Les eaux karstiques présentent des caractéristiques de turbidité soudaine que les procédés à membrane peuvent traiter efficacement. Cette technologie de microfiltration avec décolmatage à l'air a été mise en place sur la station de Bernay-Ouest pour 50 m3/h. Bien que les turbidités attendues, mais aussi des valeurs très élevées 1704 NTUI aient été rencontrées, l'eau a toujours été produite en quantité et qualité requises.
Le Syndicat d’Alimentation en Eau Potable de la région de Bernay-Ouest dessert 11 communes représentant 1650 abonnés. Dans le cadre d’un contrat d’affermage, les ouvrages de production, de stockage, et 120 km de réseau de distribution sont gérés par la Compagnie Fermière de Services Publics (CFSP), filiale de la Compagnie Générale des Eaux.
La ressource en eau est assurée à partir d'une résurgence d’un aquifère crayeux d'origine karstique. Sa qualité est très sensible aux conditions météorologiques : le transfert très rapide des eaux de ruissellement à travers le terrain entraîne en particulier une forte élévation de la turbidité, accompagnée d’une augmentation des germes microbiens, des teneurs en fer et en aluminium, ainsi que des matières organiques.
Pour répondre à ce problème spécifique, la CFSP a décidé de financer et de mettre à disposition sur le site de Val Monard une unité de traitement des eaux par microfiltration, jusqu’à ce que soit mise en place une solution définitive (nouvelle ressource ou traitement).
La réalisation de cette unité de filtration a été assurée par Hydrex, filiale d’OTV, spécialisée dans la technique des membranes.
Le choix du procédé
Si les techniques classiques peuvent répondre convenablement au traitement de la turbidité, elles sont toutefois limitées, lorsque la qualité de l’eau brute se dégrade fortement et brusquement, par la difficulté d’automatisation du dosage des réactifs de floculation ; de plus, les fréquences de décolmatage des filtres à sable deviennent élevées, avec des pertes en eau très importantes.
Une alternative consiste à mettre en œuvre la technique membranaire, barrière physique qui présente de nombreux avantages : une qualité constante de l'eau traitée, quelle que soit celle de l'eau brute, la compacité du système, une automatisation aisée et une rapidité de la mise en œuvre.
L'expérience d’Anjou Recherche(1),
* Anjou Recherche, Centre de Recherche de la Compagnie Générale des Eaux ** Hydrex *** Compagnie Fermière de Services Publics
(1) C.G.E. Compagnie Générale des Eaux - OTV.
Portant sur un grand nombre de membranes, y compris jusqu’au stade de la réalisation industrielle, un programme d’essais a permis de sélectionner la microfiltration sur membranes organiques Memcor comme la plus adaptée à la situation de Bernay-Ouest.
Les membranes et leur décolmatage
Les membranes utilisées sont réalisées en polypropylène ; elles présentent un diamètre de pore moyen de 0,2 µm et sont constituées de fibres creuses, à parois poreuses, assemblées dans des modules, chacun représentant 10 m² de surface nominale de filtration. L’originalité du procédé réside dans l’utilisation d’air sous pression pour effectuer des décolmatages à contre-courant ; cette technique, unique et brevetée, distingue ce procédé de toutes les autres technologies de filtration par membrane.
Le meilleur décolmatage d’une fibre creuse s’obtient dans le sens de l’intérieur vers l’extérieur. La filtration s’effectue donc logiquement à l’inverse, de l’extérieur vers l’intérieur. Cette configuration optimise la surface active de la fibre, celle qui reçoit l’eau brute et arrête les particules ; elle permet également de traiter des eaux plus chargées : le risque d’obstruction est en effet moindre que lorsque les dépôts encrassent le canal central d’une fibre.
L’air comprimé à 6 bars utilisé lors des décolmatages est périodiquement injecté dans le canal central des fibres ; sa détente le fractionne en bulles microscopiques qui chassent de la paroi poreuse et de la surface de la fibre tous les dépôts de filtration. Son efficacité est telle que, dans cette application, la filtration est frontale : il est donc inutile de faire circuler l’eau brute le long des fibres, et le bilan énergétique s’en trouve amélioré.
L’intervalle entre deux décolmatages est déclenché automatiquement en fonction de la turbidité de l’eau brute, ce qui entraîne de un à quatre décolmatages par heure. Un test rapide, basé sur le principe du point de bulle, permet de vérifier immédiatement l’intégrité de la surface des membranes, sans aucun démontage. Un module défaillant peut être aussitôt isolé en attendant la visite d’entretien.
Lorsque le système ne parvient plus à éliminer par décolmatage la totalité des particules, la pression transmembranaire (d’une face à l’autre de la membrane) augmente. L’utilisateur procède alors à un nettoyage chimique ; les réactifs utilisés sont à base de soude, d’acide si nécessaire ; une désinfection au peroxyde d’hydrogène peut éventuellement être réalisée. Les produits sont neutralisés avant rejet ou évacuation, selon le site.
La membrane et le procédé sont homologués par le Ministère de la Santé. La première installation, celle de Bernay-Ouest, fait l’objet d’un suivi particulier de la DDASS de l’Eure, ce qui a permis de confirmer les contrôles effectués par Anjou Recherche. Les autres partenaires de la CFSP (DDAF, Agence de l’Eau, Conseil …
Tableau I
Qualité de l'eau brute en dehors des périodes de trouble.
Paramètres | Unités | Dns | 20/09 | 25/11/93 |
---|---|---|---|---|
Turbidité | NTU | 0,5 | 1,3 | 4,5 |
Fer total | µg/l | 110 | <2 | 1,8 |
Manganèse total | µg/l | 10 | 10 | 10 |
Matières organiques dosées en milieu acide | mg O₂/l | <1 | <1 | <1 |
Coliformes totaux 37 °C | nb/100 ml | 9 600 | 61 200 | 10 |
Coliformes thermorésistants | nb/100 ml | 2 000 | 62 400 | 260 |
Streptocoques fécaux | nb/100 ml | 300 | 900 | 30 |
Spores de bactéries anaérobies sulfitoréductrices | nb/20 ml | 0 | 0 | 0 |
Général, Cabinet d’Étude Sogeti) sont également attentifs aux résultats obtenus sur la station.
La station
Cette station, d’un débit de 1 000 m³/jour, a été conçue pour être démontée ou remontée en deux jours, sur un site préalablement aménagé (dalle de béton). Le 21 octobre 1993 elle était mise en place et, le 1ᵉʳ novembre 1993, elle recevait l’autorisation de raccordement au réseau.
L’eau brute est pompée dans le captage et envoyée vers la station de microfiltration toute proche ; préfiltrée à 500 microns, elle transite dans une cuve d’eau brute de 4,5 m³. Un turbidimètre fonctionnant en continu permet de mesurer la qualité de l’eau en aval du préfiltre.
Deux pompes centrifuges (dont une en secours) ont la double fonction d’assurer l’alimentation de l’unité de filtration et le rinçage de la membrane au cours des décolmatages. Leur débit est régulé par des variateurs de fréquence qui permettent d’optimiser le bilan énergétique du fonctionnement. L’unité est équipée de 42 modules alimentés en parallèle présentant une surface de filtration de 420 m². L’eau filtrée est dirigée vers une cuve à double paroi de 20 m³, puis chlorée, et enfin refoulée vers le réservoir de distribution. La turbidité de l’eau traitée est également suivie en continu.
Les eaux de décolmatage sont expulsées de l’unité vers une cuve appropriée, qui se vide gravitairement vers l’extérieur. Ces eaux ne contiennent que des matières déjà présentes dans l’eau brute.
Une cuve de 4 m³, alimentée en eau microfiltrée, permet la préparation et la neutralisation des réactifs lors du nettoyage périodique de l’installation. Le rythme préconisé est d’un par mois ; un nettoyage supplémentaire peut cependant être réalisé dans le cas de turbidités exceptionnelles. L’ensemble de la station est alimenté en air comprimé par deux compresseurs à vis ; l’air est séché, filtré (0,01 µ absolu), déshuilé et stocké dans deux réserves de chacune 1 500 litres sous 10 bars.
L’installation est contrôlée par un automate et maintenue hors gel par chauffage électrique. Le passage au mode manuel est possible pour la plupart des fonctions. Les dimensions extérieures de l’unité sont de 10,6 m × 6 m × 2,6 m de hauteur.
Les résultats
Depuis sa mise en service, la station de microfiltration a été maintenue sous étroite surveillance ; un système d’acquisition de données a permis d’enregistrer, en continu, les différents paramètres de fonctionnement et d’assurer le suivi de la qualité de l’eau brute et de l’eau traitée.
Caractéristiques de l’eau brute
Le suivi de la turbidité de l’eau du captage du Val Monard (représenté sur la figure 1) a montré que la qualité de l’eau brute est très variable ; elle dépend fortement des conditions climatiques.
Pendant les trente premiers jours de fonctionnement de l’installation, en dehors des épisodes pluvieux, la turbidité de l’eau à traiter était comprise entre 0,5 et 4,5 NTU ; elle entraînait des matières organiques dosées en milieu acide inférieures à 1 mg O₂/l et des concentrations en fer, aluminium et manganèse inférieures aux limites de détection. L’analyse bactériologique de la ressource, à cette même période, a révélé la présence de germes indicateurs de contamination fécale (tableau I).
Du 14 décembre 1993 au 8 janvier 1994, en période de très fortes pluies, il a été constaté une dégradation exceptionnelle de la qualité de l’eau brute : sa turbidité n’a jamais été inférieure à 10 NTU, cinq pics d’environ 100 NTU ont été mesurés ainsi que deux autres de 290 et 390 NTU ; enfin, un maximum de 704 NTU a été observé le 21 décembre 1993.
Du 8 janvier au 28 février 1994, la qualité de la ressource s’est dégradée à cinq reprises, avec des valeurs de 18 à 70 NTU ; cette période est tout à fait caractéristique d’une eau d’origine karstique.
Pendant ces périodes de fortes pluies, les pics de turbidité s’accompagnent de teneurs élevées en fer, aluminium, manganèse, carbone organique particulaire, et d’une très forte augmentation du nombre de germes indicateurs de contamination fécale (tableau II).
Tableau II
Caractéristiques physico-chimiques de l’eau brute et de l’eau microfiltrée mesurées au cours des différents épisodes pluvieux (EB : Eau brute ; ET : Eau traitée).
Paramètres | Unités | 14/12/93 EB | 14/12/93 ET | 21/12/93 EB | 21/12/93 ET | 27/01/94 EB | 27/01/94 ET |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Turbidité | NTU | 49 | <0,1 | 59 | 0,3 | 32 | 0,8 |
Fer total | µg/l | 1 040 | <20 | >9 800 | 8 920 | <20 | 2 998 |
Aluminium total | µg/l | 920 | <20 | >9 800 | 7 280 | <2 | 998 |
Manganèse total | µg/l | <10 | <10 | 20 | 10 | <10 | 3 975 |
M.O.T. | mg/l | — | — | 7,6 | 2,6 | 2,3 | 1,5 |
Matières organiques dosées en milieu acide | mg O₂/l | 2,3 | 0,8 | 65 | 12,8 | 14,3 | 0,9 |
Tableau III
Qualité bactériologique de l’eau brute et de l’eau traitée par les membranes de microfiltration (EB : Eau brute ; ET : Eau traitée).
Paramètres | Unités | 16/10/93 EB | 16/10/93 ET | 21/12/93 EB | 21/12/93 ET | 27/01/94 EB | 27/01/94 ET |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Germes totaux 20 °C | nb/ml | 61 200 | 50 | 228 | 73 | 1 080 | 32 |
Germes totaux 37 °C | nb/ml | 62 400 | 0 | 19 | 3 | 960 | 0 |
Coliformes totaux | nb/100 ml | 900 | 0 | 9 | 0 | 1 300 | 0 |
Coliformes thermotolérants | nb/100 ml | 8 | 0 | 75 | 0 | 100 | 0 |
Streptocoques fécaux | nb/100 ml | 4 | 0 | 3 | 0 | 4 | 0 |
Spores de bactéries anaérobies sulfitoréductrices | nb/20 ml | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
Qualité de l'eau traitée
La microfiltration produit une eau conforme aux normes de potabilité. Ses caractéristiques sont reportées sur la figure 2 et les tableaux II et III. Jusqu’à 70 NTU, la turbidité de l'eau traitée est toujours inférieure à 0,1 NTU (figure 2). Le 21 décembre 1993, lors de la dégradation la plus importante de l’eau brute (704 NTU), la qualité de l'eau traitée atteignait 0,3 NTU. L'élimination du fer, de l’aluminium, du manganèse, et des germes indicateurs de contamination fécale est totale, et celle du COT est comprise entre 16 et 76 %, selon la qualité de l'eau brute.
Production
Du mois d’octobre 1993 au mois de février 1994, les débits instantanés de l'eau traitée sont restés constants à 55 m³/h, quelle que soit la qualité de l'eau brute.
Sur la figure 3, est reportée l’évolution de la turbidité de l’eau brute, des débits d'eau traitée et de la pression transmembranaire, observée du 27 janvier au 27 février 1994. Cet exemple illustre les résultats que l’on peut obtenir en traitant une eau provenant d’un réseau karstique (turbidité de l’eau brute comprise entre 4 et 70 NTU). Alors que la turbidité de l'eau brute augmente de 5 à 20 NTU, un changement automatique de la fréquence des décolmatages (de 1/30 minutes à 1/15 minutes) et une augmentation de la pression transmembranaire de 0,7 à 1,1 bar permet de maintenir un débit de 55 m³/h ; inversement une amélioration de la qualité de l’eau à traiter, du fait de l'efficacité du décolmatage entraîne une diminution de la pression de fonctionnement et de la fréquence des décolmatages pour obtenir le même débit. Ces réglages automatiques permettent donc de minimiser les énergies de fonctionnement à mettre en œuvre sans intervention humaine.
Il faut noter toutefois que, lors des conditions très exceptionnelles de turbidité (704 NTU), la fréquence des décolmatages a dû être ajustée manuellement afin de maintenir un débit stable de 55 m³/h...
D'octobre 1993 à février 1994, les débits d'eau produits, correspondant à une eau brute de turbidité comprise entre 0,5 et 704 NTU, se sont maintenus en moyenne à 50 m³/h, soit une production journalière de 1000 m³. La différence de 10 % entre les débits d’eau produits et les débits instantanés d’eau traitée s’explique par l'arrêt de la filtration, et non par une perte d’eau traitée lors des décolmatages ; ceux-ci, en effet, sont réalisés, comme on l’a vu, par de l’air et non par du filtrat.
Coût de fonctionnement
Pendant cette même période (d’octobre 1993 à février 1994), la consommation énergétique de l’installation (compresseur, et pompe d’eau brute) n’a pas dépassé 0,2 kWh par m³ : cette faible valeur s’explique par le fonctionnement frontal de ces membranes et les faibles pressions de fonctionnement. En considérant que la durée de vie des membranes est de 5 ans, le coût de leur remplacement est estimé à 0,21 F par m³ d'eau produit.
Du 1er novembre 1993 au 28 février 1994, l'installation a été nettoyée à quatre reprises par réactifs chimiques ; le coût de ces produits entraîne une incidence de l’ordre de 0,01 F/m³.
Il s'agit là de quelques coûts de fonctionnement et non d'un bilan d'exploitation complet, qui intégrerait la main-d'œuvre, le renouvellement des équipements électromécaniques, etc...
Conclusion
Cette station a fait la preuve des qualités que nous lui imputions a priori : compacité, conception modulaire de l’installation, bonnes performances sur l’eau d'origine karstique.
Les épisodes de turbidité très exceptionnelle qui ont accompagné ses premiers mois de fonctionnement ont permis de confirmer la réponse tout-à-fait satisfaisante de cet équipement, ce qui satisfait, et au-delà, les espoirs que nous apportait la mise-en-œuvre de cette technologie.
BIBLIOGRAPHIE
Peters T.A., Pedersen F.S., Memcor-crossflow-microfiltration with gas-backwashing design and different applications for a new technical concept, Proceeding of the Vth World Filtration Congress, Nice, juin 1990.
Tazi-Pain A., Faivre M., Bourbigot M.M., Comparaison des techniques membranaires pour le traitement des eaux de surface chargées en matières organiques : perspectives d’évolution, Techniques Sciences, Méthodes-l’Eau, vol. 87, n°9, septembre 1992, pp. 411-415.
Moulin C., Tazi-Pain A., Barraud V., Faivre M., Use of organic micro-filtration membranes for groundwater treatment, Proceedings of AWWA/-INSA Membrane Technology Conference for the Water Industry, Baltimore, Maryland, Août 1993.
N.G.AN.