La chasse aux polluants persistants s'intensifie. Molécules organiques stables, ces polluants résistent à la dégradation biologique classique. Pour les détruire, même à de faibles concentrations, il faut utiliser un oxydant puissant, le radical hydroxyle. Plusieurs voies existent mais leur emploi tarde à se généraliser. La réglementation et les contrôles devront se faire plus pressants pour que ces procédés soient utilisés à grande échelle.
Les méthodes biologiques dégradent la plupart des composés organiques à un coût relativement modique. Mais certaines molécules organiques sont récalcitrantes et résistent aux filières biologiques. Ce sont les POP – polluants organiques persistants – des principes actifs de médicaments, des pesticides, des adjuvants chimiques comme les plastifiants, bref tout ce qui entre sous le vocable de “polluants émergents”. Résistantes, ces molécules persistent dans l'environnement et souvent interfèrent avec les organismes vivants avant de se concentrer tout au long des chaînes alimentaires. Certaines induisent des effets biologiques particuliers comme les perturbateurs endocriniens ; si l'on a constaté des anomalies sexuelles sur certaines espèces aquatiques, rien n’est encore démontré chez l'homme. Certains colorants et pigments organiques, développés à la fois pour leur fonction colorante et leur stabilité chimique, font partie de ces molécules indésirables car très visibles, et pour cause, dans le milieu. Les progrès des méthodes analytiques ont élargi la
Gamme des substances détectées dans l'environnement et ont poussé les législations et réglementations à la baisse des concentrations admissibles de ces substances tant pour ce qui concerne la production d’eau potable que les rejets dans l’environnement. Les deux sont liés dans la mesure où moins l'on rejette, moins l'environnement sera impacté.
D'où le besoin en méthodes de dégradation efficaces des substances dissoutes dans l'eau. En production d’eau potable, la règle consiste à utiliser des ressources aussi saines que possible. Les traitements préalables pour éliminer les substances indésirables (fer, manganèse, pesticides, etc.) se développent ; traitements a priori simples comme des précipitations, des filtrations sur sable et adsorption par passage sur du charbon actif et bien sûr les traitements membranaires avec une logique de séparation et non de destruction des substances indésirables. À ce stade, l'accent étant mis sur l’efficacité et le coût, il n'est pas question d'utiliser des réactifs onéreux sur des volumes d'eau énormes dans des procédés eux-mêmes coûteux à exploiter.
Oxydation avancée : essentiellement sur les effluents
Les méthodes d’oxydation avancées sont donc essentiellement utilisées en traitement d'effluents et après que les méthodes classiques ont éliminé les matières facilement oxydables : pas question d’employer de coûteux réactifs à autre chose qu’à la DCO dure. « En fait, l’oxydation avancée est pratiquée depuis une quarantaine d'années, c’est-à-dire depuis que l’on utilise de l’ozone. En fonction des molécules présentes dans les eaux à traiter et l’apport d’ozone, il se forme bien des radicaux hydroxyles OH, et l’on faisait de l’oxydation avancée sans le savoir » explique Frederick Cousin, chef de marché ozone chez Degrémont Technologies-Ozonia. Ce qui a évolué depuis quelques décennies, c’est la maîtrise de la production d’ozone et la mise en contact du gaz avec l'effluent. L’ozone est créé en soumettant un gaz chargé en oxygène, tel que l’air, à une succession de décharges électriques. « Les premiers générateurs d'ozone fonctionnaient avec de l’air et l’on atteignait des concentrations de 1 à 1,5 % d’ozone dans le gaz. Si cela est toujours pratiqué, aujourd’hui, lorsque l’on veut produire de grandes quantités d’ozone, on utilise l’oxygène pur et l’on parvient à des concentrations d’ozone de 14 % dans le gaz vecteur » précise Grégoire Altounian, responsable commercial Europe du Sud pour les applications industrielles de Degrémont Technologies-Ozonia.
Chercher à détruire les polluants par un agent chimique est tentant. Au cours de la décennie 1990-2000 on a d’ailleurs tenté d’éliminer les pesticides présents dans l’eau potable en utilisant l’oxydation. On s’est ensuite aperçu que les produits d’oxydation obtenus étaient plus toxiques encore que le produit initial et la voie a été abandonnée. Malgré tout, le développement des méthodes d’oxydation avancée s’est poursuivi avec pour objectifs des effluents difficiles, comme les lixiviats de décharge et ceux de teinture textile. On a alors couplé ozone et ultraviolet, ozone et peroxyde d’hydrogène, peroxyde d’hydrogène et ultraviolet, voire les trois ensemble. « L’oxydation catalytique couplant l’ozone avec un catalyseur a été développée par Degrémont dans le procédé Tocata. Beaucoup de recherches ont été menées sur le sujet. Développée dans les années 1990, cette technologie AOP était en avance sur son temps. De par les réglementations qui n’étaient pas assez strictes et le coût significatif des catalyseurs, le développement de cette technologie n’a pas été suivi » explique Grégoire Altounian.
Notables sont toutefois enregistrées. Ainsi, Trojan a mis au point un process d'oxydation baptisé UV Swift ECT basé sur la génération de radicaux hydroxyles via la photolyse UV du peroxyde d'hydrogène. « Les essais ont démontré que le process d'oxydation détruit les micropolluants », explique Peer Kamp, Directeur de recherche et développement de PWN, la compagnie hollandaise exploitant le procédé à Andijk (100 000 m³/jour). Fort de ce premier succès, PWN est en train d'installer une deuxième usine d'une capacité de 144 000 m³/jour basée sur la même technologie.
La technologie Oxycon® développée par KWI France en collaboration avec Desotec met en œuvre quant à elle trois phénomènes différents pour éliminer polluants et DCO dure : l'adsorption, l'oxydation chimique catalytique, et la bio-oxydation en biorégénération. Et nombre de prestataires tels que Pall, Hytec Industrie, Proserpol, Biome ou Ovive sont capables de coupler les procédés pour obtenir des résultats intéressants.
Ondeo Industrial Solutions (Ondeo IS) a développé son savoir-faire d'intégrateur de technologies de réduction de la DCO dure dans plusieurs applications de l'industrie chimique en couplant techniques membranaires et oxydation avancée par ozone ou adsorption sur charbon actif. Ondeo IS a aussi mis en œuvre avec succès le couplage entre préoxydation par ozone de la DCO dure à des doses assez faibles (à 1 kg O₃/kg DCO environ) devant une biomasse développée sur support spécifique au sein des unités Biofor, par exemple en industrie textile (ASL Lavelanet) ou amidonnerie (Amylum-Orsan). Ondeo IS travaille également sur la pression de sélection pour faire assimiler à des microorganismes des effluents réputés réfractaires dans des réacteurs biologiques conventionnels.
Une voie en cours de développement : l'ozonation catalytique
Un autre moyen d'oxydation avancée consiste à utiliser le peroxyde d'hydrogène et un catalyseur, en l'occurrence les ions ferreux en solution aqueuse acide (pH 3), c'est ce que l'on appelle le réactif de Fenton. Il se produit des radicaux hydroxyles qui attaquent la matière organique et créent une suite de réactions radicalaires d'oxydation utilisant aussi l'oxygène naturellement dissous dans le milieu. Si la réaction est efficace, son inconvénient est de mettre en jeu le fer qui crée un volume de boue important à éliminer. Là encore, on bute sur la mise en œuvre industrielle de cette réaction. « La réaction de Fenton est efficace au laboratoire, mais ses conditions de mise en œuvre sont précises pour obtenir une bonne dégradation. Toute la difficulté est de maintenir ces conditions, or les effluents industriels sont variables à la fois en charge et en concentration, ce qui explique qu'elle n'est pratiquement pas utilisée », explique Florence Pontlevoy qui dirige la société Technavox récemment rachetée par Serep et créée précisément pour développer un procédé d'ozonation catalytique. « Nous parlons d'oxydation avancée pour notre procédé car
Des ozoneurs de plus en plus performants
La dégradation des molécules organiques va jusqu’au stade du gaz carbonique et ne s’arrête pas à des stades intermédiaires. Grâce à l’utilisation de catalyseur (sous forme de poudre) la consommation d’ozone est divisée par un facteur deux à trois, voire six dans certains cas ; les temps de contact nécessaires sont de l’ordre de l’heure, le catalyseur est séparé en sortie de réacteur et recyclé directement dans la cuve. « Le procédé devient alors compétitif avec d’autres utilisant le charbon actif » affirme Florence Pontlevoy.
Toutes sortes d’applications sont envisageables dans l’industrie chimique, les traitements de surface, l’agroalimentaire, le textile, les lixiviats de décharge, etc. Reste à convaincre les futurs utilisateurs, l’éternel problème des procédés nouveaux. Une référence existe en Espagne sur de la saumure d’olives en destruction de DCO avant passage de l’effluent (30 m³/h) en ultrafiltration pour la récupération d’eau. Pour le reste, l’entreprise multiplie les démonstrations avec une unité mobile de traitement ; deux unités supplémentaires de 500 et 1 000 l/h seront disponibles dans quelques mois.
Recherche : universités et écoles ne sont pas en reste
Les recherches en matière d’oxydation avancée se poursuivent. Plusieurs universités et écoles mènent des thèses et des travaux de recherches approfondis sur le sujet, à l’image du Département en Procédés Propres et Environnement de l’Université Paul Cézanne (cf. série d’articles sur le traitement des lixiviats parus dans les numéros 308 à 313). L’université de Marne-la-Vallée mène quant à elle une série de recherches sur l’oxydation d’effluents hospitaliers en raison de la présence forte de résidus de médicaments ; la voie étudiée est l’électro-Fenton (utilisation de procédé électrochimique pour générer in situ le peroxyde) couplée à la biodégradation, avec la réalisation prévue d’un réacteur pilote ; ce procédé a également été étudié pour la dégradation des pesticides. On parle également de procédé photo-Fenton utilisant une irradiation par UV. À l’Université de Mulhouse, des travaux ont été menés sur le couplage UV/peroxyde d’hydrogène sur des colorants textiles. L’Université de Savoie travaille sur le couplage des ultrasons avec les oxydants puissants (ozone, peroxyde d’hydrogène…). L’avantage de la sonochimie, en tant que méthode physique, est de ne pas ajouter de réactifs conduisant à des produits potentiellement plus dangereux : les phénomènes de cavitation engendrent localement dans les microbulles des ondes de chocs et des températures de plusieurs milliers de degrés. La technique a été mise en œuvre avec succès par Sita Remédiation pour traiter une eau de nappe polluée au trichloréthylène. Des études sont en cours pour la potabilisation de l’eau par sonochimie. L’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) travaille aussi sur ces procédés couplés d’oxydation avancée.
L’ozonation des effluents : de plus en plus de références
Reste que si les normes de rejet vis-à-vis de la DCO dure sont renforcées, les méthodes d’oxydation avancée pourraient revenir sur le devant de la scène. Aux États-Unis, plusieurs projets font référence à l’utilisation de l’ozone pour le traitement d’eaux résiduaires urbaines. Montréal projette d’équiper ses usines de traitement des eaux avec des générateurs d’ozone pour la préservation du fleuve Saint-Laurent. Il semble qu’on se concentre aujourd’hui sur l’utilisation d’ozone mais avec des ozoneurs plus efficaces. « Depuis une vingtaine d’années, le prix de l’ozone a été divisé par trois. Cela est dû aux progrès des ozoneurs eux-mêmes avec l’utilisation de nouveaux diélectriques et de designs spécifiques pour générer les décharges électriques, ainsi qu’aux générateurs de courant qui bénéficient des composants électroniques de puissance IGBT » explique Frederick Cousin. Ceci se traduit par la mise sur le marché de nouveaux appareils comme l’IGS (Intelligent Gap System) de Degrémont Technologies-Ozonia lancé en 2007 (voir encadré).
Wedeco avec Effizon*HP insiste aussi sur la fiabilité des nouveaux diélectriques. Parmi les références d’ozonation d’effluents, on peut citer le process mis en œuvre à l’usine Levi’s à Wervik en Belgique par Messer et Wedeco ou encore l’installation de Satrod à Roche-la-Molière non loin de Saint-Étienne exploitée par Sita. Dans ce dernier cas, la station de traitement des lixiviats correspond à une charge de 20 000 équivalents habitants, avec un débit moyen de 20 m³/h et une DCO à l’entrée de 2 000 mg/l. L’effluent subit une coagulation-floculation, puis un traitement biologique de nitrification-dénitrification, une précipitation chimique suivie de l’ozonation (deux tours de contact) qui abaisse la DCO résiduelle de 400 mg/l à 150 mg/l au niveau du rejet. La production nominale d’ozone est de 206 t/an. L’installation a été réalisée par Degrémont en collaboration avec Air Liquide (système Floxal) il y a une dizaine d’années. À la même époque, la station d’épuration de l’Association du Syndicat de la Vallée de la Touyre à Lavelanet, qui reçoit des effluents domestiques et de teinturerie, était équipée, une première à l’époque ; objectif : abaisser la DCO résiduelle et éliminer les couleurs pour répondre à l’arrêté de rejet. L’ozone est produit à raison d’environ 30 kg/h à partir d’oxygène. Sur le même type de préoccupation, un projet est en cours dans la région lyonnaise sur une station qui reçoit ces deux types d’effluents. Cette installation va être équipée d’un ozoneur de 30 kg/h qui permettra de traiter un débit d’effluent de 1 100 m³/h après un traitement biologique. L’ozone est produit à partir d’oxygène pur cryogénique. Degrémont Technologies-Ozonia revendique plusieurs autres références d’ozonation d’effluents mixtes urbains-textiles en Italie (Prato par exemple).
Dans le domaine de l’oxydation combinée, Wedeco n’est pas en reste. Au Danemark, Wedeco a installé à Kalundborg, depuis mai 2000, la plus grosse installation d’oxydation d’effluents d’industrie pharmaceutique produisant de l’insuline. Utilisés seuls à la mise en service, les 180 kg/h d’ozone installés sont actuellement couplés à un apport de peroxyde d’hydrogène permettant ainsi de traiter un effluent qui s’est dégradé dans le temps.
En Allemagne, sur le site de Dow Chemicals, Wedeco traite depuis 2005, 720 m³/
que si les contraintes environnementales ou économiques l'exigent » explique-t-on chez Wedeco.
D'autres voies à explorer
D'autres moyens de destruction de la DCO dure se mettent en place de manière plus ponctuelle. La photocatalyse est mise à contribution pour dégrader la DCO dure. Plusieurs procédés sont développés, basés sur l'utilisation de dioxyde de titane et de lumière naturelle ou d'éclairage UV. Les radicaux hydroxyles sont produits sur les grains d'oxyde de titane à partir de l'eau. Tout est dans la mise en œuvre de ce principe. La société Ahlstrom a développé des supports spécifiques sur le traitement des effluents viticoles, avec notamment les procédés Phytocat de Résolution et Phytomax d'Agro-Environnement.
Les sociétés espagnoles Deisa et FMC Foret ont quant à elles développé l'utilisation de peroxyde d'hydrogène dans le procédé qu'elles nomment OHP (Oxydation humide au peroxyde), sous quelques bar et à un peu plus de 100 °C en présence de catalyseur avec un temps de contact de l'ordre d'une heure pour le traitement d'effluents industriels. Ce procédé a également été mis en œuvre avec succès par Proserpol sur des molécules organo-métalliques en présence de saumure. LOVH (Oxydation par voie humide) développé par Granit Technologies consiste à porter l'effluent à détruire à des températures de l'ordre de 200 à 350 °C sous 40 à 200 bar. Le procédé commence à avoir quelques références en effluents industriels (Papeteries du Léman depuis 2004) et domestiques avec le procédé Athos (Aqueous thermal oxidation of sludge) de Veolia Eau (235 °C sous 44 bar).
Proserpol propose une variante intéressante de ce procédé en utilisant de l'oxygène pur, ce qui permet de réduire la pression (procédé Loprox) et la corrosion du réacteur.
Cette combustion dans un effluent liquide minéralise les matières à détruire, laisse des molécules facilement biodégradables et surtout évite la formation de composés nocifs qu'il faut filtrer à grand coût dans des systèmes de traitement des fumées. LOVH n'a pas ces contraintes et devrait être plus considérée sur la globalité de ses atouts.