L'intérêt de la préoxydation des eaux faiblement minéralisées est étudié dans cet article sur deux filières de Bretagne disposant l'une d’une préoxydation au dioxyde de chlore et l’autre d’une préozonation.
Les performances des filières sont analysées par le suivi du comportement de la matière organique.
Les principaux résultats obtenus sur des campagnes d’analyses en 1990 et 1991 confirment l’intérêt de la préoxydation vis-à-vis de l’abattement de la matière organique ainsi que l’obligation d’ajuster au mieux les doses d’oxydants utilisées.
Le traitement des eaux de surface faiblement minéralisées présente certaines difficultés liées d’une part à une concentration en matières organiques et minérales importantes mais également à une grande variabilité saisonnière. En conséquence, le traiteur d’eau doit être à même d’adapter les filières de traitement aux qualités variables des ressources en eau avec le souci de produire une eau conforme en tout point à la réglementation française.
L’étape de coagulation/floculation réalisée avec des sels d’aluminium élimine une portion importante de la charge polluante de l’eau brute. Elle est très régulièrement associée sur ce type de filière avec une phase d’oxydation dont historiquement les intérêts sont les suivants :
- • l’oxydation des composés minéraux présents sous forme réduite, avec en particulier l’attaque du fer, du manganèse et de l’ammoniaque ;
- • les modifications de la structure de la matière organique avec transformation et/ou dégradation de certains micropolluants, tels les pesticides et polluants sapides. Elle intervient dans ce cas en assistance à la coagulation/floculation dont elle améliore les performances ;
- • l’élimination et/ou la réduction des algues et autres micro-organismes.
C'est le chlore, sous forme d’ion hypochlorite ou de chlore gazeux, qui reste le premier préoxydant utilisé ; cependant, son emploi à des doses parfois importantes (supérieures à 7 mg l¯¹) entraîne la formation en forte quantité de composés organochlorés, parmi lesquels on retrouve les trihalométhanes. L’utilisation du chlore tend donc à disparaître au profit du dioxyde de chlore ou de l’ozone ; toutefois, et profitant de ces changements de réactifs, il était opportun de vérifier l’intérêt d’une oxydation en tête de filière ainsi que de faire un choix entre l’ozone et le dioxyde de chlore. Cette étude a donc été réalisée sur deux filières de traitement à l’échelle d’un pilote. Les principales observations ont été confirmées par des essais et des mesures sur la filière.
Les campagnes analytiques ont été menées en 1990 et 1991, durant des périodes où la teneur en matière organique des eaux était maximale.
Les critères de choix qui déterminent l'intérêt de la préoxydation sont exclusivement liés à la réduction de la charge organique de l’eau brute à traiter.
Le parc des stations SAUR traitant de telles eaux est en général constitué des éléments portés sur la figure 1.
Les stations choisies dans le cadre de cette étude sont : l’installation de Traou-Long (Côtes-d’Armor) : 4 000 m³/jour (préoxydation à l’ozone) et l’installation de Kerne-Uhel (Côtes-d’Armor) : 14 000 m³/jour (préoxydation au dioxyde de chlore).
Variabilité de la matière organique et des composés minéraux
La qualité physico-chimique des eaux brutes est représentative de ce que l’on mesure fréquemment dans les eaux faiblement minéralisées (tableau I).
Tableau I
Position de l’eau vis-à-vis de l’équilibre calco-carbonique
(Variations annuelles)
pH = de 6 à 8 voire 8,5 en période d’eutrophisation |
TAC = de 0,8 à 4 °F |
TH = de 4 à 6 °F |
Te = de 4 à 18 °C |
L'eau brute, toujours agressive, demande un traitement classique de reminéralisation réalisé sur les stations par injection de chaux et de CO₂. Le point de consigne fixé pour l'eau traitée est situé au couple pH = 7,9 à 8,2 et TAC = 5 °F.
Évolution des éléments caractéristiques
Les éléments caractéristiques des eaux brutes sont séparés arbitrairement en deux ensembles : la charge organique et la matière minérale dont les principales variations sont données dans les tableaux II et III.
Afin de déterminer l’amplitude des variations saisonnières de la qualité des eaux brutes, la figure 2 présente l’évolution de la mesure de l'oxydabilité au permanganate sur l'eau brute de Kerne-Uhel depuis 1986.
On constate que les plus fortes valeurs sont obtenues en automne, associées à des minima en janvier.
S’agissant des composés minéraux, les variations saisonnières sont également assez importantes (tableaux IV et V).
En définitive, ces eaux peuvent être séparées en deux ensembles :
- période septembre, octobre, novembre et décembre : forte charge organique et minérale ;
- période janvier, février et mars : charge organique et minérale assez faibles.
Matériel et méthode
Les essais ont été réalisés en premier lieu sur un pilote installé sur le site, constitué d’un ensemble « Jar-Test » associé à une filtration sur sable (granulométrie de 0,8 mm) avec une vitesse de filtration constante de 5 m·h⁻¹ grâce à l’utilisation d’une pompe péristaltique (figure 3).
Le protocole opératoire est le suivant :
Eau brute → Préoxydation : détermination de la meilleure dose ClO₂, O₃ → Coagulation : sels d’aluminium → Floculation → Filtration sur colonne de sable à 5 m/h.
Les essais de préoxydation ont été réalisés après l’ajustement à l’optimum des doses et du pH de coagulation, réalisés par des hydroxydes d’aluminium. Cet optimum était déterminé par rapport à l’abattement de la matière organique. Les mesures sur les filières de traitement ont été effectuées après la filtration sur sable.
Les doses de préoxydants utilisées sont croissantes : de 0,5 mg·l⁻¹ d'eau brute à 0,5 mg par mg de carbone exprimé par la mesure de COT.
L'efficacité des oxydants est testée par rapport à l’évolution de la matière organique dont le dosage a été réalisé comme suit :
- le COT : le dosage du COT a été obtenu sur un analyseur de carbone Dorhmann DC 80, par détection IR du CO₂ produit par oxydation du carbone organique (oxydation persulfate/UV) ;
- l’absorbance UV : l’absorbance UV à 254 nm (UV 254) a été analysée sur un spectromètre Uvikon 930 en cuves de 1 ou 5 cm ;
- les pTHM et THM : le potentiel de formation des trihalométhanes (pTHM) est déterminé sur des échantillons chlorés à taux fixe (COT < 3 mg·l⁻¹ ; Cl₂ = 10 mg·l⁻¹ ; 3 < COT < 7 mg·l⁻¹ ; Cl₂ = 20 mg·l⁻¹), mis à l’obscurité pendant 72 h à 20 °C. Les trihalométhanes (THM) ont été analysés en chromatographie gazeuse munie d’un détecteur à capture d’électron suivant la norme française NF T 90-105 ;
- l’ozone et le dioxyde de chlore : le dosage de l'ozone dans l’air et en phase
Tableau II
Matière organique
Évolution minima-maxima (Kerne-Uhel)
Éléments | 1986mini | 1986maxi | 1987mini | 1987maxi | 1988mini | 1988maxi | 1989mini | 1989maxi | 1990mini | 1990maxi |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
COT (mg l-¹ C) | 4 | 21 | 3 | 7 | 7 | 9,2 | 6 | 9,5 | 5,4 | 11,9 |
pTHM (µg l-¹) | ** | ** | ** | ** | ** | ** | 280 | ** | 280 | 1 200 |
Couleur (°H) | 40 | 200 | 30 | 160 | 20 | 120 | 50 | 100 | 40 | 150 |
pTHM : potentiel de formation des trihalométhanes ; COT : carbone organique total.
Tableau III
Matière organique
Évolution minima-maxima (Traou-Long)
Éléments | 1989mini | 1989maxi | 1990mini | 1990maxi | 1991mini | 1991maxi |
---|---|---|---|---|---|---|
Oxydabilité COT (mg l-¹ C) | 6 | 7 | 5 | 6,6 | 4 | 11 |
pTHM (µg l-¹) | ** | ** | 440 | ** | 500 | 1 100 |
Tableau IV
Composés minéraux
Évolution minima-maxima (Kerne-Uhel)
Éléments | 1986mini | 1986maxi | 1987mini | 1987maxi | 1988mini | 1988maxi | 1989mini | 1989maxi | 1990mini | 1990maxi |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Mn (mg l-¹) | 0,03 | 0,2 | 0,03 | 0,4 | 0,03 | 0,15 | 0,03 | 0,2 | 0,03 | 0,25 |
Fer (mg l-¹) | 0,03 | 1,6 | 0,03 | 1,2 | 0,1 | 1 | 0,2 | 1,3 | 0,14 | 0,8 |
NH₄⁺ (mg l-¹) | 0,08 | 0,5 | 0,08 | 0,3 | 0,07 | 0,44 | 0,06 | 0,32 | 0,08 | 0,24 |
Tableau V
Composés minéraux
Évolution minima-maxima (Traou-Long)
Éléments | 1989mini | 1989maxi | 1990mini | 1990maxi | 1991mini | 1991maxi |
---|---|---|---|---|---|---|
Mn (mg l-¹) | ** | ** | ** | ** | 0,03 | 0,2 |
Fer (mg l-¹) | 0,2 | 0,6 | 0,14 | 0,43 | 0,17 | 0,46 |
NH₄⁺ (mg l-¹) | 0,02 | 0,15 | 0,03 | 0,27 | 0,13 | 0,4 |
Tableau VI
Abattement de la matière organique
Intérêt de la préoxydation
Essais de décembre 1991 à Traou-Long
COT % | Témoin | Ozone | ClO₂ |
---|---|---|---|
49 | 53 | 51 |
Tableau VII
Abattements par rapport à l'eau brute (août 1990)
Coagulation d'hydroxyde d'aluminium
(Préoxydation au ClO₂ = 1,5 mg l-¹)
Paramètres | Qualité de l'eau brute | Abattement après décantation | Abattement après filtration | Qualité de l'eau traitée |
---|---|---|---|---|
Couleur (°H) | 100 | 95 % | ≈ 100 % | < 5 |
Turbidité (NTU) | 3 | 72 % | 88 % | 0,6 |
Fe (mg l-¹) | 0,5 | 93 % | 97 % | 0,08 |
NH₄⁺ (mg l-¹) | 0,1 | 30 % | 60 % | 0,02 |
Mn (mg l-¹) | 0,1 | 50 % | 90 % | 0,01 |
COT (mg l-¹ C) | 9 | 58 % | 62 % | 2,5 |
Oxydabilité (KMnO₄, H₂O) (mg O₂ l-¹) | 10 | 67 % | 75 % | 2,4 |
pTHM (µg l-¹) | 800 | 77 % | 82 % | *** |
Aqueuse ainsi qu'en dioxyde de chlore ont fourni les principaux résultats.
Les essais de préoxydation au dioxyde de chlore en forte concentration ont été analysés par iodométrie.
Les autres paramètres physico-chimiques ont été analysés suivant les méthodes normalisées Afnor.
Résultats expérimentaux
Essais sur la filière de Traou-Long
Essais sur pilote
Une première démarche a consisté à mettre en évidence l'intérêt de l'ozonation en tête de filière. Quatre doses d'ozone ont été choisies ; elles sont portées sur la figure 4.
L'ozonation au taux moyen de 0,75 mg l-¹ permet une réduction notable du rapport UV/COT ainsi qu'une élimination importante des précurseurs de formation des THM. Les gains observés sont significatifs par rapport à l'échantillon témoin traité sans ozone ; cet effet est d'autant plus significatif que la charge organique de l'eau durant les essais est peu élevée. Aux doses de préozonation plus importantes, l'effet reste significatif mais présente moins d'intérêt qu'à la dose optimale de 0,75 mg l-¹.
Les essais de préoxydation au dioxyde de chlore sont également riches d'enseignement, car l'on observe un effet positif. Il est toutefois moins important que dans le cas d'une ozonation et ne se révèle intéressant que pour des doses d'oxydant plus élevées (figure 5).
On relève un optimum pour une dose relativement importante de dioxyde de chlore (2 à 2,5 mg l-¹).
L'intérêt de la préoxydation vis-à-vis de l'élimination de la matière organique est réel dans le cas présent et se traduit en termes d'abattement sur le COT (tableau VI).
Essais sur la filière
Une série d’essais a été réalisée sur la filière de traitement afin de confirmer les premières impressions observées sur le pilote : les principaux résultats sont donnés par la figure 6.
On retrouve les bonnes performances de l’ozone sur la réduction des pTHM ; par contre, la réduction du COT est moins nette et doit être confirmée.
Conclusion
L’ozonation ainsi en tête de la filière étudiée est efficace pour réduire la matière organique. Elle doit être cependant parfaitement maîtrisée pour que les effets recherchés soient optimum.
La dose optimale en hiver est de l’ordre de 0,75 mg l⁻¹ ; il n’est pas certain qu’elle soit la même en période estivale. À noter toutefois que la charge organique en décembre 1991 était exceptionnellement élevée.
Le dioxyde de chlore, moins performant vis-à-vis de l'abattement du COT et de UV, demande des concentrations injectées importantes.
Essais sur la filière de Kerne-Uhel
Essais sur pilote
Les essais réalisés selon la même procédure que pour la station de Traou-Long et avec du dioxyde de chlore employé en préoxydation donnent les résultats portés sur la figure 7. Ils confirment l’intérêt du choix de la dose pour juger l’oxydant : la dose optimale est de 1,5 mg l⁻¹.
Les essais réalisés avec l’ozone sont, cette fois, peu concluants sur les paramètres analysés. On observe une nette dégradation des performances pour des taux d’ozonation importants dans l’abattement du COT, l'optimum se situant sur cette filière vers une dose de traitement de l’ordre de 2 mg l⁻¹.
L’oxydation placée en tête de filière reste efficace mais doit être, comme dans le cas précédent, parfaitement maîtrisée pour obtenir les effets souhaités.
Le dioxyde de chlore semble plus intéressant que l’ozone au vu des analyses de COT ou de pTHM (figure 9).
Essais sur la filière
Les essais menés sur la filière de traitement équipée d’une oxydation au dioxyde de chlore confirment les résultats obtenus sur le pilote pour une dose optimale de 1,5 mg l⁻¹ ; en effet l’emploi de cet oxydant limite la charge organique de l'eau traitée à des valeurs très basses compte tenu des caractéristiques de l’eau brute (tableau VI).
Conclusion
La préoxydation en tête de filière du Kerne-Uhel est efficace, car elle permet de diminuer la charge organique de l'eau décantée. Contrairement aux résultats obtenus sur l’installation de Traou-Long, c’est l’utilisation du dioxyde de chlore qui, sur les paramètres analytiques mesurés, améliore les abattements. De même, il convient d’être très attentif aux doses de réactifs introduites. En effet, l'optimum de traitement de telles eaux est très précis, à l’image des optimum de coagulation/floculation.
Enfin, le suivi analytique effectué en 1990 et 1991 sur la station montre que la dose optimale de dioxyde de chlore est peu influencée par la charge organique existant à l’entrée de la filière.
Conclusion générale
Les deux études de cas présentées démontrent l’intérêt que présente l’oxydation en tête de filière pour compléter l'abattement de la matière organique lors de la première étape du traitement.
Le choix de l’oxydant doit être défini après des études sur site lors de différentes périodes critiques, en cours d’année.
La nature organique des eaux brutes a conditionné le choix du dioxyde de chlore dans la station de Kerne-Uhel et de l'ozone dans celle de Traou-Long.
Ces deux oxydants donnent toute satisfaction dans la mesure où les doses appliquées sont parfaitement ajustées ; il apparaît, en effet, une très nette dégradation des performances obtenues si les taux d’oxydants sont élevés (0,5 à 1 mg oxydant/mg de COT). Toutefois, cette observation doit être approfondie, afin de séparer ce qui est imputable réellement à l’oxydant de ce qui est lié au principe de la mesure du COT.