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Petite histoire d'un ouvrage emblématique : le château d'eau

28 février 2013 Paru dans le N°359 à la page 92 ( mots)
Rédigé par : Christophe BOUCHET

Tour à tour admirés, puis igno¬rés et enfin décriés, ils sont à l'origine de l'un des plus grands progrès de notre époque contem¬poraine : la distribution de l'eau courante sous pression. Aujourd'hui relégués au second plan quand ils ne sont pas pure¬ment et simplement désaffec¬tés ou détruits, les châteaux d'eau, seuls maillons visibles de la longue chaîne de la distri¬bution de l'eau, ont longtemps été un symbole de modernité et d'avancées techniques. Du plus simple au plus ostentatoire, tous racontent une histoire.

[Photo : Le château de Montmartre à Paris.]

Sur une carte Michelin, c’est un petit point bleu entouré d’un cercle de la même couleur. Pour beaucoup d’entre nous, c’est un point de repère incontournable, souvent en concurrence avec le beffroi ou le clocher. Car partout en France, dans les villes, les villages et même dans les campagnes, le château d’eau fait partie du paysage, au même titre que la mairie, la gare, les chapelles ou encore les calvaires. Bien que ces ouvrages n’aient

[Photo : Beauziac (47)]
[Photo : Cenon (33)]
[Photo : Chaponost (69)]
[Photo : Les Essarts le Roi (78)]
[Photo : Toulouse (31)]

jamais fait l’objet d’un recensement exhaustif, on estime leur nombre à plus de 22 000. Fondu dans le paysage, le château d’eau a longtemps été, partout dans le monde, l’élément clé, presque le composant principal, d’un système de distribution d’eau potable. Son histoire, très ancienne, est intimement liée à la maîtrise de l’eau.

Une histoire ancienne, intimement liée à la maîtrise de l’eau

Toutes les grandes civilisations sont nées et ont prospéré grâce à la maîtrise de l’eau. Dès 3500 avant J-C, l’Égypte met en place un système élaboré de distribution de l’eau et entreprend la construction de milliers d’ouvrages dont certains s’apparentent aux premiers châteaux d’eau. Quelques siècles plus tard, Rome construit un système encore plus élaboré de gestion urbaine de l’eau. Le château d'eau, situé entre l'aqueduc dont le rôle est de transporter l'eau et la fontaine publique qui la distribue, devient un élément clé du système de distribution. Il ne joue alors qu’un seul rôle mais essentiel : celui de tampon entre le débit attendu aux fontaines et le débit fourni par l’aqueduc.

Plus tard en Europe, le château d’eau, remplacé par le système plus rudimentaire des porteurs d’eau, va connaître une longue éclipse. Ce n’est qu’au XIXᵉ siècle qu’il réapparaît, porté par le développement de l’industrie et surtout des chemins de fer à vapeur, grands consommateurs d’eau. Des milliers de châteaux d’eau sont construits en France le long des lignes de chemin de fer pour alimenter en eau les locomotives, dont les réservoirs devaient être remplis tous les 20 km. Le château d’eau, souvent d’assez faible hauteur, devient alors un marqueur du paysage ferroviaire.

Mais l’idée de ré-exploiter la technique du réservoir surélevé pour distribuer l’eau potable va faire son chemin. D’abord dans les villes car si aujourd’hui le château d’eau domine souvent des paysages ruraux, il est, au XIXᵉ siècle, une construction d’abord urbaine.

Le mouvement interviendra cependant plus tard et plus lentement qu’on ne l’imagine communément. Car en 1930, seulement 23 % des communes disposent d’un réseau de distribution à domicile. Et en 1945, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, 70 % des communes rurales ne sont toujours pas desservies. C’est seulement à la fin des années 1980 qu’en France, la quasi-totalité des habitants bénéficient de l’eau courante à domicile.

Les décennies 50, 60 et 70 seront donc des années fastes pour la construction des châteaux d’eau. D’autant que les techniques de mise sous pression des réseaux ne sont pas encore au point. Le château d’eau, fondé sur le principe des vases communicants, procure une pression de 1 bar par tranche de 10 m de dénivelé. C’est donc le seul moyen disponible à cette époque pour fournir à l’abonné la pression attendue. Chaque ville, chaque village va alors implanter sur un ou plusieurs points hauts de son territoire, un ou plusieurs réservoirs surélevés, capables, sans nécessiter d’énergie, de desservir tous les points de distribution situés à une altitude inférieure, même s’ils sont situés à plusieurs kilomètres de distance, par le seul effet de la gravité. C’est, en France, l’âge d’or des châteaux d’eau.

L’âge d’or des châteaux d’eau

À partir des années 50 donc, les châteaux d’eau surgissent du sol, tels des champignons géants dans la campagne française qu’ils marquent dorénavant de formes correspondant aux canons propres à chaque décennie. Des grands, des petits, des hauts, des rablés, en pierre, en béton, en métal, ils ressemblent, selon les époques, à un bouchon de champagne, à une fusée, ou même, pour les plus récents, à une soucoupe volante. Mais la structure de ces ouvrages, coûteux à construire compte tenu de leur hauteur, est souvent la même. Un fût qui exprime quelquefois la créativité du maître d’ouvrage en prenant la forme d’un poteau, d’un cylindre, d’un tronc de cône ou d’une hyperbole. Il se compose généralement d’un rez-de-chaussée percé de quelques baies, le plus souvent en plein-cintre, dont les structures supportent le réservoir. Il est fréquemment ancré sur un socle maçonné mais parfois aussi semi-enterré. Son architecture est soignée, parfois même monumentale pour témoigner de la politique avant-gardiste de la ville qui y appose ses armoiries.

À l’intérieur de l’ouvrage, une cuve dont la forme peut être tronconique, cylindrique ou sphérique. Elle se caractérise par une capacité (de 150 à 2000 m³ en moyenne), une cote de trop-plein et de fond. Elle est généralement à double paroi pour isoler l’eau et la structure des températures extérieures et éviter les conséquences de fuites éventuelles. L’étanchéité des cuves en béton est

[Photo : Forges (77).]
[Photo : La Verrière (78).]
[Photo : Sélestat (67).]
[Photo : Hérouville Saint Clair (14).]
[Photo : Tieste Uragnoux (32).]

Assurée par un mortier de ciment ou par une membrane, une peinture à base de résines, complétée par une protection cathodique, protège de la corrosion la surface interne des cuves métalliques. La cuve est couverte d'une toiture bordée d'une corniche ou d’un garde-corps pour faciliter les inspections. Elle est bien souvent traversée ou bordée d'une cheminée qui livre passage à l’escalier. Un paratonnerre assure la protection de l’ouvrage contre la foudre.

Ainsi paré, l’ouvrage peut remplir ses fonctions de stockage et de régulation tout en assurant la pression d’eau dans le réseau. Mais il sécurise aussi l'approvisionnement : en cas d'incident sur le réseau, ses réserves lui permettent de prolonger l'approvisionnement sur 12 ou 24 heures.

En France, à la fin de l'année 1999, les châteaux d’eau avaient ainsi été remplis pour faire face à d’éventuels dysfonctionnements des systèmes informatiques dus au bogue de l'an 2000. Ces différentes fonctions n’ont cependant pas suffi à protéger les châteaux d’eau d'une désaffection suivie d'un lent déclin.

Une désaffection suivie d’un lent déclin

Au début des années 1980, les implantations de réservoirs enterrés assortis de groupes de surpression ont le vent en poupe. Pour plusieurs raisons. Au plan financier, les coûts de construction de châteaux d'eau d’une capacité toujours plus importante ainsi que les coûts d’exploitation liés au remplissage de ces ouvrages deviennent prohibitifs. Dans le même temps, l’amélioration des techniques de mise sous pression des réseaux permet de substituer à ces ouvrages des réservoirs enterrés meilleur marché, plus faciles à implanter, mieux protégés et plus discrets.

Car, au plan esthétique, les châteaux d'eau, accusés de défigurer les paysages, subissent également les attaques des défenseurs de l'environnement malgré des tentatives d'embellissement parfois réussies.

Dès lors, en France comme dans d'autres pays avant elle, comme l’Allemagne, les châteaux d’eau vont peu à peu perdre leur statut d’ouvrage fonctionnel pour acquérir le rang de monument historique. Ils sont souvent désaffectés, parfois même abandonnés quand ils ne sont pas purement et simplement menacés de démolition.

Certains ouvrages d'art vont toutefois pouvoir intégrer le patrimoine industriel, ou être transformés en restaurants panoramiques ou encore en relais de transmission sans fil, évitant ainsi la construction d’un pylône coûteux… Bien loin de la place qu’ils occupaient il y a quelques décennies à peine dans l’imaginaire collectif…

[Photo : Marseillan (34).]
[Photo : Noisiel (77).]
[Photo : Sombreffe (Belgique).]
[Photo : Hirtzfelden (68).]
[Photo : Osny (95).]
[Photo : Saint Rambert d’Albon (26).]
[Photo : Troyes (11).]
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