Compte tenu de leur qualité et de leur enthalpie, les condensats présentent pour l’exploitant un grand intérêt économique. Leur récupération occasionne cependant des problèmes de corrosion générés par l’oxygène et le gaz carbonique qu’ils contiennent et des problèmes d’encrassement dus à l’introduction de fer et de cuivre en chaudière. Aussi, une mauvaise définition du traitement peut-elle se traduire par des coûts de maintenance prohibitifs. Une nouvelle méthodologie a donc été développée afin d’apporter une solution plus appropriée à ces problèmes de corrosion. Cette méthodologie (ou démarche Optimeen) ainsi que sa mise en application sur un site pétrochimique sont développées dans cet article. Afin de déterminer le potentiel de corrosion, l’étude prend en compte l’analyse de l’eau et les caractéristiques du système. L’objectif consiste à accroître la protection sur l’ensemble du réseau en essayant de réduire les coûts d’exploitation par le choix des matières actives ou par d’éventuelles modifications portant sur le fonctionnement même de l’unité.
La démarche Optimeen
La démarche Optimeen a pour but d’améliorer l’efficacité d’un traitement neutralisant. Par opposition à un conditionnement classique où le dosage d’amine est calculé en fonction de la quantité globale de CO₂, cette technique procède par étapes et vise à optimiser la protection en tout point du système. Elle consiste, après un diagnostic approfondi, à déterminer les points de condensation du CO₂ et à rechercher la formulation d’amines qui assure le meilleur contrôle du pH sur ces points critiques. La sélection de cette formulation sur mesure, plus performante dans ces conditions spécifiques d’exploitation, permet également de réduire la concentration en amine et, par conséquent, le coût de traitement.
Moyens mis en œuvre
Diagnostic et monitoring
Le diagnostic passe par la connaissance approfondie du système, à partir d’un schéma détaillé et par l’acquisition de données sur le fonctionnement de l’unité (pressions, température, débits, etc.).
Les analyses effectuées en différents points du réseau (pH, conductivité, millipores, fer, etc.) renseignent sur la qualité des condensats ; il est alors possible de calculer :
- • la répartition des phases vapeur et condensée ;
- • les gains éventuels liés à une amélioration du prétraitement ;
- • les pertes en amine entraînées par les purges ou évents ;
- • l’efficacité des diverses amines à partir des courbes de titration ;
- • la distribution du pH point par point et
L’existence possible de surdosage ou sous-dosage ;
• la stabilité du pH dans le temps à l’aide de programmes statistiques ;
• les courbes de « risques » :
— taux de corrosion en fonction du pH,— teneur en fer en fonction du pH,— coût du traitement en fonction du pH.
Le choix du traitement le mieux adapté repose sur des programmes d’analyse et de sélection.
Courbes de neutralisation
Les courbes de neutralisation montrent l’effet combiné du pouvoir neutralisant, de la basicité, de la concentration en CO₂ et du taux d’injection de l’amine.
En revanche, elles ne tiennent pas compte du coefficient de partage.
Les matières actives sont choisies parmi les plus performantes existant sur le marché. Les courbes de neutralisation apportent ainsi une preuve concrète de l’efficacité d’une formulation par rapport à une autre. Elles permettent en outre d’estimer les gains en fonction du niveau de pH souhaité et sont relativement simples à mettre en œuvre.
Programmes informatiques d’analyse et de sélection
Les programmes informatiques utilisés permettent de déterminer les conditions de pH à différents points du circuit des condensats.
Les prévisions sont faites à partir des caractéristiques de l’unité et celles des amines.
Deux programmes fonctionnent sur ce principe : Thermo et System.
Thermo : Ce programme calcule la distribution du CO₂, du sodium, de l’amine et autres éléments au cours d’une vaporisation ou d’une condensation (chaudière, ballon flash, dégazeur, condenseur, etc.). Il inclut également le calcul des titres dans les phases vapeur et condensée (pH, TA, TAC…). Les données à fournir sont : le type de chaudière, la pression, les débits, l’alcalinité, le type et la concentration d’amine injectée.
System : Ce programme calcule sur l’ensemble du système la distribution du CO₂ et de l’amine ainsi que l’alcalinité dans les phases vapeur et condensée.
Les données à fournir sont :
- — débits,
- — pressions,
- — taux de concentration en chaudière,
- — pourcentage flashé dans les ballons,
- — pourcentage de vapeur perdue au dégazeur et sur le réseau,
- — caractéristiques de l’eau d’appoint,
- — concentration des produits chimiques dans l’eau alimentaire.
En outre, ce programme nous apporte des renseignements complémentaires tels que :
- — la performance du dégazeur en fonction…
Tableau I
Comparaison des pH calculés à partir de la formulation actuelle et de celle préconisée sur la centrale
Liste des prélèvements effectués sur le réseau de la centrale*
Points | Nature de l’eau |
---|---|
1 | eau d’appoint |
2 | eau entrée dégazeur |
3 | eau alimentaire |
4 | eau entrée chaudière (eau alimentaire après conditionnement) |
5 | eau de chaudière |
*et le système HP : pH = 9,2 HP : pH = 9,5
Tableau II
Calibrage des injections en l/h sur le système haute pression pour atteindre un pH de
Formulations | pH = 9,2 | pH = 9,5 | |
---|---|---|---|
n° 1 | 4,34 | 20 | 0,78 |
n° 2 | 2,32 | 5,68 | 0,37 |
n° 3 | 3,55 | 8,99 | 0,55 |
n° 4 | 2,91 | 5,77 | 0,53 |
n° 5 | 0,56 | 1,52 | 0,44 |
n° 6 | 0,77 | 2,02 | 0,49 |
n° 7 | 2,88 | 6,28 | 0,42 |
n° 8 | 1,66 | 4,27 | 0,62 |
des conditions de marche (pression, vapeur à l’évent, etc.),
- — l’efficacité des différentes formulations en recherchant de lui-même le bon calibrage des pompes d’injection pour un objectif donné,
- — le bilan-matière en tenant compte des produits recyclés et, par itération, le nouvel équilibre des titres dans ces conditions.
Utilisation du traceur CDE 973
Le CDE 973 est une formulation contenant l’ensemble des amines figurant dans la gamme Optimeen. L’injection de ce produit permet d’en connaître le comportement. Elle doit avoir lieu après arrêt du traitement neutralisant en place. De plus, il faut s’assurer que toutes les amines précédemment injectées ont complètement disparu. La connaissance du temps de résidence dans le système est de ce fait nécessaire. Les points de prélèvement sont judicieusement choisis en fonction des zones « critiques ».
L’analyse des condensats par chromatographie permet alors d’identifier la ou les amines qui ont condensé, c’est-à-dire celles qui sont utiles pour la protection de la zone considérée. Celles que l’on ne retrouve pas dans l’échantillon seront écartées de la sélection.
Les objectifs sont les suivants :
- • améliorer la protection globale du système,
- • réduire l’injection d’amines et les coûts de traitement,
- • acquérir une meilleure connaissance du comportement des amines dans un système donné.
Préparation de l’étude : La préparation de l’étude commence par une connaissance approfondie du système de génération de vapeur et du réseau condensats (turbines, condenseurs, ballons flash, etc.). Il faut ensuite déterminer les points de condensation critiques par calcul du niveau de CO₂ sur le parcours des condensats et par vérification du profil de pH après arrêt du traitement neutralisant.
Les systèmes de prélèvement doivent être mis en place (avec refroidissement) selon les normes ASTM :
- © Débit : 500 ml/mn ;
- © Température : 25 °C ;
- © Métallurgie : inox 304-316 L ;
- © Contenants : flacons de 250 ml en polyéthylène ou polypropylène.
Méthodologie : L’injection du traceur s’effectue pendant 48 ou 72 heures dans l’eau alimentaire ou dans la vapeur. On suit alors la concentration en amine, le pH et la conductivité à chaque point de prélèvement. Ceci permet de déterminer le pourcentage d’amine condensée ou recyclée.
Les différentes étapes et la finalité de la démarche Optimeen peuvent être résumées selon le schéma porté sur la figure 1.
Mise en application de la démarche Optimeen sur un site pétrochimique
Compte tenu de la complexité du système de génération de vapeur et du réseau condensats dans le cas considéré, nous avons mis en place les moyens de diagnostic nécessaires à la sélection du programme de protection le mieux approprié. L’étude a porté sur une modélisation informatique de l’ensemble du système et sur le traçage des amines neutralisantes dans le réseau vapeur.
Tableau III
Mesures de pH et de conductivité effectuées sur le site
Points de prélèvements | Localisation | pH | Conductivité µS/cm |
---|---|---|---|
1 | eau déminée | 9,93 | 39 |
2 | eau d’appoint | 9,88 | 27 |
3 | eau alimentaire | 9,74 | 27 |
4 | vapeur avant surchauffe | 9,62 | 13 |
5 | vapeur après surchauffe | 9,48 | 16 |
6 | purge chaudière | 9,27 | 66 |
7 | vapeur : 21 b sortie turbine | 9,39 | 19 |
8 | vapeur : 3,5 b sortie turbine | 9,27 | 18 |
9 | condensats généraux | 9,18 | 15 |
10 | condensats internes | 9,37 | 20 |
11 | eau d’appoint | 9,39 | 32 |
12 | eau alimentaire | 9,36 | 18 |
13 | vapeur chaudière HP | 9,40 | 18 |
14 | purge chaudière HP | 9,34 | 6 |
15 | alim. ballon flash 5 | 9,20 | 22 |
16 | alim. ballon flash 5 | 9,19 | 18 |
17 | tête ballon flash 5 | 9,21 | 20 |
18 | fond ballon flash 5 | 9,19 | 18 |
19 | alim. ballon flash 4 | 9,20 | 18 |
20 | fond ballon flash 4 | 9,19 | 19 |
21 | tête ballon flash 4 | 9,20 | 18 |
22 | vapeur : 3,5 b | 8,97 | 22 |
Tableau IV
Traçage des amines neutralisantes dans le réseau vapeur
Points de prélèvement | Situation | A | B | C | D | E | F |
---|---|---|---|---|---|---|---|
10 | condensats internes | 2,6 | 4 | 3,2 | 3,8 | 3,2 | 3,4 |
3 | eau alimentaire | 2,2 | 2,8 | 3,1 | 3,3 | 3 | 2,9 |
Pourcentage d’amine récupéré (en %) | 73 | 86 | 77 | 82 | 83 | 86 |
Tableau V
Points de prélèvement | Situation | A | B | C | D | E | F |
---|---|---|---|---|---|---|---|
18 | retour condensats | 1,5 | 1,8 | 1,7 | 1,7 | 1,2 | 1,4 |
12 | eau alimentaire | 3,1 | 3,2 | 3 | 3,1 | 3 | 3,2 |
Pourcentage d’amine récupéré (en %) | 48 | 56 | 57 | 55 | 39 | 44 |
Tableau VI
Points de prélèvement | Situation | A | B | C | D | E | F |
---|---|---|---|---|---|---|---|
14 | purge chaudière | 8,1 | 2,1 | 2,5 | 2,6 | 0,5 | 0,9 |
Les objectifs de cette étude sont les suivants :
- — améliorer la protection globale du réseau par un meilleur équilibre des pH,
- — essayer de réduire les injections et, par conséquent, le coût de traitement,
- — apporter une meilleure compréhension du comportement des amines,
- — trouver une solution qui assure en même temps le maintien de l’alcalinité sur le réseau condensats et en chaudière haute pression.
Caractéristiques du système
L’unité se compose de deux parties distinctes : une centrale vapeur et un système comprenant des générateurs haute pression avec turbine, ballon flash et rebouilleurs (figure 2).
L’eau d’appoint est la même pour les deux réseaux ; déminéralisée avec finition sur « mixed bed ».
Sur la centrale, la pression des chaudières est de 65 bars et le retour condensats d’environ 85 %, dont 56 % en provenance même de cette centrale. Sur le réseau HP, la pression est de 105 bars et le retour condensats de 20 %.
Les titres de l’eau d’appoint sont les suivants : pH : 7 — TA : 0 — TAC : 0,1 — résistivité : 2 mΩ.
Simulation informatique
Des calculs informatiques ont tout d’abord été effectués afin de simuler les titres et le comportement des amines sur l’ensemble du réseau.
La première partie des calculs concerne le système de générateurs haute pression. Dans ce cas, la priorité consiste à maintenir un pH correct dans les chaudières. Le programme va donc indiquer le dosage d’amine à mettre en œuvre afin d’élever le pH à 9,2 puis à 9,5. Les concentrations et titres en alcalinité sont mentionnés en tout point du circuit. Comme l’objectif prioritaire concerne le pH en chaudière, l’alcalinité en phases vapeur et condensée découle de ce premier paramètre. Elle se situe toutefois largement au-dessus du minimum requis sur un réseau condensats (pH > 8,5). En outre, le recyclage (avec apport d’amine) en provenance de la centrale (50 t/h sur réseau 16 bars + 20 t/h utilités) n’a pas été pris en considération.
La deuxième partie des calculs concerne la centrale. Dans ce cas, les injections ont été calibrées pour atteindre un pH de 8,5 dans les condensats. Nous avons pris en considération le recyclage d’amines en provenance du système haute pression car il intervient au départ du réseau vapeur. Il s’agit de 120 t/h de vapeur (détendue à 65 bars) arrivant en amont des turbines et de 50 t/h de condensats recyclés en amont du dégazeur. Comme une partie importante de ce recyclage sera perdue dans le réseau de la centrale, il convient d’affecter un facteur de dilution calculé au prorata de son débit par rapport à l’alimentation globale de vapeur sur les turbines, soit 170 t/280 t (environ 60 %). Après avoir sélectionné la formulation la mieux adaptée sur le réseau HP, nous avons intégré cet apport de matières actives dans le réseau de la centrale puis calculé le complément d’amines à injecter pour atteindre un pH de 8,5 sur les condensats. Huit formulations ont été ainsi testées. Il s’agit de produits commerciaux reconstitués puis intégrés dans le programme. Les résultats de ces tests, établis à partir des prélèvements effectués sur les points 1 à 10 du réseau (tableau I), sont portés dans le tableau II et sur les figures 3, 4 et 5.
On y voit que les performances diffèrent très largement d’une formulation à une autre et que les matières actives les plus efficaces sur un système ne le sont pas nécessairement sur un autre.
La combinaison idéale serait donc : Formulation n° 5 sur le système HP et Formulation n° 2 sur la centrale.
Entre la solution actuelle et celle qui est préconisée, l’équilibre des pH sur la centrale est équivalent. Il est toutefois atteint, dans le cas de la formulation préconisée, avec un dosage deux fois moindre.
Sur le système HP, le maintien d’une alcalinité identique sur les générateurs se traduit par un pH plus élevé en phase vapeur dans le cas du traitement actuel (pH = 9,57 au lieu de 8,5), d’où un surdosage de produit.
Traçage des amines neutralisantes dans le réseau vapeur
Après sélection de 22 points de prélèvement portés sur la figure 2 (n° 1 à 22), le traceur CDE 973 a été injecté pendant 72 heures (figures 6 et 7). Cette formulation contient les amines les plus performantes adaptées à l’installation.
Nous avons ensuite mesuré le pH, la conductivité et la concentration en amines pour chacun des points considérés. Les résultats de ces mesures sont portés sur les tableaux III et IV.
Interprétation des résultats
Centrale :
Comme les pertes en amines sont directement liées à leurs propriétés (coefficient de partage), on a cherché à connaître la proportion récupérée (via les condensats) au niveau du dégazeur. Les calculs, effectués pour chacune des matières actives, en faisant le rapport des concentrations entre le point du réseau le plus éloigné (point 10) et l’eau alimentaire (point 3), sont portés sur le tableau V.
On y constate que sur ce circuit court, les résultats ne font pas apparaître de grosses différences d’une matière active à une autre. La proportion moindre récupérée avec l’amine A est à mettre en relation avec les pertes occasionnées par les purges des chaudières (5,8 ppm point n° 6).
Système haute pression :
Nous avons adopté la même démarche que précédemment pour connaître le taux d’amine récupéré. Cette valeur a toutefois une signification moindre puisqu’il ne s’agit plus dans ce cas du paramètre prépondérant. On souhaite en effet concentrer un maximum d’amines dans les générateurs HP afin de maintenir le pH dans les normes fixées par le constructeur.
D’autre part, il existe sur ce réseau une multitude d’équipements qui vont fractionner les amines (chaudières, turbines, ballons flash, purgeurs, etc.), ce qui se traduit par une récupération moindre au niveau du dégazeur.
Les différences de concentration en amine recyclée deviennent significatives, de même que les teneurs mesurées en chaudière (tableau VI).
On constate ainsi que l’amine A est la mieux adaptée pour maintenir l’alcalinité en chaudière alors que les amines E et F sont fortement pénalisées par un taux de retour faible et surtout une concentration insuffisante dans les générateurs. Cette constatation vient en confirmation des résultats obtenus avec les programmes informatiques.
Conclusion
Cette étude a permis de mettre en évidence des performances et des comportements très différents d’une amine à l’autre.
Les programmes informatiques et le traçage des amines donnent des résultats qui concordent pratiquement dans tous les cas. En particulier, la formulation considérée lors des simulations, comme la plus efficace pour élever le pH des générateurs HP à 9,2 ou 9,5, contient les amines dont les teneurs mesurées par chromatographie (après traçage) ont été les plus élevées dans les purges de chaudière (amines A et D). Ces deux résultats montrent la supériorité très nette de ces amines par rapport aux autres.
D’autre part, la sélection informatique de la formulation la mieux adaptée pour le traitement des condensats de centrale s’explique aisément par la constante de basicité très élevée des amines qui la composent, même si les pourcentages recyclés et les teneurs mesurées par chromatographie font apparaître des résultats équivalents dans tous les cas de figure.
Toutes ces valeurs illustrent bien la spécificité des matières actives, qui peuvent être particulièrement bien adaptées dans une configuration ou un objectif donnés, et se révéler inefficaces si on change les paramètres d’exploitation. C’est la raison pour laquelle la solution retenue doit nécessairement permettre de réduire le coût global du conditionnement tout en apportant un profil de pH plus proche de l’équilibre à maintenir afin d’assurer une protection plus complète de l’installation.