Quels pesticides ?
Une récente étude (1) effectuée sur dix usines mettant en œuvre le couple Ozone-Charbon actif en grains a montré que les pesticides les plus souvent présents dans les eaux brutes sont les pesticides azotés du type triazine, et en particulier la simazine et l'atrazine, dont la structure moléculaire est donnée en figure 1. Ces composés sont des herbicides, largement utilisés en agriculture, tout particulièrement au printemps et en été. La présence de lindane, qui est un insecticide et de HCB (hexachlorobenzène), qui est un fongicide utilisé pour la protection des semences, a également été relevée, mais à des concentrations nettement inférieures à la norme.
Efficacité des différentes étapes d'une filière de traitement
Les filières modernes de traitement des eaux destinées à la consommation s'articulent autour des techniques suivantes : clarification, adsorption, oxydation. Selon le degré plus ou moins élevé de pollution, ces trois techniques de base peuvent se combiner, sans oublier que la filière mise en place doit produire une eau conforme non seulement vis-à-vis des pesticides, mais également des autres paramètres de la réglementation.
La clarification
Cette clarification inclut la coagulation-floculation, la séparation du floc formé par décantation (ou flottation) et/ou filtration. Toutes les études récentes (1) (2) (3) montrent que la clarification est peu efficace, le pourcentage d’élimination ne dépasse pas 10 à 20 %. La présence d'une étape de filtration lente améliore ces résultats : une élimination de 45 % de l’atrazine a été obtenue avec une vitesse de filtration de 0,5 m³/h·m² en pilote (4), mais dans les usines l'élimination n’était plus que de 25 %. Cette étape n’est pas suffisante pour respecter les normes toute l'année ; par ailleurs, la mise en place d'une étape de filtration lente est peu envisageable, économiquement, dans l’environnement moderne.
[Photo : Fig. 1 : Représentation schématique des molécules d’atrazine et de simazine.]
[Photo : Fig. 2 : Capacité d’adsorption de filtres à charbon actif granulé pour l'atrazine en fonction de la concentration en COT de l'eau à traiter.]
L’adsorption
C'est un traitement de choix pour l'élimination de nombreux composés organiques, et en particulier des triazines. Mesurée en laboratoire sur des solutions ne contenant que de l'atrazine ou de la simazine, la capacité d’adsorption d'un charbon actif se situe aux environs de 10 à 30 mg/g, ceci pour une concentration à l'équilibre (isotherme de Freundlich) de 0,1 µg/l correspondant à la CMA.
Dans la réalité, les capacités sont beaucoup plus faibles par suite de la compétitivité entre les diverses molécules organiques adsorbables. Chaque eau, avec des molécules organiques de types différents et d'un encombrement stérique différent, donnera une capacité différente. La figure 2 montre les capacités réellement obtenues sur différentes usines, où elles varient de 0,01 à 0,08 mg d’atrazine par g de CAG, avec des eaux dont la teneur moyenne en carbone organique total dissous varie de 6 à 0,6 mg/l. Les résultats obtenus montrent, en outre, que la variété des molécules organiques constituant le COT gomme généralement la différence de qualité des charbons actifs utilisés dans leur efficacité vis-à-vis des triazines. Il en résulte que les temps de fonctionnement du charbon actif avant saturation (c'est-à-dire avant régénération) varient considérablement en fonction de la concentration en atrazine dans l'eau à traiter. La figure 3 donne les temps de fonctionnement du filtre CAG, entre régénérations, pour des teneurs en COT dans l'eau à traiter allant de 1 à 6 mg/l, et pour des teneurs en atrazine variant de 0,2 µg/l à 1 µg/l.
Dans la pratique, il importe donc de connaître au mieux l’évolution, au cours d’un cycle annuel, du COT et de la teneur en atrazine de l'eau à traiter, pour pouvoir optimiser le calcul d'une étape de filtration sur charbon actif granulé, et prévoir la durée de vie du CAG mis en place.
[Photo : Fig. 3 : Temps de fonctionnement entre régénération de filtres à charbon actif granulé pour l’élimination de l’atrazine en fonction du COT de l'eau à traiter.]
[Photo : Fig. 4 : Vue générale de l'installation de Morsang-sur-Seine. Cette installation, construite par Degrémont et exploitée par L.E.-Dumez, met en œuvre oxydation préalable à l’ozone et filtration sur CAG en 2ᵉ étage.]
L’oxydation
L’oxydation par le chlore entraîne généralement peu d’effets sur les pesticides, et en particulier sur les triazines. Cette technique a, par ailleurs, l’inconvénient de produire des composés trihalométhanes, par suite de l’action du chlore sur certaines matières organiques possédant des fonctions méthylcétones. Elle est donc de moins en moins utilisée.
L’ozone est, par contre, l’oxydant le plus puissant qui peut être mis en œuvre en différents points d’une chaîne de traitement.
[Photo : Fig. 5 : Élimination de l’atrazine par ozonation.]
[Photo : Fig. 6 : Filière optimisée.]
Utilisé en préozonation, avec de faibles temps de contact (1 à 3 min) et de faibles doses (0,3 à 1,5 mg/l), il favorise la clarification, l'élimination des précurseurs d’haloformes ; mais, dans ces conditions, son action vis-à-vis des pesticides est quasiment nulle.
Une étape d’oxydation principale par l'ozone est maintenant mise en œuvre dans la plupart des installations modernes (figure 4). L’action de l'ozone sur les pesticides a été étudiée par de nombreux auteurs (5) ; elle est très diverse. Alors que l'ozone est très peu réactif vis-à-vis de certains organochlorés (lindane, DDT...) il dégrade parfaitement les composés organophosphorés. L’action de l'ozone sur les composés du type triazine est réelle, mais la cinétique de décomposition est peu rapide ; il a été montré que ceci est dû au fait que l’oxydation des triazines par l'ozone se fait par la voie de l’oxydation radicalaire. On peut donc améliorer l’action de l'ozone sur les triazines en favorisant ce mécanisme d’oxydation radicalaire, ce qui peut se faire par injection simultanée de peroxyde d’hydrogène. La figure 5 montre les résultats obtenus sur des eaux naturelles contenant de l'atrazine, en mettant en œuvre une oxydation par ozone seulement ou par action simultanée de l'ozone et de H₂O₂. Alors que le traitement à l'ozone seul permet de réduire la teneur en atrazine de 370 µg/l à 200 µg/l (élimination 46 %), l'utilisation de peroxyde d’hydrogène permet de descendre en-dessous de la CMA (réduction 75 %) pour une dose d’ozone égale à 2 mg/l et un rapport H₂O₂/O₃ = 0,4 g/g.
L'oxydation de l’atrazine par l’ozone étant un mécanisme radicalaire, il faut aussi noter que tout facteur modifiant cette action aura une action, positive ou négative, sur les résultats obtenus : ce peut être le cas de l'alcalinité et aussi de certaines molécules organiques. L’alcalinité de l'eau a une influence défavorable ; sur des eaux ayant la même teneur en atrazine, on a obtenu 80 % de réduction pour le traitement combiné H₂O₂/O₃ sur une eau ayant un TAC égal à 10 °F et un COT égal à 5 mg/l, alors que le rendement n’a été que de 30 % pour une eau ayant un TAC égal à 30 °F, bien que le COT ne soit que de 2 mg/l.
Vers une filière idéale
Une telle filière, combinant une clarification optimisée, le couple ozone-charbon actif amélioré par l'injection de peroxyde d’hydrogène, est schématisée à la figure 6. Il peut, dans ce cas, être envisagé de calculer l’étage d’adsorption pour obtenir une teneur en pesticides inférieure à la CMA pendant la plus grande partie de l’année, c’est-à-dire pour faire face à la pollution chronique. L’addition de peroxyde d’hydrogène ne serait alors mise en opération que pendant les périodes de pointe de pollution. La figure 7 donne les résultats obtenus sur une telle filière, mise en place pour l’alimentation en eau de la Ville de Dinan, en période de pollution « chronique », et donc sans injection de peroxyde d’hydrogène. L’ensemble des opérations de clarification conduit à une réduction de 20 % pour l’atrazine et 40 % pour la simazine. Après filtration sur CAG, l’eau est exempte de pesticides.
[Photo : Fig. 7 : Évolution des pourcentages de pesticides résiduels sur la filière de Dinan. La teneur en lindane, HCB et terbutylazine est inférieure au seuil de détection dans l'eau brute.]
Conclusion
La pollution par les herbicides tels que atrazine ou simazine est maintenant généralisée, mais à des teneurs qui peuvent varier d'une ressource à l'autre. Cette teneur, en un point donné, varie également au cours de l’année. Tout au long d’une filière de traitement, seule la filtration sur charbon actif en grains permet d’établir une barrière absolue, mais avec une durée de vie difficilement supportable du point de vue économique. La filière mettant en œuvre le traitement combiné ozone-charbon actif, telle que Degrémont et L.E.-Dumez l’ont mise en œuvre à Morsang, dès 1975, est encore plus efficace. L’utilisation du peroxyde d’hydrogène, conjointement à l’ozonation principale, permet d’améliorer encore cette efficacité, en prolongeant de façon importante la durée de vie du charbon jusqu’à des valeurs pratiquement acceptables, se mesurant en années.
Le traiteur d'eau et le distributeur d’eau sont assurés de délivrer dans ces conditions une eau conforme à la législation.
BIBLIOGRAPHIE
1 — TOFFANI G., Bilan d’installations utilisant le couple ozone-charbon en traitement d’eau potable, Documentation interne Degrémont, 1990.
2 — HART J., JONES J.H., Removal of pesticides from water, a literature survey, Water Research Center, Report n° UM 1005, 1989.
3 — MILTNER J. and al., Treatment of Seasonal pesticides in surface water, Journal of AWWA, p. 42-52, 1989.
4 — MONTIEL A., and al., Élimination de l’atrazine : traitements physico-chimiques et/ou traitements biologiques, AIDE/IWSA specialised conference, Barcelone, 1989.
5 — REYNOLDS G. and al., Aqueous ozonation of pesticides. A review, Ozone Science and Engineering, vol. 11, n° 4, p. 339-390, 1989.