Communication présentée au Séminaire Ozone des 28 et 29 novembre 1973, organisée par le G.U.T.T.E.E.
INTRODUCTION
Le tableau présenté dans la figure n° 4 regroupe les principaux traitements utilisés pour la production d'eau destinée à la consommation humaine. Les traitements figurés sont des traitements physico-chimiques, à l'exclusion des étapes spécifiquement biologiques que l'on pourrait y ajouter. Ils vont du schéma le plus simple (désinfection seule) au schéma le plus compliqué, en introduisant la clarification (filtration simple, coagulation sur filtre, décantation), l'adsorption sur charbon actif en poudre ou granulé, et l'oxydation par différents composés.
Chacun de ces aspects sera plus particulièrement développé par les différents auteurs, et je me contenterai de quelques indications générales sur chacune de ces utilisations.
PRINCIPAUX SCHÉMAS DE TRAITEMENT
1) Désinfection Q : chlore – dérivés chlorés 2) Filtration – Désinfection 3) Coagulation – Filtration – Désinfection 4) Floculation 5) Coagulation – Filtration – Désinfection 6) Décantation 7) Adsorption Charbon actif poudre – charbon actif grains 8) Oxydation Chlore Dioxyde de chlore Ozone Permanganate de K
Figure n° 4
I. — OZONE EN FIN DE TRAITEMENT
L'ozone a traditionnellement été utilisé tout d'abord pour l'amélioration des qualités organoleptiques de l'eau (couleur, goût…), ainsi que pour la désinfection. Son fort pouvoir oxydant est particulièrement efficace pour l'élimination des bactéries et virus.
C'est ainsi qu'il a été démontré (1) qu'un résiduel d'ozone très faible : 0,01 mg/l appliqué pendant un temps de contact très court suffisait pour permettre l'élimination de certaines particules virales.
Cependant, la pollution croissante des eaux utilisées pour la production d'eau potable a conduit à des précautions particulières d'emploi.
Une méthode permettant de répondre tout d’abord à la demande chimique de l'eau en ozone a alors été mise au point. L'ozone est introduit en deux chambres (cf. figure n° 2) ou plus ; la dernière chambre de contact (B) est destinée à assurer la désinfection de l'eau en permettant la destruction de toutes les bactéries pathogènes et des particules virales. Les règles d'emploi (2) sont alors de maintenir un taux d'ozone résiduel de 0,4 mg/l pendant quatre minutes : cette consigne est très sécurisante, puisque ces valeurs dépassent largement les valeurs minimales trouvées pour assurer la désinfection en laboratoire. L'eau pénètre dans cette chambre B avec un taux d'ozone résiduel de 0,4 mg/l et l'on introduit dans cette chambre la quantité d'ozone nécessaire au maintien de ce résiduel. La dose alors introduite correspond à l'autodestruction de l'ozone dans cette chambre ; elle dépend principalement du pH, de la température et du mode de mise en contact. La composition de l'eau peut également avoir une certaine importance : c'est ainsi que l'on a mis en évidence l'importance des ions HCO₃⁻ et CO₃²⁻ (3, 4).
[Figure : OZONE : SYSTÈME DE MISE EN CONTACT](A) : réponse à la demande chimique en ozone CHAMBRE DE CONTACT (B) : désinfection proprement dite
Figure n° 2
La chambre de contact A est en elle-même un prétraitement à la désinfection, puisque cette chambre est destinée à faire agir toutes les matières susceptibles d’entrer en réaction avec l'ozone. Le taux de traitement à introduire dans cette chambre dépend de la quantité d’impuretés dissoutes présentes dans l'eau, du pH, de la température et du temps de contact. Différents auteurs ont attiré l'attention sur l’importance de l'étude des cinétiques de réaction entre l'ozone et les matières dissoutes à éliminer (5).
Pendant longtemps, il a été admis que la désinfection finale par l'ozone était suffisante pour assurer la protection du réseau contre toute pollution éventuelle par des germes pathogènes et éviter toute prolifération anormale de germes indésirables.
L'augmentation générale de la pollution organique a cependant modifié cet état de choses et, de ce fait, la plus grande majorité des installations utilisant l’ozone en fin de traitement.
EFFET D’UN TRAITEMENT À L’OZONE SUR L’ABSORPTION DE CHLORE
[Figure n° 3]… procédé à l’injection de produits chlorés (chlore ou dioxyde de chlore) avant distribution. Il importe d’ailleurs d’être attentif aux interférences de l’utilisation de l’ozone sur le chlore (6, 7) (cf. figure n° 3) ou le dioxyde de chlore.
Une précaution indispensable à prendre lors de l’utilisation de l’ozone en fin de traitement est de vérifier l’absence de manganèse. Il suffit en effet de la présence de 0,03 g/m³ de Mn pour que l’ozonation conduise à l’oxydation de Mn++ en Mn+++ (couleur rose) ou à la précipitation du manganèse sous forme de MnO₂ (couleur jaune-marron).
II. — TRAITEMENT D’EAUX PEU TURBIDES
II.1. — Eau de surface :
Il peut s’agir d’eaux de barrages et de lacs généralement peu chargées en matières en suspension et dont la seule impureté est la couleur.
C’est le cas le plus simple et l’on peut citer de nombreux exemples, comme l’usine de Roberval, construite en Amérique du Nord, au Canada. Cette usine, d’un débit de 9 000 m³/j, a été construite par Degrémont, en 1970 ; elle traite une eau de surface (l’eau du lac Saint-Jean) dont les principales caractéristiques sont données ci-après :
pH | 6,7 |
Température (°C) | 0 |
Couleur (mg/l Pt-Co) | 50 |
Alcalinité (mg/l CaCO₃) | 18 |
Dureté (mg/l CaCO₃) | 38 |
Fer (mg/l) | 0,24 |
L’installation d’ozone permet de produire 41 kg/j.
La mise en contact de l’ozone avec l’eau se fait dans deux chambres de contact, situées l’une en amont de la filtration et l’autre en aval (cf. figure n° 4). L’injection se fait par éléments poreux sous pression.
Selon la qualité de l’eau brute, l’ozone peut être introduit en totalité dans l’une des deux chambres, ou bien être réparti entre les deux.
En fonctionnement normal, 75 % de l’ozone sont utilisés en pré-traitement, soit un taux de traitement maximal de 3 g/m³. Au moment de la fonte des neiges, lorsque l’eau du lac Saint-Jean se trouble, il est indispensable d’introduire une faible dose de coagulant (sulfate d’aluminium) afin de permettre la floculation des colloïdes et leur rétention sur le filtre.
[Figure n° 4 – Schéma de l’usine de Roberval]L’évolution de la couleur, en fonctionnement normal, c’est-à-dire sans utilisation de coagulant, est la suivante : — eau brute : 40 à 60 ; — eau pré-ozonée : 10 à 15 ; — eau post-ozonée : 5.
II.2. — Eaux profondes :
De nombreuses eaux profondes contiennent comme impuretés des complexes liant des matières organiques naturelles à du fer et du manganèse. Ces eaux sont également colorées, dépourvues d’oxygène, contiennent souvent de l’hydrogène sulfuré par suite des conditions réductrices existant dans la nappe, mais sont généralement peu turbides.
L’action de l’ozone se traduit de plusieurs manières. L’ozonolyse permet, comme précédemment, la destruction des molécules provoquant la couleur, mais elle détruit également les complexes manganèse-matière organique et fer-matière organique. Les ions métalliques ainsi libérés sont alors oxydés (Fe++ en Fe ferrique, Mn++ en Mn+++) par suite des conditions oxydantes créées par la présence de l’ozone et l’augmentation du potentiel d’oxydoréduction.
Si les conditions de pH sont favorables, il en résulte la formation d’un précipité (d’hydroxyde ferrique dans le cas du fer) qui peut être retenu par simple filtration. Cette filtration peut être effectuée sur filtre à sable, mais la filtration sur filtre bicouche est particulièrement bien adaptée.
Un paramètre important est le temps de contact à respecter avant filtration. Il influera tout particulièrement sur la floculation.
Si cette floculation est rapide, on peut filtrer directement, sans ajout de floculant. Si la floculation est plus difficile,
[Figure n° 5 – Schéma de la station de démanganisation du Jonchay, Syndicat de Saône-Turdine]L'adjonction d'un floculant se révélera nécessaire. La figure n° 5 donne le schéma de fonctionnement de l'installation de Crissey et la qualité du précipité obtenu par ozonation nécessite l'adjonction d'un floculant.
La figure n° 6 donne le schéma de l'installation de Crissey où la qualité du précipité obtenu par ozonation nécessite l'adjonction d'un floculant (alginate dans ce cas).
La figure n° 7 donne le diagramme des temps de contact respectés sur ces deux installations.
Dans l'application de cette technique, il importe également de bien prévoir l'évolution de la teneur en fer et en manganèse de l'eau brute. En effet, au cas où cette teneur est trop importante, la filtration peut ne pas être suffisante à la rétention du floc formé.
Enfin, dans le cas de l'élimination du manganèse, il faut veiller à ne pas trop augmenter la dose d'ozone introduite, afin de ne pas oxyder une partie trop importante de Mn jusqu'à Mn7+, qui ne serait pas retenue sur les filtres.
11.2.1. — Élimination du manganèse : station de Jonchay (Syndicat de Saône-Turdine)
Station du Jonchay :
Cette installation a été construite en 1965 par la Société DEGREMONT. Son débit est de 600 m³/h (extension en cours d'étude à 1 200 m³/h).
La figure n° 5 donne le schéma de l'installation. L'eau brute comporte essentiellement du manganèse à éliminer.
La dose est comprise entre 0,4 et 0,7 mg/l. L'installation comporte une aération préalable de l'eau par pulvérisation dans l'air ozoné résiduel s'échappant au-dessus des cuves de contact. L'ozonation proprement dite est effectuée dans une cuve à deux compartiments avec un temps de contact de 10 min. Le taux de traitement peut être compris entre 0,8 et 1,4 mg/l d'O3 suivant le débit de l'installation et la qualité de l'eau brute.
Une filtration, en filtre Aquazur T, sur sable de taille effective 0,95 mm, est réalisée de haut en bas, directement après l'ozonation. Le temps de contact dans le lit filtrant est de 8 min pour une vitesse de filtration de 5,5 m/h.
Le tableau n° 1 donne une analyse type de l'eau brute et de l'eau traitée sur cette installation.
Le tableau n° 2 rend compte de l'évolution de l'eau à travers l'installation : la turbidité ainsi que la couleur augmentent pendant l'ozonation et sont ensuite éliminées par la filtration.
Par ailleurs, des essais effectués sur la station industrielle à plusieurs taux de traitement (obtenus en faisant varier la production d’ozone) et à différents temps de contact (obtenus en diminuant le débit traité par l'installation) permettent de constater qu’il ne faut pas trop augmenter le taux de traitement en ozone, sous peine de conserver un certain taux de manganèse résiduel dans l'eau traitée, l'ozone ayant oxydé le manganèse jusqu'à la forme Mn7+.
Le tableau n° 3 montre que le taux optimal en ozone était, lors de ces essais, de 0,77 g/m³. La figure n° 4 donne le diagramme des différents temps de contact au travers de l’installation.
Tableau n° 1. — Syndicat de Saône-Turdine. Usine de Jonchay. Caractéristiques des eaux brutes et traitées.
Eau brute | Eau traitée | |
---|---|---|
Température, °C : | 8 | 8 |
Turbidité, FTU : | 0,1 | 0,1 |
Couleur, mg/l Pt/Co : | 1 | 1 |
pH : | 7,35 | 7,35 |
NO3, mg/l : | traces | — |
NH4, mg/l : | 0,09 | traces |
Mn, mg/l : | 2,7 | 0 |
Alcal, meq/l : | 3,1 | 3,7 |
Dureté, meq/l : | 5,3 | 10,2 |
O2 dissous, mg/l : | 5,4 | 10,2 |
CaCO3, mg/l : | 5,2 | 5,3 |
M.O. KMnO4-H+, mg O2/l : | 0,4 | 0,37 |
Fer, mg/l : | < 0,01 | 0 |
Manganèse, mg/l : | 0,02 | 0 |
Chlor, mg/l : | 16,7 | 3,9 |
Cette analyse montre que l'eau brute ne contient que du manganèse comme impureté.
Tableau n° 2. — Évolution de l'eau à travers l'installation du Jonchay.
Tableau n° 3. — Détermination du taux de traitement optimal. Installation du Jonchay.
Traitement, g/m³ + 0,575 |
Couleur avant filtrer |
Après filtration sur papier |
Mn résiduel, mg/l |
Temps de contact, mn |
I = Incolore, J = Jaune, J.R = Jaune rose, S.P = Saumon pâle, R.P = Rose pâle.
11.2.2. — Élimination du fer combiné & du manganèse : Station de Crissey (Chalon-sur-Saône).
Cette installation a été construite en 1972 par la société DEGREMONT. Son débit est de 300 m³/h. La figure n° 6 donne le schéma de cette installation.
L’usine traite une eau qui comporte une quantité importante de fer : 3 à 6 mg/l, une proportion moindre de manganèse : 0,1 à 0,15 mg/l, une dose élevée d’ammoniaque : 0,7 à 2 mg/l. L’installation comprend une aération par cascade, réalisée dans l’air ozoné résiduel s’échappant de la cuve d’ozonation. Le temps de contact dans la chambre de contact est de 7 à 10 mn. Ces deux étapes assurent l’élimination de l’ammoniaque et l’oxydation des sels métalliques. Une injection d’alginate permet d’améliorer la floculation et d’augmenter la filtrabilité du précipité formé.
La filtration est réalisée sur filtre Médiazur T, garni d’un matériau bicouche : de l’hydro-anthracite d’une taille effective égale à 0,85 mm constitue le lit supérieur (hauteur 0,5 m). La partie inférieure est constituée de sable (hauteur 0,4 m), dont la taille effective est égale à 0,5 mm.
Les temps de contact apparents sont respectivement de 4 mn 30 et 3 mn 30 pour une vitesse de filtration de 6,8 m/h.
Avec des taux de traitement compris entre 1,7 et 2,1 g/m³ pour l’ozone, 0,7 et 1 g/m³ pour l’alginate, les résultats obtenus sur l’installation sont donnés dans le tableau n° 4.
Tableau n° 4. — Analyse type des eaux de l’installation de Crissey.
Eau brute | Eau aérée | Eau filtrée |
……………………………...…………………………………… |
[Texte du tableau avec les données manquantes] |
……………………………...…………………………………… |
Les résultats sont excellents pour l’élimination du fer et du manganèse. Les résultats d’élimination de l’ammoniaque sont moins bons. En effet, on constate la disparition de la plus grande partie de l’ammoniaque au cours de l’aération. Par contre, la filtration ne permet pas l’élimination de l’ammoniaque résiduel ; en effet, la présence d’ozone résiduel dans l’eau au moment de la filtration inhibe le développement des bactéries nitrifiantes.
11.2.3. — Élimination de l’ammoniaque :
Nombre d’eaux profondes, outre le fer et le manganèse, contiennent comme impureté une quantité importante d’ammoniaque. C’est le cas de la station de la Chapelle (près de Rouen). Cette usine, construite par la C.G.E. en 1976, a déjà été décrite lors du Congrès de l’I.O.I, à Paris. Elle ne sera donc pas détaillée ici, mais on peut rappeler ses points essentiels.
Dans ce cas, la présence d’ammoniaque implique un traitement plus évolué que pour les cas précédents.
L’eau à traiter (cf. tableau n° 5) comporte une faible quantité de manganèse (0 à 0,2 mg/l) et 2 à 3 mg/l d’ammoniaque (NH₃⁺) à éliminer. On peut également noter la présence de quelques micropolluants en faible quantité. Le schéma du traitement se compose d’une préozonation, suivie d’une filtration en deux étages. La désinfection est également assurée à l’aide d’ozone. La préoxydation, réalisée par de l’air ozoné, assure à la fois l’oxydation des substances présentes dans l’eau, l’aération et l’oxygénation pour la suite du traitement. Cette ozonation favorise le développement biologique dans les matériaux supports situés en aval. La dose employée est de 0,7 mg d’O₃ par litre. La filtration sur sable élimine le manganèse oxydé et sert de support à une première activité biologique de nitrification. La filtration sur charbon actif est le siège principal de l’élimination bactérienne de l’ammoniaque.
Tableau n° 5. — Usine de la Chapelle. Évolution de l’eau à travers la station.
Mn, mg/l | 0,15 | 0,07 | 0,04 | 0,02 |
Il faut noter, toutefois, que les résultats donnés par les auteurs ne permettent pas de déterminer le pourcentage d’élimination de l’ammoniaque dans chaque étage de filtration, le résultat ayant été « globalisé » pour l’ensemble des deux étages de filtration.
La vitesse de filtration pratiquée est de 4,8 m/h pour chacun des deux étages par des hauteurs respectives de 1 m de sable et 0,75 m de charbon actif. La postozonation permet d’assurer, à un taux de traitement de 1,4 g/m³ d’ozone, la désinfection ainsi que la réduction finale des micropolluants.
Les résultats moyens obtenus sur l’installation sont donnés dans le tableau n° 5. La figure n° 7 donne également le diagramme des temps de contact dans l’installation. On peut noter que la nécessité d’éliminer l’ammoniaque conduit à des temps de contact beaucoup plus longs qu’au Jonchay ou à Crissey.
Pour donner un tableau complet des techniques en présence, il faut signaler que l’ozonation n’est pas la seule technique possible dans ce cas. L’usine d’Aubergenville, construite par la Société DEGREMONT en 1961 et exploitée par la SLEE, traite une eau profonde polluée par NH₄⁺. Le traitement mis en œuvre à l’époque comprenait une nitrification biologique dans des nitrificateurs particulièrement adaptés à cet usage, et filtration sur filtre à sable.
Le cas de la station d’Aubergenville est d’ailleurs particulièrement instructif quant aux difficultés d’exploitation d’une nappe, car l’exploitation de la nappe, réalimentée non seulement à partir des eaux de ruissellement, mais également à partir de l’eau de Seine, a provoqué une augmentation importante de la pollution dans la nappe (détergents, mauvais goûts, matières organiques, zooglée) qui a nécessité, après quelques années d’exploitation, la mise en place d’un traitement complet (avec coagulation-floculation, introduction de charbon actif en poudre, décantation en décanteur à lit de boue : Pulsator) en amont de la nitrification, complété par une ozonation en fin de traitement. La nitrification se situe, dans ce cas, entre la décantation et la filtration sur sable.
11.2.4. — Cas d’eaux profondes polluées :
Comme on vient de le voir pour le cas d’Aubergenville, les eaux profondes peuvent devenir de plus en plus polluées. Cette pollution peut se situer au niveau de la pollution carbonée, et il importe de mettre en œuvre un traitement capable d’éliminer cette pollution. C’est le cas de plusieurs stations de traitement installées en Allemagne et traitant une eau prélevée dans les alluvions du Rhin (8, 9, 10), système dit de « filtration en lavage ».
Les puits de pompage sont installés à quelques dizaines de mètres des rives du fleuve. Les eaux traitées aux usines de Duisbourg et Wuppertal contiennent une quantité importante de manganèse (1 mg/l) et une quantité plus faible de fer (0,5 mg/l). Dans chaque cas, il y a une dose importante d’ammoniaque (1 à 3 mg/l).
Par ailleurs, les goûts et odeurs persistants sont importants, et l’on constate la présence d’une quantité non négligeable de composés organochlorés, due à la pollution du Rhin par ces produits.
La présence des mauvais goûts et de composés organo-chlorés conduit à l’utilisation de charbon actif, précédé d’ozone permettant également l’oxydation du fer et du manganèse.
Cependant, l’examen du diagramme des temps de contact montre (cf. figure n° 8) que le traitement ozone + charbon actif est appliqué de façon sensiblement différente suivant les usines.
Düsseldorf.
L’installation comporte une pré-ozonation au taux de traitement de 3 g/m³. Ce traitement, excédentaire pour la quantité de fer et de manganèse présente, permet l’oxydation d’une partie du Mn²⁺ en Mn⁴⁺. Lors du stockage qui suit (30 min de temps de contact), l’ozone résiduel et le Mn⁴⁺ résultant de la pré-ozonation permettent l’oxydation d’une partie des matières organiques.
À la sortie de ce bassin de contact, il n’y a plus d’ozone résiduel et la nitrification de l’ammoniaque peut se faire dans le premier étage de filtration ; le matériau de filtration doit être poreux, afin de favoriser le développement des bactéries nitrifiantes, mais il n’est pas nécessaire que ce soit du charbon actif car il n’y a pas d’ozone résiduel à éliminer. Cet étage de filtration permet également l’élimination du fer et du manganèse précipités.
Le deuxième étage (charbon actif) permet l’élimination des matières organiques chlorées. La régénération du charbon actif se fait en fonction du taux des composés organochlorés résiduels après filtration sur charbon. Le tableau n° 6 donne les résultats observés sur l’installation (8).
Tableau n° 6. — Installation de Düsseldorf. Évolution de l’eau.
Duisbourg (9).
L’ozonation est également réalisée avec un fort taux de traitement (3 g/m³) conduisant à un taux d’ozone résiduel important au premier étage de contact supplémentaire. Le filtre est muni d’une bicouche sable/anthracite et permet l’élimination de l’ozone résiduel, la réduction du Mn²⁺ et des restes de matières organiques ou d’oxydes de manganèse. Par contre, la présence d’ozone résiduel dans une grande partie du filtre ne permet pas la nitrification de l’ammoniaque.
Cette nitrification n’est possible que dans le deuxième étage de filtration, constitué de charbon actif, après élimination de l’ozone résiduel ; ce charbon actif permet également l’élimination des composés organochlorés.
Wuppertal (10).
Le taux de traitement en ozone est plus faible (2 g/m³). Après avoir traversé le premier étage, la pression atmosphérique est réduite ; l’eau est pulvérisée au-dessus d’un filtre sec fermé dans l’atmosphère duquel on introduit également l’air comme gaz d’oxydation. Le temps de contact nécessaire à l’oxydation du manganèse en Mn⁴⁺ permet d’obtenir la totalité de la réduction du Mn²⁺ et du fer. Les premières eaux issues du deuxième étage de filtration, situé juste en dessous du filtre sec, ne contiennent plus de charbon actif ; les premières eaux passent donc le même temps sans réduction de Mn²⁺ par le charbon.
La nitrification peut alors se faire dans les parties inférieures du lit filtrant en gaz. Trois résultats arrivent là : l’élimination des composés organochlorés, ainsi que l’élimination des goûts et odeurs rémanents, obtenue par oxydation et filtration sur charbon actif, semblent bien avoir été vérifiées, et ces résultats peuvent être multiples séparés, même si tous ne sont pas semblables.
Cependant, on constate également (comme pour le cas de Crissey) que cette activité biologique ne peut se développer tant qu'il subsiste de l’ozone résiduel. Il faut, soit attendre que cet ozone ait complètement disparu, soit le détruire en filtrant par exemple sur charbon actif.
III. — CAS D'EAUX DE SURFACE POLLUÉES
Ces eaux sont caractérisées à la fois par une pollution dissoute qui peut être importante et par une grande quantité de matières en suspension.
Il est donc exclu de les clarifier par simple filtration, mais il est nécessaire de mettre en œuvre un traitement complet de clarification par coagulation, floculation, décantation et filtration, afin de pouvoir éliminer le volume de boue important produit conjointement par les matières en suspension et le précipité d'hydroxyde formé par précipitation du coagulant métallique utilisé.
L'ozone peut être alors utilisé selon deux processus différents.
III.1. — Combinaison Ozone-Charbon :
La modification des caractères de biodégradabilité des substances dissoutes dans l'eau a conduit plusieurs auteurs (12), (13), (14) à étudier l'action de l’ozone en amont d'un traitement par adsorption sur charbon actif granulé, au sein même de la ligne de traitement. C'est la technique qui a été mise en place dès 1975, pour l’extension de l'usine de Morsang-sur-Seine.
Les molécules à longue chaîne sont coupées sous l'action de l'ozone, donnant naissance à de plus petites molécules. Ces molécules sont moins bien adsorbables comme le montrent les isothermes d'adsorption d'une eau avant et après ozonation (cf. fig. n° 9). La quantité de carbone organique adsorbable devrait donc diminuer. Or, on constate, au contraire, une légère augmentation (cf. fig. n° 10) de la charge organique fixée sur charbon après ozonation par rapport à la charge organique fixée sur charbon sans ozonation.
L'activité biologique permettant la dégradation des matières organiques dans le charbon actif situé après ozonation est donc légèrement supérieure à l'activité biologique dans un charbon actif fonctionnant sans ozonation. Mais cette dernière n'est pas nulle. En effet, si l'action du charbon était uniquement une action d'adsorption, on aurait une courbe de saturation tendant vers une asymptote dont l'ordonnée serait égale au poids de polluant organique adsorbable mesuré en laboratoire sur l'isotherme d'adsorption.
En ce qui concerne l'élimination des mauvais goûts, les essais ont montré, par ailleurs, que la durée de vie du charbon actif après ozone était d’environ 20 à 30 % supérieure à la durée de vie du charbon non précédé d'ozone.
III.2. — Ozone avant décantation :
On a vu précédemment l'action de l'ozone sur les molécules de grandes dimensions. Or, dans certaines conditions, avant de les détruire, l'ozone provoque une condensation des molécules, pouvant conduire à l'amélioration de la floculation et de la décantation.
À titre d'exemple, on peut donner l'effet de cette préozonation sur le traitement de l'eau de Seine.
Tableau n° 7. — Analyse de l'eau de Seine à Colombes en aval de Paris, le 28 septembre 1976.
Température, °C : | 18 |
pH : | 7,6 |
Turbidité, FTU : | 10 |
Matières en suspension, mg/l : | 19 |
Matières organiques (oxydabilité au KMnO₄ – milieu H₂SO₄, mg O₂/l) : | 12,4 |
MBV, me/l : | 4,0 |
Tac, °F : | 20,6 |
TH, °F : | 27,0 |
THCa, °F : | 20,2 |
Aluminium, mg/l : | 0,69 |
Fer, mg/l : | 0,35 |
Oxygène : | 3 |
Le tableau n° 7 donne les principales caractéristiques de l'eau de Seine à Colombes.
Le traitement de l'eau est réalisé en station pilote semi-industrielle, dont les caractéristiques sont les suivantes :— débit = 25 m³/h ;— décanteur : à lit de boue type « Pulsator » ;— vitesse ascensionnelle = 4,5 m/h ;— traitement : chlorure ferrique 25 g/m³.
La figure n° 11 rend compte de l'influence d'une faible dose d'ozone en prétraitement. On peut voir que l'introduction de 0,1 g/m³ d’ozone permet un gain important sur l’élimination des matières organiques mesurée par l'absorption en U.V., et améliore ainsi considérablement la turbidité de l'eau décantée. Au-dessus d'une dose de 0,2 g/m³, l'influence sur la turbidité disparaît et l'amélioration de l'élimination des matières organiques diminue.
La figure n° 12 rend compte d'une autre série d’essais dans laquelle la dose d'ozone a été maintenue constante et égale à 0,2 g/m³, alors que la dose de coagulant était variable. Lors de cet essai, la dose optimale de coagulant permettant l'annulation du potentiel Zéta était de 30 g/m³. On peut constater une amélioration de la qualité de l'eau décantée qui est d'autant plus importante que la dose de coagulant est plus faible par rapport à la dose optimale.
Pour compléter cette observation, il faut signaler que le même essai répété sur une station-pilote analogue en amont de Paris (à Vigneux), c'est-à-dire sur une eau beaucoup moins polluée par les matières organiques, n'a pas permis d'observer un phénomène aussi accentué. On n'a constaté, dans ce cas, qu'un effet très léger de la préozonation pouvant même s'annuler lorsque l'eau ne contient que peu de matières organiques.
Il faut également être attentif à l’action de l'ozone vis-à-vis des précurseurs d'haloformes présents dans l'eau. La figure n° 13 rend compte de la formation d'haloformes par chloration d'une solution de 2,4 pentadione, soit directement sans aucun traitement, soit après ozonation. Dans ce cas, l'action de l’ozonation est particulièrement bénéfique puisqu’elle a permis de détruire les précurseurs ; la chloration effectuée par la suite ne provoque la formation que d'une faible quantité d'haloformes. Par contre, la figure n° 14 rend compte de la formation d'haloformes par chloration d'une eau naturelle qui a été clarifiée par coagulation et adjonction de charbon actif en poudre. Après floculation et décantation, l'eau décantée est soit chlorée directement, soit chlorée après ozonation. On constate dans ce dernier cas un potentiel de formation d’haloformes plus important que sans ozone.
IV. — CONCLUSION
L'amélioration de la connaissance des modes d'action de l'ozone a conduit à l'utiliser non plus en fin de traitement, c’est-à-dire juste avant la désinfection finale nécessaire pour protéger le réseau de distribution par introduction d'un désinfectant capable de se maintenir à un certain taux résiduel dans le réseau, mais à l'utiliser en amont ou au cours du traitement proprement dit ; la raison d’être de l'ozone n'est alors plus d'utiliser son effet désinfectant, mais de mettre en œuvre son action sur les diverses matières dissoutes contenues dans l'eau qu’il importe d'éliminer lors du traitement destiné à produire de l'eau potable.
L'ozonation est ainsi devenue une technique à plusieurs facettes, dont l’utilisation judicieuse permet d’améliorer l’élimination de la pollution croissante que l'on rencontre dans les eaux destinées à la production d'eau potable. Il importe d’étudier avec soin chaque cas particulier, afin de déterminer le ou les points d'injection de l'ozone qui conduiront aux meilleurs résultats avec le taux de traitement minimal.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
(1) J.-C. BLOCK — Contribution à l'étude de la désinfection des eaux d’alimentation par l’ozone. Thèse présentée à la Faculté des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques de Nancy — Doctorat d'État — 19 décembre 197.
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(3) J. HOIGNE — H. BADER — Ozonation de l'eau : sélectivité et taux d'ozonation des corps dissous. 3ᵉ Congrès de l’I.O.I., Paris, mai 1977.
(4) J. HOIGNE — H. BADER Rate constants for reactions of ozone with organic pollutants. I.O.I. Symposium on advanced Ozone Technology — TORONTO, nov. 1977.
(5) A. LAPLANCHE — G. MARTIN — Y. RICHARD Ozonation d'une eau polluée par du parathion. T.S.M. L'EAU — 1974, n° 6, p.
(6) Y. RICHARD Interférences chlore-ozone dans le traitement des eaux potables. 2° Congrès de l'I.O.I. MONTREAL, mai
(7) Y. RICHARD — L. BRENER Organic materials produced upon ozonization of water. Symposium de l'I.O.I. — CINCINNATI, novembre 1976.
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(9) W. SCHEIDTMANN Investigations of the optimization of pretreatment when using ozone. Proceedings of a conference Adsorption — KARLSRUHE 1975 — Translation EPA 600/9 — 76-030 — p. 98 & 111.
(10) B. STRACK Operation, problems and economy of activated carbon regeneration. Proceedings of a conference Adsorption — KARLSRUHE 1975 Translation EPA 600/9 — 76-030 — p. 284 à 312.
(11) J.C. BLOCK — M. MORLOT — M. FOLLIGUET Problèmes liés à l'évolution du caractère d'oxydabilité de certains corps organiques indésirables, dans l'eau traitée par ozone, L'EAU — 1976, n° 1 — p.
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(13) A. BENEDEK The effect of ozone on activated carbon adsorption — A mechanistic analysis of water treatment data. I.O.I. Symposium on advanced ozone technology — TORONTO, nov. 1977.
(14) Y. RICHARD — L. BRENER Combined treatment with ozone and activated carbon. Proceedings of the International Conference « Water Pollution Control in developing Countries » — BANGKOK, février 1978, p. 607 & 614.