Les eaux à traiter peuvent être contaminées par des matières chimiques minérales ou organiques, insolubles colloïdales ou solubles ou encore par des micro-organismes. L’échelle logarithmique de la figure 1 donne une idée des dimensions des différentes particules solubles ou insolubles, inertes ou vivantes, que peuvent contenir les eaux à traiter.
Pour qu’une eau soit potable elle doit être exempte de micro-organismes et de produits toxiques, mais elle doit conserver une certaine minéralisation : hydrogénocarbonates, chlorures et sulfates, sodium potassium ou calcium en quantités modérées.
D’après la figure 1 on peut voir que pour éliminer tous les micro-organismes, ainsi que les molécules organiques indésirables comme les acides fulviques, il sera nécessaire d’utiliser une membrane dont les pores présentent des diamètres de l’ordre de quelques nanomètres.
Avec une telle membrane la minéralisation de l’eau doit rester complète ; il se pose alors un problème au niveau de certains ions, en particulier ceux des métaux lourds, mais également des nitrates ou des nitrites et des ions ammonium.
Technique opératoire
Nous avons effectué les traitements par ultrafiltration tangentielle sur membranes minérales tubulaires. Les supports de membranes utilisés étaient des tubes d’alumine de 15 mm de diamètre ayant des pores de l’ordre de 0,2 μm, fabriqués par la société Ceraver. Les membranes proprement dites ont été mises au point et réalisées par le laboratoire de chimie de matériaux de l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Montpellier.
Des diamètres de pores allant de 5 à 2000 nm ont été essayés.
Les montages ont été réalisés soit à partir d’une seule pompe avec recyclage des concentrats dans un bac de rétention, soit à partir d’une boucle de circulation comportant une pompe centrifuge et alimentée par une pompe à piston. C’est ce deuxième montage qui a été le plus utilisé avec des vitesses de recirculation de l’ordre de cinq mètres par seconde.
Résultats expérimentaux
Les premiers essais réalisés avec des membranes à pores de 2000 nm de diamètre avec recirculation à une seule pompe ont abouti à un colmatage rapide de la membrane (15 mn environ) et à une mauvaise qualité d’eau.
D’autres essais réalisés avec le deuxième montage et avec divers types de membranes ont montré que l’on obtenait un colmatage moins rapide et plus réversible avec les pores de plus faible diamètre.
Après de nombreux essais sur divers types de membranes, aboutissant soit à des colmatages soit à une qualité d’eau ne répondant pas aux critères de potabilité, nous avons obtenu des résultats satisfaisants sur
[Photo : Échelle logarithmique donnant la dimension des particules contenues dans les eaux testées.]
Tableau 1. — Eau de bassin de lagunage
(station d'épuration)
| Eau brute | Eau ultra-filtrée |
Analyse physico-chimique |
DCO (ppm O₂) | 150 | < 10 |
Oxydabilité à froid (ppm O₂) | 1,3 | 0,3 |
TH total (degré français) | 50 | 45 |
SO₄ (ppm) | 118 | 15 |
Cl⁻ (ppm) | 650 | 510 |
NH₄ (ppm N) | 60·10⁻³ | 45·10⁻³ |
NO₃ (ppm N) | 170·10⁻³ | 2·10⁻³ |
NO₂ (ppm N) | 18·10⁻³ | < 10⁻³ |
Détergents (ppm lauryl sulfate) | 0,23 | 0,13 |
Analyse bactériologique |
Bactéries hétérotrophes aérobie /100 ml | incomptables | 5 |
Coliformes totaux /100 ml | 18 000 | 0 |
Coliformes fécaux /100 ml | 1 000 | 0 |
Tableau 2. — Eau de lac
| Eau brute | Eau ultra-filtrée |
Analyse physico-chimique |
DCO (ppm O₂) | 44 | < 10 |
Oxydation à froid (ppm O₂) | 0,40 | 0,36 |
TH total (degré français) | 16 | 14 |
SO₄ (ppm) | 20 | 1 |
Cl⁻ (ppm) | 50 | 30 |
NH₄ (ppm N) | 14·10⁻³ | 10·10⁻³ |
NO₃ (ppm N) | 2·10⁻³ | < 10⁻³ |
NO₂ (ppm N) | < 10⁻³ | < 10⁻³ |
Analyse bactériologique |
Bactéries hétérotrophes aérobie /100 ml | 130 000 | 35 |
Coliformes totaux /100 ml | 0 | 0 |
Coliformes fécaux /100 ml | 0 | 0 |
Tableau 3. — Eau de fleuve
| Eau brute | Eau ultra-filtrée |
Analyse physico-chimique |
DCO (ppm O₂) | 88 | 12 |
Oxydabilité à froid (ppm O₂) | 0,24 | 0,18 |
TH total (degré français) | 24 | 19 |
SO₄ (ppm) | 0 | 0 |
Cl⁻ (ppm) | 90 | 80 |
NH₄ (ppm N) | 0,06 | 0,00 |
NO₃ (ppm N) | 9·10⁻³ | 4·10⁻³ |
NO₂ (ppm N) | 0,40 | 0,01 |
Azote Kjeldahl (ppm N) | 112·10⁻³ | < 10⁻³ |
Analyse bactériologique |
Bactéries hétérotrophes aérobie /100 ml | > 10² | 200 |
Coliformes totaux /100 ml | incomptables | 0 |
Coliformes fécaux /100 ml | 200 | 0 |
Tableau 4. — Rétention de quelques métaux par adsorption sur les colloïdes et complexation par les macromolécules (acides fulviques) d'une eau de lagunage
Éléments | Eau ultra-filtrée | Eau microfiltrée | Concentrat d'ultrafiltration |
Na | 266 ppm | 285 ppm | 298 ppm |
K | 28 ppm | 30 ppm | 35 ppm |
Mg | 40 ppm | 42 ppm | 45 ppm |
Ca | 95 ppm | 95 ppm | 105 ppm |
Ba | 40 ppb | 45 ppb | 50 ppb |
Zn | 90 ppb | 90 ppb | 120 ppb |
Ni | 70 ppb | 70 ppb | 120 ppb |
Fe | 50 ppb | 50 ppb | 1 ppm |
V | 0 | 0 | 50 ppb |
Des « membranes 34 » réalisées par le laboratoire de chimie des matériaux de l’E.N.S.C.M. Ces membranes ont des pores d’un diamètre de l’ordre de 6 nm ; elles ont été réalisées sur support Ceraver.
Il est à remarquer que le débit obtenu décroît rapidement en début de manipulation pour atteindre un palier aux environs de 100 à 150 litres par heure et par mètre carré de membrane.
Sur des membranes à pores de plus gros diamètre les débits ne sont durablement supérieurs qu’avec des eaux peu chargées en colloïdes ; dans le cas contraire, on observe un colmatage plus ou moins important des membranes.
Des membranes à pores de forte dimension, qui assurent des débits importants en eau claire, donnent après un certain temps de fonctionnement en eau chargée des débits beaucoup plus faibles. Par ailleurs, ces mêmes membranes réutilisées en eau claire ne retrouvent pas leur débit initial, mais conservent le débit limite observé en eau chargée. Simultanément, la qualité chimique et biologique des eaux obtenues s’améliore pour se stabiliser en même temps que les débits.
Après stabilisation des débits et de la qualité des eaux nous avons effectué des analyses sur divers types d’eaux. Ces résultats donnés dans les tableaux joints montrent que de nombreux ions toxiques, quoique de dimensions plus faibles que les pores de la membrane, sont arrêtés (métaux lourds, nitrates, nitrites, etc.) surtout quand les eaux sont particulièrement chargées.
Nous avons observé que le colmatage était irréversible dans une certaine gamme de diamètres de pores correspondant à la dimension des colloïdes. En effet, si les colloïdes pénètrent dans les pores de dimension très légèrement supérieure, ils y floculent, en provoquant un colmatage irréversible. D’une façon générale, on observe un colmatage irréversible de la membrane si la répartition du diamètre des pores coïncide avec celle des particules. Ce phénomène a été mis à profit pour colmater les plus gros pores de la membrane, ce qui se traduit par une amélioration de la qualité des eaux en même temps que la baisse du débit. Le côté irréversible de ce colmatage assure ensuite une qualité constante de la membrane pour tous les types d’eaux ; ainsi en ultrafiltration sur ce type de membrane les petites imperfections que l'on peut rencontrer peuvent être rapidement compensées par colmatage, comme l’indique la figure 2.
Par ailleurs il faut remarquer que pour un type d’eau donné il existera une zone « interdite » dans les diamètres de pores correspondant à la répartition de ceux des colloïdes : dans cette plage on observe en effet un colmatage rapide et irréversible des membranes, et seules des membranes à pores de diamètre très inférieur ou très supérieur à cette zone pourront être mises en place. Ainsi pour le type d’eau (traité par lagunage) que nous avons testée, seules l’ultrafiltration fine ou la grosse microfiltration pourront être valablement utilisées.
[Photo : Apparition du colmatage de certains pores de la membrane en fonction d’une part de la répartition du diamètre de ces pores et d’autre part des colloïdes contenus dans les eaux. Les échelles sont arbitraires et les valeurs des diamètres ne sont données qu’à titre indicatif pour nos conditions expérimentales.]
On peut signaler que ces phénomènes de colmatage irréversibles n’excluent pas les possibilités classiques de polarisation des membranes, dont il est nécessaire de tenir compte. Dans notre cas nous avons obtenu cette dépolarisation par contre-courant périodique (ce que les membranes minérales supportent sans aucun dommage).
En ce qui concerne la rétention d’ions de dimension beaucoup plus faible que le diamètre des pores de la membrane, il est bien connu, en particulier, que les ions métalliques sont fortement complexés par les fonctions carboxylates et phénols des acides humiques ou fulviques contenues dans les eaux (1 à 6). Que ces acides soient solubles ou insolubles, ils peuvent, si leur masse molaire est suffisante, être retenus par la membrane et avec eux les métaux qu’ils complexent (7, 8). Les différents ions toxiques de petite taille retenus le sont donc par adsorption sur les colloïdes ou les grosses molécules contenues dans les eaux à traiter. Ceci explique pourquoi on observe une meilleure épuration de ces ions dans les eaux les plus chargées et que celle-ci est inexistante dans les eaux claires.
L’ultrafiltration sur membranes minérales peut être considérée comme une excellente méthode de potabilisation des eaux pour des petites installations, car elle permet d’assurer l’élimination de la majorité des toxiques que l'on peut rencontrer dans les eaux, grâce à leur adsorption sur les colloïdes.
Par ailleurs, l’ultrafiltration permet dans ces conditions d’assurer la stérilisation des eaux ; ce n’est pas le cas de toutes les techniques d’ultrafiltration, ni de l’osmose inverse à cause des risques de détérioration de certaines membranes (fuites locales, rupture de fibres creuses, ne modifiant pas la composition chimique d’une façon notable). C’est la raison pour laquelle la microfiltration, plus fiable, donne souvent de meilleurs résultats sur le plan de l’élimination des bactéries.
Bien évidemment cette stérilité obtenue n’est pas permanente et il y a risque de recontamination des eaux si des précautions ne sont pas prises dans ce sens.
REMERCIEMENTS
Nous remercions l’ANVAR qui a soutenu cette étude.
BIBLIOGRAPHIE
1. J. P. Giesy, A. Newell et G. J. Leversee – Sc. of Total Environment, 1983, 28, 23-26.
2. D. M. McKnight, G. L. Feder, E. M. Thurman, R. L. Wershaw et J. C. Westall – Sc. of Total Environment, 1983, 28, 65-76.
3. J. Buffle, F. L. Greter et W. Haerdi – Anal. Chem., 1977, 49 (2), 216-221.
4. J. Buffle et J. Mallevialle – T.S.M. L’Eau, 1974, 69 (6), 331-339.
5. J. Buffle – T.S.M. L’Eau, 1977, 72 (1), 3-10.
6. A. Sardatchi – Thèse Grenoble 1984.
7. F. Aulas, B. Tyburce, M. Rumeau et M. Renaud – Entropie, 1980, 91, 48-51.
8. M. Renault, F. Aulas et M. Rumeau – Chem. Engineer. J., 1982, 23, 137-143.