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Premières applications industrielles françaises de la dissociation aération/brassage dans le traitement des boues activées

29 juillet 1988 Paru dans le N°120 à la page 40 ( mots)
Rédigé par : C. LEDOUX, P. LEVI-TOPAL et A. MALNOU

Dans la quasi-totalité des stations d’épuration par boues activées, un seul dispositif est utilisé pour le brassage et l’aération des micro-organismes.

Deux grandes catégories de dispositifs sont utilisées :

— les aérateurs de surface (turbines, brosses) dont la puissance spécifique pour le brassage oscille entre 20 et 40 W/m³, suivant le traitement primaire mis en jeu, la nature des effluents, l’hydraulique des bassins ;

— l’insufflation d’air (fines bulles, moyennes bulles…) dont les performances du point de vue de l’oxygène dissous peuvent être supérieures à celles des aérateurs de surface ; les débits d’air doivent alors être suffisamment importants pour permettre le brassage.

Cette simultanéité des deux fonctions devient vite contraignante dans de nombreux cas :

— dans le cas de sous-charge organique, un temps de fonctionnement minimum des aérateurs est nécessaire pour éviter tout dépôt ; ces aérateurs étant optimisés pour la fonction oxygénation et non pour la fonction brassage, cela conduit à des dépenses énergétiques relativement importantes, indépendantes de la pollution,

— dans le cas d’une nitrification/dénitrification dans le même bassin, il sera impossible de brasser correctement la biomasse sans introduire d’air et la dénitrification ne sera donc que partielle.

C’est donc pour ces raisons, à la fois techniques et économiques, que la dissociation aération/brassage, en faisant appel à deux appareillages différents, peut s’avérer intéressante.

L’optimisation séparée de chacune des deux fonctions conduit à un ensemble particulièrement performant. Notre choix s’est porté sur une aération réalisée par des systèmes de diffusion d’air type DR2 déjà utilisés industriellement et sur une agitation créée par un matériel immergé à vitesse lente. Il est à noter que certains pays, comme l’Allemagne en particulier, pratiquent déjà largement la dissociation aération/brassage. La possibilité d’utiliser des aérateurs immergés et, par conséquent, silencieux, de même que l’absence d’aérosols, expliquent ce choix.

Un des premiers domaines d’application facilement imaginables de cette technique est, bien évidemment, la dissociation aération/brassage dans les chenaux.

Le Laboratoire central de la Lyonnaise des Eaux et France-Assainissement ont donc lancé un programme d’études qui a démarré en janvier 1987 et qui consistait, dans un premier temps, à déterminer les écoulements créés dans un chenal par des agitateurs submersibles ; à la suite de quoi, deux applications sont en cours de réalisation : une station nouvelle et une station réhabilitée avec changement de norme sur l’azote. Dans les deux cas, il s’agit de vérifier la loi puissance brassage/volume, le rendement des aérateurs en fonction de la vitesse d’écoulement et ce, afin d’établir les bilans énergétiques et de chiffrer exactement le gain par rapport aux systèmes conventionnels.

Étude de l’écoulement créé dans un chenal par des agitateurs immergés

Il s’agissait essentiellement d’étudier à l’échelle industrielle la circulation de l’eau engendrée par des aérateurs à axe horizontal (brosse) et par des agitateurs immergés. L’objectif était, après caractérisation et comparaison des deux cas de figure, de déterminer les données permettant le dimensionnement des agitateurs.

Ces essais ont été effectués sur la station d’épuration d’Alsace-Lait à Hoerdt (67) laquelle est prévue pour traiter journellement 1 500 kg de DBO₅ et 1 300 m³ d’effluent. Outre le traitement biologique réalisé dans un ensemble chenal-clarificateur concentrique, elle comporte des ouvrages de prétraitement, un bassin-tampon et un épaississement par grille GDE. Le chenal présente une capacité de 2 800 m³ avec une hauteur de 2,80 m. Il est équipé de 2 aérateurs France-Assainissement à axe horizontal de 9 m de longueur, animés chacun par un moteur de 45 kW.

Mesure des vitesses d’écoulement

En considérant le chenal comme symétrique par rapport aux deux aérateurs, les mesures ne sont effectuées que sur la moitié du bassin. Cinq sections ont été définies, partageant cette moitié en cinq zones approximativement

[Photo : Vue sur l’une des brosses et sur les 2 agitateurs TMI.]

égales. Afin de mesurer les vitesses d’écoulement de façon précise, il a été déterminé que 40 points de mesures perpendiculaires au flux devraient être effectués à chaque section (1).

Trois séries de mesures ont été effectuées dans les conditions portées au tableau I, en observant notamment l’action du déflecteur. Cette lame, qui équipe en général les aérateurs du type brosse, a un effet bénéfique sur la capacité d’oxygénation et son influence sur les vitesses de circulation joue un rôle cependant peu connu (figure 1).

Tableau I : Ps = puissance spécifique — Vm = vitesse moyenne de balayage

Essais Conditions Ps Vm
1 2 aérateurs en fonctionnement, déflecteurs hors de l’eau 20 W/m³ 1 m/s
2 2 aérateurs en fonctionnement, déflecteur immergé de 40 cm 27 W/m³ 0,82 m/s
3 1 aérateur en fonctionnement, déflecteur immergé de 40 cm 15,7 W/m³ 0,65 m/s

Dans l’essai n° 1, les sections proches de l’aérateur mettent en évidence de grandes vitesses d’écoulement de surface. La vitesse minimale pour remettre en suspension les boues (0,25 m/s) est partout atteinte ; les vitesses les plus grandes se trouvent vers le bord extérieur du chenal.

Dans l’essai n° 2, les vitesses de surface diminuent au profit des vitesses de fond ; la vitesse moyenne diminue malgré l’augmentation de la puissance spécifique.

Dans l’essai n° 3, une petite zone critique de vitesse s’aperçoit dans l’angle inférieur du bord intérieur du chenal.

Lors de ces essais, on a pu observer les effets importants de la force centrifuge : la différence de niveau entre le bord intérieur et le bord extérieur varie ainsi de 5 à 15 cm, suivant la puissance spécifique des brosses et la position du déflecteur ; l’aérateur étant plus immergé du côté extérieur amplifie les vitesses de ce côté.

Mesure des vitesses d’écoulement avec l’emploi d’agitateurs

Deux agitateurs ont été installés sur une même section dans le chenal précédemment décrit (figure 2). Ce sont des agitateurs TMI équipés de 3 pales de 1,30 m de diamètre et d’un moteur de 7,5 kW. Un variateur de fréquence permet le réglage de la vitesse et l’on étudie la courbe Vm = f (Ps).

Première série d’essais

Pour une vitesse de l’agitateur de 37,5 t/min, nous avons une Ps de 0,63 W/m² et une Vm de 0,26 m/s. Il est constaté une vitesse stable, sauf aux abords immédiats des agitateurs. La vitesse est homogène également sur toute la section. On constate simplement une vitesse un peu plus faible aux abords des deux parois. Les agitateurs engendrent des mouvements de turbulences complexes (mouvement ascendant des boues) à composante verticale.

Deuxième série d’essais — variation de Ps et calcul de Vm

La vitesse n’est plus mesurée que sur une seule section considérée comme représentative. On obtient :

Ps en W/m² : 0,22 – 0,63 – 1,80 – 4,54 Vm en m/s : 0,15 – 0,26 – 0,41 – 0,59

On a retrouvé la même homogénéité avec ces différents Ps que lors de la première série d’essais : même avec un Ps de 0,22 W/m², les boues à une concentration de 2,7 g/l ont été correctement mises en suspension.

Troisième série d’essais

On a vérifié que l’on relève bien la même carte isovitesse dans une section plus éloignée, soit celle située juste en amont des agitateurs. On constate la même vitesse moyenne et une homogénéité légèrement moins bonne avec décroissance des vitesses du bord intérieur au bord extérieur.

[Photo : Fig. 1 : Mesures des vitesses de circulation.]

Conclusion des essais

Des expériences qui précèdent, on tire les conclusions suivantes :

  • — des puissances spécifiques de 1 W/m² suffisent à maintenir les boues. La vitesse de fond est identique à la vitesse moyenne, contrairement à ce qui est observé avec les brosses ;
  • — la vitesse est homogène sur tout le chenal dès que l’on sort de la zone de turbulence rapide. Cette zone, immédiatement après les agitateurs, pourrait être réduite avec des vitesses périphériques de pales plus faibles ;
  • — l’effet de la force centrifuge est moins marqué avec les agitateurs qu’avec les brosses.

C’est à partir de ces résultats qu’a été dimensionnée la station d’épuration de Foncine et que la réhabilitation de la station de Mortagne a été réalisée.

La station de Foncine

Le concours pour la construction de la station d’épuration de Foncine a été lancé en mai 1987, sur la base d’une capacité de 1 800 eq/hab.

La Société France-Assainissement a proposé une solution d’aération prolongée avec dissociation de l’aération et du brassage (air surpressé et agitateur).

[Photo : Fig. 2 : Emplacement des agitateurs.]

La commune et le maître d’œuvre, la DDA du Jura, ont retenu cette solution particulièrement bien adaptée aux conditions de la région (population variable, problèmes de gel...). Les travaux ont débuté en automne 1987 et la station doit être opérationnelle dans le courant de l’été 1988.

Caractéristiques techniques de la station

Le réseau unitaire amène journellement à la station 3 000 m³ d’effluents chargés de 91 kg de DBO₅ et 121 kg de MES.

Principaux ouvrages

La station comporte les installations suivantes :

— dégrillage automatique, — poste de relèvement, — dessableur-dégraisseur de 6 m³, — bassin d’aération : le chenal de 2,50 m de large, d’un volume de 320 m³ et de 3 m de hauteur d’eau, est disposé concentriquement au clarificateur, — clarificateur circulaire de 11,60 m de diamètre, — recirculation par 2 pompes de 65 m³/h, — silo à boue de 200 m³.

Appareillage d’aération et de brassage

La diffusion d’air est assurée par des diffuseurs DR2* composés essentiellement d’un corps en polypropylène maintenant une membrane en caoutchouc percée au laser et montés sur des rampes de fond en PVC. Leur débit unitaire est de l’ordre de 1 m³/h. L’air est fourni par 2 surpresseurs Roots à deux vitesses d’un débit maximum de 400 m³/h par appareil.

L’apport d’oxygène peut être parfaitement adapté à la demande en modifiant la vitesse du surpresseur ou en l’arrêtant. Les arrêts n’ont aucune incidence sur ces diffuseurs à membrane en caoutchouc, qui sont autonettoyants et ne présentent aucun risque de colmatage.

Pour le brassage, nous avons choisi un agitateur immergé à axe horizontal de faible vitesse et de grand diamètre :

— diamètre : 2 m — nombre de pales : 2 — puissance absorbée : 1,2 kW — vitesse : 0,25 m/s

L’agitateur occupe la quasi-totalité de la section du bassin. La puissance spécifique est de 3,7 W/m³. Elle est nettement plus importante que celle utilisée à Alsace-Lait, mais il y a lieu de tenir compte de la taille du bassin et du fait que l’on travaille avec des boues urbaines non décantées.

[Photo : Fig. 3 : Schéma du DR2]

La station de Mortagne

L’installation exploitée par la Lyonnaise des Eaux était devenue obsolète et le renouvellement du matériel s’avérait indispensable. En outre, il était nécessaire d’envisager, dans cette station prévue à l’origine pour l’élimination de la pollution carbonée, une élimination la plus complète possible de l’azote (nitrification-dénitrification). En accord avec l’Agence de Bassin Loire-Bretagne, partie prenante dans cette étude, et avec le maire de Mortagne, il a été décidé de réhabiliter la station en utilisant la technique de la séparation aération-brassage.

La station était équipée de 6 brosses de 3,7 kW, dont la capacité d’aération est largement sous-estimée et ne permettait de traiter en élimination de la pollution carbonée que 2 500 eq/hab au lieu de 5 000 eq/hab prévus. Il fut décidé d’installer :

— deux agitateurs TMI de puissance absorbée unitaire 1,6 kW et un surpresseur de 1 100 m³/h avec rampes de diffusion pour 1 100 DR2, — un variateur de fréquence en vue de diminuer la vitesse des agitateurs et, par suite, leur puissance (actuellement de 3,2 kW pour 900 m³).

La capacité d’oxygénation ainsi installée permet de traiter les 2 500 eq/hab raccordés sur la station d’épuration en élimination de la pollution carbonée et azotée. Une extension de l’aération permettra, ultérieurement (si nécessaire), de traiter 5 000 eq/hab dans les mêmes conditions.

Le programme d’essais en cours prévoit la mesure des capacités d’aération, la mesure des vitesses de brassage, l’optimisation de la nitrification-dénitrification par la régulation du syncopage, ainsi que l’établissement d’un bilan complet qui permettra de vérifier l’intérêt économique du procédé.

En dernier lieu, on observera l’incidence de la dissociation aération-brassage sur l’aptitude à la décantation des boues en excès et leur minéralisation.

Conclusion

Après des résultats encourageants, les essais en cours permettront de vérifier, à l’échelle d’une station, d’une part que des gains énergétiques importants peuvent être réalisés par cette technique, d’autre part que l’on peut installer un système de régulation fin, suivant la charge en pollution, par automate programmable, ou par asservissement à une sonde pH ou O₂.

Les perspectives d’avenir de cette technique, très prometteuses, dépendront de l’évolution des agitateurs submersibles et de la fiabilité des membranes élastiques en caoutchouc, ainsi que des progrès à réaliser dans les surpresseurs immergés.

Remerciements

Nous remercions la direction de la Société Alsace-Lait pour nous avoir permis d’effectuer des essais sur leur station d’épuration.

Bibliographie

(1) DEA de J.-L. Bertrand, ENITRS

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