La loi sur l'eau du 3 janvier 1992 rend obligatoire la mise en place des périmètres de protection autour des points d'eau utilisés pour l'alimentation en eau potable (A.E.P.). Les périmètres devront être instaurés pour le 4 janvier 1997 comme le précise la loi. Il reste donc théoriquement moins d'un an pour terminer cette tâche. LE travail à réaliser en France est considérable. Nous nous proposons dans cet article de rappeler la législation en France sur les périmètres de protection, puis d'examiner la procédure réglementaire. Enfin nous ferons état de quelques réflexions.
Contexte législatif
Le législateur depuis longtemps s’est préoccupé de protéger les points d’eau destinés à l’A.E.P. En effet, le premier texte établi sous la forme d’une circulaire (10/12/1900) fait obligation de saisir un géologue pour émettre un avis sur les projets de captage.
Remarquons que la notion de périmètre de protection est légèrement plus récente et se retrouve dans l’article 10 de la loi du 15 février 1902. Cette loi, qui concernait les captages de sources, fait état de deux périmètres, à savoir :
« immédiat, acquis par la commune,
un second, où il est interdit d’épandre des engrais humains et de réaliser des puits, sans l’autorisation du Préfet.
Il a fallu attendre la circulaire du 12 juillet 1924 pour compléter la loi du 15/02/1902 afin d’étendre le concept à l’ensemble des captages d’eau souterraine et pour préciser la mission du géologue agréé : il doit définir l’origine de l’eau, les contaminations possibles et les périmètres de protection.
La loi du 16 décembre 1964 a réorganisé les conditions d’établissement des périmètres, avec la mise en place de trois périmètres ; cette loi a rendu obligatoire les périmètres pour les points d’eau mis en exploitation après le 15 décembre 1967.
La loi n° 92-3 de janvier 1992 sur l’eau étend l’obligation des périmètres de protection à tous les ouvrages existants ne bénéficiant pas d’une protection naturelle permettant efficacement d’assurer la qualité des eaux à la date de publication de la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964, et précise que ces périmètres doivent être mis en place dans un délai de cinq ans à compter de la publication de la loi n° 92-3 (art. 13).
La volonté des législateurs a toujours été de protéger les captages des pollutions accidentelles, de façon à préserver la qualité de l’eau et notamment sa pureté microbiologique. L’évolution des activités anthropiques a amené à renforcer la notion de périmètre de protection, qui s’est traduite par de nouveaux textes législatifs.
Il convient de retenir que les périmètres de protection ne peuvent pas en principe garantir la protection des captages contre les pollutions diffuses, comme les teneurs élevées en nitrates par exemple, sauf si le bassin d’alimentation est très limité. Ces aspects relèvent plutôt de la protection générale de l’eau contre les pollutions. Il apparaît nécessaire de distinguer ces deux aspects, car il serait illusoire de faire supporter la préservation des aquifères aux seules collectivités possédant des captages A.E.P. La préservation d’un captage peut être qualifiée d’intérêt particulier limité à une fraction de la population, alors que la préservation des milieux aquatiques concerne l’ensemble de la population. Il y a donc plusieurs niveaux d’intéressés, et donc de financeurs.
Procédure réglementaire
Le Maire est responsable de la qualité des eaux qu’il distribue aux habitants de sa commune (art. 19 du Code de la Santé Publique). Il faut remarquer que le Code de la Santé Publique a confié cette responsabilité aux Maires de chaque commune, que cette commune appartienne à un Syndicat d’A.E.P ou pas. La municipalité doit entreprendre les démarches pour instaurer les périmètres de protection en élaborant une délibération pour engager la procédure conformément à l’article L.20 du Code de la Santé Publique.
Nous allons préciser la procédure, qui apparaît longue, complexe et onéreuse. Le synoptique (figure 1) illustre de façon schématique le déroulement de la procédure.
Suite à la délibération demandant la déclaration d’utilité publique, il convient de mener l’instruction technique de la demande.
Dans un premier temps, un dossier technique doit être élaboré, conforme
ment à l’arrêté du 10 juillet 1989. Ce dossier doit comporter les points suivants :
- • caractéristiques géologiques et hydrogéologiques,
- • vulnérabilité de la nappe,
- • évaluation des risques de pollution.
L’élaboration de ce dossier peut être confiée à un bureau d’études spécialisé en hydrogéologie, mais également en environnement et en agropédologie. Ce document ne peut en aucun cas être élaboré par l’hydrogéologue agréé. En effet, l’hydrogéologue agréé ne peut émettre un avis que dans la mesure où lui-même, ou l’organisme auquel il est rattaché, n’est jamais intervenu. Le dossier préparatoire est ensuite présenté à l’hydrogéologue agréé afin que ce dernier émette un avis conformément à l’article 5 du décret n° 89-3 du 3 janvier 1984 modifié. Cet avis fait obligatoirement l’objet d’un rapport élaboré à partir d’une synthèse des données contenues dans le dossier préparatoire, et recueillies après une visite de terrain. Ce rapport porte impérativement sur :
- • les disponibilités en eau,
- • les mesures de protection, c’est-à-dire la définition géométrique des différents périmètres de protection, ainsi que les interdictions et les réglementations.
Le choix de l’hydrogéologue agréé pour examiner le dossier est du ressort de l’hydrogéologue agréé coordinateur départemental. C’est pourquoi la collectivité doit demander, via la Préfecture, à l’hydrogéologue coordinateur de désigner un hydrogéologue agréé parmi la liste arrêtée. L’hydrogéologue agréé peut, le cas échéant, demander des compléments d’informations s’il juge que les données contenues dans le dossier préliminaire ne sont pas suffisantes.
L’avis de l’hydrogéologue agréé est transmis à la collectivité demanderesse, à la préfecture et au coordinateur départemental. À ce stade, il est nécessaire d’évaluer les coûts de l’instauration des périmètres de protection. L’évaluation des coûts porte sur :
- • la mise en conformité des ouvrages de captage,
- • l’instauration des servitudes : acquisition foncière du périmètre de protection immédiate, la mise en place de la clôture, mais également sur les indemnités occasionnées par les servitudes.
Concernant les indemnités, il convient de distinguer les servitudes qui affectent les activités économiques existantes de celles dont les impacts s’appliquent uniquement à des activités futures. Dans le premier cas, il y a lieu d’évaluer les indemnisations, tandis que dans le deuxième cas, il ne peut y avoir indemnisation du fait de la règle du préjudice réel.
L’évaluation des coûts réalisée par un bureau d’études ou par les services de l’État (DDAF, DDE) constitue une étape fondamentale et importante. En effet, elle conditionne les engagements financiers de la collectivité, mais également elle peut amener à interrompre la procédure et à rechercher une autre ressource.
En effet, la déclaration d’utilité publique ne peut être instruite que dans la mesure où l’opération est financièrement justifiée.
À cet effet, les textes prévoient que pour tout projet de création de captage d’AEP, la collectivité peut demander à l’hydrogéologue agréé un avis préliminaire ; l’évaluation des coûts de la protection peut dans certains cas interdire le projet.
Suite à l’instruction technique, l’instruction administrative est assurée généralement par les services de l’État ou par des bureaux spécialisés.
Le service instructeur élabore le dossier d’instruction administrative pour consultation des administrations. Après retour, le dossier est présenté au Conseil Départemental d’Hygiène ou au Conseil Supérieur d’Hygiène Publique, pour avis. L’administration rédige alors le projet d’arrêté qui sera soumis à enquête.
À ce stade, il convient de rechercher l’identité des propriétaires concernés et la situation cadastrale des terrains, de façon à ce que le maître d’ouvrage notifie officiellement l’arrêté d’ouverture de l’enquête publique (envoi par pli postal en recommandé, avec accusé de réception).
Un commissaire-enquêteur est nommé par le Préfet ; parallèlement, des avis d’ouverture d’enquête sont publiés dans la presse (journaux habilités pour les annonces légales) dans deux journaux différents et deux fois.
Au terme des délais légaux d’enquête publique, le commissaire-enquêteur remet ses conclusions ainsi que le registre d’enquête à la Préfecture.
Un projet d’arrêté de déclaration d’utilité publique est ensuite élaboré. L’arrêté déclaratif d’utilité publique est ensuite notifié à chacun des propriétaires concernés (envoi en recommandé avec accusé de réception).
La collectivité procède à l’acquisition des terrains formant le périmètre de protection immédiate (si ce n’est déjà fait) soit à l’amiable ou par voie d’expropriation.
Le cas échéant, la collectivité indemnise les ayants-droits, selon les servitudes établies. Dans un dernier temps, les servitudes doivent être inscrites sur les
registres du Conservateur des Hypothèques.
Cette phase marque la fin de la procédure. Ce n’est qu’à partir de ce moment, c’est-à-dire l’inscription des servitudes aux registres des Hypothèques, que le captage bénéficie d’une protection réglementaire.
Une fois cette étape administrative franchie, il convient de ne pas négliger le suivi de la protection du captage. En effet, dans certains cas, il peut être nécessaire de mettre en place des recommandations et des conseils personnalisés, notamment en ce qui concerne les pratiques agricoles, par exemple.
De plus, le contrôle permanent de l’application des servitudes implique une surveillance de l'ensemble des activités ou projets qui pourraient porter atteinte à la qualité de l’eau.
Par conséquent, cette procédure apparaît complexe, longue et délicate et parfois onéreuse.
État d’avancement
Le Ministère de la Santé a publié un rapport d’enquête en mai 1993, sur les périmètres de protection. De cette enquête effectuée en 1991, il ressort que seuls 75 % des départements (DDASS) ont répondu après relance par la Direction Générale de la Santé. Plusieurs raisons sont évoquées, concernant le nombre de non réponses, à savoir :
• absence de désignation d'un service départemental responsable de l’enquête,
• mauvaise perception de l’intérêt de l’enquête,
• difficulté dans la collecte des informations demandées,
• questionnaire insuffisamment explicite.
Certaines de ces raisons peuvent refléter les difficultés de mise en place des périmètres de protection, car un service coordonateur au niveau de chaque département est nécessaire pour assurer le suivi de la procédure et pour aider les collectivités à entreprendre la mise en place des périmètres.
Sur les 71 départements analysés, le nombre de captages s’élève à 24 981 dont 5 904 prélèvements d’eau de surface (le nombre de captages au niveau national est évalué à 40 000 environ). Plus de 60 % de ces captages ont été mis en service avant 1964. Concernant l'avancement des procédures, une
Tableau I
Périmètres de protection (PP) souterraine | PP / points de prélèvement en % | PP de surface | PP / points de prélèvement en % |
---|---|---|---|
DUP seule ................................ 1832 | 9,34 | 72 | 0,36 |
DUP + Notification Individuelle .......... 798 | 4,07 | 9 | 0,046 |
DUP + publicité foncière ................. 1200 | 6,12 | 11 | 0,060 |
Total avec DUP ............................ 3830 | 19,53 | 92 | 0,056 |
Tableau II
> 50 000 habitants : effectifs 376 | % 81,2 |
de 5 000 à 49 999 hab : effectif 1608 | % 36,1 |
< 5 000 hab : effectif 4528 | % 27,0 |
nombre total d’UD : | 6512 |
nombre total d'unités de distribution : 463 4455 16796 21714
L’étude détaillée portant sur 56 départements et 19 607 points de prélèvement a fourni les résultats du tableau I.
On obtient donc un pourcentage de captages bénéficiant d’une DUP incomplète d’environ 20 %, et seulement 6 % de captages possédant une DUP opposable aux tiers.
On constate également que pour les captages d’eaux de surface, le pourcentage est très faible, vraisemblablement étant donné les difficultés de mise en œuvre et les coûts inhérents à une réelle protection.
Le nombre de rapports géologiques (sur 65 départements) était de 10 108, alors que le nombre de périmètres de protection établis n’était que de 4 640. Cela montre qu'aucune suite administrative n’a été donnée dans plus de la moitié des cas, illustrant soit les difficultés administratives de mise en place soit la méconnaissance des procédures. En effet, d’autres études indiquent clairement que de nombreux élus considèrent que les captages sont protégés dès lors qu’un hydrogéologue agréé a défini les périmètres.
Si l'on s’intéresse à l’état d’avancement en fonction de l’importance en terme de population de l’unité de distribution (alimentée par un ou plusieurs points de prélèvements), au niveau national les résultats étaient ceux du tableau II. Dans ce tableau, le pourcentage d’unités de distribution dotées de périmètres de protection est le rapport (en pourcentage) du nombre d’unités de distribution dotées de périmètres sur le nombre total d'unités de distribution.
Il apparaît qu’en règle générale les unités de distribution alimentant des populations importantes sont plus avancées en terme de périmètres de protection que les petites collectivités.
D’un point de vue délais, à partir de l'élaboration du dossier préparatoire préalablement à la consultation interservices, il convient de prévoir environ 300 jours pour aboutir à l'inscription des servitudes.
La protection des captages d’eau est une nécessité à plusieurs titres. En effet, comme toute activité, elle est susceptible d’entrer en conflit avec d’autres intérêts tels que voies de circulation (autoroute, voie TGV...), urbanisation, activités agricoles ou industrielles. L'arrêté préfectoral d’autorisation de prélèvement et d’instauration des périmètres de protection rend les servitudes opposables aux tiers. L’intérêt de cet acte administratif est de plusieurs ordres, à savoir :
- une gestion cohérente de la ressource en eau par la prise en compte des prélèvements autorisés, - une gestion foncière par l’acquisition des terrains formant le périmètre de protection immédiate (à l’amiable ou par voie d’expropriation ; dans ce dernier cas, seul cet acte administratif le permet), - une prise en compte dans les documents d’urbanisme tels que P.O.S., - un rôle d'information et de sensibilisation.
En 1991, l'état d'avancement de la mise en place des périmètres de protection était relativement modeste.
Une enquête réalisée par Idéal en 1992 indiquait un état d’avancement très variable, allant de 0 % à 100 %, par département. Pour les pourcentages les plus élevés, il apparaissait le plus souvent des confusions sur le terme périmètres constitués qui, pour certains, signifiait : rapport d’un hydrogéologue agréé, enquête ou/et notifications sans inscription des servitudes.
Ce premier constat reflète bien les difficultés de perception de la réalité administrative des périmètres de protection.
En effet, les démarches à entreprendre ne sont pas bien connues des collectivités, une information claire et précise semble nécessaire.
De plus, la réglementation semble (selon cette enquête) difficile à faire respecter.
Conclusion
La mise en œuvre des périmètres de protection correspond à une double nécessité administrative et sanitaire. L'état d’avancement montre qu’un travail important reste à faire pour protéger de nombreux captages. Pour chaque collectivité, la mise en place des périmètres doit être l'occasion de réaliser un diagnostic sur ses ressources et captages, de façon à rationaliser et pérenniser son alimentation en eau potable. Pour cela, il est important de réaliser des études hydrogéologiques et environnementales qui, selon les cas, seront plus ou moins complexes.
Les aspects administratifs doivent être mieux appréhendés par les élus. D’autre part, la mise en place de cellules « périmètres de protection » au niveau de chaque département joue un rôle fédérateur et coordinateur, indispensable pour permettre un aboutissement des procédures. La loi sur l’eau de 1992 a apporté un nouvel élan, qui se traduit par la mise en œuvre des périmètres de protection. De nombreux conseils généraux assurent la maîtrise d’ouvrage pour le compte des communes et syndicats d’alimentation en eau potable, ce qui permet un avancement plus rapide. Les collectivités bénéficient également du soutien financier des Agences de l’Eau, qui subventionnent ces opérations.
Des efforts de sensibilisation et d’information semblent cependant nécessaires auprès des élus, qui peuvent percevoir cette procédure uniquement sous l’aspect administratif. La mise en œuvre des périmètres doit faire appel à des experts en hydrogéologie, environnement, agropédologie. Ces démarches doivent être également l’occasion d'une véritable réflexion sur l’alimentation en eau potable, sous les aspects quantitatifs, qualitatifs et financiers.