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Oxygène et télégestion au service des réseaux d'assainissement

30 decembre 1996 Paru dans le N°197 à la page 43 ( mots)
Rédigé par : Béatrice PRAT, Jean KRIER et Etienne THOMAS

La corrosion et les mauvaises odeurs sont des phénomènes importants rencontrés dans la gestion des réseaux d'assainissement. Ils ont une même cause : la présence d'hydrogène sulfuré (H2S). L'injection d'oxygène, une solution originale pour éviter la formation d'hydrogène sulfuré, peut maintenant être améliorée par la télégestion de différents paramètres comme les teneurs en oxygène dissous ou en hydrogène sulfuré gazeux.

Production d’H₂S et ses conséquences

La présence de sulfures en eaux résiduaires urbaines a deux origines principales :

  • - une origine industrielle avec les rejets d’effluents d’industries diverses comme les papeteries ou encore les raffineries, pour ne citer qu’eux,
  • - une origine biologique, de loin la plus importante, avec la décomposition de molécules organiques soufrées ou la réduction de composés inorganiques comme les sulfates.

La réduction des sulfates (SO₄²⁻) et autres formes oxydées du soufre est le résultat de l’activité des bactéries sulfato-réductrices. La réduction dite assimilatrice de ces composés génère des ions sulfures (S²⁻) qui participent au métabolisme de la cellule comme élément de structure dans les opérations de synthèse bactérienne. Celle dite dissimilatrice fournit l’énergie utilisable sous forme d’Adénosine Tri-Phosphate (ATP), pour les activités de croissance.

[Photo : Figure 1 : la production d’H₂S et ses conséquences]
[Photo : légende : schéma du collecteur Athis Mons - Vigneux]
[Photo : légende : schéma de l’installation d’oxygénation]

et de maintien des bactéries.

Dans les émissaires de transport des eaux usées urbaines, la libération d’H₂S est le résultat de l’équilibre qui s’établit entre ce gaz et les ions sulfures produits principalement à partir des sulfates présents en grande quantité.

La production d’H₂S (figure n°1) issue de l’activité des bactéries sulfato-réductrices est liée à différents facteurs :

  • - l’absence d’oxygène (ces germes étant strictement anaérobies),
  • - la concentration en substrat organique,
  • - le pH,
  • - la température.

Dans les ouvrages en charge, la production d’H₂S est maximale du fait de la colonisation totale des parois du collecteur par le biofilm bactérien dont certaines couches remplissent les conditions les plus favorables au développement de ces bactéries.

Les effets de cette production se résument à quatre conséquences importantes :

  • - une odeur nauséabonde : l’H₂S dégage une odeur caractéristique « d’œuf pourri » (à faible dose seulement). C’est la source d’odeur la plus importante sur les stations d’épuration, ce qui peut s’expliquer par son seuil de détection olfactive très bas et sa densité supérieure à 1 ;
  • - une toxicité importante : les effets de l’H₂S vont de la simple irritation à la Valeur Limite d’Exposition (VLE) de 10 ppm, jusqu’à la mort à partir de 300 ppm d’exposition. Sa toxicité est équivalente à celle du cyanure d’hydrogène ;
  • - un risque de formation de mélanges explosifs avec l’air dans les limites de 4,5 à 45,5 % en volume ;
  • - une forte corrosion : en présence d’oxygène, l’H₂S gazeux est transformé en acide sulfurique (H₂SO₄) par des bactéries du genre Thiobacillus. Il en résulte une attaque acide de différents matériaux (béton, métaux…).

Cette dernière conséquence est un phénomène très préoccupant pour les réseaux d’assainissement, l’H₂S étant reconnu comme le facteur principal de dégradation des ouvrages. Les conditions favorables à cette réaction sont généralement réalisées dans les conduites gravitaires et dans les zones de fortes turbulences où les risques de stripping et donc de dégazage d’H₂S sont accrus.

Désodorisation et protection contre la corrosion par injection d’oxygène pur

Plusieurs techniques sont utilisées pour lutter contre les effets de l’H₂S. L’une d’entre elles, l’injection d’oxygène pur, présente un double effet :

  • - une action préventive : la présence d’oxygène dissous permet de maintenir l’effluent en conditions aérobies. Les processus responsables de la synthèse des sulfures sont alors bloqués, il n’y a plus de production d’H₂S ;
  • - une action curative : l’oxygène permet l’oxydation des sulfures en sulfates.

En outre, l’injection d’oxygène pur ne modifie pas la charge polluante de l’effluent (il n’y a pas addition de produits chimiques) et ne génère pas de phénomènes secondaires indésirables comme par exemple une coloration de l’effluent.

Cependant, l’oxygène est un gaz qui se dissout relativement difficilement ; sa mise en œuvre requiert le respect d’un certain nombre de règles. L’oxygénation d’un effluent peut être réalisée par injection directe dans les conduites en charge (conduites forcées en sortie de station de refoulement, par exemple). Il faut alors disposer d’une vitesse et d’une longueur d’écoulement en charge suffisantes pour que les bulles d’oxygène ne coalescent pas et aient le temps de se dissoudre. Si de telles conditions ne sont pas réunies (compte tenu de la géométrie ou du profil du collecteur, par exemple) une autre solution couramment utilisée consiste à dissoudre l’oxygène dans l’effluent par l’intermédiaire d’un appareil de transfert extérieur appelé oxygénateur. Cet oxygénateur, en général de type Bicône, peut être relié à l’ensemble ou à une partie du flux à traiter.

Exemple d’application : oxygénation du réseau d’assainissement de la vallée de l’Orge aval

Le SIVOA (Syndicat Intercommunal de la Vallée de l’Orge Aval) est un organisme public, ayant pour mission la gestion de la rivière Orge sur 50 km et du réseau d’eaux usées et pluviales lui appartenant sur 120 km. Il regroupe 33 communes, soit une population de 350 000 habitants, sur un bassin versant de 300 km².

La corrosion due à l’H₂S fut constatée pour la première fois en 1991. C’est en effet, lors d’une visite de routine du col-

[Photo : synoptique Datal SIVOA]

Collecteur d’eaux usées (Ø 2200 mm) qu’une dégradation du béton a été décelée. Suite à cette constatation, une étude du phénomène et des moyens à mettre en œuvre a été lancée à partir de l’été 1992.

Cette étude a permis, d’une part, de confirmer la présence d’H₂S dans l’ouvrage concerné et, d’autre part, de lister l'ensemble des solutions techniques envisageables. De 1993 à 1994, plusieurs analyses de faisabilité ont été effectuées et des contacts ont été pris avec différents fournisseurs potentiels. C’est durant l’été 1994 que les premiers essais de traitement par oxygénation ont été lancés. En 1995 ces essais se sont poursuivis pendant les mois d’été avant de passer en exploitation en été 1996.

Une campagne de mesures et une visite détaillée du collecteur ont permis d’appréhender précisément l’étendue des dégradations. Le réseau, d’un linéaire de 120 km, s’écoule gravitairement dans le fond de la vallée de l’Orge avant de passer sous la Seine grâce à un siphon sur le site d’Athis-Mons (figure n°2). Les eaux résiduaires sont ensuite dirigées vers la station de pompage de Crosne avant d’être traitées dans la station d’épuration de Valenton gérée par le SIAAP.

Le collecteur en amont du siphon véhicule les eaux résiduaires en provenance des vallées de l’Orge et de l’Yvette avec un débit de 100 000 m³/j. Il est principalement corrodé sur sa partie aval (Savigny-sur-Orge, Athis-Mons, Vigneux-sur-Seine). Les dégradations sont beaucoup plus importantes sur la partie située en aval du siphon passant sous la Seine. L’été, les taux d’hydrogène sulfuré étaient en moyenne aux alentours de 5 à 10 ppm avec des pointes régulières à 60 ppm. Le taux de sulfures, quant à lui, était compris entre 1,5 et 2 mg/l avec des pointes à 3,5 mg/l.

La solution de traitement retenue est l’injection directe d’oxygène dans le siphon traversant la Seine. En effet, ce siphon présente une géométrie idéale avec un puits de 16 m de profondeur et une longueur totale de 172 m.

Mise en œuvre de l’oxygène

L’injection d’oxygène pur se fait par l’intermédiaire d’un diffuseur placé dans la partie amont du siphon. Ce diffuseur, constitué d'un ensemble d’éléments poreux, est immergé à environ 14 m de profondeur.

La vitesse d’écoulement de l’effluent supérieure à celle de remontée naturelle des bulles d’oxygène permet l’entraînement de ces dernières dans la partie aval du siphon située sous la Seine. Il en résulte une augmentation du temps de séjour des bulles d’oxygène dans l’effluent, qui, combinée avec l’écoulement turbulent, améliore notablement le rendement de dissolution de l’oxygène.

Compte tenu des quantités consommées, l’oxygène est livré sous forme liquide dans un stockage vrac horizontal afin d’améliorer l’impact visuel de l’installation. L’oxygène liquide est vaporisé dans des réchauffeurs atmosphériques puis détendu à 3 bars. Un tableau débitmétrique permet de régler les débits d’oxygène injecté selon les besoins entre 0 et 60 Nm³/h (figure n°3).

Afin de garantir l’efficacité de la réoxygénation et de mieux connaître le réseau, l'ensemble de l’installation est télégérée à partir d'un système Datal™ développé par Air Liquide. Ce service permet d’obtenir en temps réel une information précise des paramètres de fonctionnement du collecteur et du diffuseur (figure n°4).

Trois points de mesure situés à Athis-Mons en amont et aval du siphon et à Vigneux enregistrent les paramètres suivants :

  • taux d’oxygène dissous dans l’effluent ;
  • taux d’hydrogène sulfuré dans le ciel gazeux du collecteur ;
  • teneur en oxygène gazeux dans le ciel gazeux du collecteur.

En outre, le système Datal™ donne des informations relatives au :

  • débit d’oxygène injecté ;
  • taux de remplissage du stockage vrac.

L'ensemble de ces informations permet d’optimiser et de réguler l’injection d’oxygène mais aussi de garantir une sécurité d’approvisionnement en oxygène liquide et d’avoir un suivi analytique complet sur le collecteur.

Résultats et commentaires

Une campagne d’essai réalisée au préalable a permis de montrer l’efficacité du procédé et de déterminer précisément les quantités d’oxygène à mettre en œuvre. Les analyses réalisées conjointement par le SIAAP et Air Liquide lors de ces essais ont mis en évidence une corrélation entre la concentration en sulfures et la présence d’H₂S dans le ciel gazeux avec un cycle diurne-nocturne remarquable. Cette périodicité a déjà été constatée

[Photo : Figure 5 – relevé hebdomadaire d'analyses H2S gazeux]

par ailleurs, le maximum des concentrations en sulfures se situant aux alentours de 0 h et le minimum vers 12 h.

Aucun enrichissement du ciel gazeux en oxygène n’a été remarqué : tout l’oxygène injecté est donc dissous et consommé par l'effluent.

Dans l'installation définitive, le diffuseur d’oxygène a été optimisé afin de pouvoir augmenter les débits injectés sans risquer de dégrader le rendement de transfert, tout en évitant les risques de colmatage. En outre l’injection d’oxygène est régulée en fonction de la teneur en oxygène dissous en sortie de siphon (aval Athis-Mons) pour garantir une saturation en permanence de l’effluent (environ 8 mg/l d’oxygène dissous pour une température d’effluent à 20 °C).

La figure n° 5 permet de comparer des périodes avec et sans injection d’oxygène.

On observe un enrichissement des teneurs en H2S entre Athis-Mons et Vigneux avec un léger décalage des pics dans le temps.

Cela s'explique par le temps de transit de l’effluent entre les deux postes de mesure.

Ce temps est relativement court compte tenu de la vitesse moyenne d’écoulement d’environ 1 m/s.

L’injection d’oxygène permet de maintenir la teneur en H2S à Vigneux à des valeurs inférieures à 5 ppm en moyenne avec quelques pics à 20 ppm. Sans injection d’oxygène, l’enrichissement en H2S est très rapide avec des valeurs dépassant les 50 ppm.

Conclusion

Au travers de cet exemple, des intérêts majeurs de l’oxygénation et de la télésurveillance sont mis en évidence :

  • - la protection du collecteur sur environ 4 km sans investissements conséquents ;
  • - l’ensemble des analyses et la télésurveillance qui donne de précieux renseignements sur le fonctionnement du collecteur ;
  • - enfin le bilan économique est très attractif puisque la prestation d’oxygénation et de télésurveillance du réseau représente un coût moyen de traitement estimé à 3 centimes du m³ traité.
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