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Performances du filtre bactérien anaérobie. Bilan des unités industrielles et domaines d'application

26 decembre 1986 Paru dans le N°106 à la page 31 ( mots)
Rédigé par : Claude CAMILLERI

La digestion anaérobie a été depuis longtemps appliquée au seul traitement des boues ou des substrats très chargés comme les déjections animales car les faibles charges volumiques utilisables (1,5 kg DCO/m3/j) rendaient impossible son application aux effluents, ce qui aurait conduit à des installations très volumineuses et par conséquent à des investissements prohibitifs, malgré l’intérêt d’un bilan énergétique positif. Depuis quelques années, les progrès technologiques ont complètement changé cette optique, au point que les procédés anaérobies viennent concurrencer les procédés aérobies dans de nombreux secteurs et bouleverser la notion d’économie de l’épuration par une réduction spectaculaire des coûts. Pour augmenter la charge volumique, il est en effet nécessaire de maintenir dans le digesteur une forte concentration en micro-organismes acidogènes et méthanogènes. Or, la croissance — notamment de ces derniers — est lente, ce qui constitue par ailleurs un des avantages de la digestion anaérobie : celui de produire quatre à cinq fois moins de boues que les procédés aérobies pour une même pollution retirée. Cette propriété est due à ce que la majeure partie de la matière organique est transformée en méthane et gaz carbonique.

Plusieurs procédés sont entrés en compétition : recyclage des boues, lit de boues, et enfin filtre bactérien. C’est à cette dernière technologie que S.G.N., forte de quinze ans d’expérience dans les lits bactériens à forte charge sur supports plastiques, s’est intéressée. Six années de recherches et de développement en pilote industriel ont conduit à la mise au point d’une technologie particulièrement performante dont on pourra juger les résultats sur les exemples industriels décrits dans cet article.

Description du procédé

Le filtre anaérobie S.G.N utilise un média particulièrement bien adapté à cet usage par ses qualités :

  • — sa légèreté (50 kg/m3), réduit les coûts du média ;
  • — sa surface (230 m2/m3) permet l’utilisation de charges élevées ;
  • — son pourcentage de vide (95 %) évite tout risque de bouchage ;
  • — sa résistance permet de réduire la surface au sol en lui donnant une hauteur suffisante.

Mais, en plus des qualités propres au filtre anaérobie, le procédé possède des caractéristiques essentielles qui contribuent pour leur part aux remarquables résultats obtenus.

Le fonctionnement en flot tombant utilisé présente en effet des avantages déterminants :

  • — un déplacement liquide à contre-courant du flux gazeux et des matières flottées, assurant une meilleure agitation ;
  • — un arrosage permanent de la surface, évitant la formation de croûte et de mousse.
  • — une absence de risque de bouchage par mouvement lent du média ;
  • — une distribution régulière du liquide.

Le fonctionnement avec recyclage permet une dilution immédiate des liquides à traiter et leur neutralisation. La construction en un seul étage, compatible avec le filtre anaérobie, conduit à une installation plus simple et facile à exploiter, les zones de colonisation des acidogènes et des méthanogènes s’équilibrant naturellement en fonction des substrats.

Enfin, le recyclage séquentiel du biogaz permet un contrôle permanent de la biomasse.

Toutes ces caractéristiques ont permis d’atteindre des performances spectaculaires. C’est ainsi que la charge volumique en DCO par jour et par unité de volume actif dépasse aujourd’hui dans certains cas les 20 kg, soit plus de treize fois mieux que les digesteurs classiques et ceci pour des performances d’épuration semblables. Dans les faits, ceci se traduit par un résultat impensable il y a seulement quelques années : aujourd’hui, dans certains domaines, et malgré un prix de l’énergie faible, une station d’épuration peut s’amortir par la production d’énergie. Quelques exemples d’applications industrielles sont l’illustration de ce qui précède.

[Photo : Traitement des effluents de sucrerie de la Sucrerie de Béghin Say à Thumeries.]

APPLICATIONS INDUSTRIELLES

Sucreries

Sucrerie de Béghin Say à Thumeries. Après expérimentation de longue durée sur deux pilotes industriels, dans le domaine des distilleries, c’est dans la sucrerie que la première unité industrielle a été installée ; construite en moins de six mois, elle a été mise en service pour la campagne 1983.

Elle traite 16 tonnes de DCO par jour d’effluent de lavage de betterave dans un filtre anaérobie de 1 200 m³ et a atteint sa capacité nominale dès la deuxième campagne. Le biogaz est utilisé dans une chaudière spéciale.

Sucrerie de la Générale Sucrière à Aulnois-sur-Laon. Profitant de l’expérience de Thumeries, l’unité de la Générale Sucrière à Aulnois-sur-Laon, traitant 28 tonnes de DCO/j dans un filtre anaérobie de 2 000 m³ contenant un pourcentage plus faible de média, a pu atteindre la capacité nominale dès la première campagne, c’est-à-dire après deux mois de marche, car il a pu être en particulier ensemencé avec des souches acclimatées de Thumeries. Le biogaz est utilisé en chaudière.

[Photo : Traitement des effluents de sucrerie de la Sucrerie de la Générale Sucrière à Aulnois-sur-Laon.]

Distilleries

Distillerie de Cognac. Dans le domaine des distilleries, l’usine de Revico traitant les effluents de la majorité des distilleries de Cognac élimine 80 tonnes/jour de DCO au moyen de deux digesteurs anaérobies ; un filtre anaérobie de 5 600 m³ et un digesteur contact de 4 100 m³ constituent l’une des plus grosses unités au monde. Elle a été mise en service en 1984 et le biogaz produit permet d’alimenter une distillerie et deux groupes générateurs de 500 kVA chacun fournissant de l’électricité sur le réseau EDF. L’unité de méthanisation est suivie d’une lagune qui permet d’atteindre une épuration de 99 %.

[Photo : Traitement des vinasses de la distillerie Revico à Cognac.]

Distillerie de la S.I.S. en Guadeloupe. Cette unité, mise en service en 1986, comporte un digesteur de 1 700 m³ et doit traiter 24 tonnes par jour d’effluent de distillerie de mélasse de canne.

Le biogaz est utilisé dans une chaudière à bagasse. Il fournit plus de la moitié de l’énergie nécessaire à la distillation malgré le faible rendement de la chaudière.

Distilleries d’Armagnac. La Société Interprofessionnelle de l’Armagnac traite les vinasses de plusieurs distilleries. L’unité de méthanisation a remplacé l’installation d’évaporation dont le coût d’exploitation était devenu prohibitif. Elle comprend, comme à Revico, deux réacteurs, un fermenteur infiniment mélangé de 1 570 m³ et un filtre anaérobie de 570 m³. Le biogaz est brûlé dans une chaudière. Elle sera mise en service à la campagne 1986. La DCO traitée sera de 11,5 tonnes par jour et le démarrage devrait pouvoir s’opérer rapidement car l’unité pourra être...

ensemencée avec les boues de Revico, le substrat étant pratiquement identique.

Tomelloso (Espagne). Voici encore une unité sur vinasse de distillerie qui a été mise en service en 1984 et qui traite 45 tonnes de DCO par jour avec deux filtres anaérobies de 1 400 m³ chacun. La production de biogaz est équivalente à 10 Tep/jour.

Conserveries.

La Semeuse à Bierne, spécialisée dans les conserves de légumes, dispose d'un filtre anaérobie de 470 m³, permettant le traitement de 6 t/j de DCO et la production d’une énergie correspondant à plus de 1 tep/jour.

[Photo : Traitement des effluents de conserverie de légumes de la Semeuse à Bierne.]

Andros à Bretenoux, produisant 40 000 tonnes/an de confiture, va mettre en service en 1986 un filtre anaérobie de 470 m³ permettant de traiter 4,5 t/j de DCO soluble. L’installation suivie d’une finition par un système à boues activées devrait permettre d’atteindre une efficacité de 97 % et d’économiser 260 tep par an.

Porcheries.

À Tolède, en Espagne, une porcherie produisant 12 000 porcs par an est équipée d’un filtre anaérobie de 100 m³ qui a permis de supprimer les nuisances apportées par les anciennes lagunes tout en permettant de subvenir aux besoins de chaleur par une chaudière à biogaz.

Levureries.

Dans ce domaine, un pilote industriel S.G.N., installé dans une grande levurerie européenne, a permis d’atteindre en quelques mois des charges de plus de 17 kg de DCO/m³/j malgré une importante concentration du substrat en sulfate.

Fromageries.

Une unité en cours de construction dans une fromagerie pour le traitement du lactosérum devrait entrer en service fin 1986. Le filtre anaérobie de 120 m³ traitera une DCO d’environ 7 tonnes par semaine, produisant une énergie équivalente à 1,85 Tep.

Industrie chimique.

Plusieurs pilotes industriels de filtre anaérobie S.G.N., qui ont fonctionné en 1985 et 1986 sur différents effluents de l’industrie chimique, ont permis d’atteindre des charges de DCO approchant les 15 kg/m³/j. Ces résultats ont nécessité une bonne connaissance des complémentations chimiques nécessaires aux activités biochimiques anaérobies, mais celles-ci étant maîtrisées, le fonctionnement des filtres anaérobies s’est révélé particulièrement stable.

MISE EN ROUTE

D’une manière générale, la première mise en route sur un substrat nouveau demande environ six mois pour arriver à pleine charge, mais si l’on dispose de biomasse provenant d’un digesteur fonctionnant sur le même produit, voire un produit très voisin, la durée de la mise en route peut être réduite à trois mois et moins. De bonnes conditions biochimiques au démarrage requièrent un savoir-faire qui permet d’accélérer le processus.

Après des arrêts intercampagnes de plusieurs mois, l’expérience a montré que le redémarrage à pleine charge peut s’effectuer en moins de deux semaines, ce qui est exceptionnel par rapport aux procédés d’épuration classiques.

PRODUCTION ENERGETIQUE

D’une manière générale, et sauf exception, comme le cas de présence de bétaïne qui n’est pas pris en compte dans la DCO, 1 tonne de DCO éliminée permet de produire environ 350 m³ de méthane, soit environ 0,34 Tep. Un m³ de substrat à 30 g/l traité dans un filtre anaérobie avec une charge de 15 kg/m³ permet une épuration de 90 % de la DCO et produit donc l’équivalent de plus de 9 kg de fioul. Cette énergie est entièrement disponible si l’on dispose de calories basse température permettant de chauffer et de maintenir le substrat dans le filtre anaérobie à environ 35 °C, et il est évident — au vu des calculs précédents — que la méthanisation en général, et le filtre anaérobie plus particulièrement, s’imposent et s’imposeront au traitement du moins en premier étage des effluents biodégradables concentrés ; mais on s’aperçoit aujourd’hui qu’avec les progrès accomplis au cours des dernières années, le filtre anaérobie peut être compétitif sur des effluents moins concentrés tant du point de vue du coût d’investissement que du coût d’exploitation.

La température du substrat intervient largement dans le bilan énergétique du filtre anaérobie et pratiquement pas dans celui de l’épuration par boues activées. Dans le cas où le substrat est à la température ambiante et où l’on ne dispose pas de calories, on devra réchauffer celui-ci avec du biogaz. Le pompage de l’effluent et son recyclage consomment également un peu d’énergie. Ces pertes calorifiques dépendent de l’isolation du filtre anaérobie, généralement réalisée en laine de verre d’une épaisseur de 5 cm du moins sur les viroles. Ces pertes sont minimisées par la faible surface extérieure du filtre anaérobie.

Le calcul précis des différentes consomma-

(1) Dans le cas d’une distillerie de canne équipée d’une compression mécanique de vapeur, celle-ci serait auto-suffisante en énergie.

tions énergétiques montre que pour un volume traité de 1 000 m³/j d’un substrat à 15 g/l de DCO à 15 °C et 15 °C de température extérieure, dans un filtre anaérobie de 1 000 m³ travaillant donc à 15 kg de DCO/m³, on obtient un volume de biogaz représentant une énergie brute de 44 800 kWh et une énergie nette après autoconsommation (chauffage, pompage et pertes) de 20 500 kWh. Il y a donc un minimum de concentration de DCO au-dessous duquel la consommation énergétique est supérieure à la production. Cette valeur dépend de la température et du rendement d’élimination en DCO. Pour un rendement de 90 % et une température (substrat et extérieure) de 15 °C, cette valeur limite est de 8 g/l mais elle peut descendre à 2 g/l avec un échangeur entrée-sortie récupérant 75 % de la chaleur et à 1 g/l si le rendement de l’échangeur atteint 90 %.

L’application la plus répandue des systèmes à boues activées étant l’épuration des effluents domestiques, il est intéressant de comparer les bilans énergétiques des deux systèmes pour cette application dont la concentration en DCO n’est que de 0,1 kg/m³.

En prenant une température moyenne de 10 °C, le calcul donne pour le filtre anaérobie une consommation de 1 kWh par kg de DCO avec un échangeur de température entrée-sortie ayant un rendement de 85 % et 2,5 kWh pour un échangeur ayant un rendement de 80 %, ce qui montre l’importance d’un tel échangeeur pour des effluents peu concentrés.

COMPARAISON AVEC UN TRAITEMENT AÉROBIE PAR BOUES ACTIVÉES

Il n’est pas facile de comparer des procédés qui aujourd’hui sont plus complémentaires que concurrents. Bien sûr, si la température extérieure et celle des effluents est élevée comme dans les pays chauds, le filtre anaérobie sera avantagé. Comme la consommation énergétique d’un système à boues activées hors traitement des boues est d’environ 1,3 kWh électrique par kg de DBO éliminée, soit 0,7 kWh électrique ou 2 kWh thermiques par kg de DCO éliminée, on peut dire que, du seul point de vue énergétique — et même si l’effluent est à la température relativement basse de 10 °C — le filtre anaérobie peut être compétitif avec un système classique à boues activées, même pour des effluents urbains si on l’équipe d’un échangeeur entrée-sortie ayant un rendement situé entre 80 % et 85 %. Le biogaz produit servirait dans ce cas en totalité au chauffage du substrat.

Toutes ces valeurs sont calculées avec une méthanisation par filtre anaérobie qui, avec une forte charge et donc un faible volume, présente l’avantage d’une faible surface de déperdition calorifique.

Quant au coût d’investissement, et bien qu’il soit plus onéreux de construire un filtre anaérobie qu’un bassin d’oxydation, rappelons que la charge volumique sur le premier étant plus forte, il sera moins volumineux que le bassin d’oxydation. Mais un bilan plus précis ne pourrait être établi qu’après des essais pilotes de durée suffisante sur des effluents de faible concentration.

CONCLUSION

Les progrès accomplis au cours des dernières années dans les procédés anaérobies, et notamment l’apparition des filtres anaérobies, apportent un bouleversement des conditions économiques de l’épuration, en particulier des effluents des industries agro-alimentaires et chimiques.

Notre filtre anaérobie se caractérise ainsi par :

  • — des performances d’épuration de l’ordre de 90 % ;
  • — de fortes charges volumiques, donc de faibles volumes et des coûts d’investissement raisonnables ;
  • — un bilan énergétique favorable, même pour des effluents peu concentrés avec l’adjonction d’un échangeeur entrée-sortie, grâce aux faibles pertes dues au volume compact ;
  • — une quasi-impossibilité de bouchage ;
  • — une grande facilité d’exploitation ;
  • — une faible production de boues ;
  • — une absence de nuisance de bruits et d’odeurs.

Il a son application dans le traitement de tous les effluents biodégradables pour abattre à faible coût une partie importante de la pollution. Il est d’autant plus intéressant que le substrat à traiter a une DCO élevée mais il est également compétitif avec les systèmes classiques pour traiter des effluents relativement dilués.

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