Les stations d'épuration des eaux usées utilisant le traitement biologique par boues activées représentent actuellement une grande partie du parc national français et de sa capacité de traitement.
Les effluents, traités en amont par voie biologique en culture libre dans un bassin d'aération, transitent dans un ouvrage de décantation où ils sont séparés de la boue.
L'efficacité de cette séparation doit être élevée (élimination de l'ordre de 99,8 % des particules), et un départ de boue vers l'aval (voile de boue très haut) doit impérativement être évité.
Les performances de la clarification sont alors directement liées :
- à la nature de l'effluent (indice de boue, concentration en MES...),
- à la charge hydraulique (vitesse ascensionnelle, taux de recirculation...),
- aux dimensions (surface, profondeur,...) et éléments géométriques qui constituent l'ouvrage (alimentation, recirculation, déflecteur de protection, clifford,...), ces divers paramètres affectant le fonctionnement hydraulique du clarificateur.
L'amélioration de la décantation passe donc par une meilleure compréhension de l'impact de toutes ces grandeurs sur le comportement de l'ouvrage (hauteur du voile de boue).
Dans ce contexte, Anjou Recherche s'est focalisé sur l'hydraulique des clarificateurs secondaires grâce à un financement de
L'Agence de l'Eau Seine Normandie [1]. La simulation numérique, utilisée dans cette étude, a permis d’éviter la construction d’ouvrages grandeur nature ou à échelle réduite qui se révèlent relativement coûteux au regard des résultats incertains attendus.
Définition de la mécanique des fluides numériques
Grâce aux récents progrès des techniques numériques et informatiques, la Mécanique des Fluides Numérique (MFN), ou Computational Fluid Dynamics (CFD) en anglais, est devenue un outil à forte valeur ajoutée pour la recherche, le développement et l'ingénierie.
La MFN résout les équations fondamentales régissant les écoulements de fluide. La simulation numérique fournit des informations complètes et détaillées sur les écoulements, en particulier dans les domaines de la conception ou de la réhabilitation des ouvrages de traitement de l'eau [2], [3] et [4]. La MFN permet de simuler l’hydrodynamique d'un procédé, en donnant accès aux variables locales (vitesse, pression, température, concentration d'espèces, taux de présence des différentes phases...). Il est ainsi possible de connaître avec précision l'efficacité hydraulique d'un procédé. Pour certains réacteurs, les zones de recirculation et les zones mortes peuvent être localisées, la distribution de temps de séjour simulée. Pour d'autres, les temps de décantation et les performances de mélange peuvent être prédits.
Les applications de la Mécanique des Fluides Numérique sont multiples :
- - dimensionnement et optimisation des performances d'un ouvrage en testant diverses conditions opératoires et/ou diverses configurations géométriques à un moindre coût et dans des délais plus courts que ceux induits par l'approche expérimentale classique,
- - détection d’un dysfonctionnement, recherche de l'origine du problème et étude de différentes solutions alternatives par la simulation,
- - élimination de la contrainte de mise à l’échelle (extrapolation),
- - compréhension de l’écoulement et des phénomènes de transport, grâce à une meilleure approche locale.
L’expertise et le savoir-faire de Vivendi Water ont été développés depuis 1992 à Anjou Recherche en utilisant le logiciel de calcul FLUENT®.
[Photo : Figure 1. Géométrie du clarificateur secondaire étudié.]
Tableau 1 : Conditions opératoires
Validation de l’hydraulique
L'hydraulique des clarificateurs secondaires a déjà fait l'objet de nombreuses études [5] et [6]. Dans l'optique d'optimiser le procédé de clarification par la prédiction de la hauteur du lit de boue, la MFN est utilisée pour simuler la décantation des boues dans les clarificateurs secondaires [1]. Cette démarche innovante nécessite, dans un premier temps, de valider des résultats numériques par rapport à des mesures expérimentales.
Le tableau 1 récapitule les conditions opératoires relevées expérimentalement sur un clarificateur secondaire équipé d'un clifford et d'un déflecteur en fonctionnement normal et lors d’un orage. Ce clarificateur est représenté sur la figure 1.
La figure 2 illustre le champ de vitesse dans le clarificateur lors de l'orage. L’effluent ren-
[Photo : Figure 2. Champ de vitesse (m·s⁻¹) lors de l’orage.]
[Photo : Fraction volumique de la boue durant le fonctionnement normal.]
[Photo : Fraction volumique de la boue pendant l’orage.]
entrant induit une importante boucle de recirculation dans l’enceinte du clarificateur. Puis il se dirige vers la fosse à boue en induisant deux boucles de recirculation sous et au bord du déflecteur.
La simulation numérique permet d’accéder à la concentration en Matières En Suspension (MES) en tout point de l’ouvrage, et donc d’accéder au niveau du voile de boue. Ce dernier désigne l’interface qui se forme entre les flocs décantés et l’eau clarifiée.
La forme de ce voile ainsi que son profil de concentration dépendent des mouvements de l’eau à l’intérieur du clarificateur. Les figures 3 et 4 représentent la fraction volumique de la boue par temps sec et lors d’un orage. Il y a un bon accord entre les différents profils.
La comparaison simulation/mesure de la hauteur du voile de boue est présentée dans le tableau 2. L’écart est faible au regard de l’erreur de mesure expérimentale.
La simulation numérique peut donc être utilisée pour évaluer l’efficacité des clarificateurs secondaires.
Exemple d’utilisation de la mécanique des fluides numérique
Les performances de deux types de clarificateurs secondaires ont été comparées. Il s’agit de :
* la forme traditionnelle (clarificateur plongeant dans le voile de boue),
* la forme recommandée par les normes ATV [7] : elle se caractérise par la présence d’un clarificateur et d’un déflecteur, le diamètre du déflecteur étant supérieur au diamètre du clarificateur.
[Photo : Comparaison de la distribution des MES dans l’ouvrage durant le fonctionnement normal.]
[Photo : Comparaison de la distribution des MES dans l’ouvrage pendant l’orage.]
Ces configurations sont présentées sur les figures 7 et 7a. Le critère pour comparer l’efficacité de ces deux configurations sera la hauteur du voile de boue.
Tableau 2 : Bilan sur l’estimation de la hauteur du voile de boue
Cas |
Hauteur du voile de boue mesurée (m) |
Hauteur du voile de boue simulée (m) |
Écart % |
Temps sec |
3,25 |
3,20 |
2 |
Orage |
1,75 |
2,10 |
17 |
Les paramètres maintenus constants lors de la comparaison entre les clarificateurs sont récapitulés dans le tableau 3.
Tableau 3 : Paramètres maintenus constants lors de la simulation
Paramètre |
Valeur |
Diamètre (m) | 27 |
Diamètre de l’alimentation (m) | 0,7 |
Concentration en MES en entrée (g L-1) | 3 |
Charge massique au radial (kg MES h-1 m-2) | 6,75 |
Volume (m³) | 3 245 |
Taux de recirculation (%) | 80 |
Volume corrigé (mL L-1) | 200 |
Indice de boue (mL g-1) | 200 |
[Photo : Figure 7 – Clarificateur ATV testé.]
[Photo : Figure 7a – Clarificateur traditionnel testé.]
Les autres éléments de la géométrie des configurations testées (diamètre et longueur du clarificateur et du déflecteur) ont été définis à l'aide des critères de dimensionnement basés sur la vitesse ascensionnelle, qui sont spécifiques au type de design. Pour chaque configuration, trois vitesses ascensionnelles ont été testées et sont résumées dans le tableau 4.
Les figures 8 et 9 représentent le champ de vitesse des deux configurations à la vitesse ascensionnelle de 0,8 m/h dans le demi-plan central :
- Pour la configuration ATV, il se forme une boucle de recirculation au sein du clarificateur. L’effluent en sortie du plateau déflecteur a une orientation horizontale. Il ne se dirige pas vers la fosse à boue.
- Pour la configuration traditionnelle, la boucle de recirculation est beaucoup plus importante. L’effluent se dirige vers la fosse à boue.
L’orientation de l’effluent en sortie du clarificateur a un impact très important sur la hauteur du voile de boue comme le confirment les figures 10 et 11.
[Encart : Tableau 4 – Vitesses ascensionnelles testées
Vitesse ascensionnelle (m/h) : 0,16 | 0,4 | 0,8 | 1,1 | 1,4
Configuration ATV : X | X | X | |
Configuration traditionnelle : | X | X | X | X]
La figure 12 résume le résultat de l'ensemble des configurations testées, en présentant la variation de la hauteur du voile de boue pour chaque configuration en fonction de la vitesse ascensionnelle. Quelle que soit la charge hydraulique, les configurations ATV donnent un voile de boue plus bas et plus constant (variation de – 3,4 à – 2,7 m), alors que la configuration traditionnelle présente un décrochement très important au-delà de la vitesse limite de 0,8 m/h.
L’efficacité de la configuration ATV est due au fait que l’effluent garde une direction horizontale en sortie du déflecteur. Ce comportement hydraulique découle du dimensionnement ATV, basé sur une vitesse limite dans l’enceinte du clarificateur et dans la section.
[Photo : Figure 8 – Champ de vitesse (m/s²) pour la configuration ATV à la vitesse 0,8 m/h.]
[Photo : Figure 9 – Champ de vitesse (m/s²) pour la configuration traditionnelle à la vitesse 0,8 m/h.]
[Photo : Figure 10 – Fraction volumique de la boue pour la configuration ATV à la vitesse 0,8 m/h.]
[Photo : Figure 11 – Fraction volumique de la boue pour la configuration traditionnelle à la vitesse 0,8 m/h.]
[Photo : Figure 12 – Comparaison des différentes configurations.]
La mécanique des fluides numérique est un outil performant à forte valeur ajoutée qui a permis de comparer ces deux configurations à un coût nettement plus faible qu'une étude expérimentale à échelle réelle.
Conclusion
L'optimisation de la conception de clarificateurs secondaires et la fiabilisation de leur fonctionnement par la modélisation de leur comportement hydraulique permet de :
- Diagnostiquer les dysfonctionnements d'un ouvrage dans l'optique d'une réhabilitation.
- Tester différents scénarios à forte charge hydraulique.
- Optimiser la conception des futurs clarificateurs en testant de nouvelles géométries et de nouvelles normes.
La Mécanique des Fluides Numérique (MFN) est un outil puissant et précis qui permet d'étudier une variété d'applications dans les métiers de l'eau.
Elle est devenue l'outil indispensable pour la recherche, le développement et le dimensionnement des différents ouvrages de potabilisation et de traitement d'eau résiduaire urbaine.
Elle améliore aussi le processus de développement d'un procédé et élimine les problèmes d'extrapolation. Cet outil d'aide à la conception est à forte valeur ajoutée et permet d'orienter l'expérimentation et l'optimisation avant investissement.
Références bibliographiques
- [1] Anjou Recherche. (2001). Optimisation du fonctionnement hydraulique des clarificateurs secondaires par simulation numérique. Étude AESN.
- [2] Leveque C., de Traversay C., Essemiani K. (2004). Hydraulic study and optimisation of water treatment processes using numerical simulation. In Proceedings IWA Conference, Berlin, 15-19 octobre 2001.
- [3] de Traversay C. (2000). De la mécanique des fluides numérique à l'approche systémique : application aux réacteurs d'oxydation en potabilisation. Thèse de doctorat, Université de Rennes, France.
- [4] Essemiani K. (2000). Potentialités de la mécanique des fluides numérique en agitation mécanique. Thèse de doctorat, Université de Toulouse, France.
- [5] Dahl C. (1993). Numerical modelling of flow and settling in secondary settling tanks, ATV project EF-369.
- [6] Ekama G.A., Barnard J.L., Günthert F.W., Krebs P., McCorquodale J.A., Parker D.S., Wahlberg E.J. (1997). Secondary settling tanks : Theory, modelling, design and operation. IAWQ, Scientific and technical report n° 6.
- [7] Abwasser Techniche Vereinigung ATV. (1994). Dimensioning of a single stage activated sludge plant upwards from 5000 total inhabitants and population equivalent. Doc CEN/TC 165/WG 43, worksheet A131, pp. 1-67.
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