Your browser does not support JavaScript!

Pour une eau de qualité, la protection de la ressource devient indispensable

28 novembre 2008 Paru dans le N°316 à la page 109 ( mots)
Rédigé par : Marie-odile MIZIER et Bonaventure DJAMé

Les exigences de qualité de l'eau potable imposées par la directive européenne de 1998 sont, dans certaines régions, difficilement compatibles avec la qualité de la ressource. Celle-ci nécessite parfois de recourir à plusieurs étages de traitements sophistiqués conduisant à une surenchère du prix de l'eau. Une solution de plus long terme consiste à restaurer et protéger la ressource pour éviter sa dégradation et du même coup limiter les traitements. Aujourd'hui cette dernière voie est privilégiée, poussée par la mise en place de la directive-cadre qui conseille désormais d'utiliser les meilleurs moyens au moindre coût. Avec comme conséquence une plus grande attention à la préservation de la ressource.

Marie-Odile Mizier et Bonaventure Djamé, Technoscope

[Photo : JKZ]

La qualité de l'eau de surface et, en moindre importance, celle des eaux souterraines s'est fortement dégradée dans la seconde partie du XXᵉ siècle. Aujourd’hui, la dégradation de la ressource est telle que dans bien des endroits il faut multiplier les traitements pour produire une eau potable répondant aux critères de potabilité. Les problèmes les plus récurrents sont entraînés par les pollutions agricoles, notamment pesticides et nitrates, par les pollutions industrielles et par les eaux usées des particuliers pas ou mal traitées avant d’être rejetées dans la nature. Ces problèmes sont notoires dans les zones à forte densité d’élevage comme la Bre-

[Publicité : Protect'O]

Pour contenir le prix de l'eau, la seule solution de long terme consiste à restaurer et préserver la qualité de la ressource destinée à l'alimentation des unités de production d’eau potable.

[Photo : (crédit photo : C. Cruz – Ademe)]

tage, dans les régions de grandes cultures, comme la Beauce ou la Brie, dans les bassins industriels comme le Nord-Pas-de-Calais, l'Alsace ou le couloir de la chimie en région lyonnaise.

Ces pollutions ont d’abord touché les eaux de surface donc les lacs et rivières plus visibles car plus accessibles aux contrôles, puis les nappes souterraines. Partout où la qualité de la ressource n’est pas satisfaisante, les traitements simples de filtration décantation, désinfection ne suffisent plus, il faut alors leur adjoindre des traitements complémentaires de type oxydation à l’ozone et/ou adsorption sur charbon actif pour répondre aux critères de potabilité. Ainsi par exemple, en 2006, le Siaep (Syndicat communal d’adduction d’eau potable) de Sées, dans l’Orne a dû investir 650 k€ dans un module de résine, de charbon actif pour traiter l'eau de ses forages dont les concentrations en nitrates et pesticides étaient trop élevées. Lorsque le traiteur d’eau doit mettre ces procédés en œuvre pour obtenir la qualité, l’investissement et le coût d’entretien qu’ils engendrent se répercutent immanquablement sur le prix de l'eau. Alors, pour contenir ce prix, la seule solution prônée par tous est de restaurer et de préserver la qualité de la ressource puisqu’elle est destinée à l’alimentation des unités de production d’eau potable. C’est également l’objectif de la directive-cadre sur l’eau adoptée par le parlement européen et le conseil en 2000 et qui fixe comme objectif non seulement un bon état des masses d’eau à l'horizon 2015, mais aussi le principe de non dégradation. Il ne reste que neuf ans et le chemin est encore long pour atteindre ces objectifs qui rejoignent les préoccupations des fabricants d’eau potable.

En France, 60 % de l'eau potable distribuée provient de captage de nappes souterraines, le reste étant produit à partir des eaux de surface. Sur les 35 000 captages fran- çais, plusieurs dizaines doivent chaque année être fermés ou abandonnés suite à la dégradation de la ressource.

Une forte dégradation de la ressource

La principale source d’alimentation des nappes est constituée par les eaux pluviales qui s’infiltrent dans le sol à des vitesses très lentes selon la nature du sol. « Dans le Nord-Pas-de-Calais, la vitesse ne dépasse pas un mètre par an », indique Daniel Bernard, chef du service eau potable à l’Agence de l’eau Artois Picardie. Pour une, située à 20 mètres de profondeur il faut donc deux décennies pour que l’eau atteigne la nappe. Dans cette région au lourd passé industriel, les sols fortement dégradés se comportent comme une vraie bombe à retardement où la pollution constatée à un instant donné peut mettre une génération voire plus pour se rendre visible en atteignant l’eau souterraine. Elle peut ensuite migrer dans la nappe et ce malgré l’éla-

[Encart : Identifier et évaluer les perturbateurs endocriniens (PE) L'Union européenne a défini en 2000 une liste de 553 substances artificielles et 9 hormones de synthèse ou naturelles suspectées de perturber le système endocrinien, c'est-à-dire risquant d’influer négativement sur le processus de synthèse, de transport, d'action ou d’élimination des hormones. Mais cette liste est loin d’être close : de nombreuses substances présentes dans l'environnement sont susceptibles d’interférer avec le système hormonal de certaines espèces entraînant des impacts importants sur les populations exposées : malformations, diminution du nombre de spermatozoïdes, altération de la fertilité voire menace de certaines espèces. Plus précisément, certaines de ces substances sont fortement suspectées d’être responsables chez l’Homme de la diminution de la fertilité, de tumeurs des testicules et du sein, d'altération de la fonction thyroïdienne. C'est par exemple le cas des phtalates qui viennent de faire l'objet d'une étude d'une unité de recherche du CEA qui a démontré que le MEHP, un phtalate très répandu, nuisait à la fertilité masculine en agissant dès le stade fœtal. Deux grandes familles de perturbateurs sont retrouvées dans l'eau : les hormones naturelles ou de synthèse (contraceptifs) qui sont rejetées par l'homme dans le milieu et des substances chimiques d'origine industrielle comme par exemple des pesticides, des ignifugeants, des cosmétiques, des médicaments, des peintures ou encore des produits de combustion. Le comité de prévention du ministère de l'écologie a mis l'accent sur la nécessité de développer la surveillance des milieux et d'installer une vigilance sur l'environnement afin d'identifier les anomalies du milieu et des populations animales et de les mettre en relation. De son côté, l'Union européenne veut, à moyen terme, contribuer à identifier et évaluer les perturbateurs endocriniens, développer des produits de substitution et des tests capables d'identifier les PE, notamment via le cinquième programme-cadre de recherche et développement et les initiatives privées. Une surveillance peut également être exercée via les tests immunologiques sur le principe de l’ELISA sous format tubes ou en plaques de micropuits à l'image de la gamme proposée par Novakits qui offre la possibilité de disposer dans les 2 heures, sans investissement important, d’une quantification de la présence de certains de ces perturbateurs dans les eaux dont notamment le bisphénol A, les alkylphénols, des estrogènes tels que l’estradiol, estriol, estrone… En surveillance de rejet, en audit environnemental, l'application de cette technologie à ces composés ouvre de nouvelles possibilités analytiques contribuant ainsi à la meilleure connaissance de la présence de ces composés dans les eaux. À long terme, l'UE veut adapter/modifier la législation pour prendre en compte les PE, notamment via le Règlement (CEE) n° 793/93 concernant l'évaluation des risques et la directive 67/548/CEE concernant la classification des substances dangereuses. Le bon état écologique prévu par la Directive-cadre sur l'eau doit intégrer les aspects PE.]
[Publicité : GERRIS]
[Publicité : ITT Flygt]

La délimitation du périmètre de protection du point de captage, mesure pourtant obligatoire.

« C’est la raison principale pour laquelle toute l'action de l'Agence de l'eau qui vise à garantir la qualité est d’ordre préventif, remarque Daniel Bernard, nous ne finançons jamais d'actions curatives, car lorsque la pollution est constatée, il est déjà trop tard ». C’est ainsi que les champs de captage où l'eau est de mauvaise qualité sont purement et simplement abandonnés. D’autant que tout ce qui est carboné, comme les dérivés d’hydrocarbures, les polluants industriels… peut dégrader durablement une nappe. En 2005, un captage a été abandonné dans le secteur de Lens-Liévin pour cette raison : « Une station-service avait laissé échapper des dérivés d’hydrocarbures », se souvient Daniel Bernard.

Si 95 % de l'eau potable du bassin Artois-Picardie provient des nappes phréatiques, quelques usines s'approvisionnent directement en eaux de surface, où elles peinent à trouver une eau de qualité compte tenu de la forte densité industrielle de ce secteur depuis plusieurs siècles. « Dans le Nord-Pas-de-Calais, il n’y a que deux usines de prélèvement d'eau de surface », indique Daniel Bernard. L'une de ces usines est construite dans la commune d’Aire-sur-la-Lys dans le Pas-de-Calais. Elle prélève l'eau de la Lys pour alimenter le Nord de la métropole lilloise. C’est au cours de la décennie 70 que la décision de construire une usine de production d’eau potable est retenue. Le choix s'est porté sur la Lys, distante de 50 kilomètres, car l’arrondissement de Lille ne renfermait pas suffisamment d'eau souterraine et que ses eaux de surface étaient à l’époque intraitables car trop polluées. « Si l'on traite l'eau des zones trop dégradées, nous risquons toujours qu'un accident routier ou industriel rende l’eau encore plus dégradée, explique Daniel Bernard. Et dans ce cas, aucun traitement ne sera plus suffisant ».

La stratégie de l'abandon des points de prélèvement n'est toutefois pas satisfaisante. Celle d’interconnexions avec des localités voisines pour assurer l’approvisionnement en eau potable non plus, car les travaux sont très coûteux. Il en est de même pour le suréquipement technique du procédé de traitement. Reste les solutions temporaires ou mobiles qui permettent de faire face à une situation d’urgence. Le marché du mobile est assez concurrentiel. Les deux grands du traitement, Veolia Eau Solutions & Technologies et Ondeo Industrial Solutions, ont développé des services d’emblée à l’échelle européenne pour l'eau potable tout comme GE Water & Process Technologies, Pall ou Permo.

Mais ces solutions, aussi nécessaires soient-elles sur une courte période, ne doivent pas occulter le fait qu’il faudrait au contraire abandonner les traitements au profit des captages. Depuis quelques années, des scénarios se dessinent pour inverser la tendance.

Comment préserver la ressource ?

Dans un premier temps, des mesures de protection peuvent être mises en place pour compléter les périmètres de protection des captages qui sont eux obligatoires. Il s'agit notamment des mesures contractuelles de type agro-environnementales par exemple, ou encore une approche foncière avec l'achat de terrain par la collectivité.

La mise en place des périmètres de protection consiste à se préserver des sources de pollution par un espace autour des captages. Leur mise en œuvre est obligatoire.

Malgré cela, leur efficacité est souvent jugée insuffisante car ils ne prennent pas en compte la totalité des sources de pollution.

Ainsi, trop souvent, pour éviter les conflits, ces mesures engendrent peu de contraintes vis-à-vis des pratiques agricoles responsables des pollutions diffuses.

L'idéal est d’accompagner la mise en place des périmètres de protection de mesures…

[Encart : Protection des captages : où en sommes-nous ? Les périmètres de protection des captages destinés à l'alimentation en eau potable ne sont pas une création récente : le décret-loi de 1935 prévoyait déjà la possibilité de créer des périmètres de protection. La loi de 1964 les a rendus obligatoires pour tous les nouveaux captages, à l'exception de ceux protégés naturellement. La loi de 1992 a généralisé l'obligation à tous les captages en instituant un délai de 5 ans pour la mise en conformité des ouvrages existants. La circulaire interministérielle du 2 janvier 1997 précise qu’à compter de cette date, l’absence de mise en place des périmètres de protection peut engager la responsabilité du service de distribution d'eau potable ou du maire de la commune d’implantation. Pour renforcer la mise en place de ces périmètres de protection, le gouvernement a fixé des objectifs à travers son Plan National Santé-Environnement établi en 2004. Ainsi, en 2008, 80 % des points de captage d'eau potable auraient dû bénéficier d'un périmètre de protection assorti de prescriptions limitant les risques de pollution et 100 % en 2010. Mais selon les derniers chiffres disponibles seuls 48 % des captages actuellement en service bénéficieraient d'une protection réglementaire. D’où de nouveaux délais définis dans la loi « Grenelle 1 » qui prévoit que d'ici 2012, des « plans d'action » seront définis pour assurer la protection des cinq cents captages les plus menacés par les pollutions diffuses, notamment les nitrates. Les agences de l'eau se voient chargées de développer un « programme spécifique » sur les aires d’alimentation de captages et devront adapter leurs ressources financières à cet effet. Sur ces zones, priorité sera donnée aux surfaces d’agriculture biologique ou faiblement utilisatrices d’intrants afin de préserver la ressource et réduire les coûts de traitements.]
[Photo : Les stations d’alerte sont chargées de surveiller la ressource et de déclencher une alerte lorsqu’elles détectent un problème. Aujourd’hui, les équipements sont au point et peuvent surveiller de nombreux paramètres.]
[Photo : Le procédé Carbo-RM® de Stereau combine un traitement poussé d’adsorption sur charbon actif en poudre et un traitement membranaire d’ultrafiltration. Il permet de répondre aux problématiques de la variabilité des concentrations en matières organiques, en pesticides et en leurs sous-produits tout en maintenant constante une eau traitée de bonne qualité en ce qui concerne la turbidité et les paramètres microbiologiques.]

Des actions de sensibilisation ont été menées dans le Cambrésis où opère le Siden (Syndicat intercommunal de dépollution des eaux résiduaires du Nord). « L’Agence de l’eau a mené ces dernières années une action forte vis-à-vis des milieux agricoles pour optimiser les dosages d’engrais et donc réduire les pollutions nitratées par les engrais », précise Bernard Bonduel, directeur du Siden. Bilan : en vingt ans la teneur en nitrates de l’eau souterraine est passée de 60 mg/l à 35 ou 40 mg/l dans certains forages. La qualité de l’eau souterraine a donc sensiblement été améliorée.

Pour Bernard Poyet, directeur du Sian (Syndicat intercommunal de l’assainissement du Nord), « il y a aujourd’hui un contexte économique qui a fait que les agriculteurs sont beaucoup plus vigilants dans les pratiques culturales. Il n’y a plus, comme dans les années 70, une pression très forte des vendeurs d’engrais, d’herbicides et une méconnaissance totale des exploitants dans l’utilisation de ces produits. Aujourd’hui, ils sont obligés d’utiliser les doses optimales. Ce qui est épandu au niveau des terrains est absorbé au niveau de la plante et il y a moins de résidus qui partent polluer la nappe ». D’autres actions d’éducation aux bonnes pratiques ont également été menées en Bretagne par l’association Bretagne eau pure, entraînant une diminution des pollutions diffuses. En Île-de-France, où la pression sur les masses d’eaux souterraines est particulièrement forte et où la qualité des eaux superficielles est dégradée notamment par des pollutions diffuses d’origine agricole, un contrat d’animation et d’assistance technique entre l’Agence de l’eau Seine-Normandie et le Groupement d’agriculture biologique d’Île-de-France a été mis en place. Des animateurs auront pour mission d’accompagner et de favoriser les conversions en agriculture biologique mais aussi de sensibiliser et de promouvoir ces pratiques, notamment auprès des jeunes dans les établissements d’enseignement agricole.

Pour compléter ces mesures, des évolutions juridiques récentes apportent de nouveaux outils. Il s’agit de l’accès à la propriété par la collectivité, une mesure qui permet, par exemple, de créer une zone de dilution autour des captages ou de maîtriser l’occupation des sols sur les zones les plus sensibles par l’acquisition de ces terrains. Ces outils peuvent être mis en œuvre à l’aide de la SAFER (Société d’Aménagement et d’Établissement Rural). L’amélioration de la qualité des eaux de surface passe aussi par la restauration des cours d’eau. Le GIS ZABR (Zone d’Atelier Bassin du Rhône), qui rassemble treize établissements de recherche, a été labellisé en 2001 par le CNRS. Ses travaux s’inscrivent dans une démarche d’aide à la décision publique en matière de gestion durable des cours d’eau et de leurs bassins versants. La pratique des méthodes d’ingénierie écologique qu’il a développée pour la restauration du fleuve est mise à la disposition des décideurs qui souhaitent s’attaquer à la réhabilitation du fonctionnement des hydrosystèmes.

Le programme mobilise 36 partenaires industriels, PME, laboratoires de recherche et comporte cinq axes : dragage et criblage, confinement, absorption, voies biologiques et voies thermiques. L’INSA de Lyon réalisera des tests sur les technologies émergentes et un site de Suez-Environnement réalisera des tests à échelle industrielle à l’aide de technologies éprouvées. Tous ces investissements qui se mettent en place depuis quelques années commencent à porter leurs fruits au moins côté nitrates. À Laval, Gérard Pouteau, le responsable de la production d’eau potable, observe une diminution de leur présence dans l’eau brute. « La tendance est à la baisse et la concentration dépasse rarement 50 mg/l. »

[Photo : L’échange d’ions est un procédé très utile lorsqu’il s’agit d’éliminer sélectivement certains contaminants de l’eau potable. Ici, une installation de dénitratation de type Advanced Amberpack™.]
Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements