Le Houët est une petite rivière du Burkina Faso qui traverse la ville de Bobo-Dioulasso. La faune piscicole est composée essentiellement de silures vénérés par les populations autochtones au point que leur pêche est interdite et qu'à leur mort, ces poissons sont enterrés suivant un rituel identique à celui des humains. En octobre 2001, la mort de 500 silures a été constatée. Pour établir les causes de cette catastrophe, une équipe de chercheurs a procédé à des investigations, consistant en: - une autopsie des poissons morts; - une analyse microbiologique des prélèvements tissulaires de poissons agonisant; - une analyse bactériologique des échantillons d'eau de la rivière; - une analyse chimique des organes de poissons morts et des échantillons d'eau par chromatographie en phase gazeuse. Les examens chimiques ont signalé la présence de lindane et de thirame dans les organes des poissons, confirmant le fait que quelques jours avant la mort des silures, des sacs contenant des résidus de calthio (lindane + thirame) dangereux pour l'homme et les poissons ont été lavés dans la rivière. Les analyses bactériologiques des eaux ont révélé la présence d'indicateurs de pollution dont Escherichia coli, Streptocoques fécaux, Clostridium sp et de Pseudomonas, agents étiologiques de nombreuses pathologies humaines. Ces investigations confirment la pollution des eaux du Houët et mettent en exergue les dangers pour la faune aquatique et les risques sanitaires pour les populations riveraines qui utilisent les eaux de la rivière à des fins domestiques.
- - une autopsie des poissons morts ;
- - une analyse microbiologique des prélèvements tissulaires de poissons agonisants ;
- - une analyse bactériologique des échantillons d'eau de la rivière ;
- - une analyse chimique des organes de poissons morts et des échantillons d'eau par chromatographie en phase gazeuse.
Les examens chimiques ont signalé la présence de lindane et de thirame dans les organes des poissons, confirmant le fait que quelques jours avant la mort des silures, des sacs contenant des résidus de calthio (lindane + thirame), dangereux pour l'homme et les poissons, ont été lavés dans la rivière. Les analyses bactériologiques des eaux ont révélé la présence d’indicateurs de pollution dont Escherichia coli, Streptocoques fécaux, Clostridium sp. et Pseudomonas, agents étiologiques de nombreuses pathologies humaines. Ces investigations confirment la pollution des eaux du Houët et mettent en exergue les dangers pour la faune aquatique et les risques sanitaires pour les populations riveraines qui utilisent les eaux de la rivière à des fins domestiques.
Mots-clés : pollution, pesticides, bactéries, mort des silures, menace sanitaire
Comme toutes les villes des pays du Sud, Bobo-Dioulasso est une ville en pleine expansion démographique. La population est passée de 150 000 habitants en 1989 à plus de 600 000 habitants en 2001. En l’absence de système de tout-à-l’égout, les eaux usées domestiques et industrielles rejetées sur les sols et dans les caniveaux alimentent les eaux du marigot Houët avec tous les risques de pollution que cela comporte (Coen, 1981). Beaucoup d'usines sont implantées dans cette ville. Les rejets de ces usines, et les eaux usées domestiques sont déversés dans les quelques caniveaux existant sans aucun traitement (Calamari, 1985).
La pollution du marigot Houët par les eaux usées domestiques et industrielles ou par le rejet d’ordures ou de toutes autres substances présumées toxiques conduit inéluctablement à un risque écologique pour sa faune et à une menace sanitaire pour les populations riveraines. En 1981, deux rapports ont mis en évidence ce danger lié aux risques importants de pollution des eaux de cette rivière (Fofana et Maretto, 1981). Une étude a rapporté que la pollution de la rivière du Houët se traduit par la modification de ses caractéristiques physiques, chimiques et biologiques ; ceci peut avoir un impact sur sa faune aquatique en général et en particulier sur les silures y vivant (Poda, 1985).
Le 17 octobre 2001, la population riveraine du Houët a découvert plusieurs silures morts dans le canal dudit marigot. À la demande des autorités municipales de la ville, une étude a été menée pour rechercher les causes de la mort massive des silures du Houët. Une équipe pluridisciplinaire composée de spécialistes de l’IRSS (Institut de Recherche en Sciences de la Santé), du service d’hygiène, du laboratoire régional de l’élevage, du service régional de l’environnement, du laboratoire de chimie de la Société Africaine de Produits Phytosanitaires et d’Insecticides (SAPHYTO), de chercheurs du centre Muraz, était chargée de rechercher les causes de cette catastrophe écologique.
Avec l'autorisation et l’assistance des notables des autochtones de la ville, les investigations ont porté sur les différents sites tout le long du marigot Houët et plus précisément sur les points où la mort de silures a été constatée (fig. 1). Plus de 299 poissons morts furent dénombrés après la jonction du marigot Houët et du caniveau drainant les eaux hospitalières.
2001, plus de cinquante autres silures ont trouvé la mort dans le lit dudit marigot. En cinq jours, on a dénombré plus de 500 silures morts dans les eaux du Houet. En effet, les parties de la rivière où l'eau est abondante sont peuplées d'une faune aquatique, à prédominance composée de vingt et une espèces de poissons du sous-ordre des siluroides réparties en cinq familles (Roman, 1966). Les ethnies autochtones de Bobo-Dioulasso considèrent ces silures comme des poissons sacrés. Les autochtones des villages environnants du Houet (Kunima, Sia, Tunuma, Bindougousso, intégrés aujourd’hui dans la ville de Bobo-Dioulasso) vénèrent le marigot Houet au bord duquel leurs ancêtres fondateurs ont choisi de s'installer, et lui doivent régulièrement un sacrifice communautaire par an pour renouveler le pacte ancestral. Il est interdit de pêcher dans la zone du Houet et les silures trouvés morts sont enterrés de la même façon que l'être humain à l'aide d’un linceul, dans une tombe à la taille des poissons et des rites funéraires appropriés sont célébrés (Sanou, 1996). Selon le même auteur, l'individu ou la famille peut également avoir recours à l'intercession des silures sacrés en cas de maladies ou de difficultés ; la mort massive de ces silures serait synonyme d'un signe précurseur d'un malheur qui s’abattrait très prochainement sur les habitants de la région du Houet. La mairie de Bobo-Dioulasso, le Lions-Club local, le Rotary-Club local et beaucoup d’associations ont leurs emblèmes comportant des images des silures. En 1974, l’équipe de football de la ville a été baptisée “les silures de Bobo-Dioulasso”, ce qui permit une mobilisation populaire exemplaire de la part des habitants de Bobo-Dioulasso. Malgré la considération sacrée et emblématique des silures et la vénération du marigot Houet, les eaux qui coulent dans cette rivière sont affectées par des pollutions diverses.
Matériel et méthodes
Les investigations ont consisté en :
- - une autopsie sur des poissons morts ;
- - des analyses chimiques à partir d’organes de poissons morts ;
- - des analyses bactériologiques de tissus et d’organes prélevés des poissons agonisants ;
- - une analyse des échantillons d’eaux des différents endroits dudit cours d’eau en amont et en aval des sites le long du cours d’eau où les poissons ont été trouvés morts ;
- - des enquêtes consistant en des interrogatoires directs des nombreux jardiniers qui arrosaient leurs légumes sur les rives du cours d'eau ainsi qu’auprès des distributeurs de pesticides pour comprendre les causes de la pollution et orienter l'analyse chimique.
Les prélèvements d'eau pour les analyses bactériologiques et chimiques ont concerné sept sites : cinq sites sur le marigot Houet, un site sur le caniveau de l'hôpital national ; le septième site est un puits à proximité du lit du Houet dans le quartier Dioulassoba (fig. 1). Le premier site de prélèvement est situé à proximité du pont Bolmakoté, le deuxième site est identifié non loin du pont du jardin zoologique, le troisième sous le pont Bessin ; le quatrième site est situé proche du quartier Dioulassoba, dans le canal du Houet, le cinquième site étant sous le boulevard de la Révolution. Le sixième échantillon d’eau est prélevé du caniveau de l’hôpital national.
quelques mètres avant sa jonction avec le marigot. Chacun des sept échantillons d’eau a été prélevé dans deux flacons stériles de 250 ml : le premier flacon étant destiné à l’analyse bactériologique et le second à l’analyse chimique. Les conditions de prélèvement ont été respectées selon les recommandations de l’OMS (1986).
Autopsie des poissons et prélèvements des organes
L’autopsie a été pratiquée dans les locaux du service d’hygiène sur une dizaine de poissons morts sélectionnés par tirage randomisé. L’incision du muscle cervical dans sa partie dorsale a permis de constater l’absence de Diphyllobothrium latum ; tous les poissons examinés, notamment au niveau du septum péricardique, les tissus sous-cutanés et musculaires pour la recherche d’autres parasites (Coulibaly et al., 1995). À l’incision, les muqueuses qui tapissent l’appareil digestif étaient congestionnées, œdémateuses, couvertes de mucus. L’état emphysémateux des branchies était remarquable. Le foie était friable au toucher. Une légère hémorragie dans les tissus sous-cutanés et musculaires a été constatée. Des échantillons de muscles, de foie, des branchies et des intestins ont été prélevés pour l’analyse chimique et la recherche de substances toxiques. Les poissons agonisant ont été transportés au centre Muraz pour la recherche bactériologique : les tissus, foie et muscles ont été prélevés à cet effet. Après l’autopsie et les différents prélèvements effectués sur les poissons morts ou agonisant, tous les poissons ont été remis aux notables autochtones qui ont procédé à leur enterrement ; des cérémonies funèbres avaient été annoncées.
Les différentes analyses pratiquées
Analyse bactériologique des échantillons d’eau
Les sept échantillons d’eau ont été analysés au centre Muraz, par la méthode de filtration sur membrane de nitrocellulose (0,45 µm d’épaisseur) recommandée par l’OMS (1986). La gélose ordinaire (GO) a été ensemencée et incubée à 37 °C pendant 24 heures, à 22 °C pendant 48 heures pour le dénombrement des coliformes totaux ; le milieu Endo a été ensemencé et incubé à 44 ± 0,2 °C pendant 48 ± 2 heures pour la recherche d’Escherichia coli (E. coli) ; le milieu AZID a été ensemencé et incubé à 44 ± 0,2 °C pour la détection des streptocoques fécaux ; les échantillons ont été ensemencés sur milieu TSC, une incubation à 37 °C, sous CO₂, pendant 48 ± 2 heures a permis la recherche des espèces clostridiales sulfito-réductrices. La coloration de Gram a été pratiquée sur les cultures positives et une microscopie a permis de confirmer la présence d’espèces clostridiales.
Analyse bactériologique des organes prélevés des poissons agonisant
L’examen microbiologique a été effectué par la méthode classique (Carbonnelle et al., 1987) : une microscopie à l’objectif × 40 à l’état frais a été pratiquée sur les sérosités recueillies des morceaux de tissu et de muscle après leur incision. Les lames porte-objets comportant les frottis confectionnés ont été colorées au Gram ; la micro
scopie est effectuée à l'objectif X 100 après immersion d’huile. À l'aide des sérosités collectées à partir des incisions faites sur les poissons, un ensemencement par la méthode de Drigalski a été opéré sur les milieux suivants : Hectoen, EMB, Sélénite, Sabouraud et le milieu de Chapman. Les ensemencements ont été incubés à 37 °C. Après 24 ± 2 heures, un repiquage des cultures sur Sélénite a été opéré sur le milieu Salmonella-Shigella (SS). Au troisième jour d'incubation, les colonies de bactéries ont été dénombrées sur le milieu SS, et un portoir classique d'identification « LE MINOR » a été pratiqué pour étudier les caractéristiques biochimiques des bactéries isolées.
Analyse chimique des échantillons d’eau, des tissus de poissons morts et du calthio
L'analyse chimique a concerné :
- - la suspension obtenue après broyage et centrifugation (1 000 tours par minute pendant 10 minutes) d'un mélange à parts égales d'une solution d’acétone et de petits fragments de muscles, de foie, de branchies et d’intestins prélevés des silures ;
- - une solution à 1 % de calthio préparée en diluant la poudre de calthio dans l’acétone ;
- - les sept échantillons d’eau prélevés du Houet, du caniveau et du puits.
La chromatographie en phase gazeuse des échantillons sus-cités a été pratiquée le même jour après les prélèvements (Suzuki et al., 1977) à l'aide d’un appareil de chromatographie 5890 Series II (Hewlett-Packard) muni d'une colonne HP-1 (Methyl Silicone GUM) 5 m × 0,53 mm × 2,65 µm, et d’un intégrateur HP 3394 (Pharmacia Sweden). Les conditions chromatographiques ont été les suivantes : température initiale, 150 °C ; température d’injection, 250 °C ; température finale, 280 °C ; température de détection, 290 °C. Les chromatogrammes issus des analyses des différents échantillons ont été comparés au chromatogramme issu de l'analyse des étalons de référence du lindane et du thirame (les deux matières actives du calthio) fournis par PESTANAL™ de la Société Riedel-de Haën en vue de la vérification et du contrôle de l'identité des matières actives.
Résultats
Analyse bactériologique des échantillons d’eau
Les eaux du puits situé dans le canal du marigot étant utilisées par certains habitants du quartier Dioulassoba comme eau de boisson, pour évaluer la pollution bactériologique des échantillons d’eau analysés, nous avons tenu compte des normes OMS qui sont : 10 germes totaux/ml ; 0 coliformes fécaux/100 ml ; 0 streptocoques fécaux/100 ml ; 0 sulfito-réducteurs/20 ml d'eau. Les résultats des sept échantillons d'eau analysés sont rassemblés dans le tableau I. En procédant à l’identification des différents germes isolés des échantillons d’eau, les nombreuses souches bactériennes retrouvées sont rassemblées dans le tableau II : E. coli, Streptocoque du groupe D, Clostridium sp., Pseudomonas aeruginosa, Klebsiella pneumoniae, Achromobacter
Tableau I : Résultats de l’analyse bactériologique des échantillons d’eauTable I: Results of bacteriological analyses of water samples
N° d’échantillon | Site de prélèvement | GO : Germes totaux | Endo : Coliformes fécaux | AZID : Streptocoques fécaux | TSC : Espèces clostridiales |
---|---|---|---|---|---|
01 | Pont Bionavaké (Nappe) | 10 colonies | 6 colonies | >100 colonies | >100 colonies |
02 | Pont jardin zoologique (Nappe) | 16 colonies | 27 colonies | >100 colonies | >100 colonies |
03 | Pont Bessin (Nappe) | 20 colonies | 30 colonies | >100 colonies | >100 colonies |
04 | Site Douassouba (Nappe) | 28 colonies | >50 colonies | >50 colonies | >100 colonies |
05 | Pont boulevard de la révolution (Nappe) | 12 colonies | >50 colonies | >100 colonies | >100 colonies |
06 | Caniveau de l’hôpital (Nappe) | 5 colonies | 0 colonies | 0 colonies | 30 colonies |
07 | Puits dans le canal du Houët, Douassouba | >100 colonies | 2 colonies | 0 colonies | 10 colonies |
GO : gélose ordinaire ; Endo : milieu pour coliformes fécaux ; AZID : milieu pour Streptocoques fécaux ; TSC : milieu pour Clostridium.GO: ordinary agar; Endo: medium for faecal coliforms; AZID: medium for faecal streptococci; TSC: medium for Clostridium.
violaceum ont été identifiés.
Analyse bactériologique des organes prélevés sur les poissons agonisant
L'examen microscopique à l'état frais a révélé la présence de nombreux bacilles dans le champ microscopique. Après coloration de Gram, de nombreux bacilles Gram négatifs ont été observés. À la culture, E. coli a été isolé et identifié. La culture sur le milieu SS à la recherche de Salmonella a été négative.
Résultats des enquêtes et des analyses chimiques
Enquêtes
Les interrogatoires directs des nombreux jardiniers qui arrosaient leurs légumes sur les rives du cours d'eau ont rapporté que, trois jours durant, des individus auraient lavé, dans les eaux du marigot Houët, des sacs à pesticides issus de la société des fibres textiles (SOFITEX). Les sacs qui contenaient des pesticides, une fois vidés de leur contenu, sont utilisés par les paysans pour la conservation des céréales après les récoltes. Pour se débarrasser des résidus de pesticides qui restent collés aux sacs, ces individus, peut-être par ignorance, ont donc lavé un bon nombre de sacs dans les eaux du Houët. Le lavage des sacs a été effectué juste après la jonction du Houët et du caniveau de l'hôpital national de la ville (fig. 1). Dès le constat de la mort des silures, les laveurs de sacs se seraient enfuis pour échapper aux sanctions éventuelles. Ces informations ont ouvert une piste importante de recherche de toxiques éventuels dans les eaux du marigot. Les investigateurs de l'enquête ont pris soin de se rendre également à la SOFITEX et sont rentrés en possession du produit contenu dans les types de sacs lavés dans les eaux du Houët. Cette substance était du calthio qui est composé de 20 % de lindane, 25 % de thirame et 55 % de matières inertes.
Analyses chimiques
Le chromatogramme de la solution du calthio est caractérisé par quatre pics principaux dont les temps de rétention (0,15 ; 2,72 ; 3,40 et 4,14 minutes) correspondent respectivement à l'acétone, au lindane et aux deux…
Tableau II : Identification des germes isolés des échantillons d’eau analysésTable II: Identification of bacteria isolated from analysed water samples
N° d’échantillon | Escherichia coli | Streptocoque groupe D | Clostridium sp | Pseudomonas aeruginosa | Klebsiella pneumoniae | Achromobacter violaceum |
---|---|---|---|---|---|---|
01 | + | – | – | – | – | – |
02 | + | + | – | – | – | – |
03 | + | + | – | – | – | – |
04 | + | + | – | + | – | – |
05 | + | + | – | + | + | – |
06 | + | + | – | + | + | + |
07 | + | + | + | + | + | + |
« + » : présence de souche bactérienne ; « – » : absence de souche bactérienne++: presence of the bacterial strain ; –: absence of the bacterial strain
minutes) correspondent respectivement à l’acétone, au lindane, et aux deux isomères du thirame.
L'analyse chimique des sept échantillons d'eau prélevés du marigot, du caniveau de l’hôpital et d’un puits du canal dudit marigot n’a pu mettre en évidence aucune trace de substance chimique ; les chromatogrammes obtenus correspondaient au solvant d’extraction (acétone).
L’analyse des organes de poissons morts a donné un chromatogramme caractérisé par la présence de quatre pics principaux avec des temps de rétention respectifs de 0,15 ; 2,50 ; 3,56 et 4,07 minutes. La comparaison des profils chromatographiques à celui de la solution de calthio a permis d'identifier le lindane (pic 2) et les deux isomères du thirame (pics 3 et 4), le premier pic étant celui de l’acétone.
Les autres pics mineurs apparaissant sur les chromatogrammes n’ont pu être identifiés.
L'analyse chimique conduite afin de mettre en évidence la présence du lindane et du thirame dans les organes des silures a confirmé ainsi les résultats des enquêtes menées auprès des utilisateurs des eaux du marigot Houet.
Discussion-Conclusion
Les résultats de l'autopsie des poissons morts ont permis d’orienter notre investigation vers la recherche de substances toxiques, une des causes de la mort massive des silures du Houet. En effet, les lésions décrites à l'autopsie des poissons convergent vers celles décrites en 1980 (Chichkov et Naletov, 1980) pour les cas d'intoxication d’animaux domestiques et de poissons. Les analyses chimiques par chromatographie en phase gazeuse ont révélé la présence du lindane et du thirame dans les organes des poissons morts.
Le lindane (C₆H₆Cl₆), ou stéréoisomère gamma de l’hexachlorocyclohexane (HCH), est un organochloré sous forme de cristaux incolores. Il agit par contact, ingestion et inhalation sur presque tous les ordres d'insectes (Mugachia et al., 1992b). Stable à l'air, à la lumière et à la chaleur, il a une longue persistance d'action dans le sol. Concernant sa toxicité, la DL₅₀ pour le rat par ingestion est de 88 mg/kg. Sa dose journalière admissible (DJA) est de 0,008 mg/kg (FAO, 1985). Le lindane est dangereux pour certains arthropodes auxiliaires, les abeilles et les poissons (Cluzean, 1992). La CL₅₀ pour les poissons après 96 heures d’exposition se situe entre 5 et 60 µg/L selon les espèces (Tomlin, 2000). Le lindane est rapidement absorbé dans les organismes animaux du fait de sa lipophilie, véhiculé par le sang dans les organes et les tissus, notamment les tissus graisseux où il peut rester bioaccumulé. L’effet toxique du lindane est lié en partie à sa déchloration dans l’organisme et à la formation d’espèces réactives de l’oxygène dans les tissus ; il s’ensuit une formation de radicaux hydroxyles qui bloquent les enzymes respiratoires (cytochrome oxydase et carboanhydrase) et inhibent le mouvement des ions sodium et potassium à travers la membrane neuronale (Chichkov et Naletov, 1980).
Le lindane, comme tout autre organochloré, stimule le système nerveux et induit une paresthésie, une sensibilité à la stimulation, une irritabilité, un déséquilibre, des tremblements et des convulsions. Les organochlorés induisent une facilitation et une hyperexcitation des jonctions synaptiques et neuromusculaires, causes de décharges répétitives dans les
neurones centraux, moteurs et sensoriels. L’HCH induit des hématomes chez les souris (Weisburger, 1982 ; IARC, 1983). En 1988, des effets cancérogènes ont également été soulignés (Wang et al., 1988). Le thirame (C6H12N2S4), ou diméthyl-thiocarbamyle, est un fongicide de la famille chimique des dithiocarbamates, actif sur un grand nombre de champignons (Lu, 1992). La persistance de son action est de l’ordre de 2 à 3 semaines ; sa DL50 pour le rat, par ingestion, est de 375 à 865 mg/kg. Sa DJA est de 0,01 mg/kg (FAO, 1985). En poudrage, il provoque l’irritation de la peau et des muqueuses et est dangereux pour le gibier et les poissons (Clive, 1994). La CL50-96 h chez les poissons se situe entre 40 et 130 µg/L selon les espèces (Tomlin, 2000). Les deux molécules, le lindane et le thirame, sont des substances toxiques dangereuses pour l’homme, les animaux, les poissons et l’environnement.
En outre, les eaux résiduaires de la CITEC huilerie ont une forte teneur en chlorure de sodium ; la limite de mortalité pour les poissons est de l’ordre de 10 g par litre (Poda, 1985). Cette usine déverse 90 kg/m³ de soude caustique par jour et le seuil de toxicité de cette substance pour les poissons est de quelques centaines de mg par litre (Mugachia et al., 1992a). En plus de la savonnerie, la brasserie Brakina déverse également des matières organiques dégradables qui, une fois fermentées, dégagent une odeur nauséabonde. D’autres sociétés, comme celle des piles de Bobo-Dioulasso, rejettent 10 m³ par jour d’eaux résiduaires chargées en bioxyde de manganèse, chlorure de zinc, chlorure d’ammonium, formol et bichlorure de mercure. Ces rejets sont toxiques pour les humains et les poissons.
En plus de leur pollution épisodique par des substances chimiques, les eaux du Houét sont de très mauvaise qualité bactériologique : les analyses présentées dans le tableau I ont révélé la présence de très nombreux germes dans chacun des échantillons : coliformes fécaux, streptocoques fécaux et espèces clostridiales, indicateurs de pollution des eaux. Même le prélèvement du puits de Dioulassoba, dont l’eau est utilisée pour la boisson, est contaminé : tous les germes retrouvés dans les eaux du Houét, à l’exception des streptocoques, y ont également été isolés et identifiés. E. coli et les streptocoques du groupe D sont des indicateurs fondamentaux de la pollution fécale d’origine humaine ou animale. La recherche de ces microorganismes intestinaux comme indicateurs de pollution fécale, plutôt que celle des organismes pathogènes eux-mêmes, est un principe universellement admis pour la surveillance et l’évaluation de la qualité microbiologique de l’eau. La découverte de ces indicateurs bactériens doit permettre de conclure à la présence éventuelle d’organismes pathogènes (OMS, 1986).
Cette contamination représente un risque sanitaire pour les populations humaines et animales consommatrices de ces eaux polluées. L’eau du puits de Dioulassoba, utilisée comme eau de boisson, contient la quasi-totalité des indicateurs de pollution courants (tableaux I et II), notamment E. coli, dont certaines souches sont responsables de gastro-entérites chez les enfants de moins de 5 ans (Carbonnelle et al., 1987) et chez les sujets immunodéprimés ; la présence de Clostridium dans l’eau du puits constitue une menace permanente pour le consommateur, car les souches de Clostridium perfringens
sont susceptibles de provoquer des septicémies graves en cas d’infection ; les espèces clostridiales sont des organismes anaérobies produisant des spores très résistantes à la désinfection ; Pseudomonas aéroginosa fait partie de la flore bactérienne retrouvée dans les eaux du puits ; c'est un germe pathogène opportuniste qui s’attaque aux très jeunes organismes, aux personnes âgées et aux individus affaiblis par la maladie (Deschenes, 1996). Tous ces germes isolés et identifiés des échantillons recueillis dans cette étude sont souvent la cause d'infections urinaires dans la population humaine (Vu-Thien, 1998). Malheureusement, aucune étude n’a été menée à cette occasion pour mesurer l'impact des bactéries isolées et la pollution par des substances chimiques des eaux du marigot Houét sur la population humaine.
Nos investigations ont mis en exergue la pollution des eaux du marigot Houét par des substances chimiques et leur insalubrité bactériologique ; en témoignent la présence du lindane et du thirame, la forte pollution par les indicateurs de pollution microbiens. Ce sont E. coli, Streptocoques du groupe D, Clostridium sp., Klebsiella, Pseudomonas. Ces germes sont souvent les agents étiologiques des pathologies dites d'origine hydrique. Ces eaux sont également polluées par les industries, les déchets d'habitations. Elles sont néanmoins utilisées par les populations riveraines à des fins domestiques (bain, lessive, arrosage des plantes et légumes maraîchers, eau de boisson) accroissant ainsi les risques sanitaires. Tout cela invite à instaurer un système de traitement de ces eaux avant leur utilisation ou leur consommation pour une meilleure santé des populations riveraines. Un travail d'information et de sensibilisation du personnel des usines, des sociétés utilisatrices de pesticides et des populations s'avère indispensable afin d’éviter la pollution des rivières en général et celle du Houét en particulier qui abrite les silures sacrés, patrimoine socio-culturel et touristique de la localité.
Remerciements
Les auteurs remercient le Professeur P. Vasseur de l'Université de Metz pour sa participation à la publication de cet article.
capable of inducing serious septicaemia in the event of infection. Clostridial species are anaerobic spore-producing organisms that are highly resistant to disinfection. Pseudomonas aeruginosa, which was also among the bacterial flora found in the well water, is an opportunistic pathogen that can affect very young children, the elderly and the infirm (Deschenes, 1996). All the bacteria isolated and identified in the samples analysed in this study are a common cause of urinary infections in humans (Vu-Thien, 1998). Unfortunately, at the time of our study, no studies were carried out to measure the impact of the bacteria that we isolated or the chemical pollution of the waters of the river Houet on the human population.
Our investigations highlighted the pollution of the waters of the river Houet with chemical substances and their bacteriological insalubrity. This was indicated by the presence of lindane and thiram, and the heavy pollution with indicators of microbial pollution. This consisted of E. coli, group D streptococci, Clostridium sp., Klebsiella, and Pseudomonas. These bacteria are frequently the aetiological agents of water-borne diseases. The water we studied was also polluted by factories and household waste. Yet it is used by the riparian population for domestic purposes (bathing, washing, irrigating market garden crops, drinking water) thereby increasing the health risks. These results suggest the need for a system to treat this water before it is used or consumed so as to improve the health of the riparian population. It would appear to be essential to inform and raise the awareness of factory personnel, firms using pesticides and of the local population so as to avoid pollution of rivers in general and that of the Houet in particular, which is the habitat of the sacred silurids, a sociocultural and touristic heritage for this area.
Acknowledgements
The authors would like to thank Professor P. Vasseur of the University of Metz, who participated in the publication of this article.
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