Le projet Franco-Espagnol d'Aqueduc du Rhône à la catalogne ne laisse personne indifférent. Après la publication dans le numéro 232 de la revue L?EAU, L?INDUSTRIE, LES NUISANCES d'un article intitulé « l'aqueduc Rhône-Barcelone est-il nécessaire ? », nous jugeons utile de soumettre aux lecteurs le présent document, élaboré par le groupe de travail sur « la gestion des eaux partagée de L?Académie de l'eau », qui fait le point sur ce projet. Les éléments d'informations qu'il contient apporteront ainsi à chacun l'éclairage nécessaire pour se forger une opinion sur ce projet en toute connaissance de cause.
L’Espagne rencontre fréquemment des difficultés d’alimentation en eau à l'occasion de périodes estivales traditionnellement sèches. D'ici 5 à 10 ans (2005-2010), la Catalogne elle-même, où vivent plus de 6 millions d’habitants, souf-
souffrira de graves déficits en eau urbaine et les régions voisines espagnoles ne pourront pas lui apporter l'eau qui fera défaut (en particulier dans la région de Barcelone qui concerne 4,5 millions d’habitants).
La région de Barcelone manque d’eau
Les ressources naturelles exploitables par habitant sont en effet très faibles : 265 m³/hab./an pour les bassins internes de Catalogne alors que, par exemple, elles sont d'environ 3 600 m³/hab./an en moyenne en France (en dessous de 1 500 m³/hab./an, la situation est considérée comme « critique »).
Des déficits en eau confirmés
La Commission des Ressources Hydriques, du Parlement catalan, qui depuis avril 2000 a travaillé sur la situation actuelle et future des ressources en eau en Catalogne, a publié le 25 juillet 2000 une déclaration commune, signée par tous les groupes parlementaires participants : Convergència i Unió, Partit de Socialistes de Catalunya, Ciutadans pel Canvi, Partit Popular.
Cette motion commune est destinée au Ministère de l’Environnement espagnol pour être prise en compte dans la version finale du Plan Hydrologique National.
Les principaux points mis en avant par la Commission sont :
- a) la confirmation d'un déficit hydrique de l'ordre de 100 Hm³/an à court terme, jusqu’à 300 - 350 Hm³/an,
- b) la possibilité de réduire ces déficits grâce à des politiques de « gestion intégrée » de l'eau,
- c) malgré cela un apport d’eau de l’extérieur est indispensable pour atteindre un niveau de qualité et de quantité acceptable,
- d) le PHN doit apporter une réponse aux
Jean-Pierre Brunel, président de BRL, apporte un éclairage supplémentaire au débat sur la légitimité de l’Aqueduc Languedoc-Roussillon-Catalogne
E.L.N. : Le premier reproche fait au projet de transfert d'eau du Rhône en Catalogne porte sur la surestimation des futurs besoins en eau de la Catalogne, et le non-recours à une meilleure gestion des ressources.
J.P.B. : À la suite de ces polémiques, la commission des ressources hydriques du parlement catalan a confirmé cet été que le déficit en eau atteindrait 350 Mm³/an.
Le Plan hydrologique national a retenu 200 Mm³, ce qui demeure bien supérieur aux statistiques espagnoles de 1997, et confirme notre propre perception sur le terrain. Sans vouloir polémiquer, j’aimerais faire remarquer que, si la population de Barcelone baisse, elle se déplace à sa périphérie, où la démographie est en croissance.
Pour la seule région centrale l'augmentation sera de 400 000 habitants d'ici à 2010 d’après l’IEC. D'ailleurs, le ministère de l'Environnement catalan, qui s'était peu manifesté jusqu’ici, vient de demander à Madrid de prendre contact avec les autorités françaises pour étudier les solutions de transferts.
Par ailleurs, l'accusation de mauvaise gestion des ressources ne me semble pas fondée sur la réalité des pratiques agricoles en Catalogne.
E.L.N. : Les transferts locaux, à partir de l’Èbre, en Aragon, seraient selon les opposants plus économiques et écologiques.
J.P.B. : Nous avons déjà répondu à cet argument en soulignant que la politique européenne de partage des ressources Nord-Sud pourrait à elle seule clore le débat. Les études montrent que le projet n'a pas non plus d'incidence majeure sur le plan environnemental.
Dans ce débat, il ne faut pas oublier l’opposition locale très vive en Aragon, basée sur l'incidence écologique du projet local. Transférer seulement à partir de l’Èbre, c’est risquer l'aggravation de la pénétration d'eau salée dans les eaux douces du fleuve.
Enfin, l’Espagne sollicite énormément ses nappes phréatiques pour pallier les déficits de surface. Les apports d'eau extérieurs permettront de protéger ces ressources où déjà la salinisation a débuté.
E.L.N. : Le coût du projet, notamment en énergie, constitue la deuxième critique majeure.
J.P.B. : Nos chiffres disent le contraire. La consommation énergétique serait à peine supérieure : 1,621 kWh/m³ pour le Rhône contre 1,125 kWh/m³ sur l’Èbre. Avec un prix moyen en revanche très favorable au Rhône, l’énergie étant plus chère en Espagne : 5 pts/kWh pour le Rhône contre 12 pour l'Èbre. L'énergie n'est pas le seul paramètre à prendre en compte. L'évaporation lors des transferts à ciel ouvert tels qu’ils sont pratiqués sur l’Èbre crée une déperdition de 10 à 15 %, ce qui n'est pas le cas avec nos infrastructures enterrées et mises sous pression. Or le prix de l'eau repose, en Espagne, sur les volumes prélevés et non sur les volumes fournis.
Le coût évalué dans le PHN des transferts en Espagne est de 52 pesetas/m³. Mais, ramené au volume d'eau disponible, il remonte à 55 pesetas/m³. Le transfert à partir du Rhône, selon nos calculs qui tiennent compte des critères retenus dans le PHN (investissement amorti sur 50 ans, taux d'intérêt variant entre 4 et 4,5 %), reviendrait à 56 pesetas/m³.
J'ajouterai que, sous l’angle financier et écologique, si le transfert local diminue le kilométrage d’infrastructures, il nécessite en revanche des barrages pour le stockage dont les investissements seraient entièrement à la charge de l'Espagne.
E.L.N. : Tout le monde y gagne donc ?
J.P.B. : Absolument. Sur le plan sociopolitique, le projet amènerait le consensus local. Sur le plan financier, il s'avère rentable pour tous.
Il garantit la pérennité des ressources aussi bien en Catalogne qu’en France où la région Languedoc-Roussillon, très touristique, consoliderait ses ressources d’approvisionnement et protégerait ses nappes phréatiques. Nous sommes dans la droite ligne du développement durable.
Propos recueillis par Anne Lombard
e) le PHN doit déclarer d'intérêt général les ouvrages de transferts ainsi que toutes les actions qui seront nécessaires pour les bassins internes de Catalogne.
La Commission souligne la nécessité de soulager les ressources actuelles qui sont surexploitées (nappes et rivières) et de maintenir une partie du débit du Ter (qui est actuellement majoritairement dérivé vers Barcelone) dans son propre bassin.
L’aqueduc du Rhône vers l'Espagne, dans le plan hydrologique national
Conformément aux engagements du Conseil des Ministres du 14 juillet 2000, l'avant-projet du Plan Hydrologique National (PHN) espagnol a été présenté au Conseil National de l'Eau, à Madrid, le mardi 5 septembre.
Le PHN reconnaît que quatre bassins hydrologiques espagnols, dont le bassin des Conques Internes de Catalogne (zone de la grande agglomération de Barcelone), sont déficitaires et propose de couvrir ces déficits par des transferts d'eau.
À partir de l'analyse des besoins et des ressources disponibles issue du Livre Blanc sur l'Eau, le PHN présente sept options de transferts à partir de quatre bassins cédants :
- - deux sont transfrontaliers et concernent le Portugal au même titre que l'Espagne : le Duero et le Tage,
- - un présente l'avantage d'une solution purement nationale : l'Ebre,
- - le Rhône relevant de ressources proches mais externes à l'Espagne.
Sur ce dernier point il faut relever que le PHN, faisant suite à celui de 1993 qui n'avait pas abouti, est particulièrement novateur puisque pour la première fois il envisage une ressource extérieure pour résoudre les problèmes hydriques de l'Espagne.
Étudiée dans le PHN au même titre que les autres solutions, l’option du Rhône traduit cependant un déficit d'information des autorités espagnoles :
- - d'une part, parce qu’il s'agit d'une ressource relevant d'une autre souveraineté ;
- - d'autre part, parce que les hypothèses économiques espagnoles sont également appliquées sur le tronçon français du transfert. De ce fait, il en résulte une forte pénalisation de cette option (coût de l’énergie + 68 %).
La solution qui a été présentée par le ministère de l'Environnement espagnol repose sur un prélèvement unique dans l'Ebre (1 000 hm³/an, soit 20 % des volumes réputés « excédentaires »), pour alimenter l'ensemble des quatre bassins déficitaires.
Le projet de ce prélèvement massif dans l’Ebre provoque d’importantes manifestations d’opposition de diverses origines (associations de protection du Delta, environnement, Société Aragonaise...).
Le Gouvernement espagnol recherche le consensus pour mettre au point le projet définitif du PHN et a maintes fois déclaré que toutes les solutions étudiées étaient envisageables et devraient faire l’objet de discussion.
Le Conseil National de l'Eau doit débattre de ces options et rendre un avis, d'ici le mois de décembre prochain, sur la ou les solutions qui lui paraissent les plus adaptées pour régler les besoins des bassins déficitaires. Ses propositions devront s'appuyer sur un large consensus social avant d’être présentées au Parlement espagnol, pour une adoption dès le début de l'année 2001.
Le Rhône déverse à la mer les volumes les plus importants du bassin méditerranéen
Avec 54 milliards de m³ déversés annuellement à la mer, le Rhône apporte à la Méditerranée plus que les...
[Figure : Les grands fleuves méditerranéens]autres grands fleuves du bassin (Nil, Pô, Ebre).
L’apport maximum pour Barcelone représenterait moins de 450 millions de m³, soit moins de 1 % des apports du Rhône, sans incidence sur le milieu naturel, ainsi que l’attestent les études réalisées en 1999 pour répondre au Comité de Bassin Rhône Méditerranée Corse et supervisées par un comité scientifique d’experts.
BRL dérive actuellement de l’eau du Rhône jusqu’à Montpellier
La Compagnie Nationale d’Aménagement de la Région du Bas Rhône et du Languedoc-Roussillon (BRL) est une Société d’Aménagement Régional (SAR), créée en 1955 par l’État français pour l’aménagement hydraulique et le développement de la région du sud de la France entre le Rhône et l’Espagne.
Concessionnaire de l’État français jusqu’en 2056, BRL dispose de l’autorisation de prélèvement d’eau dans le Rhône jusqu’à 75 m³/s, ce qui rend possible le transfert vers l’Espagne sans dépasser le débit autorisé et permettrait une meilleure exploitation des ouvrages existants entre le Rhône et Montpellier qui sont actuellement sous-utilisés.
Ces ouvrages existants permettraient de fournir les volumes d’eau qui seraient nécessaires pour Barcelone au début du XXIᵉ siècle, tout en conservant une capacité de développement très importante pour la région Languedoc-Roussillon.
L’Aqueduc LRC : un projet structurant pour l’aménagement du territoire en Languedoc-Roussillon
L’Aqueduc serait réalisé par une conduite totalement enterrée de 2,40 à 2,80 m de diamètre sur une longueur totale de 320 km.
Cet aménagement permettrait d’assurer, le long de cet aqueduc de 200 km de long, en Languedoc-Roussillon, les dessertes en eau qui seraient nécessaires pour diverses collectivités concernées, mais qui ne pourraient pas supporter à elles seules la programmation d’un tel investissement.
Enfin, l’augmentation des volumes d’eau distribués grâce aux ouvrages de la Concession d’État de BRL entraînerait une meilleure répartition des charges fixes d’entretien et de maintenance de ces ouvrages, qui pèsent aujourd’hui sur le coût de l’eau supporté par les seuls usagers de la région du Languedoc-Roussillon.
Coûts du projet
Pour 10 m³/s (300 Mm³/an) – Investissement au Rhône à la frontière : 4000 MF – De la frontière à Cardedeu : 2000 MF Total : 6000 MF Dépenses de fonctionnement : ~ 500 MF/an
Pour 15 m³/s (450 Mm³/an) – Investissement au Rhône à la frontière : 5500 MF – De la frontière à Cardedeu : 2500 MF Total : 8000 MF Dépenses de fonctionnement : ~ 700 MF/an
Un financement équilibré
Les études économiques ont été basées sur un investissement total de 6 à 8 milliards de francs (pour 300 à 450 Hm³/an) qui serait assuré par un « financement de projet » remboursé en 20 ou 25 ans grâce à la vente d’eau aux consommateurs espagnols.
Un accord international entre la France et l’Espagne déterminerait le montage juridique adéquat du projet et apporterait les garanties nécessaires aux deux parties.
Côté Espagne, l’affectation de financements publics d’origine l’État et l’Union Européenne paraît probable.
Solidarité et développement durable
Trouvant son origine dans les neiges des Alpes, l’Aqueduc LRC est l’expression de la solidarité méditerranéenne.
Il s’inscrit d’ailleurs dans la tradition millénaire du bassin méditerranéen.
Aujourd’hui il est au service d’une coopération européenne fondée sur le principe du développement durable.
Vecteurs du développement durable les aqueducs préservent en effet l’environnement : à l’intérieur des terres, ils remplacent les barrages ; ils préservent le littoral d’une dégradation qui pourrait résulter de la prolifération d’usines de dessalement en bord de mer ; ils protègent enfin le milieu naturel, en empêchant la surexploitation des nappes et autres ressources locales.