2008Grenelle de l’environnement : le dispositif de protection des alimentations d’aire de captage doit être mobilisé en priorité pour les 507 captages prioritaires menacés par des pollutions diffuses d'origine agricole
Lancement d’Ecophyto 2018
[Photo : Figure 2 : Qualité des eaux souterraines vis-à-vis des pesticides dans les réseaux de connaissance générale et les réseaux phytosanitaires en 2006. Sources : Agences de l’eau – Conseils généraux – DIREN, DRAF, SRPV – Traitement SOeS. Qualité SEQ et nombre de points concernés : Réseaux de connaissance générale – Point sans quantification (711) – Bonne (420) ; Réseaux de connaissance physico-chimique (SEQ-PC) – Excellente (86) – Mauvaise (19)]

En matière d’alimentation en eau potable, la France s’est récemment dotée d’un nouveau dispositif réglementaire de protection des ressources en eau à travers l’article 21 de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 novembre 2006 (LEMA) (codifié par l’article L.211-3, II-5° du code de l’environnement) et le décret d’application du 14 mai 2007 concernant les Zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE) (codifié dans le code rural par les articles R.114-1 à R.114-10). Ce nouveau dispositif permet la délimitation de zones de protection des Aires d’alimentation de captage (AAC) d’eau potable, sur lesquelles seront mis en œuvre des programmes d’action vis-à-vis des pollutions diffuses, notamment celles d’origine agricole. Ce dispositif répond aussi à certaines exigences de la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) qui fixe comme objectif l’atteinte du bon état des masses d’eau à l’horizon 2015. La démarche de protection des captages telle qu’elle est détaillée dans la circulaire du 30 mai 2008 s’articule en trois phases :

  • • Phase 1 : étude et délimitation de l’AAC, zonage de la vulnérabilité,
  • • Phase 2 : diagnostic territorial des pressions,
  • • Phase 3 : définition et mise en œuvre du programme d’action.

La mise en œuvre de la démarche de protection des AAC selon le dispositif ZSCE nécessite en premier lieu l’identification d’un maître d’ouvrage, généralement une collectivité territoriale, un groupement de collectivités ou syndicat mixte, chargé du bon déroulement des différentes phases. Le maître d’ouvrage peut ensuite faire appel à des prestataires externes pour réaliser certains aspects de la démarche (études, animation et suivi du programme d’action). Un Comité de pilotage est généralement formé pour assurer le suivi du projet.

Des études pour mieux cibler la zone d’action

Un des principaux apports du nouveau dispositif réglementaire de protection des AAC est de distinguer la zone porteuse d’un enjeu environnemental et la zone de protection sur laquelle le programme d’action doit être appliqué. Cette distinction implique la réalisation de deux phases d’études distinctes :

  1. 1. Délimitation de l’AAC (c’est-à-dire les surfaces sur lesquelles l’eau qui s’infiltre ou ruisselle participe à l’alimentation du champ captant) et zonage de la vulnérabilité intrinsèque de l’AAC (voir exemple figure 3). Un guide méthodologique applicable aux bassins d’alimentation des captages d’eau souterraine a été publié par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM).
[Encart : texte : Encadré 1 : Quelques exemples d’opérations antérieures Les opérations Ferti-Mieux et Agri-Mieux Ferti-Mieux est une opération nationale de lutte contre la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole par l’amélioration des pratiques de fertilisation. Lancée en 1990 à l’initiative du ministre de l’Agriculture, elle consiste en la labellisation d’opérations locales de conseil aux agriculteurs. Les conseils collectifs prodigués dans le cadre de Ferti-Mieux visent en particulier à : • limiter la surfertilisation azotée des cultures, • promouvoir le fractionnement de la fertilisation azotée, • réduire la proportion de sols laissés nus l’hiver, • améliorer l’utilisation des effluents agricoles. L’application des conseils Ferti-Mieux est censée avoir un impact positif sur le milieu sans pour autant entraîner une baisse de revenus pour l’exploitant agricole. Chaque opération Ferti-Mieux est portée par un Comité de pilotage (COPIL) local mobilisant les acteurs agricoles et de l’eau ainsi que les associations de défense de l’environnement. Ce COPIL est le garant de la concertation et de l’engagement des différents partenaires. Il est appuyé par un Comité technique local qui est chargé de la définition et de la diffusion des conseils agricoles. Les agriculteurs sont libres d’appliquer ou non les conseils prodigués. En février 1998, 54 opérations étaient labellisées. Le nombre des agriculteurs engagés était d’environ 25 000 sur une superficie de 1 500 000 hectares. Lorsque l’opération Ferti-Mieux s’est achevée en 2003 dans toute la France, les régions Lorraine et Alsace ont décidé, en concertation avec l’Agence de l’eau Rhin-Meuse, de mettre en place un dispositif régional appelé Agri-Mieux pour relayer les opérations Ferti-Mieux. Ce dispositif régional reprend les principes de Ferti-Mieux et concerne non seulement la problématique nitrates mais aussi celle des produits phytosanitaires. Les opérations Re-Sources La démarche Re-Sources est née du constat d’une ressource fortement dégradée et d’un usage de l’eau potable menacé par les pollutions diffuses d’origine agricole en Poitou-Charentes. L’initiative concerne actuellement 15 bassins d’alimentation de captage pilotes et fait partie du Contrat de projets État-Région 2007-2013. Elle est assez proche du nouveau dispositif réglementaire car elle comporte un certain nombre d’étapes en commun avec la démarche de protection des AAC : • engagement du porteur de projet, • recrutement d’un animateur et constitution du Comité de pilotage, • état des lieux, diagnostic et élaboration d’un plan d’action collectif, • mise en œuvre des actions, des expérimentations et de leur suivi, • évaluation du programme. Les mesures agricoles des plans d’action collectifs des opérations Re-Sources peuvent en outre bénéficier des financements du PDRH, ce qui est le cas de certains captages prioritaires du Grenelle.]
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Tableau 2 : Les différentes mesures composant le programme d’action du 14 mai 2007 pour les AAC

Les différentes catégories de mesures du décret Exemples concrets de ces mesures
Couverture végétale du sol, permanente ou temporaire • Remise à l'herbe de parcelles• Enherbement des interrangs• Mise en place de cultures intermédiaires piège à nitrates (CIPAN)
Travail du sol, gestion des résidus de culture, apports de matière organique favorisant l'infiltration de l'eau et limitant le ruissellement • Achat d’une désherbineuse grâce à la mobilisation du Plan végétal environnement (PVE) pour diminuer l'usage de produits phytosanitaires grâce à un désherbage en partie mécanique• Analyse des résidus de culture• Réalisation de plans de fumure
Gestion des intrants, notamment des fertilisants, des produits phytosanitaires et de l'eau d’irrigation • Substitution moléculaire• Réduction et fractionnement des doses• Mesures agroenvironnementales territorialisées (MAET) FERTI et PHYTO
Diversification des cultures par assolement et rotations culturales • Mesure agroenvironnementale (MAE) « rotationnelle » qui augmente le temps de retour d'une même culture et diversifie les assolements
Maintien ou création de haies, talus, murets, fossés d'infiltration et aménagements ralentissant ou déviant l’écoulement des eaux • Mise en place de bandes enherbées

et Minières (BRGM) afin de fournir une trame méthodologique commune pour cette phase de la démarche.

2. Diagnostic territorial des pressions, notamment des pressions agricoles.

Ce diagnostic caractérise à l’échelle du territoire les pratiques et permet d’identifier et de spatialiser les pratiques à risques au regard des enjeux environnementaux.

C'est la confrontation des caractéristiques physiques de l'AAC, notamment en termes de vulnérabilité, et des pressions dues aux activités humaines à l'issue des phases 1 et 2 qui permet de définir la zone stratégique sur laquelle la protection doit être localisée en particulier. Les zones à forte vulnérabilité et subissant des pressions fortes représentent en effet des zones d'action particulièrement pertinentes pour mettre en œuvre des mesures de protection. La compilation des résultats des deux phases d'études permet donc de cibler les zones d'action où la mise en œuvre de mesures de protection des ressources en eau sera la plus efficace et ainsi de concentrer les moyens financiers sur les zones particulièrement sensibles. Cette spécificité du nouveau dispositif devrait ainsi contribuer fortement à améliorer l’efficacité des actions de protection des ressources en eau.

Au cœur du dispositif : le programme d'action

Le programme d'action qui découle des études reste le cœur du dispositif de protection des ressources en eau. Chaque plan d'action se définit par la combinaison de mesures spécifiques à la problématique de l’AAC concernée et se fait en cohérence avec les dispositions du Schéma directeur d’aménagement et de gestion de l’eau (SDAGE). L'article R.114-6 du code rural, créé par le décret du 14 mai 2007, explicite les différentes mesures que les propriétaires fonciers et les exploitants agricoles peuvent adopter (cf. tableau 2).

Les mesures disponibles pour rendre opérationnel le programme d'action doivent s'inscrire autant que possible dans le cadre du Plan de développement rural hexagonal (PDRH). Le PDRH émane du second pilier de la Politique agricole commune (PAC), qui vise à promouvoir la multifonctionnalité de l'agriculture et le développement des territoires ruraux. Le plan végétal environnement (PVE), les mesures agro-environnementales (MAE) ainsi que la mesure « préservation et mise en valeur du patrimoine naturel » sont les mesures du PDRH les plus mobilisées en vue de la reconquête de la ressource en eau. Le PVE est une aide qui porte sur l'investissement de matériel agricole permettant une utilisation moindre d'intrants. La contractualisation d’une MAE engage les agriculteurs à adopter sur une surface donnée des pratiques agricoles plus respectueuses de l'environnement pour une durée de cinq ans moyennant une rémunération qui permet de compenser les surcoûts et les manques à gagner liés à la mise en œuvre d'itinéraires techniques et de pratiques plus respectueuses de l’environnement. Quant à la mesure « préservation et mise en valeur du patrimoine naturel », elle concerne entre autres le financement de l’animation nécessaire en vue de la mise en place de MAE à l’échelle d'un territoire.

Une fois les actions de protection des ressources définies en fonction des problématiques de l’AAC, le programme d'action liste les mesures ou les aménagements nécessaires à l'atteinte des objectifs environnementaux. Sa rédaction se fait généralement en concertation avec le maître d’ouvrage et la proposition est ensuite étudiée et adaptée si besoin par le Comité de pilotage. Une fois approuvé, le programme d’action est officiellement établi à travers un arrêté préfectoral. Cet aspect du nouveau dispositif est intéressant car il permet d’officialiser

[Photo : Figure 3 : Délimitation de l’AAC du SIAEP de la région d’Angerville et zonage de la vulnérabilité.]
[Encart : Les sources de Gorze : exemple d'un programme d'action Ferti-Mieux puis Agri-Mieux Les sources de Gorze alimentent la ville de Gorze et une partie de la ville de Metz. Ces sources ont connu dans les années 90 des dépassements importants du seuil de 50 mg/l de nitrates et des dépassements ont aussi été observés au début des années 2000 pour la déséthylatrazine. La mise en œuvre d'une opération Ferti-Mieux a été confiée à la Chambre d'agriculture de la Moselle par la ville de Metz et l'Agence de l'eau Rhin-Meuse à partir de l'année 1992. En 2003, lorsque l'opération nationale Ferti-Mieux s'est achevée, la région Lorraine et l'Agence de l'eau ont mis en place un dispositif régional appelé Agri-Mieux relayant les opérations Ferti-Mieux. La démarche de protection des sources de Gorze est actuellement toujours en cours et concerne 48 agriculteurs. L’adhésion aux opérations Ferti-Mieux repose entièrement sur le volontariat et les actions mises en œuvre pour protéger la ressource sont principalement basées sur le conseil. Il peut s'agir de conseils individuels (réalisation de plans de fumure, suivi de parcelles, gestion de parcelles...) ou de conseils collectifs (diffusion de notes techniques et de notes d'information, tenue de réunions d'hiver et d'animations de terrain). La nécessaire adéquation entre les conseils prodigués et le contexte local est passée par la mise en place d'un réseau de suivi du développement des cultures afin d'optimiser les périodes de fertilisation. Un site de démonstration de 14 couverts d'interculture a aussi été créé pour promouvoir les Cultures intermédiaires pièges à nitrates (CIPAN). Parallèlement à ces actions menées par la Chambre d'agriculture, une MAE « réduction d’intrants azotés » a été mise en place entre 1996 et 2001 sur 85 % des surfaces cultivées sur le bassin d’alimentation des sources. Cette MAE a consisté à réduire de 20 % la dose d'azote raisonnée, à couvrir le sol en hiver et à mettre en place des plans de fumure ; la compensation était d’environ 150 €/ha. En 2002, quelques Contrats territoriaux d’exploitation (CTE) ont ainsi été signés pour les sources de Gorze. La mise en place du programme d'action a porté ses fruits comme l'illustre la figure 1. Entre 1992 et 1996, les teneurs en nitrates ont commencé à se stabiliser pour les deux sources. La mise en place de la MAE « réduction d'intrants azotés » entre 1996 et 2001 a entraîné une baisse significative des teneurs en nitrates. À partir de 2001, fin de la MAE, les teneurs en nitrates ont eu tendance à se stabiliser voire à augmenter de nouveau sans toutefois dépasser les seuils de conformité comme au début des années 1990. L'observation de tels résultats tient en partie à la faible inertie de l'hydrosystème. Plusieurs facteurs expliquent le succès de cette opération Ferti/Agri-Mieux. Tout d'abord, l'implication de la ville de Metz et de la commune de Gorze a été forte lors de l'initiation de la démarche et de la sensibilisation des acteurs locaux à la protection de la ressource en eau. Les conseils agricoles prodigués ont été adaptés très précisément au contexte local et les techniciens de la Chambre d'agriculture ont bénéficié d'une forte confiance de la part des agriculteurs. La contractualisation de la MAE par une majorité des exploitants agricoles a en outre permis de modifier plus en profondeur les pratiques agricoles. Aujourd'hui, les conseils prodigués dans le cadre de l'opération Agri-Mieux ne se limitent plus à la fertilisation mais aussi à l'utilisation des produits phytosanitaires.]
[Photo : Figure 1 - Évolution de la teneur mesurée en nitrates des sources de Gorze]

L'existence du programme d'action, lequel reste le principal levier pour améliorer la qualité des ressources en eau en pratique, comme l'illustre bien l'encadré 2.

[Encart : Le contentieux nitrates La France aurait dû se plier depuis 1987 à la Directive n° 75/440/CEE du 16/06/75 concernant la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production d’eau alimentaire dans les États membres (abrogée par l'article 22 de la DCE de 2000), limitant le taux de nitrates à 50 mg/l dans les eaux de surface destinées à la production d'eau potable. Le 8 mars 2004, la Cour de justice des Communautés européennes condamne la France pour non-respect de la directive au triple motif de : - la non-conformité de la qualité des eaux bretonnes en matière de nitrates, - l'absence de notification d’un plan d'action organique, et - l'absence de plans de gestion de la ressource sur les prises d’eau en situation de dépassement. La France réagit à partir de 2003 et prend des mesures qui ne suffisent pas à restaurer la qualité sur 15 des 29 rivières concernées par la plainte initiale, ce qui amène la Cour européenne de justice à menacer de sanctions financières en 2007. Suite à cette décision, la France augmente ses efforts et publie le décret n° 2007-1281 du 29 août 2007 « relatif à certaines zones de protection des aires d'alimentation des captages ». Celui-ci impose aux exploitations agricoles des bassins versants bretons non conformes la réduction des épandages d'azote. La fermeture de 4 captages en Bretagne est également décidée. Devant ces efforts, l'Europe décide de suspendre sa décision mais reste vigilante quant aux résultats.]

Une nouveauté : l'obligation de résultats

Une autre particularité importante du nouveau dispositif est la possibilité qu’a le préfet de rendre obligatoire la mise en œuvre de certaines mesures de prévention passé un délai donné après la publication du programme d'action, lorsque les moyens mis en œuvre par les différents acteurs sont jugés insuffisants par rapport aux objectifs initialement fixés. Cette décision se concrétise par la promulgation d'un nouvel arrêté préfectoral rendant obligatoire tout ou partie du programme d'action en vigueur. Hormis le cas des sites bretons concernés par le contentieux nitrates (cf. encadré 3) et pour lesquels des programmes d'action ont été rendus obligatoires, mais dans un cadre antérieur au dispositif ZSCE, il est encore trop tôt pour apprécier comment cette nouvelle disposition sera appliquée en pratique. Il est néanmoins probable que les 507 captages prioritaires identifiés dans le cadre de la loi « Grenelle 1 », sur lesquels le dispositif ZSCE doit être mobilisé en priorité pour que soient définis puis mis en œuvre les programmes d'action d’ici 2012, soient les premiers à faire l'objet d'une telle mesure.

Lorsqu’un programme d'action est rendu obligatoire par arrêté préfectoral, il n’est plus possible de mettre en œuvre sur le territoire des mesures répondant aux mêmes enjeux et dont le niveau d’exigence ne dépasserait pas celui des prescriptions définies par l’arrêté. Les exploitants agricoles doivent alors se soumettre au plan d'action défini auparavant et peuvent être contrôlés sur la base des indicateurs de mise en œuvre des mesures du plan d’action. En outre, l'article R114-10 du Code rural établit qu'une amende de 1 500 € est prévue pour les propriétaires ou les exploitants qui ne respectent pas les mesures d'un programme d'action rendu obligatoire. En cas de récidive, le montant de l'amende est doublé.

Au-delà du dispositif réglementaire : quelques facteurs de succès

L’implication des acteurs locaux

L’implication des acteurs locaux est une condition essentielle du succès d’une démarche de protection de la ressource en eau. L’implication des collectivités locales est notamment indispensable. En effet, ce sont les élus locaux qui sont responsables de porter politiquement le projet de protection de la ressource au sein de leur territoire et de convaincre leurs adminis-

[Encart : texte : Des solutions alternatives pour pérenniser les démarches de protection des ressources en eau L'acquisition foncière par la collectivité locale d'un certain nombre de parcelles situées sur l'AAC est une autre façon d'assurer la pérennité du dispositif. L'acquisition foncière peut avoir lieu dès la mise en place du plan d'action ou progressivement en fonction des opportunités d'achat. Les démarches foncières étant relativement longues, il peut être judicieux de mettre en œuvre des mesures compensatoires pour trouver par la suite une solution foncière qui convient au plus grand nombre. La collectivité ayant acquis des parcelles peut ensuite louer ou mettre gratuitement à disposition le terrain agricole sous réserve du respect d'un cahier des charges visant à la protection pérenne de l'AAC. L'acquisition collective de matériel agricole permettant de changer la nature des pratiques agronomiques sans aller à l'encontre de l'intérêt des exploitants est une autre façon de tendre vers la pérennisation de la reconquête de la qualité de l'eau. L'exemple du captage de la Beaumette dans le Doubs où une désherbineuse a été achetée par le Syndicat des eaux de la vallée du Rupt afin de réduire les doses de produits phytosanitaires sur les parcelles de maïs en est une bonne illustration. Le coût de la prestation étant pris en charge par le Syndicat des eaux, les agriculteurs sont censés ne pas subir de perte de revenus. La pérennisation peut également être assurée par la poursuite des financements agroenvironnementaux en répercutant sur le prix de l'eau les coûts générés par la démarche. En effet, certaines collectivités prennent directement en charge le financement de la protection des AAC sans passer par les schémas de financement nationaux ou communautaires tels que le PDRH. Certains auteurs considèrent que ces contrats passés entre collectivités et agriculteurs sont équivalents à un achat de service de non-pollution de l'eau et utilisent l'expression « arrangement coopératif » pour désigner ce type d'accord (Barraqué, 2008). Lorsqu'un arrangement coopératif est envisagé, la collectivité doit cependant veiller à la compatibilité de son projet avec les règles communautaires qui garantissent le respect du principe de libre concurrence et doit notifier son projet au niveau communautaire.
[Photo : Désherbineuse] ]

très de la pertinence de cette démarche. L'adhésion et la participation des agriculteurs à la mise en œuvre du plan d'action est aussi décisive, à défaut, la démarche est souvent vouée à l'échec. Dès le départ, un dialogue doit s'établir entre d'un côté tous ceux, agriculteurs, industriels, particuliers, qui doivent faire évoluer leurs pratiques selon la feuille de route établie dans le programme d'action, et de l'autre, les élus qui sont responsables de porter politiquement le projet au sein de leur territoire.

Certaines collectivités ne disposent pas en interne des ressources nécessaires pour le suivi de la démarche de protection des captages (montage des cahiers des charges, recherche de financements, participation au pilotage technique des opérations, ingénierie de projet...). C'est le cas en particulier des petites communes et des syndicats ruraux dont les moyens humains et techniques pour faire face à une telle démarche sont souvent limités. Dans un tel contexte, des partenariats avec des structures spécialisées, publiques ou privées (association, délégataire, chambre d'agriculture, bureau d'études, ...), peuvent être développés dans le cadre d'une assistance à maître d'ouvrage. Cette expertise mise à disposition des collectivités doit permettre à celles-ci d'assurer leur rôle essentiel au sein de la reconquête de la qualité de l'eau. À Gorze, par exemple, Veolia Eau est fortement impliqué dans la démarche de protection des sources de la ville, via sa filiale la Mosellane des Eaux, laquelle participe à des actions de reconquête de la qualité de l'eau, assiste aux Comités de pilotage et a mis en place un réseau de surveillance de la nappe de Gorze.

Un équilibre entre conseil agricole et mesures compensatoires

Les actions de support pures, basées sur du conseil agricole et le raisonnement agronomique des pratiques, ne sont en général pas suffisantes à elles seules pour parvenir à une réelle amélioration de la qualité de l'eau. Il est en effet difficile de faire concorder les pratiques courantes des exploitants avec les exigences de protection de la ressource sur la seule base du volontariat et de l'optimisation agronomique. Aussi, la mise en œuvre de MAE pour lesquelles les agriculteurs reçoivent une compensation financière proportionnelle aux efforts consentis est une incitation pour entreprendre rapidement des changements de pratiques grâce à la partie compensatoire du contrat environnemental. La contractualisation de mesures compensatoires doit cependant être accompagnée d'un suivi régulier et/ou d'une formation afin d'être la plus efficace possible. Or, le PDRH comprend à la fois des financements pour les MAE et des financements liés à l'animation des MAE (conseil, formation, suivi) ; le financement des plans d'action via le PDRH semble donc permettre de combiner conseil agricole et mesures compensatoires.

La pérennité de la reconquête de l'eau

Un des enjeux les plus cruciaux de la démarche de protection des AAC consiste à veiller à ce que les efforts réalisés pour l'obtention d'une meilleure qualité de l'eau perdurent au-delà des premières années de mobilisation. Les retours d'expérience chez Veolia, comme dans le cas de Gorze, illustrent souvent l'importance du système de suivi de la qualité de l'eau qui permet de valoriser les efforts des acteurs du programme d'action et d'encourager à la poursuite des mesures. Mais la tentation de cesser d'appliquer les mesures du plan d'action dès que les compensations financières s'arrêteront risque d'être forte (pour les MAE actuelles, la durée de compensation est de 5 ans). Afin d'éviter cette situation qui aboutirait systématiquement à l'inefficacité de la démarche, d'autres solutions peuvent être envisagées (cf. Encadré 4).

Vers une nouvelle dynamique ?

Le nouveau dispositif de protection des AAC décrit ci-dessus donne un nouvel élan à la reconquête de la qualité des ressources en eau en France, notamment celles utilisées pour la production d'eau potable. Même s'il reste en contradiction avec le principe du « pollueur-payeur », le dispositif semble plutôt prometteur puisqu'il propose une approche à la fois structurée sur le plan technique et relativement complète sur le plan des instruments de politique environnementale mis en œuvre (cf. Encadré 5).

D'un point de vue technique, le dispositif de protection des AAC permet notamment de bien cibler une zone d'action en fonction des caractéristiques physiques du milieu et des pressions exercées par les activités agricoles. Cela permet de concentrer les efforts de protection et évite ainsi que des actions soient mises en œuvre sur des zones où le risque de contamination de la ressource par les pollutions diffuses agricoles est faible. D'un point de vue des instruments, la principale nouveauté du dispositif réside dans la possibilité de rendre la démarche obligatoire lorsque les moyens

[Encart : texte : Encadré 5 : Les différents types d’instruments de politique environnementale Les instruments de politique environnementale sont des mesures institutionnelles dont le rôle est de susciter chez les pollueurs un comportement ayant moins d'impacts sur le milieu. On distingue classiquement deux catégories d'instruments : les « instruments réglementaires » et les « instruments économiques ». Les autres instruments qui n’entrent pas dans ces deux catégories seront regroupés dans la catégorie « instruments hétérogènes ». Les instruments réglementaires comprennent, par exemple, les normes d’émissions, les normes de techniques et de pratiques, et les procédures d'autorisation administrative de mise sur le marché. Ils visent à contraindre le comportement des pollueurs sous peine de sanctions administratives ou pénales. L'efficacité de ces instruments dépend très fortement de l'efficacité des contrôles mis en œuvre. Le dispositif de protection des aires d’alimentation de captage vis-à-vis des pollutions diffuses d'origine agricole combine trois instruments de politique environnementale distincts (cf. Figure 1) : - Un instrument réglementaire : les normes de techniques et de pratiques - Un instrument économique : les subventions - Un instrument hétérogène : le conseil et l'information. Les deux derniers instruments ont déjà été couramment utilisés dans des démarches de protection de la ressource antérieures. Il est par contre assez novateur de mobiliser un instrument réglementaire pour la protection des aires d’alimentation de captage vis-à-vis des pollutions diffuses d'origine agricole. Les instruments économiques comprennent, par exemple, les écotaxes et les subventions. Ils visent à modifier les coûts et les bénéfices du pollueur via des signaux prix pour l'inciter à l'adoption de comportements moins polluants. Les instruments économiques ne sont pas nécessairement volontaires et peuvent comporter un élément de contrainte. Les instruments hétérogènes comprennent, par exemple, le conseil et l'information, les contrats et les labels. Ils visent à modifier les coûts et les bénéfices du pollueur via des signaux informationnels pour l'inciter à l'adoption volontaire de comportements moins polluants. ]
[Figure : Les instruments de politique environnementale mobilisés dans le dispositif de protection des AAC]

mis en œuvre sont jugés insuffisants. Dans ce cas c’est l'instrument de « contrainte », principalement à travers la réglementation et la prescription, qui deviendra prépondérant. Plus de recul est cependant nécessaire pour apprécier comment cette disposition novatrice sera mise en œuvre en pratique.

Plus généralement, il reste encore à déterminer si le nouveau dispositif des protections des AAC présenté ci-dessus est capable de lever d'autres points de blocage identifiés à partir des nombreux retours d'expérience aujourd'hui disponibles sur les démarches de protection des ressources en eau vis-à-vis des pollutions diffuses, comme par exemple :

- Le possible refus d’une partie des exploitants agricoles de prendre part à une démarche volontaire entraînant le changement de leurs pratiques.

- L'incertaine efficacité des opérations menées malgré les efforts importants consentis par les acteurs.

- L'impossibilité de contractualiser des MAE compte tenu de l’éventuelle incertitude foncière et de l'incompatibilité entre le dispositif des MAE et les caractéristiques territoriales.

- L'importance des coûts à la charge de la collectivité et l'incertitude quant à la pérennité des aides des partenaires financiers.

- L'arrêt brutal des aides compensatoires aux exploitants agricoles au terme du contrat.

- Les différences de point de vue qui peuvent exister entre les acteurs impliqués dans la démarche de protection des AAC.

[Encart : texte : Références bibliographiques - Site internet de l'IFEN, http://www.ifen.fr/acces-thematique/eau/les-pesticidesdans-l'eaux.html - IFEN (2006) - Synthèse IFEN 2006 sur la qualité de l'environnement en France. P. 208-214 - A propos : « Consultation nationale sur l’eau 2008 : synthèse nationale des synthèses par bassin ». Agences de l'eau et Ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, 18 mars 2009. - BRGM (2007) : « Délimitation des bassins d'alimentation des captages et cartographie de leur vulnérabilité vis-à-vis des pollutions diffuses », guide méthodologique - BURGEAP (2008) : « Étude du bassin d’alimentation des forages de Crévecoeur et du Pithale et des différentes origines de pollution », rapport final - B. Barraqué (2008) : « Les arrangements coopératifs entre services publics d'eau potable et agriculteurs ». La Houille blanche, n° 6. - P. Viennot, E. Ledoux, J.-M. Monget, C. Schott, C. Garnier et N. Beaudoin (2009) - La pollution du bassin de la Seine par les nitrates. Programme de recherche PIREN-SEINE. 41 p - Décret d’application du 14 mai 2007 concernant les Zones soumises à contraintes environnementales - Circulaire d'application du décret ZSCE du 30 mai 2008 ]
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